Le dicton populaire n’a cessé de le dire : l’argent ne fait pas le bonheur. Les enquêtes auprès de la population semblent le confirmer. Malgré une croissance économique continue, la « satisfaction de vie » moyenne des Occidentaux stagne depuis plusieurs décennies (voir les graphiques annexés).
En Belgique, alors que le PIB réel par habitant a augmenté de 80 % depuis 1973, le niveau de satisfaction de vie moyen a diminué de 8,8 %. Pourquoi la croissance économique, tant recherchée, si peu remise en question, ne parvient-elle pas – ou plus – à augmenter le bien-être de l’homme ?
Celui-ci n’est-il jamais satisfait de ce qu’il possède ? Lui en faut-il toujours plus ? Ou est-ce la croissance elle-même qui comporte trop d’effets secondaires négatifs ? Qu’en disent les économistes ?
Une large partie de la littérature économique laisse entendre que la satisfaction de la population croît avec le revenu réel. Dès lors les gouvernements et les grandes institutions peuvent inlassablement proclamer, au nom des peuples et de leur bien-être, que la croissance économique est un objectif prioritaire.
Toutefois le développement d’un nouveau courant de recherches vient secouer les convictions traditionnelles. Ciblées sur l’explication de la satisfaction de vie, ces études apportent un fondement scientifique à deux constats de bons sens : toute richesse est relative, et la richesse n’est pas tout.
Premièrement, la richesse a toujours une valeur relative. Relative par rapport au passé : chaque personne s’habitue à ce qu’elle possède ; elle revoit continuellement ses normes matérielles à la hausse et comble ainsi difficilement ses aspirations. Relative aussi par rapport à la richesse des autres : le bienêtre que l’individu retire de son propre revenu dépend bien souvent du revenu du voisin ; pour que le bien-être s’accroisse, il ne suffirait pas « d’avoir plus », encore faudrait-il « avoir plus que les autres ». Ainsi l’ensemble de la population se laisse entraîner dans une course sans fin dont le but est fuyant.
Deuxièmement, la richesse n’est pas tout. La stagnation de la satisfaction de vie, malgré la hausse des revenus, peut provenir de nombreux facteurs non-pécuniaires : la montée des inégalités ; le chômage ; la dégradation des conditions de travail (cadences, précarité) ; l’augmentation du stress, de l’anxiété et des cas de dépression ; l’affaiblissement des liens familiaux et sociaux et du lien entre les citoyens et les institutions ou les mandataires politiques ; la dégradation de l’environnement. Certains de ces facteurs
sont étrangers à la croissance économique, d’autres au contraire sont générés par le type de croissance que nous avons connu.
Les résultats qui ressortent de l’ensemble de ces études comportent deux implications fortes, qui vont de pair. D’une part, ils appellent le développement, au delà des enquêtes, d’indicateurs de bien-être,
solides et fiables, susceptibles de compléter ou de corriger la traditionnelle comptabilité nationale, et de casser l’amalgame trop fréquent entre PIB et bien-être. D’autre part, ils révèlent l’urgence d’une réflexion sur la finalité de la croissance et sur son contenu : pourquoi et pour qui voulons nous plus de
croissance ? Existe-t-il un consensus sur les objectifs poursuivis et est-on bien sûr que notre type de croissance les serve ?
Tenter de répondre démocratiquement à ces questions pourrait être un premier pas vers une satisfaction de vie accrue.
PIB réel par habitant (en milliers de dollars GK, échelle de droite)
et évaluation de la satisfaction de vie (SV) moyenne (échelle de gauche)
[1]








Sur le même thème
Croissance
28/10/2019 - Des limites de la transition : pour une décroissance délibérée - Éconosphères
06/01/2016 - Les coordonnées de la crise qui vient - Michel Husson
10/12/2015 - Impact des mesures récentes pour la sécurité sociale et contexte économique - Patrick Feltesse
24/06/2015 - Stagnation séculaire : le capitalisme embourbé ? - Michel Husson
28/11/2013 - Le « libre-échange » : un conte pour enfants pas sages - Bruno Poncelet
18/11/2013 - Ceci n’est pas une reprise - Olivier Bonfond
02/05/2013 - Grandir avec ses valeurs - Véronique Huens
04/12/2012 - Crise de la zone euro : l’implacable montée en puissance du rôle politique de la BCE - Cécile Barbier
11/05/2012 - La critique économique face à la crise - Bruno Bauraind
23/01/2012 - La vraie crise reste à venir - Bruno Poncelet
Vers les autres articles du même thème...
Indicateurs
15/10/2020 - Objectifs de développement durable : Où en est la Wallonie ? - Jean-Luc Dossin
25/05/2020 - Doit-on pleurer la chute du BEL 20 ? - A. Lepase ,
M. Nicolay
26/08/2014 - Évaluation de l’impact social : de quelques clarifications et craintes. - Quentin Mortier
04/06/2014 - Le multiplicateur budgétaire, un concept clé du débat sur l’austérité - Reginald Savage
19/08/2013 - L’état des statistiques en Belgique : des améliorations sont indispensables. - Philippe Defeyt
17/01/2013 - Les salaires en Belgique : quelques données - Philippe Defeyt
21/12/2012 - Pouvoir d’achat : de quelques angles morts… - Erik Rydberg
16/08/2012 - Le trafic n’est pas qu’automobile, il est aussi comptable - Henri Houben
06/08/2012 - Rio+20 en Belgique : quelques points de repère. - Philippe Defeyt
07/11/2011 - Politique européenne. La lutte contre la pauvreté passe à la trappe… - Bérengère Dupuis
Vers les autres articles du même thème...
PIB
18/11/2013 - Ceci n’est pas une reprise - Olivier Bonfond
25/01/2011 - Midi d’Econosphères n°5 « Les inégalités de revenu en Belgique » - Transcription de l’intervention de Reginald Savage - Bruno Bauraind
08/12/2010 - L’amour, l’économie, la course … et la poésie - Ricardo Cherenti
06/09/2010 - Dossier thématique n°2 : « Les indicateurs alternatifs au Produit Intérieur Brut »
23/06/2010 - Midi d’Econosphères n°3 : les indicateurs alternatifs au PIB - Bruno Bauraind
12/04/2010 - Le social et l’environnement : des indicateurs alternatifs au PIB - Philippe Defeyt
13/11/2009 - Les indicateurs pour les nuls - Michel Husson
05/10/2009 - Le PIB est-il un bon indicateur ? - Ricardo Cherenti
Du même auteur - Isabelle Cassiers
10 thèses pour progresser vers une société de la post-croissance - 23/05/2017
Isabelle Cassiers, Kevin Maréchal et Dominique Méda formulent dix propositions afin d’améliorer l’art de vivre hors de l’obsession d’acquérir des richesses.
Dans le livre collectif « Vers une société post-croissance - Intégrer les défis écologiques, économiques et sociaux », les auteurs, dont Isabelle Cassiers, Kevin Maréchal et Dominique Méda, développent le concept de « société de la post-croissance », c’est-à-dire une société dont l’objectif se situe « au-delà » de la poursuite de la croissance économique. (...)
Lire la suite »
Au-delà de la croissance : quel projet, quelle pensée ? - 04/11/2015
Dès 1848, dans ses Principes d’économie politique, John Stuart Mill observait que « l’état stationnaire de la population et de la richesse n’implique pas l’immobilité du progrès humain. Il resterait autant d’espace que jamais pour toute sorte de culture morale et de progrès moraux et sociaux ; autant de place pour améliorer l’art de vivre et plus de probabilité de le voir amélioré lorsque les âmes cesseraient d’être remplies du soin d’acquérir des richesses. » Améliorer l’art de vivre hors de l’obsession (...)
Lire la suite »
Au-delà du PIB : réconcilier ce qui compte et ce que l’on compte - 15/01/2010
On le sait depuis toujours, le Produit intérieur brut (PIB) n’est pas un indicateur de bien-être ou de qualité de vie. C’est un agrégat monétaire qui évalue l’activité annuelle d’une nation sur des bases essentiellement marchandes. Toutefois, pendant des décennies, croissance du PIB et progrès des sociétés ont été largement assimilés, comme si la première était une condition nécessaire et suffisante à la réalisation du deuxième. Cette liaison est aujourd’hui amplement remise en cause.
De nombreux travaux ont (...)
Lire la suite »
Chercheurs associés - 25/09/2009
Lire la suite »