Introduction
En septembre 2023, la FGTB wallonne a mis sur la table la proposition d’émettre des bons d’Etat au niveau wallon, notamment pour diminuer la dépendance de la Région aux marchés financiers et dégager des ressources pour financer la poursuite du financement du Plan de relance wallon.
La position du Ministre du Budget et des Finances de la Région wallonne, Adrien Dolimont, face à cette proposition a évolué dans les semaines et mois qui ont suivi. Elle est passée d’un « oui mais non » (bonne idée mais pas envisageable à court terme) à un « projet injuste à oublier ».
La plupart des arguments avancés par le Ministre ne nous semblent pas convaincants. Ils donnent l’impression qu’il s’agit surtout de tout faire pour mettre le plus vite possible cette proposition sous le tapis. Nous allons reprendre et analyser ici tous ces arguments.
Bien sûr, il ne s’agit pas de faire n’importe quoi. Cette mesure, si elle se concrétisait, se doit d’être intéressante, tant pour la Région que pour les épargnants et la population.
Bien sûr, il ne s’agit pas de nier que plusieurs difficultés peuvent se poser, et il faut en tenir compte. La question des finances publiques wallonnes est une question trop importante pour venir avec des YAKA ou des « il suffit que ».
Pour autant, et malgré le fait que certains points devraient être éclaircis et objectivés, y compris de la part du Ministre, cette proposition reste à nos yeux une idée intéressante. Surtout, ne pas anticiper et ne pas s’y préparer correctement, pour pouvoir la concrétiser à court ou moyen terme, constitue une erreur à nos yeux. Quid si dans quelques mois ou plus, elle devenait une alternative très sérieuse – voire une nécessité - au financement de la Région par les marchés financiers ? Le Ministre répondrait-il alors à nouveau par un « oui mais non » ou par un « oui mais désolé nous ne sommes pas prêts » ?
Cette mesure ne constitue évidemment pas une solution miracle qui règlerait tous les problèmes. L’émission de bons d’Etat wallons ne constitue qu’un élément parmi d’autres qui doivent s’articuler dans une proposition alternative d’ensemble.
Les mouvements sociaux (dont la FGTB wallonne) portent depuis plusieurs années plusieurs propositions pour alléger le poids de la dette, se libérer du diktat des marchés financiers et rompre radicalement avec les politiques d’austérité [1].
Nous pensons notamment, comme le gouvernement libéral espagnol l’a fait en 2021, à une diminution drastique des charges d’intérêts payées aux banques, pendant une période de 3 ans.
L’idée de lancer un Livret A (mesure fédérale) du type de celui qui existe en France mériterait également une analyse approfondie. On entend souvent les responsables politiques affirmer qu’il est essentiel de regarder ce qui fonctionne bien ailleurs pour s’en inspirer. Or, nous avons, juste à côté de chez nous, un système de compte bancaire réglementé, en particulier le Livret A, qui, bien que comportant certaines faiblesses, fonctionne très bien depuis très longtemps [2] et joue un rôle doublement positif : garantir une rémunération correcte aux épargnants et financer des projets de long terme, en particulier la construction de logement sociaux. Ajoutons qu’à côté du Livret A, qui rapporte du 3 %, qui dispose d’une manne de 380 milliards, servant à financer les logements sociaux, il existe également en France le « Livret d’épargne populaire », uniquement destiné aux personnes aux revenus modestes. Ce livret propose un taux de 5 %, et dispose d’une manne de 20 milliards d’euros… Pourquoi ce qui est possible en France ne le serait-il pas en Belgique ?
Dans tous les cas, il est nécessaire d’adopter une position forte et de rupture sur la dette publique, car qu’on le veuille ou non, l’application sans fin de politiques d’austérité au nom d’une hypothétique diminution de la dette est une impasse totale, à tous les niveaux.
A l’heure où l’Etat et les Régions risquent de se voir de plus en plus confrontées au chantage des agences de notation et aux pressions de l’Union Européenne, il nous semble donc utile, d’analyser de manière critique les éléments à prendre en compte pour se positionner correctement sur la question des bons d’Etat wallons.
Petit historique
Septembre 2023 - le succès du bon d’Etat fédéral et la proposition de la FGTB wallonne
Fin août 2023, le gouvernement fédéral lance un bon d’État pour les particuliers, avec une durée d’un an et avec un taux net de 2,81 %. Cette initiative connait un grand succès : elle permet de récolter 22 milliards d’euros via la souscription de plus de 250.000 personnes.
Lors de sa rentrée politique en septembre 2023, la FGTB wallonne a avancé l’idée de lancer le même genre de bons d’État au niveau wallon, combiné à un Livret A similaire à celui existant en France.
Octobre 2023 - Le « oui mais non » du Ministre Dolimont
Interpellé trois jours plus tard en commission du parlement régional par le député wallon Ecolo Stéphane Hazée, le Ministre Dolimont, en s’appuyant sur un travail préalable de la Cellule de la dette (rapport sur les avantages et inconvénients d’une telle mesure) donne une série d’arguments, tous en défaveur de cette proposition. [3]
Signalons ici que ce rapport de la Cellule de la dette n’est pas disponible… Dans son intervention, le Ministre souligne cependant deux éléments importants tirés de ce rapport :
1. « Proposer ce type de produit pourrait être une source de diversification des moyens de financement dans le futur. »
2. « Selon la cellule de la dette, la Wallonie pourrait proposer un taux de 3,43 % brut à trois ans, ce qui donnerait un rendement net de 2,214 %, après déduction des coûts de placement et du précompte immobilier. ».
Le Ministre s’exprime dans les jours qui suivent dans différents médias, avec une position qui se résume par un « oui mais non [4] », à savoir que cela pourrait être une bonne idée (ce que la Cellule de la dette confirme) mais qu’elle serait contre-productive à l’heure actuelle. Il laisse clairement sous-entendre que rien ne sera entrepris à ce stade pour avancer sur cette proposition.
Décembre 2023 – L’Etat fédéral émet des nouveaux bons, mais uniquement à 5 et 8 ans
En novembre 2023, l’État fédéral décide de relancer une nouvelle souscription en décembre, mais, alors qu’il avait parlé initialement de bons à 1 an, celui-ci décide cette fois d’émettre des bons avec des maturités de 5 et de 8 ans, avec un rendement respectif de 1,82 % et 2,03 %.
Deux éléments nous paraissent alors évidents.
Premièrement, cette émission ne rencontrera pas de succès. En effet, qui va vouloir « investir » à 5 ou 8 ans pour un taux si faible ? Cette émission n’a rapporté que 42 millions.
Deuxièmement, cette décision de n’émettre que des bons d’Etat à 5 ou 8 ans à du 1,8 et 2 % rend tout d’un coup la proposition de la cellule de la dette attractive : un bon d’Etat wallon à 3 ans à du 2,2 % net à trois ans.
La FGTB wallonne relance alors la proposition [5], peut-être en pensant que la position du Ministre pourrait évoluer…
Décembre 2023 – d’un « oui mais non » à un « je m’étonne que la FGTB pousse à poursuivre un tel projet injuste »
Le moins qu’on puisse dire est que le Ministre n’a pas été convaincu. Sa position a même évolué par rapport à octobre : on passe du « oui mais non » à un projet injuste à tous les niveaux. Le ministre allant même jusqu’à déclarer qu’avec un tel projet, « La Wallonie n’aurait ni le beurre, ni l’argent du beurre, ni le sourire de la crémière [6] ».
Circulez donc, il n’y a rien à voir, et arrêtons de parler de cette proposition « désastreuse » …
Février 2024 – Jean-François Tamellini et Bruno Colmant appellent la Wallonie à lancer un bon d’État
Dans L’Echo [7], Jean-François Tamellini, Secrétaire général de la FGTB wallonne et Bruno Colmant (économiste, spécialiste du secteur bancaire, étiqueté à droite mais de plus en plus critique vis-à-vis du néolibéralisme, et avec qui la FGTB wallonne ne partage pas toutes les idées), réalisent une interview croisée qui met en avant une série d’éléments en faveur d’un bon d’Etat wallon.
Pour le leader de la FGTB wallonne, le lancement d’un bon d’État wallon doit permettre à la Région de diminuer la dépendance aux marchés, mais aussi de poursuivre la dynamique enclenchée par le plan de relance wallon. Pour Bruno Colmant, ce bon d’État régional devrait être un outil pour répondre à l’intérêt général et financer des projets porteurs de croissance économique.
Mars 2024 – Nouvelle interpellation en commission du Budget, et réponse identique du Ministre
Le lundi 11 mars, le député Hazée interpelle à nouveau le Ministre Dolimont sur cette question [8]. Tout en donnant quelques nouveaux éléments intéressants, sa réponse ne change pas : un bon d’Etat au niveau wallon n’est pas envisageable, couterait cher à la Région wallonne et aurait des conséquences négatives.
Analysons maintenant, objectivement, tous les arguments développés par le Ministre ces derniers mois.
Analyse critique
1. Une idée à abandonner ? Ce n’est pas ce que dit la Cellule de la gestion de la dette
Nous ne pouvons qu’être d’accord avec une des conclusions de la Cellule de la gestion de la dette lorsqu’elle déclare que « proposer ce type de produit pourrait être une source de diversification des moyens de financement dans le futur. » En effet, la Région wallonne - tout comme la Belgique et les autres pays européens - est extrêmement dépendante des marchés financiers. Elle doit emprunter chaque année environ 3 milliards d’euros pour boucler son budget (déficit primaire + intérêts de la dette + capital arrivant à échéance et devant être refinancé). Et cette situation va perdurer dans les années qui viennent.
Pour rappel, pour 2023 et 2024, le Conseil régional du trésor a préconisé à la Wallonie de limiter les emprunts sur les marchés financiers à 2,5 milliards d’euros maximum pour l’année 2024. Pour respecter cette recommandation, le Ministre Dolimont a décidé d’aller chercher de l’argent ailleurs, notamment en allant puiser dans les trésoreries des Organismes d’intérêts publics (UAP – anciennement OIP). Le Ministre affirme que ces transferts n’impacteront pas négativement le fonctionnement de ces différents outils, essentiels pour le développement socio-économique de la Région. Il est permis d’en douter. Dans tous les cas, cette politique de transfert ne pourra pas être renouvelée d’année en année.
Trouver une alternative crédible et durable de financement de la Région ne peut donc qu’être positive.
En lisant les différentes interventions du Ministre, il semble malheureusement clair qu’il n’a aucune intention de faire avancer ce dossier. Cette « mise au frigo » nous paraît décevante et y compris surprenante, d’autant plus lorsque la Cellule de la dette admet que c’est une idée intéressante, même si plusieurs obstacles, loin d’être insurmontables (voir point 4), doivent être préalablement levés.
A moins que ce manque évident de volonté n’en traduise une autre : celle de ne pas aller à l’encontre des desiderata des banques, qui n’ont aucun intérêt à ce qu’une telle initiative se mette en place. Ne l’oublions pas, les banques sont rémunérées à du 4 % sur les dépôts qu’elles placent à la Banque Centrale Européenne (BCE). Les 22 milliards récoltés par l’Etat fédéral leur ont « couté » un manque à gagner de 900 millions d’euros.
Elles ne se sont d’ailleurs pas gênées pour faire savoir qu’elles ne veulent pas d’un nouveau bon d’Etat à un an. Le titre de la LLB du 24 janvier 2024, tout comme son contenu, est très parlant : « Bons d’État : après la « fuite » massive de 21,9 milliards d’euros, le secteur bancaire réplique ».
2. Un projet injuste socialement ? Comment agir pour lutter contre les inégalités
Dans sa sortie presse de décembre 2023, le ministre déclare que si on émettait un bon wallon : « On se serait retrouvé avec un coût de la dette plus élevé, porté par l’ensemble des Wallons alors que seuls certains en auraient tiré un bénéfice », pour ensuite s’étonner que la FGTB « pousse à poursuivre un tel projet injuste ».
Tirer une conclusion définitive sur ce sujet nous paraît un peu léger, d’autant qu’il y a 3 mois, la Cellule de la dette déclarait que « dans les conditions de taux actuels, la Wallonie pourrait proposer un taux de 3,4 % brut à trois ans, soit un taux net de 2,2 %. ». Notons également que le dernier bon fédéral a été in fine bénéfique pour les finances publiques et le coût de la dette, et que l’agence de la dette a confirmé une nouvelle fois qu’un bon d’Etat « serait moins cher pour la Belgique qu’un financement sur les marchés institutionnels [9] » (voir point n°7).
Quant à la seconde partie de la phrase (« alors que seuls certains en auraient tiré un bénéfice »), le Ministre met le doigt sur un point important. Il est en effet très important d’avoir en tête que plus de 25 % des ménages n’ont aucune épargne, et que l’émission d’un bon d’Etat, quel que soit son taux de rémunération, ne changerait strictement rien à la vie des gens qui n’ont pas d’épargne. Rappelons que disposer d’un petit (ou moyen) matelas financier est tout sauf un luxe. Pouvoir faire face aux aléas de la vie, ou s’offrir de temps en temps un peu de confort de vie, devrait être à la portée de tous et toutes.
Il est vrai également que l’émission du bon fédéral à 1 an n’a pas participé à réduire les inégalités. Lorsque Jean Deboutte, le Directeur de l’Agence de la Dette déclare : « Il y a pas mal de versements de 1.000 euros, de 2.000 euros, mais il y a très vite des versements de 10.000, 20.000, 30.000 euros, voire de plus de 100.000 euros, voire même de plusieurs millions d’euros [10] », cela signifie que cette initiative a surtout constitué une opportunité pour les grands patrimoines. Il n’empêche, il a aussi permis à un certain de nombres de ménages de la « classe moyenne » de recevoir un taux de rémunération correct, et ainsi, face à une inflation forte, de maintenir son niveau d’épargne. C’est insuffisant mais cela reste positif.
Par ailleurs, cela a permis aussi d’amener une alternative au recours aux marchés financiers. Or, diminuer notre dépendance vis-à-vis des marchés financiers diminue aussi la pression pour appliquer de nouvelles mesures d’austérité, ce qui est positif pour l’ensemble de la population.
Cette mesure doit donc évidemment s’envisager avec d’autres qui ont pour objectif prioritaire de lutter contre les inégalités, tant de revenus que de patrimoine. Un livret d’épargne populaire destiné aux revenus modestes et rémunéré à du 5 % constitue une solution parmi de nombreuses autres (globalisation des revenus, taxe sur les grandes fortunes, développement des services publics…) [11].
La lutte contre les inégalités est évidemment un enjeu prioritaire.
3. Quels objectifs doivent-ils être poursuivis ?
L’objectif officiel du bon d’Etat fédéral d’août 2023 était de pousser les banques à augmenter leurs taux sur les comptes d’épargne. La plupart s’accordent à dire que cet objectif n’a pas été atteint, ou très peu. François Mathieu, rédacteur en chef adjoint de la LLB, écrivait dans son édito du 22 janvier 2024 : « Qu’en est-il aujourd’hui ? De petits gestes ont été formalisés mais ils sont de façade : la majorité des comptes d’épargne traditionnels affichent toujours des rémunérations bien loin des taux d’intérêt des marchés, lesquels rémunèrent très correctement les capitaux des institutions financières auprès de la Banque centrale européenne (BCE) [12]. »
A l’heure actuelle, les 270 milliard qui sont sur les comptes d’épargne sont rémunérés en moyenne à du 0,7%. Il est bien sûr possible de trouver mieux que du 0,7%, mais cela montre que les banques n’ont toujours pas fait de réels efforts en terme de rémunération de l’épargne.
Lorsque le Ministre déclare dans le journal Moustique : « Un des objectifs du bon d’État, c’est aussi de faire une petite piqûre de rappel aux banques et concrètement, ce n’est pas avec 200 millions que l’on y arrivera », il indique clairement que, pour lui, un bon d’Etat wallon, s’il devait se concrétiser, devrait poursuivre le même objectif.
Nous pensons que cette orientation est une erreur. L’émission de bons d’Etat devraient viser quatre objectifs :
1. Diminuer notre dépendance à l’égard des marchés financiers.
2. Dégager des ressources pour financer des projets d’intérêt général et stratégiques
3. Proposer un placement intéressant aux détenteurs d’épargne.
4. Faire pression sur les banques.
La question de la rémunération des comptes d’épargne peut donc rester un des objectifs à poursuivre. Mais à nos yeux, cela doit se régler autrement, notamment via une contrainte légale. Il est en effet scandaleux que les banques réalisent des profits « magiques » en plaçant les dépôts des épargnants à la BCE en recevant pour cela une rémunération de 4 %, pendant que ces mêmes épargnants voient la valeur de leur épargne s’éroder du fait de l’inflation et des faibles taux d’intérêts accordés par les banques commerciales. Imposer un taux plancher (à définir) ou imposer aux banques de créer un compte d’épargne réglementé par les pouvoirs publics (comme c’est le cas pour le Livret A ou le livret d’épargne populaire en France) doit être envisagé sérieusement.
4. Des obstacles insurmontables ?
Dans sa réponse donnée en commission du budget, le Ministre déroule plusieurs arguments en termes de contraintes techniques :
« En vertu de la loi spéciale de financement, les émissions destinées au grand public doivent faire l’objet d’un accord explicite du ministre fédéral des Finances. (…)
Pour mettre en place un incitant comme celui-ci (précompte mobilier réduit de 15 %), la Région wallonne devra également passer par le Fédéral, étant donné que le précompte mobilier ne fait pas partie des compétences de la Région. (…)
La Wallonie ne dispose actuellement pas de la documentation lui permettant d’émettre un tel produit ni d’un réseau de distribution.
Comme rappelé précédemment, les bons d’État ne sont pas un produit financier nouveau, alors qu’il n’existe pas d’équivalent wallon. Il faudrait donc prévoir un processus de sensibilisation destiné aux particuliers, pour qu’une opération de ce type puisse réussir. »
Il est évident qu’une telle opération doit se préparer correctement. À moins que ce soit pour justifier sa décision de ne pas agir, ces obstacles, aussi réels soient-ils, ne nous semblent pas insurmontables. Dans tous les cas, avant d’émettre un bon wallon, ils devront de toute façon être surmontés.
Le Ministre a déclaré que « gouverner, c’est objectiver », mais gouverner, c’est aussi prévoir. En admettant même que l’émission d’un bon d’Etat wallon ne soit pas possible à court terme, ne serait-il pas judicieux de commencer dès à présent la préparation de cette émission, dont la préparation de la documentation, de la publicité, ainsi que les nécessaires discussions avec l’Etat fédéral ?
5. La FGTB wallonne oublie-t-elle qu’il faut refinancer les dettes qui arrivent à échéance ?
Le Ministre déclare : « Lors de l’échéance dans 1 ou 3 ans, il faudrait réemprunter ce montant et donc refinancer. Apparemment, la FGTB a oublié cet élément. »
Toute personne qui travaille un peu sur la question est consciente que, sauf bien sûr dans le cas d’une restructuration ou d’une annulation, il faut refinancer les montants empruntés lorsqu’ils arrivent à échéance, et cela, que l’on emprunte aux marchés financiers ou aux particuliers.
L’Etat fédéral ne devra-t-il pas lui aussi refinancer son dernier bon à un an ? La réponse est oui. Une fois l’échéance arrivée, l’Etat devra financer ce montant. Elle pourra le faire, soit auprès des marchés financiers, soit, si les particuliers sont satisfaits et que les taux sont intéressants, en proposant un nouveau bon d’Etat. Des réflexions sont d’ailleurs déjà en cours pour savoir ce qui pourrait être fait lorsque les 22 milliards d’argent récoltés arriveront à échéance en septembre 2024. Dans l’Echo du 4 mars 2024, Jean Deboutte, directeur de l’agence de la dette, déclare : « Nous essayerons bien entendu à ce moment-là de reconduire les investissements dans un bon d’État à un an ou d’une durée plus longue, cela dépendra de l’évolution des taux [13] ». La Région wallonne n’aurait-elle pas elle aussi un « coup à jouer » à ce moment là ?
Dans tous les cas, en quoi ce refinancement, qui a lieu dans tous les cas, constituerait un argument pour ne pas envisager d’émettre un bon d’Etat wallon ?
6. Un bon d’Etat wallon pourrait-il avoir du succès en terme de récolte ? (Le beurre)
Il est évidemment difficile de répondre à cette question. Cela dépend d’une série de facteurs, dont deux très importants : le taux proposé aux épargnants et la maturité du bon.
Lorsque le Ministre déclare que selon les calculs de ses équipes, un bon wallon en l’état ne rapporterait pas plus que 200 millions d’euros [14], on se demande bien sur quel base peut-on en arriver à ce seul et unique montant, sans objectiver quoi que ce soit, que ce soit en terme de taux ou de maturité…
Le ministre persiste et signe, en affirmant « Je l’encourage vivement à aller consulter les résultats des deux dernières émissions à maturité de 5 et 8 ans : 26 millions sur 4 jours. Nous sommes loin des 22 milliards récoltés avec le bon d’État précédent [15] ». Le Ministre semble donc très motivé à nous convaincre qu’un bon d’Etat ne rapporterait que des miettes.
Il est évident que l’attractivité, et donc le succès, d’un bon d’Etat dépend essentiellement du taux et de la maturité de ce bon. Le Ministre l’admet d’ailleurs, lorsqu’il déclare que le succès d’une telle opération est « intrinsèquement liée au timing et à la spécificité du bon d’État émis ». [16]
Comme nous l’avons écrit ci-dessus, il était évident que la dernière émission fédérale, avec des taux inférieurs à 2 % et des maturités de 5 et 8 ans, n’allaient pas rapporter énormément. C’était couru d’avance. De la même manière, la décision d’émettre un bon d’Etat en mars 2024 avec un précompte de 30% et donc un taux net de 2,1% (bien loin des 2,8% net du bon de septembre 2023) explique en grande partie le succès mitigé de ce bon (430 millions d’euros récoltés avec un objectif initial de 6 milliards). Il est évident que si précompte avait été fixé à 15%, le succès aurait été plus important. Certains ont d’ailleurs parlé d’un « gâchis collectif [17] » ou d’une « occasion manquée [18] ».
Les succès, tant du « bon Van Peteghem » de 2023 que du « bon Leterme » de 2011, ont ces deux points en commun : un rapport taux/maturité attractif par rapport aux conditions du marché bancaire, et une communication d’ampleur. Lorsque ces deux éléments sont réunis, les citoyens belges (qui en ont les moyens) sont prêts à prêter massivement à l’État (pour rappel, il y a environ 300 milliards sur les comptes d’épargne).
A l’heure actuelle, tout semble indiquer que la demande pour un bon avec un taux intéressant et une maturité relativement courte reste forte à l’heure actuelle. Jean Deboutte, directeur de l’Agence fédérale de la dette déclarait d’ailleurs en novembre 2023 : « Je suis sûr que si on avait fait la même opération qu’en septembre, au même taux environ, on aurait eu un très grand succès. Peut-être même un succès encore plus important qu’il y a trois mois [19]. »
Nous pensons que les conditions sont globalement toujours réunies pour pouvoir le faire au niveau wallon, et que cela pourrait rapporter des montants importants à la Région. Mais cette « fenêtre d’opportunité » n’est certainement pas permanente, rien ne l’est. Que choisir ? Strictement ne rien faire ou déployer l’énergie et les compétences nécessaires pour analyser en profondeur la faisabilité et l’intérêt d’une telle mesure.
7. Quelle maturité pour le bon d’Etat wallon ?
A nouveau, toutes les pistes devraient être envisagées sérieusement, comme le fait de proposer aux épargnants des bons wallons de court terme (un an) mais aussi avec une échéance plus longue, par exemple de 2 ou 3 ans, voire un peu plus.
En ce qui concerne le court terme, le Ministre déclare : « Le profil de l’échéancier de la dette régionale directe ne permet pas à la Région d’émettre des montants conséquents à court terme. Les besoins à court terme du Fédéral sont tout autres par rapport à ceux de la Région. »
Que les besoins de financement à court terme soient moins importants que le Fédéral, c’est un fait : le dernier rapport annuel de la dette publique wallonne montre en effet que la dette à court terme de la Région wallonne se situe aux alentours de 800 millions d’euros, ce qui n’est pas négligeable. Il n’y a donc a priori pas de raison de s’interdire d’émettre tout de même des bons régionaux à un an.
Ajoutons que la Région wallonne pourrait décider à l’avance, à l’instar de ce qu’a fait récemment l’Etat fédéral, du montant maximum qu’elle souhaite lever, pourquoi pas dans le cadre d’une coordination avec l’Etat fédéral. Cela devrait se discuter.
Par ailleurs, même dans le cas où la Région récolterait plus d’argent que nécessaire à court terme, cela ne constituerait pas nécessairement un problème. En effet, il a maintenant été démontré que le dernier bon fédéral de 1 an a permis à l’Etat de réaliser un « gain » de 150 millions d’euros.
Des bons avec une maturité de deux, trois ans ou 5 ans devraient également être envisagés, voire priorisés.
8. Quel taux pour le bon d’Etat wallon ? Cela couterait-il plus cher que d’emprunter sur les marchés ? (L’argent du beurre)
Si la question de la maturité est importante, celle du taux est clé. Proposer un taux « trop » bas, en particulier un taux plus bas que ceux « offerts » aux particuliers par les banques commerciales, aurait pour conséquence de récolter très peu de ressources. A l’opposé, proposer un taux plus élevé que ceux qui ont cours sur les marchés financiers provoquerait une perte financière pour la Région wallonne. La question est donc la suivante : la Région wallonne est-elle en mesure de proposer un taux avantageux, à la fois pour les particuliers et pour elle-même ?
Dans sa sortie de décembre, le Ministre affirme le contraire : « les taux que nous aurions pu proposer aux citoyens auraient été plus élevés que ceux du marché. »
Pourtant, en octobre 2023, selon la Cellule de la dette, cette affirmation n’était pas valable : « Selon la Cellule de la dette, dans les conditions de taux actuels, la Wallonie pourrait proposer un taux de 3,43 % brut à trois ans, ce qui donnerait un rendement net de 2,214 %, après déduction des coûts de placement et du précompte immobilier. ». A ce moment, « nous aurions pu … ».
Bien sûr les taux, tant ceux des banques commerciales que ceux des marchés financiers, évoluent de jour en jour. Ils ont donc évolué depuis et il faut en tenir compte. Ont-ils évolué de telle façon qu’un bon d’Etat serait devenu inenvisageable ? Dans tous les cas, pour le Fédéral, ce n’est pas le cas. Quid pour la Région wallonne ?
Pour pouvoir répondre à cette question, il faut donc s’intéresser à la fois aux taux sur les comptes d’épargne et aux taux pratiqués sur les marchés financiers.
Concernant les taux sur les comptes d’épargne, il faut savoir que les 270 milliard qui sont sur les comptes d’épargne sont rémunérés en moyenne à du 0,7% … Pour les belges qui ont les moyens et la motivation nécessaire (les belges n’ont pas tendance à faire bouger leur argent), il est possible de trouver mieux que 0,7. Cela varie évidemment d’une banque à l’autre mais on peut affirmer qu’on se situe globalement à l’heure actuelle un peu en dessous d’une rémunération nette de 2 % (dont la prime de fidélité), et un peu plus de 2 % pour les comptes à terme.
On peut donc conclure, comme le sous-entend le Ministre (voir la citation dessous), qu’un taux net de 2,5 % serait réellement attractif pour les particuliers.
Concernant les taux auxquels emprunte la Région sur les marchés financiers, il est plus difficile de les évaluer. En effet, contrairement au niveau fédéral, qui fournit toute une série de données importantes et régulièrement actualisées, notamment via l’Agence de la dette, les données concernant la dette wallonne sont très peu disponibles.
Il est néanmoins possible d’estimer plus ou moins correctement ces taux, en s’appuyant sur les taux de référence, c’est-à-dire les emprunts de l’Etat fédéral (ce qu’on appelle les OLO – Obligations linéraires Obligatie), et en y ajoutant ce qu’on appelle un spread, c’est-à-dire le différentiel de taux. Selon nos informations, ce « spread » est d’environ 40 points de pourcentage (0,4 %).
Cela se confirme notamment lors de la présentation du Budget initial 2024 du gouvernement où on peut voir que l’emprunt de 10 ans était de 3,37 %, avec un spread de 45,9 points de pourcentage.
Calculons maintenant, en posant l’hypothèse d’un spread de 40 points de pourcentage par rapport aux OLO, le taux auquel emprunte la Région sur les marchés financiers.
Taux sur les marchés financiers (février 2024)
1 an | 2 ans | 3 ans | 4 ans | 5 ans | 6 ans | 7 ans | 8 ans | 9 ans | 10 ans | |
Fédéral (OLO) |
3,4 | 3,0 | 2,6 | 2,5 | 2,5 | 2,6 | 2,6 | 2,7 | 2,8 | 2,9 |
RW (Fédéral +0,4 %) |
3,8 | 3,4 | 3,0 | 2,9 | 2,9 | 3,0 | 3,0 | 3,1 | 3,2 | 3,3 |
Cette estimation, tant au niveau des taux qu’au niveau du spread semble correcte, puisque, dans sa réponse donnée en mars en commission du Budget, le Ministre déclare :
Concernant les besoins de financement à lever auprès des marchés financiers en 2024, ils s’élevaient à 2,5 milliards d’euros. À la fin du mois de janvier, la Région wallonne a réalisé une émission obligataire sociale en deux tranches pour un total de 1,5 milliard d’euros :
une première tranche d’une maturité de 6 ans, qui a permis de lever 700 millions d’euros, à un taux all-in de 3,052 %, dont un spread de 47,47 points de base ;
une seconde tranche d’une maturité de 19 ans, qui a permis de lever 800 millions d’euros, à un taux all-in de 3,715%, dont un spread de 44,79 points de base.
Des chiffres fantaisistes annoncés dans la presse ?
Comparons maintenant ces données avec l’affirmation du Ministre lors de sa sortie en décembre 2023 : « si la Région offrait un taux de 2,5 %, il y aurait un différentiel potentiel de 0,7 % à 1 an, de 1,3% à 3 ans, de 1,4 % à 5 ans et de 1,6 % à 8 ans ». Cette déclaration manque à tout le moins de transparence, mais tentons de l’analyser.
Commençons par supposer qu’il parle bien d’un taux net de 2,5 %. Cela veut dire qu’il faudrait offrir un taux brut plus élevé, car il faut tenir compte du précompte (30% ou 15%) et des coûts de placements (hypothèse de 20 points de base). Cela signifie que pour offrir un taux net de 2,5% aux particuliers, avec un précompte de 30%, il faudrait offrir un taux brut d’environ 3,6%.
Si on reprend maintenant sa déclaration : « Si la Région offrait un taux de 2,5 %, il y aurait un différentiel potentiel de 0,7 % à 1 an, de 1,3 % à 3 ans, de 1,4 % à 5 ans et de 1,6 % à 8 ans », cela signifierait donc que, selon cette affirmation, la Région emprunterait sur les marchés financiers, aux taux respectifs suivants :
1 an : 2,9 % (« différentiel de 0,7 % »)
3 ans : 2,3 % (« différentiel de 1,3 % »)
5 ans : 2,2 % (« différentiel de 1,4 % »)
8 ans : 2 % (« différentiel de 1,6 % »)
Cela ne colle pas du tout avec le tableau ci-dessus (« Taux sur les marchés financiers (février 2024). Ces chiffres nous paraissent fantaisistes, notamment parce qu’ils signifieraient que la Région emprunterait à un taux inférieur à l’Etat fédéral, ce qui est impossible. D’où vient cette erreur et cette différence ? Cette question doit être éclaircie.
En repartant de nos hypothèses et estimations, la situation par rapport à la possibilité d’émettre un bon wallon est bien différente que celle définie par le Ministre, à savoir, selon lui, une mesure qui couterait inévitablement des centaines de millions d’euros aux finances publiques wallonnes.
Bon à un an
La Région wallonne pourrait en effet proposer un bon d’Etat wallon à 1 an à du 3,6% brut (2,5 % net), sans que cela ne coute rien aux finances publiques, au contraire, puisqu’elle emprunte (selon notre hypothèse) à 1 an à du 3,8 %.
Il nous semble intéressant de poser également une hypothèse supplémentaire, à savoir le fait d’avoir un accord avec le Fédéral pour bénéficier d’un taux de précompte réduit de 15 %. Dans ce cas, la situation devrait être encore plus favorable : elle pourrait proposer un taux brut de 3,6 %, qui donnerait cette fois un rendement net de 2,9 % [20], ce qui serait très attractif.
Bon à 3 ans
Pour ce qui est d’un bon à 3 ans, la situation est un peu différente puisque la Région emprunte actuellement (selon nos estimations) à du 3,0%. Difficile donc de proposer des taux bruts à 3,6% sans effectivement perdre un peu d’argent. Mais elle pourrait offrir un taux brut de 3,0 %, ce qui donnerait un rendement net de 2,1% avec un précompte de 30 %.
Ce n’est pas magnifique, mais cela reste relativement intéressant. Pour rappel, même si le dernier bon d’Etat avec un taux brut de 3% et un taux net de 2,1% (précompte de 30%) n’a pas eu le succès escompté, il a tout de même permis de récolter 430 millions d’euros. Dans le cas où le précompte serait de 15 %, le taux net serait de 2,5%, ce qui deviendrait à nouveau réellement attractif.
Emettre un bon d’Etat wallon reste donc à nos yeux une possibilité sérieuse à envisager. Dans tous les cas, la balayer d’un revers de la main en affirmant que la Wallonie n’aurait « ni le beurre, ni l’argent du beurre, ni le sourire de la crémière », et que cela couterait inévitablement des centaines de millions d’euros aux finances wallonnes, nous semble contraire à la réalité.
Ajoutons deux éléments récents :
1) Selon les calculs du professeur Eric Dor, emprunter auprès des particuliers coûte moins cher à la Belgique que lever des fonds via les investisseurs institutionnels, et que « le bon d’État permet une économie de 4 millions d’euros par milliard emprunté ». [21]
2) Contrairement aux affirmations de la Ministre fédérale, Alexia Bertrand [22], l’agence de la dette a confirmé que l’avantage fiscal du bon d’État à un an est bon pour l’État [23].
9. L’émission d’un bon d’Etat wallon aurait-il pour conséquence d’augmenter les taux pratiqués par les marchés financiers ? (Le sourire de la crémière) ¬
A plusieurs reprises, le Ministre affirme que l’émission d’un tel bon aurait pour conséquence d’augmenter les taux pratiqués par les marchés financiers. Le 7 octobre : « Si la Région souhaite émettre un taux concurrentiel attractif pour les épargnants, elle serait certainement amenée à s’écarter de ses références actuelles en termes de spread, c’est-à-dire d’augmenter le différentiel de taux par rapport aux obligations fédérales de référence, ce qui constituerait un signal perçu par les emprunteurs institutionnels auxquels nous recourons majoritairement, avec in fine un risque d’augmentation des taux pratiqués par ceux-ci pour prêter à la Région ». Et le 7 décembre : « Cette mesure pourrait également avoir un effet pervers avec une hausse des taux pour l’ensemble de notre financement puisque les marchés pourraient aligner leurs taux sur ceux offerts aux particuliers avec le bon d’État wallon [24] ».
Ce raisonnement semble très contestable et contraire à la réalité. En effet, un gouvernement qui montre qu’il est capable de se passer des marchés financiers (dans ce cas-ci en récoltant l’épargne de ses résidents) constitue un message fort, qui a en règle générale, des conséquences positives sur les taux.
C’est d’ailleurs ce qui s’est passé avec le dernier bon d’Etat fédéral. Le directeur de l’Agence de la dette a en effet indiqué que le succès du bon d’Etat a eu un effet positif sur les taux d’intérêt belges, qui ont légèrement baissé par rapport à ceux des pays voisins au début du mois de septembre.
Ajoutons que c’est également ce qui s’est passé lors de l’émission du « Bon Leterme » en novembre 2011, qui avait récolté à l’époque 5 milliards d’euros. Alors que la Belgique était mise sous pression par les agences de notation depuis plusieurs mois, cette opération, en envoyant un signal fort aux marchés, a eu pour effet de diminuer les taux auxquels elle a pu se financer sur le marché des capitaux internationaux, y compris après la dégradation de la note de la Belgique le 26 novembre 2011 par Standard & Poor’s.
Cette diminution s’est poursuivie, malgré la dégradation de la note le 16 décembre par Moody’s et le 27 janvier 2012 par Fitch. Entre le 25 novembre et le 27 janvier, la Belgique a en effet vu son taux d’intérêt passer de 5,8 % à 3,6 %...
Signalons que cette diminution constante de taux n’est évidemment pas due essentiellement au bon Leterme, mais bien à la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) appliquée à l’époque, à savoir une injection massive de liquidités dans la sphère financière (quantitative easing). Mais dans tous les cas, il est clair que le bon Leterme a eu un impact positif sur les taux.
Ajoutons également que cet exemple du bon Leterme nous montre une autre chose importante : les agences de notation sont loin d’être les seules à pouvoir agir sur le niveau des taux d’intérêt.
En guise de conclusion
Il ne s’agit pas d’affirmer que l’émission d’un bon d’Etat au niveau wallon peut se mettre en place d’un claquement de doigt, mais bien de montrer que c’est loin d’être une option désastreuse à écarter directement, comme voudrait nous le faire croire le Ministre.
Gouverner, c’est prévoir. Et à nos yeux, ne rien faire aujourd’hui constitue une erreur importante. Nous pensons que cette proposition mériterait d’être investiguée sérieusement dès maintenant. Si les conditions sont réunies, elle devrait être mise en œuvre dans des délais raisonnables. Même dans le cas où elle ne rapporterait pas l’argent escompté, elle constituerait une expérience et un savoir-faire acquis, qui pourrait être renouvelés à un autre moment. Un outil important de financement serait en place, ce qui rejoindrait une des conclusions importantes de la Cellule de la dette : « Proposer ce type de produit pourrait être une source de diversification des moyens de financement dans le futur. »
Ne soyons pas naïf. La mise en œuvre d’une telle mesure n’est pas du goût des banques. Le sourire de la crémière dont parle le Ministre se rapproche plutôt d’un grincement de dents de la banquière. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu’il ne faut pas le faire. Au contraire, d’une part les banques réalisent des profits très importants depuis plusieurs années, notamment en bénéficiant d’un taux de 4 % pour ses dépôts à la BCE. D’autre part, il est fondamental de rechercher toutes les alternatives possibles pour desserrer l’étau dans lequel se trouvent les finances wallonnes. Si un jour, les agences de notations et les marchés financiers décidaient d’attaquer la Région wallonne, avec un outil comme les bons d’Etat au niveau wallon, elle serait en meilleure posture pour réagir. La diminution de notre dépendance aux marchés financiers devrait constituer une priorité pour tout gouvernement, actuel et futur.
Olivier Bonfond [25]
Source illu : Liigi Schiavonetti, William Blake, The Counseller [sic], King, Warrior, Mother &Child, in the Tomb, 1808 and 1813, CC, National Gallery of Art, https://www.nga.gov/collection/art-object-page.4906.html