Le régime minier au Congo devient draconien. C’est dans ce style menaçant et peu propice au compromis que la Chambre des Mines de la RDC réitère son exigence : le cadre réglementaire pour les grandes mines doit devenir davantage laxiste qu’il ne l’est déjà. Les entreprises multinationales rapatrient pourtant plus de profits du Congo qu’elles n’y investissent.
Une véritable lutte des grands intérêts économiques se déroule actuellement au Congo. D’un côté on trouve les autorités de la République Démocratique du Congo, de l’autre la Chambre des Mines. L’enjeu ? Le cadre réglementaire, le Code minier de 2002 en révision, et les revenus liés à l’exploitation des minerais bien sûr.
Le Code garantit qu’une partie des revenus de l’industrie extractive (les mines de minerais) soit rendue au pays. Il indique aussi comment les entreprises minières peuvent opérer. Le Code en vigueur largement inspiré par la Banque mondiale était, tout le monde s’en accorde, ‘libéral’ et avantageux pour les capitaux privés. La meilleure preuve ? Les capitaux étrangers ont facilement trouvé le chemin du Congo, sous la forme d’investissements directs étrangers. Pas étonnant avec des redevances minières ne dépassant pas les 2,5% pour les métaux précieux et 2% pour les non-ferreux (dont le cuivre et le cobalt) et des clauses qui permettent « aux entreprises de sortir librement des cadres de la législation nationale lorsque leurs intérêts financiers le justifient pour privilégier une « logique contractuelle » et obtenir les conditions d’exploitation les plus favorables » [1].
Mais le Code minier prévoyait une révision endéans les dix ans. Et là, ça a bloqué. Le Congo voudrait augmenter ce qu’il perçoit de l’extraction et des exportations de ses richesses minérales. Mais les grands capitaux étrangers ne l’entendent pas de la même oreille. La dispute dure depuis que la révision du Code minier a été initiée.
Lobbying minier
Rappelez-vous notre documentaire « Avec le Vent » [2], réalisé en RDC début 2013. On peut y observer la manière dont les patrons entrevoient le nouveau code minier, à l’instar du Sud-Africain Mark Bristow de RandGold (dont les grands actionnaires ne sont pas des industriels, mais des financiers), un brin énervé à l’idée que son entreprise doive s’acquitter de taxes supplémentaires. Bristow tout comme les autres patrons « pro-mine » ne mâchaient pas leurs mots. Leurs propos étaient proches du chantage. Deux ans plus tard, le grand capital minier intensifie sa guerre verbale. Ses points de vue et revendications sont énoncés par les patrons de Freeport McMoran (États-Unis), Katanga Mining (filiale de Glencore, Suisse), et Randgold ; la Chambre des Mines leur faisant office de porte-parole.
La Chambre vient de publier son premier rapport trimestriel pour l’année 2015. On y lit ce qui suit : « les entreprises réorientent leurs investissements vers les pays aux régimes fiscaux plus attractifs, à un moment où le régime du Congo devient plus draconien ». [3] Ceci est une distorsion de ce qui se passe actuellement dans le secteur extractif mondial.
Ce secteur est victime de la crise économique qui ne cesse de frapper le monde industrialisé. La demande de minerais diminue, ceci pouvant largement s’expliquer par le ralentissement de la croissance chinoise. Mais l’oligarchie des industries extractives n’a pas diminué ses capacités pour autant, bien au contraire. On le voit pour les capacités de production de pétrole et de gaz, en progression continue malgré la crise. On le voit aussi pour les capacités de production des minerais de métaux, comme le fer, le cuivre et l’or.
Les niveaux de production sont décidés par les plus grandes entreprises, d’où l’emploi du qualificatif d’ « oligarchie ». Ce sont elles qui inondent un marché saturé. Que les prix des matières premières de base tombent, et que les marges de profit des entreprises se rétrécissent n’a donc rien de surprenant. Les grandes entreprises cherchent à répercuter cette situation temporairement désavantageuse pour elles sur les pays dans lesquels elles opèrent. C’est bien cela, le fond de la guerre des nerfs au Congo.
Ralentissement : vraiment ?
« Les grandes entreprises minières ralentissent toutes », écrit encore la Chambre des Mines.
Examinons les propres chiffres de la Chambre des mines pour voir la véracité de ces propos. Toutes les productions, sauf celle de cobalt et de cassitérite, ont progressé au Congo lors du premier trimestre.
Voici le tableau des pourcentages qui expriment la différence avec le premier trimestre de 2014 :
Unité | 2015/14 (en %) | |
Cuivre | Tonne | +3,2 |
Cobalt | Tonne | -2,6 |
Zinc | Tonne | 4,7 |
Or | Kg | 31,2 |
Coltan | Tonne | 33,8 |
Wolframite | Tonne | 16 |
Cassitérite | Tonne | -15,1 |
Source : Chamber of Mines of the DRC, Q1 2015 Report
Mais la thèse que « tout ralentit » devient intenable lorsqu’on regarde la production pour l’ensemble de l’année 2014 par rapport à 2013. [4]
Production 2014 (et différence 2013)
Unité | Prod 2014 | Prod 2013 | 2014/13 (en%) | |
Cuivre | Tonne | 1029800 | 914631 | 12.6 |
Cobalt | Tonne | 66915 | 58792 | 13.8 |
Zinc | Tonne | 14584 | 12806 | 13.9 |
Or | Kg | 19568 | 6149 | 218.2 |
Diamant | 1000 carats | / | 17799 | / |
Coltan | Tonne | 1324 | 697 | 90 |
Wolframite | Tonne | 25 | 115 | -78.3 |
Cassitérite | Tonne | 10756 | 7567 | 42.1 |
Source : Rapport annuel 2014, Chambre des Mines/Fédération des entreprises du Congo.
Le Congo produit maintenant plus de 1 million de tonnes de cuivre par an, une performance jamais réalisée auparavant.La production maximale de cuivre en RDC avait été atteinte dans les années 1980, à l’apogée de la Gécamines : autour de 500.000 tonnes de cuivre produites par an – soit moins de la moitié de la production actuelle. Le pays, qui détient les plus grandes réserves, reste le plus grand producteur de cobalt. Cela ne se fait pas sans difficulté, comme la production de diamant semble le démontrer. Mais l’exploit est indéniable. Les exportations croissent à un rythme soutenu. La quasi-totalité des minerais est exportée.
Exportations 2014 (et différence 2014)
Unité | Export 2014 | Export 2013 | 2014/13 (en%) | |
Cuivre | Tonne | 1027728 | 888657 | 16.3 |
Cobalt | Tonne | 68069 | 58843 | 15.7 |
Zinc | Tonne | 13019 | 11819 | 10.2 |
Or | Kg | 19252 | 6149 | 213.1 |
Diamant | 1000 carats | 13214 | 15614 | -15.4 |
Coltan | Tonne | 0 | / | / |
Wolframite | Tonne | 0 | / | / |
Cassitérite | Tonne | 0 | / | / |
Source : Rapport annuel 2014, Chambre des Mines/Fédération des entreprises du Congo.
Si des entreprises ralentissent leur rythme de production, c’est qu’elles y sont contraintes par le ralentissement économique mondial et la baisse des prix des matières premières sur les marchés mondiaux. Dans ce contexte, les entreprises prennent peur que leurs revenus soient sous pression.
Pour cette raison, la Chambre des Mines admet que la révision du Code minier « ne pourrait pas tomber à pire moment ». La Chambre évoque alors l’expérience de la Zambie, pays voisin qui partage le bassin cuprifère avec la province congolaise du Katanga. « Regardez ce que les voltes face de la Zambie lui ont apporté », écrit la Chambre, « des arrêts de programmes d’exploration, des mises au chômage massives, des menaces de fermeture de mines et un impact majeur pour les sous-traitants ». Mais, heureusement, la Zambie a su tirer leçon de ses erreurs, et en avril 2014 le gouvernement zambien a reconduit les augmentations de taxes qu’il avait imposées en décembre dernier. [5] Le message est clair : que le gouvernement congolais soit aussi clairvoyant que son confrère zambien.
IDE vs. rapatriements de profits
Un nouvel élément devrait perturber les plaidoyers de la Chambre des Mines congolaise. Les finances publiques du Congo et son bien-être dépendent outre mesure des exportations de matières premières. La Chambre des Mines ne manque pas d’occasion pour accentuer la contribution du secteur extractif (mines et hydrocarbures) au budget congolais : « 64,1 % dans les recettes ordinaires de l’État ; 1,5 milliard de dollars US en paiements en 2012, dont plus de 1 milliard USD payés par les sociétés minières et 460 millions USD par les entreprises pétrolières ».
Impressionnant ? Pas vraiment, tant que nous ne pouvons pas comparer avec les ‘recettes ordinaires’ (et extraordinaires) des entreprises. Sur ce point, la Chambre fait défaut. Quel est alors ce nouvel élément perturbateur ?
Il se trouve dans un rapport du Fonds monétaire international et a récemment été rendu public par le professeur Stefaan Marysse de l’université d’Anvers. Dans une contribution à l’annuaire Conjonctures congolaises 2014, le professeur Marysse écrit que « les profits rapatriés excèdent maintenant les entrées de capitaux ». Cela grâce au Code minier de 2002 et aux contrats miniers considérés comme « très libéraux en ce qui concerne le rapatriement des profits ». [6] Se fondant sur des statistiques du FMI [7] Stefaan Marysse écrit alors ceci : « Si, jusqu’en 2012, les investissements étrangers directs (IDE) constituaient un apport net de capital pour la RDC, depuis 2013 les profits rapatriés dépassent les entrées d’IDE. Les projections sont telles que, vers la fin de la décennie (2019), ces profits rapatriés devraient être 3 à 3,5 fois plus importants : deux milliards d’entrées d’IDE et 7 milliards de dollars de profits rapatriés ». [8]
Cette tendance laissera le Congo à terme sans minerais (les ressources étant non renouvelables et disponibles en quantité finie) et sans capitaux. Qui pourrait alors prétendre que la RDC n’ait pas de légitimité à tirer profit de ses ressources naturelles maintenant ?
Pour terminer : en 2008 le Congo renégociait avec les entreprises minières une soixantaine de contrats miniers pour les rendre plus avantageux pour le pays. Mais à la fin de l’année éclatait la crise économique mondiale. Au Congo, son impact était immédiat. Les entreprises minières ont usé de ce prétexte pour exercer des pressions sur les autorités congolaises et c’est le même type de chantage qu’elles réutilisent aujourd’hui. Rien de neuf sous le soleil, à moins que le Congo ne réussisse cette fois-ci à tirer le drap de son côté.