L’Union Européenne élabore une nouvelle loi sur le statut des travailleurs Uber, Deliveroo et d’autres plateformes. La position du Conseil de l’UE, coordonnée par la France, va certainement diminuer leurs droits et les enfermer dans un statut d’auto-entrepreneurs et non de salariés.

« Si vous comprenez la politique européenne, c’est que l’on ne vous a certainement pas bien expliqué ». Ce refrain populaire expose la difficulté à expliquer le long processus législatif opaque de l’UE. Des articles de presse ont récemment applaudi la proposition législative du 9 décembre de la Commission qui, une fois approuvée, pourrait graver dans le marbre dans 27 pays européens le statut et les droits associés des travailleurs des plateformes dans les entreprises que nous connaissons aujourd’hui (Uber, Deliveroo, etc.) et dans les nombreuses entreprises futures. Mais ce n’est qu’un brouillon. La proposition de la Commission fait l’objet de discussions dans deux institutions, le parlement européen et le Conseil de l’UE. La France est présidente du Conseil de l’UE jusqu’en juin 2022.

Le gouvernement français a déjà décidé de verrouiller les travailleurs des plateformes dans le statut d’auto-entrepreneurs. Les chauffeurs, qui travaillent de longues heures la nuit et le week-end, les coursiers, qui livrent sous la pluie et sous l’autorité d’algorithmes, ne sont pas des travailleurs avec des droits. Ils sont des “auto-entrepreneurs”, une sous-catégorie d’emploi, hors du droit du travail.

De fait, Macron n’est pas fan du droit du travail. Ces cinq dernières années, il a diminué les protections offertes par le code du travail, il a tenté de reculer l’âge de la retraite (une réforme ajournée du fait de mouvements sociaux et de la pandémie) et il a réduit les droits des travailleurs au chômage, tout particulièrement pour les travailleurs en contrats courts. C’est pourquoi Macron ne fait pas la promotion de droits supplémentaires pour les travailleurs des plateformes mais plutôt celle d’un “dialogue social” entre entrepreneurs et plateformes. Or, avec un cadre légal presque inexistant, et une très faible représentation des travailleurs, peu d’améliorations en termes de droit du travail sont à prévoir. Mais énoncer un “dialogue social”, une idée qu’il a volé au think tank français “Institut Montaigne”, financé par des entreprises, lui sert habilement pour sa communication politique.

L’écosystème des plateformes est très heureux de ne pas avoir de salariés en France. Ils travaillent uniquement avec des “auto-entrepreneurs”. Ils sont inquiets toutefois de la nouvelle loi en Espagne et de l’accord de négociation collective en Italie. Bolt, qui fournit des services de taxis et de location de trottinettes, fait déjà du lobbying auprès du cabinet de la présidente de la Commission, indiquant que la loi espagnole a des “impacts négatifs”. Les plateformes font donc du lobbying auprès du gouvernement français afin que le modèle français devienne européen et surpasse ainsi les modèles espagnols et italiens.

Les plateformes ont une machine de lobbying très puissante à Paris pour influencer les discussion au sein de l’UE :

  • August & Debouzy, un cabinet d’avocats, fait du lobbying sur ce sujet mais leurs clients ne sont pas connus. Un de leur associé principal est Pierre Sellal, l’ambassadeur de la France auprès de l’UE entre 2002 et 2009 et entre 2014 et 2017. Il a un accès privilégié et de haut-niveau au sein du Conseil de l’UE. Lors d’une audition à l’Assemblée Nationale, il fut décrit comme “la personne la mieux informée en France sur les détails de la réalité européenne”. Une autre associée principale, Emmanuelle Barbara, est derrière la recommandation de l’Institut Montaigne de “dialogue social” entre les auto-entrepreneurs des plateformes (pas des salariés) et le gouvernement français.
  • Une association d’entreprises, l’Association des Plateformes d’Indépendants (API), avec pour membres des plateformes telles que Deliveroo et Uber. Son président est le ministre qui a créé en France le statut précaire d’ « auto-entrepreneurs », utilisé aujourd’hui par les travailleurs des plateformes. En Octobre 2021, il a reçu la Légion d’Honneur française, de Thierry Breton, Commissaire européen pour le marché intérieur. Un mois auparavant, lorsqu’API organisait son événement de rentrée, l’association pouvait compter sur la présence du secrétaire français pour les Affaires Européennes, une figure clé de la présidence française en cours.
  • Les travailleurs indépendants dans le “dialogue social” de Macron sont représentés par UNION, dont le président a partagé une liste électorale avec une des ministres actuelles du gouvernement Macron.

Ces mercenaires du lobbying ont déjà gagné une partie de la bataille de lobbying au niveau de l’UE. La France n’est pas seulement opposée à un statut d’employé pour les travailleurs des plateformes mais elle est également en train de créer une alliance avec la Suède et le Danemark pour s’assurer que les travailleurs des plateformes continuent à être précaires plutôt que salariés. Les deux pays nordiques pensent que l’UE s’immisce trop dans les politiques nationales relatives à l’emploi. Hélas, dans cette bataille, les voix des travailleurs des plateformes ne sont pas entendues dans le débat européen, même si ces dernières années, de nombreuses mobilisations ont été organisées dans le secteur.

Nous devons faire attention aux faits derrière les mots de Macron et refuser la possibilité d’un statut plus précaire réservé aux travailleurs de plateformes dans la directive de l’UE car cela ouvrirait une boite de Pandore avec la possibilité d’une régression majeure du droit du travail !

 


Cet article a paru le 1 février sur le site de l’Observatoire des multinationales.