Le gouvernement fédéral a décidé de réduire les cotisations patronales pour les plus hauts revenus. Cette note clarifie les enjeux de la réforme : elle montre, d’abord, que celle-ci va concerner 2070 personnes ; ensuite, que son impact principal est d’autoriser des hausses de salaires de l’ordre de 15% pour ces hauts revenus, au-delà de la norme salariale fixée à 0% pour le reste des salariés. Le coût estimé de cette réforme est de 150 millions €.

Le gouvernement Arizona a pour projet de plafonner les cotisations patronales sur la rémunération de base des plus hauts revenus à 340 000 € par an (dès juillet 2025) puis à 268 000€ par an (dès 2027). Son objectif est « de maintenir la compétitivité de notre pays, y compris pour les emplois qualifiés hautement rémunérés. L’objectif est de freiner le recours à des formes de rémunération non soumises à cotisations pour ces emplois où le salaire de base est déjà élevé ». Il souhaite donc favoriser les très hauts salaires, pour éviter qu’ils se rémunèrent sous forme de société, ce qui est déjà le cas d’un grand nombre d’entre eux.

Donc dès 2027, au-delà de 268 000 € de salaire de base par an, ou 22 300 € par mois, plus aucune cotisation patronale ne serait donc due. Actuellement, un tel plafond n’existe pas. Mais il existait jusque dans les années 80’ et avait été supprimé pour mettre les plus fortunés à contribution lors des économies budgétaires. Attention, la mesure porte sur la rémunération de base, donc fixe, et non sur la rémunération variable à la performance.

Se pose la question de qui est concerné par cette loi et plus généralement des intentions du gouvernement derrière cette mesure.

La mesure porterait sur 2070 hauts revenus

De tels niveaux de salaires sont généralement gagnés par des CEOs de grandes entreprises. Parmi les CEOs, la rémunération de base compte pour en moyenne deux tiers de la rémunération totale, le reste étant de la rémunération variable non soumise au plafonnement [1]. Un tiers de rémunération variable, cela veut dire que cibler les travailleurs dont la rémunération de base dépasse 268 000 € revient à toucher, en pratique, ceux dont la rémunération totale dépasse les 400 000 €. Or, selon Statbel, en Belgique, 2070 personnes gagnent plus de 400 000 € ou 33 000 € par mois [2]. La mesure concerne donc un nombre très limité de personnes, soit 0,04 % des travailleurs.

Le tableau ci-dessous permet d’exemplifier le type de CEOs qui bénéficieront de la mesure.

Rémunération de base 2024
Françis Kint CEO de Greenyard 600 000 €
Stefan Goethaert CEO de Colruyt 625 000 €
Piet Sanders CEO de What’s cooking 660 000 €
Piet Dejonghe Co-CEO de Ackerman & Van Haeren 677 000 €
Bel 20 CEO médian 956 000 € (2023) [3]
Bel Mid CEO médian 722 000 € (2023)
Bel Small CEO médian 420 000 € (2023)

Source : rapports annuels des entreprises et étude de la Vlerick Business School school

La mesure va donc essentiellement toucher des CEOs d’entreprises cotées en bourse. Notons que nombre d’entre eux ne sont pas payés via un salaire mais via une société de management. Ils ne payent déjà pas de cotisations sociales et ne seront pas impactés par la mesure. Seuls 2070 sont rémunérés via un salaire. Parmi les cibles de la mesure, il y a aussi des footballeurs de haut niveau, qui sont également rémunérés par un salaire.

Qu’est-ce que cela va couter ?

Prenons l’exemple d’un CEO médian du Bel MID, c’est-à-dire d’une entreprise de capitalisation boursière significative, mais qui n’est pas parmi les 20 plus grandes (le Bel 20). Sa rémunération est de 722 000 € par an soit 60 000 € par mois. A cette rémunération de base se rajoute une série d’avantages extra légaux et une rémunération variable non abordés ici. Au taux normal de 24,92 % de cotisations patronales, l’entreprise dirigée par ce CEO a donc dû payer 180 500 € de cotisations patronales sur ce salaire. Avec le plafond Arizona, les cotisations ne seraient perçues que sur les premiers 340 000 € puis 268 000 € de rémunération, au lieu de la totalité des 722 000 €. Dès lors, l’entreprise n’aurait dû payer que 85 000 € (plafond 2025-2026) ou 67 000 € (dès 2027) de cotisations patronales, au lieu des 180 500 € à l’heure actuelle. La mesure Arizona ferait donc gagner près de 113 500 € à l’entreprise en 2027 (et perdre autant à la sécurité sociale), ce qui correspond à une économie de 63 % des cotisations patronale.

Dans les tableaux budgétaires Arizona, un coût de 150 millions € par an est budgétisé pour cette mesure et ce coût serait réparti entre les 2070 personnes soit 72 000 € par personne.

Une manière d’éviter le blocage des salaires ?

La loi sur la compétitivité empêche les augmentations de salaires au-delà de la norme salariale, telle que fixée par le Conseil Central de l’Économie (CCE). La marge prévue pour 2025-2026 est de 0 %. Un élément peu discuté de cette loi est le fait qu’elle s’applique aussi aux hausses de salaires des CEO. En effet, toute convention (même individuelle) est soumise à la loi de 1996/2017. Dans la pratique, cet élément est peu contrôlé, et les CEO se rémunèrent fréquemment comme indépendants ou via des rémunérations extra conventionnelles. Mais pour ceux qui sont rémunérés en salaire, ils sont, comme les travailleurs, soumis au blocage salarial depuis 2023 et au moins jusqu’en 2026.

Il convient de noter que l’objet de la norme salariale est l’entreprise et non le travailleur individuel. Dans la loi de compétitivité, le coût salarial est calculé comme une moyenne du coût salarial horaire au niveau de l’entreprise. Le blocage salarial porte donc sur les augmentations de coût salarial horaire moyen au niveau d’une entreprise, pas directement sur les augmentations individuelles. Par exemple, une hausse de salaire d’un travailleur est autorisée si elle est compensée par une baisse de salaire d’un autre. L’important est que la moyenne du coût horaire n’augmente pas (voir Wellemans 2022, Les rémunérations alternatives). En pratique, il est difficile d’obtenir des hausses de salaires pour l’un car il est rare de diminuer le salaire de l’autre.

Or, c’est précisément ce qui se fait ici avec les réductions de cotisations patronales pour les plus hauts revenus. Cela permet de réduire le coût salarial moyen, ce qui, en cas d’augmentation du salaire du CEO du même montant, revient à garder un coût salarial moyen constant. Ainsi, des hausses de salaires pour le CEO sont possibles tout en se conformant à la loi de compétitivité. Dans le cas de l’exemple du CEO du Bel Mid, le plafond Arizona ferait passer le coût salarial de base du CEO de 902 500 € à 789 000 € (-113 500 €). Cela autoriserait donc une hausse de sa rémunération de 113 500 € (+15,7 % par rapport à la rémunération de base actuelle) tout en restant conforme à la loi de compétitivité. Est-ce l’objectif du gouvernement Arizona quand il justifie la mesure dans la déclaration gouvernementale en affirmant vouloir « attirer et de retenir les talents internationaux en Belgique » ? C’est probable car il est difficile de voir comment le plafonnement peut agir dans ce sens si il ne permet pas d’augmenter la rémunération.

Notons que les 113 500 € « libérés » pourraient théoriquement être utilisés pour augmenter le salaire des travailleurs. Mais il faudrait partager ces 113 500 € entre tous les travailleurs, ce qui, dans le cas d’une entreprise comme Colruyt, par exemple, reviendrait à 4 € brut par an par travailleur.

Affaiblir la solidarité ?

Une autre conséquence de cette mesure est que les plus hauts salaires contribueront nettement moins à la sécurité sociale en proportion de leur revenu. Dans l’exemple du Bel Mid, le taux de cotisations patronales effectivement payées pour le CEO ne serait que de 9,3 % au lieu des 24,92 % pour les autres travailleurs.

Rappelons qu’au niveau des impôts, les 1 % les plus fortunés payent déjà nettement moins en proportion de leurs revenus. Une étude de Capéau et al. (2024) révèle qu’ils ne payent en moyenne que 23 % d’impôts sur leurs revenus, contre près de 40 % pour la majorité des travailleurs. Parallèlement, ils reçoivent généralement des avantages extra légaux plus élevés que les autres travailleurs, qui ne sont pas ou faiblement soumis à des cotisations sociales. La mesure de plafonnement des cotisations patronales voulue par l’Arizona renforce donc cette sécession des plus riches du système de solidarité, au détriment des finances publiques et de la sécurité sociale. Dans sa version Arizona, elle ne toucherait que quelques milliers de personnes, mais la porte est ouverte pour qu’un autre gouvernement diminue le plafond à l’avenir.


Disponible également en version PDF

Photo : Krasnyi Collective.

Notes

[1Belgium lagging behind with inclusion of environmental criteria in CEO bonuses | Vlerick

[2Selon les données du registre national, communiquée par Statbel sur demande

[3Belgium lagging behind with inclusion of environmental criteria in CEO bonuses | Vlerick