En Belgique, comme partout en Europe, les dépenses de santé n’ont cessé de croître depuis plusieurs décennies. De nombreux facteurs tels que la hausse de la demande pour les soins médicaux et paramédicaux, les évolutions technologiques, le vieillissement de la population, la chronicisation des maladies mais également l’extension de l’assurance obligatoire elle-même expliquent certainement cette évolution. C’est dans ce contexte que les pouvoirs publics ont instauré en 1994, notamment sous l’impulsion de la Mutualité chrétienne, la responsabilité financière comme outil de répartition des ressources entre les organismes assureurs et de maîtrise des dépenses.
Historique
Parmi les réformes qui ont marqué les années 1990 dans le secteur des soins de santé, l’instauration de la responsabilité financière individuelle des organismes assureurs (OA) occupe certainement une place centrale. L’instauration de ce nouveau modèle en Belgique dans les années 1993-1994 s’est inscrite dans un ensemble plus vaste de réformes visant à responsabiliser les différents acteurs engagés dans le gestion de la sécurité sociale.
La Belgique n’a pas été le seul pays a entreprendre ce type de réforme. Tous les pays industrialisés ont en effet instauré des réformes visant à maîtriser les coûts. Tandis que certains ont eu davantage recours aux mécanismes de marché, d’autres ont plutôt opté pour une révision du mode de régulation existant. La Belgique aura choisi cette seconde voie.
L’idée de responsabilisation des OA n’est pas toute neuve. En effet, la loi du 9 août 1963 instaurant l’assurance soins de santé obligatoire prévoyait déjà un mécanisme de responsabilisation des OA. Ces derniers devaient compenser, via leur propre budget, un éventuel écart entre les recettes et les dépenses. En cas de déficit, les OA étaient confrontés à deux possibilités : voir leur frais de fonctionnement diminuer ou réclamer une cotisation supplémentaire à leurs affiliés. Cependant, ce système ne fut jamais appliqué, la gestion globale de la sécurité sociale continuant à honorer la totalité des paiements occasionnés par la consommation médicale. Il n’y avait donc aucun incitant poussant les mutualités à maîtriser les dépenses. A titre d’exemple, avant l’instauration du mécanisme en 1994, la Mutualité chrétienne cumulait un surplus de près de 685 millions d’euros tandis que les Mutualités socialistes comptabilisaient théoriquement un déficit de près de 2,075 milliards d’euros.
Il faut tout d’abord se rappeler que la sécurité sociale a toujours été financée (bien que dans des proportions variables) par trois sources principales : les cotisations sociales des travailleurs et des employeurs, des subsides de l’État et une part de financement alternatif (TVA, accises,...).
Avant 1994, les ressources légales des OA étaient attribuées essentiellement sur base des ressources propres des organismes assureurs (c’est-à-dire les cotisations de leurs membres) sans tenir compte des besoins spécifiques des populations affiliées. Par conséquent, une mutualité composée de plus de personnes à faible revenu (invalides, bénéficiaires du revenu minimum d’intégration, chômeurs…) percevait un financement proportionnellement plus faible en raison du niveau de cotisations sociales moindre afférent à cette mutualité.
L’intervention décroissante de l’État au fil des années n’a fait qu’augmenter ces disparités. Via ce mécanisme et indépendamment de leur efficacité en terme de gestion, certaines mutualités ont accumulé au fil des années un « déficit » comptable du fait de la structure de leur population affiliée, déficit pris en charge par la gestion globale de la sécurité sociale. A l’opposé, d’autres accumulaient tout aussi fictivement des « surplus ».
Plusieurs éléments peuvent expliquer le remplacement de cet ancien système par le mécanisme de responsabilité financière des OA actuellement en vigueur :
- Premièrement, une volonté générale de « responsabiliser » l’ensemble des acteurs du système de soins de santé dans un contexte de restriction budgétaire et d’austérité destiné à garantir le pérennité du système.
- Deuxièmement, démontrer symboliquement, que les OA ne sont pas exclus du processus de restriction budgétaire.
- Enfin, une pression de certains milieux ralliés à l’idée qu’il existe des profils divergents (rationnellement injustifiés) de consommation de soins de santé (parmi la population), de prescription (parmi les prestataires) et de qualité de gestion (entre les OA). La responsabilisation financière des OA aurait dû avoir pour conséquence de pousser ces dernières à mettre en œuvre des mécanismes visant à réduire les disparités existantes : gestion plus efficace, promotion de soins moins coûteux à qualité équivalente, réduction de la surconsommation médicale….
Le système depuis 1994
Depuis l’introduction de l’arrêté royal du 12 août 1994, l’objectif budgétaire global de l’assurance soins de santé est ventilé entre les différents organismes assureurs sur base de deux clés de répartition. La première clé, la clé des dépenses, est fixée sur base des dépenses réelles, c’est-à-dire la part des dépenses d’un OA dans les dépenses totales. Par exemple, la part des dépenses des MC dans les dépenses réelles de soins de santé est de 42 % pour l’année X. Cette part représente donc la clé de dépenses pour la MC.
La seconde clé de répartition est de nature normative et est censée refléter les dépenses d’un organisme assureur en fonction de la structure de sa population. Elle prend donc en compte les différences existant entre les mutualités en termes de risques socio-sanitaires. Par exemple, cette clé vaut pour la MC 44 % pour l’année X.
La quotité budgétaire (la part de l’objectif budgétaire revenant à chaque OA) est donc calculée sur base de ces deux clés selon les proportions suivantes : 30% pour la clé normative et 70% pour la clé des dépenses.
Concrètement, si l’objectif budgétaire de l’année X est de 25 milliards, la quotité budgétaire pour la MC de l’année X est calculée de la manière suivante :
(0,70 x 42 %) + (0,30 x 44 %)= 42,6 % de 25 milliards.
Les parts relatives de la clé des dépenses et de la clé normative ont évolué depuis 1995, année du premier calcul de la responsabilité financière des OA.
Figure1 : Évolution des clés de répartition
A la clôture des comptes, si les dépenses réalisées par un OA dépassent sa part théorique du budget (sa quotité budgétaire), l’OA prend en charge 25 % de cette différence. A l’inverse, lorsque les dépenses sont inférieures au budget, 25 % du boni dégagé par la mutualité est versé au fonds spécial de réserve pour la responsabilité financière. Tout comme les clés de répartition, la part à charge ou revenant aux OA a évolué depuis 1995.
Figure 2 : Parts reversées/prélevées en cas de boni/mali
Toutefois, si le dépassement global (de tous les OA confondus) est supérieur à 2 % de l’objectif budgétaire, les dépassements individuels (sur lesquels sont calculés les montants pris en charge par les OA) sont plafonnés à ces mêmes 2%. Concrètement, sur un budget de 25 milliards, le dépassement maximal est plafonné à 2 % de ces 25 milliards soit 500 millions. Les OA à leur tour ne devraient prendre en charge que 25% de ce dépassement, à savoir 125 millions à prélever sur le fonds spécial de réserve pour la responsabilité financière, la gestion globale de la sécurité sociale prenant en charge le reste du déficit. De la sorte, les OA ne sont pas tenus responsables de la sous-estimation globale du budget et le coût de la responsabilité financière envers les membres demeure limité. Inversement, les bonis ne sont pas plafonnés. Le fonds spécial de réserve se compose de deux éléments :
- Un fonds sur lequel sont portées les cotisations spéciales des titulaires et/ou les moyens propres versés par l’organisme assureur.
- Un fonds sur lequel sont portées les recettes provenant des bonis, ainsi que 80 % des intérêts sur les bonis.
En cas de dépassement, le prélèvement pour la responsabilité financière se fait d’abord sur le fonds des bonis. Si celui-ci n’est pas suffisant, le prélèvement se fera sur le fonds des cotisations spéciales. Si après ces deux étapes le fonds de réserve s’avère insuffisant, l’OA prélève alors une cotisation supplémentaire à charge des titulaires.
En outre, après toutes les opérations de clôture, le fonds de réserve doit être complété, si il y a lieu, jusqu’à un montant minimum de 4,46 euros multiplié par le nombre de titulaires. Cette réglementation est obligatoire.
Comment est calculée la clé de répartition normative ?
Si la clé des dépenses est plutôt facile à calculer (il suffit de connaître les dépenses totales et les dépenses de chaque OA), il en va autrement pour la clé normative.
Dans un système dans lequel les quotités budgétaires des OA ne seraient pas liées au profil de risques socio-sanitaires des populations affiliées, il serait avantageux pour un OA d’attirer des membres « économiques », soit des membres présentant peu de risques de santé. Conscient de ce risque d’exclusion sociale, le législateur a donc incorporé dans le modèle de responsabilité financière des mécanismes empêchant la sélection des risques. La quotité budgétaire d’un OA augmente à mesure que ses membres présentent un risque accru de problème de santé.
Afin de pouvoir déterminer une clé normative, il faut calculer un budget normatif pour l’ensemble des OA. Ce budget normatif représente la dépense que devrait supporter un organisme assureur étant donné les caractéristiques et la structure de risque de sa population d’affiliés. La clé normative pour chaque OA est donc la part des dépenses normatives de cet OA dans le budget normatif global.
Si tous les membres présentaient les mêmes besoins de soins de santé et, partant de là, les mêmes dépenses (qu’on appellera montant A), le calcul de budget normatif serait très facile : Budget normatif= A x nombre de membre.
Toutefois, si nous estimons que pour les personnes âgées et les invalides par exemple, une « norme » plus élevée doit être appliquée pour leurs dépenses et que nous ajoutons un montant B pour chaque membre âgé de plus de 70 ans et un montant C pour chaque bénéficiaire d’une allocation d’intégration pour handicapé, le formule normative devient :
Budget normatif= A x nombre de membre + B x nombre de membre de plus de 70 ans + C x nombre de personnes handicapées.
De cette manière, nous pouvons choisir une série de caractéristiques ou paramètres ayant une influence sur les dépenses de santé. Lors de l’introduction en 1994 du système de responsabilité financière, la formule normative contenait les paramètres suivants qui étaient censés expliquer les besoins en soins de santé des membres :
- Facteurs démographiques : âge, sexe, composition du ménage ;
- Facteurs socio-économiques : revenus, statut socioprofessionnel (indépendant ou salarié), taux de chômage ;
- Facteurs en matière de santé : taux de mortalité ;
- Facteurs environnementaux : taux d’urbanisation.
Au cours de la période 1994-2000, l’incapacité de travail a été ajoutée comme facteur de morbidité, tout comme le droit à l’intervention majorée. Une variable environnementale qui était au centre des débats n’a finalement pas été retenue, l’offre de soins. Il s’agit en effet d’un choix politique. La densité de l’offre médicale est élevée en Belgique mais varie fortement entre les régions. Des soins de santé efficaces doivent toutefois être déterminés par la demande et non par l’offre de soins. Le modèle ne souhaite donc pas récompenser par exemple un plus grand nombre d’hospitalisations simplement dues au fait qu’il y ait un plus grand nombre d’hôpitaux.
Au cours de la période 2001-2006, plusieurs paramètres se sont rajoutés : le diagnostic de l’invalidité, le droit au forfait « malades chroniques » (destiné à absorber les frais élevés qui ne sont pas strictement médicaux) ainsi que les bénéficiaires du MAF (le maximum à facturer est un mécanisme dans lequel tous les tickets modérateurs sont remboursés aux membres ayant atteint un certain seuil de ticket modérateur dans le courant de l’année).
En 2008, les équipes universitaires de la KULeuven et du DULBEA ont analysé la possibilité d’introduire dans la formule normative encore une série de paramètres en matière de santé, à savoir des données de morbidité. Il s’agit de données à partir desquelles nous pouvons dériver la fréquence et la gravité des maladies de la population. En effet, bien que l’incapacité primaire puisse être utilisée comme indicateur de morbidité, des informations beaucoup plus précises peuvent être dérivées de la consommation de certains médicaments et des données de diagnostic de chaque hospitalisation. La consommation des médicaments peut être suivie via la banque de données ‘Pharmanet’ qui reprend toutes les factures transmises par les pharmaciens aux OA tandis que les diagnostics ou Résumé Hospitalier Minimum (RHM) sont transmis au SPF Santé Publique depuis 1986. L’ajout des données de morbidité à la formule normative fait en sorte que le budget normatif se rapproche davantage des dépenses réellement justifiées. Les données de morbidité seront ajoutées au modèle à partir de la clôture de l’exercice 2008. 18 groupes d’affections détectés via les données Pharmanet ainsi que 87 groupes de diagnostics détectés via le RHM seront donc ajoutés à la liste des variables du modèle.
Tableau 1 : Paramètres permettant de déterminer la clé de répartition normative (à partir de la clôture des comptes de 2008) : Intervention pour handicapés Allocations familiales majorées Revenu d’intégration du CPAS Droit aux soins à domicile pour les personnes fortement dépendantes en ce qui concerne leurs propres soins (forfait B ou C) Traitement de kinésithérapie pour les pathologies lourdes (liste E) Allocation forfaitaire pour l’aide de tiers Allocation d’intégration Allocation d’aide aux personnes âgées Allocation pour l’aide de tiers |
Pour déterminer l’impact de chaque paramètre que nous avons cité sur les dépenses de santé, c’est-à-dire le coefficient de chaque paramètre, des techniques statistiques (analyse de régression) sont utilisées. On calcule sur base d’un ensemble de données observées avec quel coefficient les différents paramètres diminuent ou augmentent les dépenses de santé. Pour le calcul des coefficients actuels, nous avons utilisé les données de 2002, c’est-à-dire les valeurs de l’époque de l’ensemble des paramètres et le total des dépenses de soins de santé à l’époque. Une fois les coefficients établis et en supposant que les soins médicaux dépendent toujours des paramètres retenus dans la même mesure, il suffit d’actualiser les paramètres dans les années qui suivent (nombre d’affiliés par tranche d’âge, nombre de bénéficiaires de l’intervention majorée, d’invalides, etc.) pour calculer le budget normatif. Chaque année les OA doivent donc livrer à l’INAMI la valeur des paramètres utilisés dans le modèle et déterminer leur clé normative pour l’année X.
Points forts et points faibles du modèle
Impact sur la sélection des risques
L’un des objectifs du mécanisme de responsabilité financière était de prévenir la sélection des risques. Comme nous l’avons dit plus haut, dans un système dans lequel le budget octroyé aux OA ne seraient pas lié au profil de risques socio-sanitaires des populations affiliées, il serait avantageux pour un OA d’attirer des membres « économiques » , soit des membres présentant peu de risques de santé. Quel a dès lors été l’impact de l’introduction du mécanisme de responsabilité financière sur la sélection des risques ?
En comparaison avec des pays présentant une organisation des soins de santé similaire (Pays-Bas, Allemagne, Israël, Suisse), la Belgique utilise une formule normative très détaillée et technique et connaît moins de problèmes de sélection des risques. En Allemagne, les plus grandes mutualités perdent leurs membres en meilleure santé au profit de nouvelles petites mutualités et tombent dans une spirale descendante où elles sont contraintes d’augmenter leurs cotisations et perdent encore plus de membres en bonne santé et actifs. En Israël où les mutualités offrent aussi elles-mêmes des soins médicaux, il existe de grandes différences dans l’offre médicale, avec l’établissement de nouveaux hôpitaux dans des régions ayant une population plus jeune et plus aisée. Aux Pays-Bas, les assureurs peuvent offrir une réduction aux membres d’un groupe désireux de contracter une assurance dépendance commune. Un représentant de 19 organisations de patients n’a toutefois pu négocier un tel contrat de groupe que pour 3 des 19 organisations de patients. En Suisse, enfin, les malades chroniques ou d’autres groupes à risques paient une cotisation beaucoup plus élevée pour contracter une assurance dépendance que les personnes jeunes, actives et en bonne santé.
Cependant, bien que la sélection des risques en assurance obligatoire soit limitée, les mutualités disposent tout de même d’un instrument important permettant d’attirer certaines tranches de la population en particulier. En effet, ces dernières peuvent développer des services et avantages en assurance complémentaire destinés à certains groupes-cibles tels que les avantages liés à l’accouchement et à la naissance permettant d’attirer une population plus jeune.
Impact sur les dépenses
Le second objectif poursuivi par les autorités lors de la mise en place du système était de garantir une meilleure gestion des dépenses de soins de santé. Cet objectif a-t-il été atteint ?
Il semble à priori difficile de répondre à cette question. En effet, nous ignorons comment les dépenses de soins de santé des OA auraient évolué sans le mécanisme de responsabilité financière. Ce qui est certain, c’est que l’introduction du mécanisme à entraîné un contrôle plus important de l’exactitude des données fournies par les OA. De plus, le mécanisme a permis de mettre en lumière les écarts entre les quotités budgétaires et les dépenses de chaque OA et ce sur une base annuelle. On s’est ainsi aperçu au fil des années que les OA « méritaient » des bonis différents ou devaient faire face à différents malis en demandant une cotisation spéciale à leurs membres.
Entre 1995 et 2004, l’INAMI a calculé que le solde total s’élevait à 176 millions en défaveur des OA. Au cours des 10 premières années, les OA ont donc dû puiser en moyenne 0,1% de leur budget des soins de santé dans leurs fonds de réserve de la responsabilité financière et on dû demander des cotisations supplémentaires à leurs affiliés (cependant ce ne fut plus la cas depuis 2005 grâce à la norme de croissance élevée du secteur). Au contraire, dans son rapport datant de juin 2011, la Cour des Compte indique que les mutualités ont accumulé plus de 552,2 millions de boni entre 2005 et 2010 (ces résultats se basent sur la clôture provisoire des comptes de 2008, 2009 et 2010 puisque la dernière année à avoir été clôturée définitivement est 2007). Du point de vue des pouvoirs publics, ce n’est donc pas une économie. De plus, étant donné la valeur des fonds de réserve actuels, le Cour des comptes estime, que durant les dix prochaines années, les mutualités –en tout cas dans leur ensemble- ne devront plus faire appel à leurs fonds propres ou aux cotisations des titulaires pour assumer leur responsabilité financière réduisant ainsi l’incitant à la bonne gestion des dépenses. Cependant, cette déclaration de la Cour des Compte ne tiendra peut-être plus d’ici peu étant donné le contexte budgétaire dans lequel nous évoluons.
Figure 3 : Évolution des boni/mali pour l’ensemble des OA à la clôture des comptes entre 1995 et 2010 (en millions d’euros).
D’autres éléments nous poussent à croire que le mécanisme de responsabilité financière n’a eu qu’un impact limité sur les dépenses de soins de santé. Premièrement, la Cour des Comptes affirme que le système souffre d’un handicap majeur, à savoir l’absence d’évaluation d’efficience du système. En effet, pour pouvoir garantir qu’un système de malis et de bonis incite financièrement les mutualités à participer à la maîtrise des dépenses, l’efficience de cet outil doit, à l’évidence, être évalué. Or une telle évaluation n’a jamais été faite et ce en 15 années d’existence du mécanisme. Cela est d’autant plus important que le contexte dans lequel la responsabilité financière s’est appliquée entre 1995 et 2010 a énormément changé alors que les règles d’attribution des bonis et malis n’ont pas évolué :
- Entre 1995 et 2000, la norme de croissance serrée (1,5%) a entraîné un risque de dépassement budgétaire élevé et une marge d’excédents limitée. Pareil contexte permet d’expliquer pourquoi il existe un plafond pour le mali (2 % du dépassement global) et non pour le boni.
- De 2000 à 2005, la marge de croissance budgétaire a fait l’objet d’un élargissement automatique. Cet élargissement s’inscrivait toutefois dans une logique de rattrapage jugée nécessaire et n’a donc entraîné aucune modification de la réglementation concernant le plafonnement des bonis et malis.
- L’année 2005 a été une année charnière. A partir de là, des excédants budgétaires ont été réalisés chaque année mais aucun des acteurs concernés n’a pris l’initiative de procéder à un audit de performance préconisé par la Cour des Comptes.
De plus, dans un rapport présenté à la Commission d’accompagnement pour la Responsabilité Financière de l’INAMI, l’équipe de chercheurs de la KULeuven souligne que malgré une amélioration importante de la qualité de la formule normative, la mise à jour de ce modèle s’effectue encore de façon trop lente. En raison des difficultés rencontrées lors des collectes des données nécessaires à l’estimation du modèle, la mise à jour des modèles s’effectue à une fréquence d’environ 5 ans. Ceci implique, par exemple, que la clôture des comptes de 2007 a eu lieu sur base d’un modèle qui avait été estimé avec des données de 1998 et 2001. Cependant, chaque année, de nouvelles mesures sont prises en matière de remboursement dans la nomenclature. Régulièrement, de grands changements institutionnels sont également effectués. En raison des progrès technologiques de la médecine, y compris l’introduction de nouveaux médicaments, des changements constants dans la pratique de la médecine peuvent survenir. Tout ceci implique qu’une réévaluation régulière du modèle est nécessaire, même lorsqu’on conserve en substance les mêmes variables explicatives.
Enfin, les mutualités n’ont à leur disposition que très peu d’instruments pour corriger les dépenses de leurs membres. En Belgique, les patients jouissent d’une grande liberté de choix de leurs prestataires de soins et ceux-ci jouissent d’une grande liberté de choix quant au type de traitement et aux médicaments à prescrire. De manière générale, cette liberté est perçue comme un atout majeur du modèle belge, mais elle a pour effet d’entraver tout changement afin d’accroître l’efficacité du système. Les principales mutualités œuvrent activement à la mise à disposition d’informations de manière à ce que les patients puissent poser leurs choix en tenant compte des coûts, mais elles n’en récoltent pas nécessairement les fruits. Par le biais de campagnes d’information, les mutualités peuvent encourager les médecins par exemple à prescrire plus souvent des médicaments « bon marché » mais elles ne peuvent pas les y contraindre et, de surcroît, les campagnes menées auront un impact pour les membres de toutes les mutualités. Les mutualités peuvent également faire pression sur la maîtrise des dépenses en tant que participantes aux négociations collectives au sein de l’INAMI, mais ici aussi, les effets ne se limiteront pas à leurs propres membres.
Défis futurs, faire de la Responsabilité Financière un véritable outil de gestion de l’assurance maladie et augmenter l’efficacité de notre système
A l’avenir, nous risquons d’être confrontés à une situation dans laquelle ni les cotisations sociales ni le financement alternatif ne suffiront à financer la sécurité sociale et donc l’assurance soins de santé. Nous devrons donc, dans un avenir très proche, faire preuve de créativité pour garantir l’avenir du financement des soins de santé. Certaines pistes déjà évoquées pourraient permettre au mécanisme de responsabilité financière de devenir un véritable outil de gestion des dépenses de l’assurance soins de santé mais c’est l’efficacité de l’ensemble du système qui doit être améliorée.
Du côté des recettes
La solution la plus fondamentale pour un financement équilibré de la sécurité sociale réside évidemment dans l’élargissement de la base de financement (augmenter les cotisations sociales) en augmentant le taux d’emploi. Cependant, dans le contexte social et économique actuel, cet élargissement de la base de financement ne sera pas facile à réaliser. D’autres solutions telles que l’introduction d’une cotisation sociale généralisée (qui serait prélevée sur tous les types de revenus et pas uniquement sur ceux du travail) doivent également être envisagées.
Cependant, certaines initiatives plus créatives doivent également être envisagées. Par exemple, admettons que les dépenses pour les prestations médicales dans l’assurance soins de santé s’élèvent à 25,5 milliards d’euros en 2013 et qu’en outre, les tickets modérateurs s’élèvent à 2 milliards d’euros. Dans un tel scénario, on pourrait par exemple isoler 1,5 milliard d’euros des remboursements INAMI pour les prestations médicales et 0,25 milliard d’euros de tickets modérateurs. Ce 1,75 milliard d’euros ne serait plus financé par le biais des moyens de financement classiques de l’assurance soins de santé (principalement les moyens de la gestion globale de la sécurité sociale) ni par le biais du patient (ticket modérateur), mais de façon alternative, à savoir par le biais d’une prime nominale.
Une prime nominale est en fait une prime forfaitaire par tête. Sur la base de 7,3 millions de titulaires environ (ce sont les actifs qui paient une cotisation sociale) dans l’assurance soins de santé, cela reviendrait à environ 20 euros par mois par titulaire. Pour un ménage comptant 2 adultes actifs et un ou plusieurs enfants, cela représenterait 40 euros par mois. Pour les revenus les plus faibles, on pourrait prévoir un subside spécifique qui rendrait cette prime nominale financièrement supportable. Ce subside diminuerait toutefois le résultat net de cette opération. La prime nominale pourrait être majorée ou diminuée en fonction des résultats en matière de responsabilité financière des mutualités : ainsi, une mutualité présentant un résultat positif pourrait diminuer sa prime nominale, tandis qu’une mutualité en déficit, serait contrainte de l’augmenter. Cette prime nominale d’environ 20 euros par mois, majorée ou diminuée en fonction du résultat financier enregistré dans le cadre de la responsabilité financière, stimulerait les mutualités à maîtriser les dépenses pour les prestations médicales. Les assurés peuvent ainsi comparer les primes et faire alors un choix. Étant donné que les tickets modérateurs diminueraient de 250 millions d’euros, il s’agirait là d’une opération très solidaire : 250 millions d’euros seraient pris au niveau des tickets modérateurs des patients et répartis sur l’ensemble des assurés. Les diminutions de tickets modérateurs pourraient être réparties de différentes façons entre les patients, par exemple en avantageant de façon sélective les personnes les plus gravement malades. Avec le 1,5 milliard d’euros de prime nominale, on pourrait réduire de moitié les cotisations patronales et pour l’autre moitié les cotisations sociales des travailleurs. De cette façon, le coût du travail diminue pour l’employeur alors que les revenus disponibles des travailleurs augmentent. Ces deux aspects peuvent stimuler l’économie.
Cependant, il est évident que les moyens collectifs doivent être répartis entre les mutualités de telle sorte qu’il y ait une répartition équitable des risques, c’est-à-dire que les mutualités comptant plus de membres malades et âgés, soient compensées financièrement pour cela. C’est déjà le cas aujourd’hui, suite à l’application de la formule normative dans la répartition du budget national de l’assurance soins de santé entre unions nationales des mutualités.
Du côté des dépenses
L’objectif principal de notre système est de préserver l’accessibilité et la qualité des soins de santé tout en respectant les limites budgétaires fixées. Cependant, travailler dans les limites des contraintes budgétaires ne signifie pas que nous devons rogner à gauche et a droite sur les dépenses mais plutôt adopter des changements structurels ayant pour objectif d’accroître l’efficacité de notre système en maintenant une qualité élevée. En effet, il n’est pas forcément nécessaire d’augmenter les dépenses pour augmenter la qualité et une efficacité plus élevée ne passe pas forcément par une diminution des dépenses. Ce qui importe en réalité c’est la relation qui existe entre les moyens mis en œuvre (input) et les résultats obtenus (output). L’important à l’avenir sera donc de faire mieux avec les mêmes (ou moins) de moyens.
Dans ce cadre, les mutualités pourraient-elles jouer un rôle plus important dans l’exécution de l’assurance soins de santé obligatoire ? Les mutualités pourraient par exemple jouer un plus grand rôle en matière d’information sur les soins de santé. Elles disposent en effet de suffisamment de données et de capacité d’analyse pour informer leurs membres et les aiguiller vers les meilleurs soins, ceux présentant le meilleur rapport qualité/prix. Dans un certain nombre de domaines, les mutualités pourraient donc avoir une place plus importante, en complément au système de concertation existant au sein de l’INAMI. Les mutualités pourraient recevoir un budget pour certaines parties de l’assurance soins de santé obligatoire, ce qui leurs permettraient d’organiser les soins de façon optimale. Les accouchements, par exemple, constituent une catégorie de dépenses bien déterminée. Les mutualités pourraient alors encourager leurs membres à suivre un certain trajet de soins qui allierait qualité et efficacité. Ainsi, les 5 jours d’hospitalisation habituellement prévus en cas d’accouchement pourraient être remplacés par un séjour plus court suivi de soins postnataux à domicile bien organisés. Ceci permettrait de supprimer un certain nombre de lits coûteux dans les hôpitaux.
Un autre exemple est l’attention que souhaitent porter les pouvoirs publics aux malades chroniques. Pourquoi ne pas allouer un forfait aux mutualités qui leur permettrait de se concerter avec leurs malades chroniques afin de déterminer ensemble la façon la plus efficace d’utiliser ce budget ? Un tel modèle représenterait réellement une modernisation de notre système d’assurance soins de santé. Les assurés seraient ainsi impliqués de près et auraient davantage de possibilités et de choix. En outre, les mutualités seraient en concurrence les unes par rapport aux autres dans le secteur de l’assurance obligatoire également, alors qu’actuellement, elles ne le sont que dans le secteur de l’assurance complémentaire.
Si les mutualités sont appelées à jouer un plus grand rôle au niveau de l’assurance obligatoire, comme dans les exemples repris ci-dessus, il est évident qu’elles doivent se voir attribuer une plus grande responsabilité financière. Il est évident que par rapport à l’imperfection de la formule normative, la responsabilité financière des OA ne s’élèvera jamais à 100%. Cependant, une plus grande responsabilité encouragera les mutualités à prendre encore plus au sérieux leur tâche de contrôle. Les OA ont en effet pour tâche de contrôler les factures des hôpitaux et des prestataires de soins quant à leur réalité et leur conformité par rapport à la réglementation. Les tarifs et les indications doivent correspondre à ce qui est prescrit par la loi. Les mutualités sont également en mesure de détecter la surconsommation et la fraude et de le communiquer aux services de l’INAMI.
Cependant, ce n’est pas uniquement la place des mutualités dans l’exécution de l’assurance soins de santé qui doit être revue mais bien l’efficacité de l’ensemble du système. A ce titre, de nombreuses autres initiatives pourraient être mentionnées : investir davantage dans la prévention, renforcer la première ligne, notamment en imposant une visite chez le médecin généraliste avant d’aller voir un spécialiste, organiser les soins autour du patient en créant des trajets de soins plutôt qu’en fonction des différentes spécialités de la médecine, favoriser la diffusion des directives cliniques auprès de médecins et des hôpitaux et encourager l’évaluation (par exemple coût-efficacité) des nouvelles technologies, réinventer un nouveau paysage hospitalier dans lequel hôpitaux se spécialisent afin d’éviter d’offrir tout et partout quel qu’en soit le prix.
Conclusion
Introduit en 1994, le système de responsabilité financière des OA avait pour objectif de limiter la sélection des risques entre les différents organismes assureurs et de constituer un véritable outil de gestion des dépenses de soins de santé.
Si on peut considérer aujourd’hui que le premier objectif a été rencontré, l’impact du mécanisme sur l’évolution des dépenses peut être remis en cause. En effet, les mutualités doivent pouvoir disposer de réels instruments de gestion pour pouvoir atteindre cet objectif. Actuellement, les mutualités ne peuvent pas suffisamment intervenir dans le processus de dépenses. Elles n’ont pas non plus d’impact réel sur le prix, la qualité ni les volumes. Le seul moyen dont disposent actuellement les mutualités pour maîtriser quelque peu les dépenses, ce sont les contrôles approfondis des factures hospitalières. Les OA devraient par exemple promouvoir davantage le premier échelon et la prévention en intervenant dans les règles de l’assurance soins de santé. Elles devraient pouvoir également déconseiller aux membres de se faire soigner dans certains hôpitaux qui n’offrent pas une qualité suffisante (par exemple, parce qu’ils ne réalisent pas suffisamment certains actes).
Enfin, le mécanisme en lui-même n’est pas parfait. Deux critiques concernant le modèle mathématique en soi peuvent être émises. Premièrement, il serait nécessaire de mettre en place une procédure rationalisée pour la clôture des comptes jugée trop lente (nous sommes en 2013 et l’année 2008 n’a pas encore été définitivement clôturée). Deuxièmement, il est impératif d’actualiser les coefficients et les paramètres de la formule le plus souvent possible (tous les 3 ans minimum) afin que la clé de répartition normative colle un maximum aux dépenses justifiées.
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