Le système national de santé grec a été démantelé en un temps record par un ensemble de recettes clés en mains imposées depuis 2010 par les créanciers de la Grèce dans les secteurs de santé primaire, secondaire et pharmaceutique. Ce texte présente une analyse critique des principales mesures de compression budgétaire mises en place dans ces secteurs et introduit un débat sur des initiatives communautaires censées renforcer certains déterminants sociaux de la santé (indemnités de chômage, assurance maladie, revenu minimum garanti). Il apparaît que les politiques mémorandaires ont manqué le but d’efficience et d’efficacité affiché, mais peut-être pas le projet implicite de construire un « nouveau modèle social européen » réduit à quelques prestations tout juste suffisantes à la survie des dépossédés – et encore. En s’appuyant sur de nombreux travaux scientifiques, des entretiens en Grèce auprès de militants et dans des établissements de soin et une enquête en cours dans des quartiers ouvriers du Pirée, l’article conclut à l’épuisement – passager ? – des forces luttant pour la survie des droits sociaux démocratiques.
Introduction
Depuis 2010, la Grèce est soumise à un régime de discipline et de contrôle de ses finances et politiques publiques sans équivalent dans l’histoire européenne d’après 1945. Peu après la révélation en 2009 des « vrais [1] » chiffres, jusque-là maquillés, du déficit public grec par le gouvernement tout juste élu de Georges Papandreou, la Troïka [2] des institutions créditrices du pays le mirent sous tutelle à travers une série de plans d’ajustement structurel ou memoranda (2010, 2012, 2015 [3]) censés résoudre le problème de sa dette et remettre le pays sur le chemin de la croissance. Les objectifs affichés de ces programmes n’ont pas été atteints, au contraire. Sept ans après leur mise en œuvre, la Grèce se trouve dans une situation bien pire qu’en 2010.
Ce n’est pas faute d’avoir appliqué les mesures contenues dans les memoranda, ou pour avoir éternisé à souhait leur mise en œuvre. La Troïka se dit régulièrement « impatiente » et reproche au gouvernement grec ses retards dans l’avancement des « paquets » de réformes prescrites, mais elle ne lui laisse pratiquement aucune marge de manœuvre. En effet, l’approche générale des memoranda est celle d’un « système de surveillance intense et quasi permanent ». Joaquin Almunia, alors commissaire européen chargé des Affaires économiques et monétaires, avait utilisé cette formule en février 2010 pour désigner le régime qui serait bientôt infligé à la Grèce : celle-ci devrait « quantifier » et « préciser » les mesures annoncées, « envoyer le calendrier » de leur mise en œuvre, rendre compte très régulièrement de l’état d’avancement de son programme et s’engager à prendre incessamment des mesures supplémentaires si ses objectifs n’étaient pas atteints [4]. « C’est la première fois que des instruments de surveillance économique et budgétaire sont utilisés simultanément et de manière intégrée », se félicitait pour sa part la Commission européenne. De fait, pour éviter tout retour en arrière et rendre les effets des programmes d’austérité irréversibles, la méthode appliquée en Grèce (puis à d’autres pays vulnérables) consiste à concentrer les mesures (frontloading) et à en vérifier constamment la bonne exécution, notamment à la veille des versements du prêt, prévus par tranches en principe tous les trimestres. L’état d’avancement du programme d’austérité est lui-même subordonné à l’appréciation qu’en donnent les experts et contrôleurs de la Troïka, installés à plein-temps dans les ministères et soutenus dans leur tâche par d’autres experts. Ce qui conduit les créanciers du pays à des actes répétitifs d’intimidation et de chantage. Ils exigent régulièrement des mesures d’austérité plus convaincantes à leurs yeux, reportent les versements, menacent de couper les vivres.
Les memoranda font partie d’une stratégie plus globale fondée sur une doctrine dite d’austérité expansionniste en vertu de laquelle une baisse des coûts relatifs par rapport à d’autres économies permet de créer les conditions d’une reprise par les exportations. En l’absence d’une dévaluation de la monnaie, elle suppose que soient appliquées des politiques austéritaires [5] dites de dévaluation interne : coupes plus ou moins importantes dans la protection sociale, la santé, l’éducation et d’autres services publics, baisses des salaires et des retraites, augmentation des impôts indirects sur la consommation, dérégulation des relations professionnelles et du droit du travail… Cette doctrine a été discréditée sur les plans méthodologique et empirique (Jayadev et Conczal, 2010 ; Blanchard, 2012 ; Herndon, 2013) : comme l’avait noté Paul Krugman, ses prédictions « ont été entièrement contredites par la réalité, et la recherche académique invoquée pour soutenir [cette] position s’est révélée truffée d’erreurs, d’omissions et de statistiques suspectes ». Entre autres difficultés, la dévaluation interne ne peut pas fonctionner si tous les pays d’une même zone économique l’adoptent simultanément : dans ce cas, son seul effet est de conduire à une baisse des niveaux de vie et à réduire l’accès des populations aux biens publics essentiels. C’est néanmoins la voie qui fut choisie en réponse à la crise financière de 2007-2008 pour tous les États membres l’Union économique et monétaire (UEM). En Grèce, les programmes d’austérité sans fin et toujours plus intenses ont entraîné une dépression économique et une récession sociale jamais vues en Europe en temps de paix (Ioakeimoglou, 2017). Persistantes, les institutions créditrices du pays lui appliquent encore ces remèdes.
La société grecque a pourtant résisté au traitement subi. Le pays fut secoué par une impressionnante vague de grèves et de manifestations. Elle dura jusqu’en 2012 malgré une tout aussi impressionnante répression policière (Kotronaki, 2014). Le système politique se fractura. Tandis qu’aux élections de 2012 le parti socialiste panhellénique (Pasok) s’effondrait et que les conservateurs de Nouvelle démocratie (ND), quoique plus résistants, s’affaiblissaient beaucoup, le parti de la gauche radicale Syriza devenait le premier parti d’opposition. Emmené par Alexis Tsipras et porté par le mouvement social, il venait de connaître une ascension fulgurante : il était tout juste entré au parlement en 2009 avec 4,6 % des voix, et obtint 27 % des suffrages en juin 2012. Sa montée se poursuivrait jusqu’aux législatives janvier 2015 qui le portèrent au pouvoir. Syriza incarnait l’espoir qu’un gouvernement formé par une nouvelle génération de politiciens de gauche, jeunes et non corrompus, rendrait sa dignité et sa souveraineté au pays et mettrait fin aux memoranda. Cependant, n’ayant réussi à obtenir aucune concession pendant les six premiers mois de stériles négociations avec la Troïka, Alexis Tsipras organisa un référendum le 5 juillet 2015 à l’issue duquel les citoyens grecs dirent massivement « Non » (61,5 % des voix) à la poursuite de l’austérité. Le premier ministre n’avait pas prévu ce résultat et ne pouvait ni ne voulait affronter ses créditeurs au point d’envisager une sortie de la Grèce de l’euro (le « Grexit »). Sept jours plus tard, il transformait le « Non » en « Oui » et capitulait devant l’Allemagne. Il acceptait l’ultimatum du ministre des Finances allemand, Wolfgang Schäuble, en vertu duquel la Grèce renonçait complètement à sa souveraineté et se pliait, en contrepartie d’un nouveau mémorandum (incluant un prêt de 86 milliards d’euros étalés sur trois ans et servant uniquement à rembourser la dette), au programme d’ajustement structurel le plus austère qui ait jamais été exigé d’un pays européen. Alexis Tsipras ne démissionna pas. Il remporta de nouvelles élections en septembre, juste avant la mise en œuvre des premières mesures d’austérité du troisième programme. Depuis, affichant presque toujours un sourire devant les caméras de la presse, il applique les prescriptions de ses créditeurs — les véritables gouverneurs de la Grèce —, creusant le désespoir d’une société atteinte dans sa substance, désorganisée et vaincue par ceux-là mêmes qui promettaient de la défendre.
Cet article analyse les principales mesures appliquées au système national de santé grec, secteur d’une importance capitale en période de crise des finances publiques et miroir dans lequel se reflètent les conditions d’existence des populations. Le texte questionne la rationalité en vertu de laquelle les gouverneurs de l’UEM persistent à « faire comme si » la dévaluation interne était l’unique voie de salut et à se montrer aveugles (mais non ignorants) aux effets délétères de celle-ci. L’hypothèse, défendue ailleurs plus en détail (Burgi, 2014b), est que nous assistons à la culmination d’un effort long de désinstitutionalisation des régimes de protection sociale, poursuivi graduellement depuis au moins trois décennies, qui s’accélère à la faveur des choix politiques arrêtés par les puissances hégémoniques d’Europe pour gérer les effets de la crise financière de 2007-2008. Cet effort est lié à un projet doctrinaire dit néolibéral de refondation complète des principes, des modalités et des finalités de l’intervention de l’État d’après 1945. Également appelé fondamentalisme de marché, il préconise la sujétion de toute la vie sociale et de toute la sphère publique, y compris l’État, aux mécanismes du marché. Parmi les nouvelles attributions de l’État, l’une des règles essentielles commande que sa politique sociale soit entièrement remodelée pour accompagner de façon active et porter à leur plénitude les mécanismes de concurrence. Avant 2010, quasiment tous les gouvernements occidentaux, chacun à son rythme et avec ses modalités propres, ont cherché à progressivement reconfigurer leurs systèmes nationaux de protection sociale pour les conduire dans cette direction. Pour les mener vers la constitution d’un nouveau « modèle social européen » dans lequel les prestations à vocation universelle des États sociaux construits après 1945 sont remplacées par un filet social minimal, par un « minimum vital » Hayek (1985 [1946] : 89-90).
Ce minimum n’est pas conçu comme un moyen de lutte contre la précarisation et la paupérisation des masses car il n’est pas question d’en modifier les causes ni de revenir sur la régulation néolibérale. Au contraire, dans le cadre du fondamentalisme de marché, le minimum vital a pour fonction de faire en sorte que personne, en principe, ne tombe définitivement hors jeu — hors du jeu de la concurrence généralisée. Pour le dire autrement, le problème théorique et pratique posé à la gouvernementalité néolibérale dans la redéfinition des politiques de protection sociale est de savoir, non pas comment combattre le chômage de masse ou contenir l’extension des zones de précarité et de vulnérabilité, mais jusqu’où il est possible et/ou souhaitable d’abaisser le « seuil de pauvreté “absolue” [6] » en dessous duquel l’État devra imposer un filet social minimal, au sens d’un régime de soutien (et de contrôle étroit et punitif) des plus démunis, certes financé (à contrecœur) par la collectivité, mais juste suffisant pour le marché.
La déconstruction méthodique, quoique parfois anarchique, des institutions grecques de santé publique s’inscrit dans cette évolution. Au rythme dicté par les institutions de Troïka, les gouvernements grecs ont taillé dans les dépenses de santé « avec des couteaux de boucher », selon l’expression d’un ancien ministre de la Santé (2010-2012), Andreas Loverdos, et cela, au moment même où les déterminants sociaux de la santé — la brutale dégradation des conditions de vie sous l’effet des politiques austéritaires dans leur ensemble — se répercutaient sur la santé publique. Pour reconfigurer le secteur, des recettes « clés en mains » de la Banque mondiale et du FMI (partage des coûts, principe de dissociation entre acheteurs et fournisseurs, tarification à l’activité, privatisation des services…) ont été plaquées sur le système public de santé dans l’intention prioritaire de réduire les coûts, d’extraire des ressources et de réorienter les comportements vers la consommation d’assurances et de services de privés. L’ampleur des coupes budgétaires et la logique qui leur est sous-jacente sont présentées dans un premier temps. Une deuxième partie étudie plus en détail les contradictions et les effets des politiques relatives aux médicaments et aux secteurs secondaire (hospitalier) et primaire. Abordant en dernier lieu la question des déterminants sociaux de la santé, la réflexion, centrée sur la prétendue mise en place d’un filet social équitable en Grèce, débouche sur un questionnement portant sur le sens et les perspectives d’une société dite résiliente.
I. Des « couteaux de boucher » pour tailler dans les dépenses
Depuis sept ans, le secteur de la santé publique figure comme l’une des principales cibles des programmes dits d’ajustement structurel dictés à la Grèce par les institutions de la Troïka dans le cadre des Memoranda de 2010, 2012 et 2015. Le premier avait exigé que les budgets de santé publique passent de 6,8 % du PIB en 2010 à 6 % en 2012. À l’époque, des chercheurs internationalement reconnus avaient jugé « arbitraire » et « anormalement bas » un tel objectif (Stuckler et Basu, 2013 ; Karanikolos et al., 2013 ; Kondilis et al., 2012, 2013 ; Kentikelenis et al., 2014). Il fut cependant atteint en 2012 puis largement dépassé. En 2014, le ratio des dépenses de santé publique rapportées au PIB était de 4,6 %, son niveau jusqu’ici le plus bas, puis il est remonté légèrement pour atteindre 4,8 % en 2016. Cela se compare à une moyenne de 6,5 % dans l’Union européenne (UE) et à des ratios (stables) bien plus élevés dans les pays les plus riches de l’Union, notamment la France et l’Allemagne (voir le Tableau 1). On soulignera que la contraction des budgets de santé publique a été plus implacable encore en Grèce que ne semblent l’indiquer ces pourcentages parce que le PIB du pays a lui-même perdu 27 points de pourcentage depuis 2010.
Cette compression a donné lieu à une recomposition des dépenses de santé. Selon Giannis Kyriopoulos (2015), ancien doyen de l’École nationale de santé d’Athènes, alors que le financement des hôpitaux publics a chuté de plus de moitié entre 2009 et 2014 et que les dépenses totales de santé (publiques et privées) sont en forte baisse, le secteur hospitalier a connu un accroissement de sa part (+ 41 % entre 2008 et 2013) dans les dépenses totales, devenant (sans moyens) le dernier recours pour les malades. Cela reflète un moindre accès non seulement aux soins hospitaliers privés (qui ont baissé de 28 % pendant la même période), mais encore aux soins primaires (services médicaux de base, soins dentaires, diagnostics, physiothérapies et autres) pour lesquels les dépenses ont chuté de 55,59 % au cours de ces années. Dans le même temps, la désorganisation des structures de soin a accentué la corruption et la quête de passe-droits avec des paiements formels et informels aux médecins du secteur privé, en hausse de 52 %.
Aussi indispensables soient-elles, les données agrégées ne permettent cependant pas de saisir l’ampleur de la crise sanitaire. On constate par exemple en 2014 que la chute des dépenses publiques de santé après 2010 les ramènent à leur niveau de 2004 (Graphique 1 s’il y a de la place). Or en 2004, les Grecs, dans l’ensemble, avaient accès aux soins médicaux. Ce n’est plus le cas en 2014, et moins encore en 2017.
La différence tient aux dimensions qualitatives du démantèlement des structures de santé publique — non recours aux soins en temps utile, carences et dysfonctionnement des services médicaux… — dont un des indices clés se constate dans l’augmentation significative après 2010 des cas de mortalité dus à des événements indésirables survenus en cours de traitement (Laliotis et al., 2016). Mais la santé publique dépend aussi très largement de facteurs sociaux plus généraux : accès à l’éducation, conditions de travail et loisirs, logement, perspectives d’avenir, état des communautés, des villages et des villes. Ces conditions structurelles de la vie quotidienne constituent « les déterminants sociaux de la santé et sont responsables pour une part importante des inégalités de santé entre pays et à l’intérieur des pays » (Commission on Social Determinants of Health [CSDH], 2008 : 1 ; Daniels et al., 1999). Or, dans le contexte des politiques austéritaires généralisées exigées par l’UE et ses membres les plus influents pour gérer les effets de la crise financière de 2008, la Grèce, classée première par l’OCDE (2015 : 126) pour sa « réactivité globale aux priorités de réformes » entre 2007 et 2014, est allée plus loin que tous les autres pays de l’Organisation internationale dans la mise en place de mesures d’austérité, exceptionnellement sévères en ce qui la concerne. Au-delà des services de santé stricto sensu, celles-ci ont provoqué une abrupte dégradation des conditions de vie (des déterminants sociaux de la santé) (ELSTAT, 2017, 2012 ; OCDE, 2016 ; Burgi, 2014a). Pratiquement du jour au lendemain, le taux de chômage a grimpé pour devenir le plus élevé d’Europe (il frappe le quart de la population, la moitié des jeunes et ses durées s’allongent : les chômeurs étaient à 73,5 % de longue durée en 2015), les niveaux de vie se sont effondrés de plus de 30 % en moyenne, la pauvreté relative et surtout l’extrême pauvreté ont connu une progression spectaculaire [7], les services publics sont démantelés, le droit du travail et de la négociation collective quasiment liquidé (Kapsalis et Kouzis, 2014), le tout entraînant une importante fuite des cerveaux (et des capitaux) et une « catastrophe » sanitaire (expression de Médecins du Monde et d’autres).
Les conséquences sur la santé des politiques d’ajustement structurel ont été largement ignorées, voire niées par les gouverneurs [8] européens et grecs. Leur rhétorique a presque [9] toujours soutenu, contre l’évidence, que les politiques autstéritaires ne touchent en rien les services essentiels : « nécessaires » au bien commun, elles auraient au contraire permis de préserver l’avenir grâce à des gains d’efficience et d’efficacité du système de soins.
Cette ligne d’argumentation n’est pas nouvelle ni limitée à un pays. Elle reflète un changement profond dans la manière de concevoir et d’aborder les problématiques relatives à la santé publique. L’idéal inscrit dans la Déclaration d’Alma Alta (1978) en vertu duquel la santé, considérée comme un droit humain fondamental, devrait être accessible à tous en fonction des besoins de chacun, s’est mué en une représentation de la santé assimilée à une transaction économique. Cette approche, portée par des institutions puissantes comme la Banque mondiale et le FMI, est devenue hégémonique dans les années 1990 et 2000. La première a réussi à imposer au monde sa vision fondée sur des principes d’économie de la santé et d’analyse coût-efficacité ; ces mêmes principes se retrouvent dans les prescriptions standardisées des programmes d’ajustement structurel du FMI : maximisation des prestations privées, frais modérateurs [10], priorité aux marchés et à la concurrence. Le but serait d’accroître la rentabilité des dépenses afin de créer les conditions d’un développement économique soutenable. Cependant, comme le montre la littérature critique indépendante, les dispositifs de type marchand ont accru plutôt que réduit les coûts, notamment les coûts bureaucratiques ; ils ont miné la recherche médicale et les services publics de santé existants et approfondi les inégalités (Lister, 2008 ; Sachs 2005 ; Commission on Social Determinants of Health [ci-après : CSDH], 2008).
II. Construction et déconstruction du système de santé
Les reproches adressés aux opérations « clés en mains » de restructuration des institutions de santé publique n’induisent pas qu’il ne faudrait pas améliorer ou réformer les systèmes existants. Elles portent sur la méthode, les finalités et les effets des mesures introduites sans considération pour les droits fondamentaux et le bien-être physique, mental et social des citoyens dans leur ensemble. S’agissant du système national de santé grec, il n’a jamais été irréprochable, particulièrement cohérent ou efficient. Mais les dispositions prises depuis 2010 par les gouvernements successifs sous l’égide de la Troïka — politique du médicament, restructuration hospitalière, rationalisation des soins primaires — ont considérablement aggravé les problèmes de fonctionnement, d’efficacité et d’accès aux soins médicaux observables à la veille des memoranda.
II. 1 Déboires et succès du système national de santé grec (ESY) à la veille des memoranda
Créé en 1983, l’ESY représente incontestablement le plus important effort tenté en Grèce pour établir un véritable système national de santé. À l’origine, le projet ambitionnait d’unifier une pléthore de caisses professionnelles et de remplacer l’incohérente infrastructure de soins primaires existants par un réseau entièrement nouveau de centres de santé urbains et ruraux qui donneraient à tous les citoyens un égal accès aux soins, gratuit au point d’utilisation. Cependant, la résistance de groupes d’intérêt puissants (médecins pratiquant dans des cabinets privés, fonds d’assurance autonomes, fonctionnaires, syndicats, bureaucrates, ainsi que des politiciens au pouvoir ou dans l’opposition) contraria cette visée initiale (Mossiaios et Allin, 2005) et le système finalement mis en place associa de façon complexe trois types de structures : (a) des structures de type beveridgiennes financées par l’impôt (l’ESY proprement dit) ; (b) des organismes de type bismarckien formé par le réseau des assurances sociales obligatoires financées par des cotisations de sécurité sociale ; et (c) les services de santé privés [11].
Avant 2010, l’ESY comprenait : 201 centres de santé ruraux et trois centres de santé urbains qui formaient des unités décentralisées des hôpitaux régionaux de l’ESY ; 1 478 postes médicaux ou chirurgicaux rattachés aux centres de santé ; et les cliniques ambulatoires de 140 hôpitaux publics. Les centres de santé, les postes médicaux et les chirurgies offraient à la population rurale des services préventifs, curatifs, d’urgence et de réhabilitation gratuits au point d’utilisation. Les cliniques ambulatoires des hôpitaux publics proposaient des services de spécialistes ou de diagnostic à la population urbaine et semi-urbaine. De jour, elle y accédait gratuitement ou moyennant une participation financière minimale et, de nuit, devait acquitter un copaiement.
Le réseau de sécurité sociale consistait en 36 caisses professionnelles couvrant les soins primaires de 95 % de la population selon diverses formules. Elles étaient obligatoires et structurées par branche ou par catégorie socio-professionnelle. Par ordre d’importance, la première des quatre principales caisses était l’IKA (ou Fondation de Sécurité Sociale, créée en 1934) et la caisse la plus importante des travailleurs du secteur privé. Elle avait sa propre infrastructure de soins et ses propres médecins (surtout des spécialistes), tous salariés et autorisés à ouvrir des cabinets privés à mi-temps. Les trois autres caisses couvraient respectivement les travailleurs agricoles (l’OGA), les professions libérales (l’OAEE) et les employés du secteur public (l’OPAD). Tous les centres de santé achetaient partiellement ou exclusivement des services auprès de laboratoires ou de médecins privés. Les assurés avaient gratuitement accès à une vaste gamme de services, principalement curatifs et de diagnostic. Si les patients étaient redirigés vers des laboratoires et médecins privés, ils versaient un copaiement.
Finalement, le secteur privé comprenait environ 25 000 médecins, 12 000 dentistes, entre 400 et 700 laboratoires et 167 hôpitaux avec leurs départements ambulatoires. Des centres de diagnostic privés hautement rentables contrôlaient presque tout l’équipement biomédical du pays. Ces centres et les médecins privés passaient des contrats avec les caisses d’assurances sociales et les assurances privées et facturaient leurs interventions sur la base d’un forfait fixe par service payé conjointement par les usagers et les caisses. Le secteur primaire privé absorbait plus de 65 % des dépenses privées totales de santé (Kondilis et al. 2012).
Pour diverses raisons, ce système compliqué, fragmenté et incoordonné connaissait des difficultés permanentes avant 2010. La part importante du secteur privé, la carence de généralistes, d’importantes différences dans le nombre et la qualité des services et dans l’étendue de la couverture garantis par les différents régimes d’assurance, et de réelles carences dans les zones rurales rendaient le système inefficient et inégalitaire. En outre, les très faibles salaires du personnel de l’ESY et du réseau primaire des assurances sociales avaient causé des problèmes structurels : difficultés permanentes de recrutement dans les hôpitaux, sous-effectifs importants, surtout d’infirmiers et de docteurs, manque d’unités de soins intensifs (du fait des sous-effectifs), longues listes d’attente… conduisant à l’habitude de glisser une enveloppe (fakelaki) entre les mains des médecins (plutôt des chirurgiens qui la réclamaient fréquemment) afin de contourner la liste d’attente et (espérer) obtenir un meilleur traitement.
S’il ne fait pas de doute que le système national de santé eût besoin de changement, il avait malgré tout contribué à une amélioration remarquable de la santé publique entre 1983 et 2009. Les données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) indiquent une importante progression de l’espérance de vie pendant cette période grâce à la chute des mortalités évitables (causées par des maladies traitables), en particulier un remarquable déclin de la mortalité infantile et néonatale (passées respectivement de 17,94 à 2,65 et de 13,58 à 1,79 morts pour 1000 naissances), et de la mortalité postnatale et maternelle. De même, dans le Rapport sur la santé dans le monde publié par l’OMS en l’an 2000, la Grèce figurait en excellente position dans le classement des 191 pays membres de l’Organisation selon la qualité des soins médicaux dispensés. Elle était alors quatorzième. La France figurait au premier rang, suivie par l’Italie ; l’Espagne était septième ; le Portugal, précédé de la Norvège, douzième. La Suède arrivait en vingt-troisième position, l’Allemagne en vingt-cinquième, les Etats-Unis, pays notoirement connu pour son système de santé mercantile, trente-septième.
II. 2 La politique du médicament, besoins et perversions
Les dysfonctionnements de l’ESY avaient favorisé une surconsommation de médicaments en Grèce. En 2009, les dépenses médicamenteuses étaient les plus élevées des pays de l’OCDE (2,4 % du PIB contre 1,6 % en moyenne). Ce phénomène s’explique notamment par les pratiques des médecins du réseau primaire des assurances sociales : ils avaient été nombreux à chercher une compensation à leurs faibles salaires [12] en ouvrant les après-midis des cabinets privés. Du coup, les consultations publiques du matin devenaient un vivier de recrutement de patients pour leurs consultations privées : schématiquement, le patient était rapidement reçu le matin avant de repartir avec un rendez-vous pour une consultation privée, ou à défaut avec une grosse ordonnance de médicaments.
La réduction des dépenses pharmaceutiques fut programmée dès le premier Mémorandum. La Troïka voulut une baisse de près de moitié des dépenses en deux ans (de € 4,37 Mds en 2010 à € 2,88 Mds en 2012 — cet objectif fut atteint) puis à € 2 Mds en 2014 (Kentikelenis et al., 2014) en agissant sur les prix, les prescriptions et le monitoring (Carone et al., 2012 : 50-2). Parmi les autres mesures figurent une liste régulièrement modifiée de médicaments remboursables conçue pour servir l’objectif prioritaire, en Grèce comme ailleurs, du recours aux génériques ; un système de rabais sur tous les médicaments vendus aux caisses de sécurité sociale ; et un droit de recouvrement par l’Etat lorsque les dépenses du budget pharmaceutique public excèdent un plafond périodiquement révisé.
Le prix des médicaments est maintenant basé sur la moyenne des trois plus bas prix de l’Union européenne. Des économies substantielles ont ainsi été réalisées sans toutefois assurer un meilleur accès du public aux médicaments. Les raisons en sont complexes. Les hôpitaux délabrés ne sont pas en mesure de commander des médicaments nécessités par les patients et laissent ces derniers essayer de résoudre le problème. Les pharmacies sont en difficulté : d’un côté, elles ont accumulé des dettes du fait des délais de remboursement des organismes de sécurité sociale (actuellement, quatre à cinq mois de retard en moyenne, mais cela peut atteindre dix ou onze mois) qui leur doivent un total évalué en 2015-2016 à 0,5 Mds € (Karamanoli, 2015 ; Mantas, entretien 2016). De l’autre côté, les fournisseurs accordent un délai de un à trois mois, mais exigent le plus souvent un règlement immédiat. Les pharmacies sont alors forcées ou bien de payer leurs commandes d’avance en attendant le remboursement des assureurs sociaux, ou bien de s’organiser informellement avec d’autres pharmacies, parmi lesquelles les pharmacies solidaires aujourd’hui très bien organisées [13], pour trouver ou échanger les médicaments ; ou bien d’exiger des patients d’avancer les fonds ; ou enfin de les envoyer tenter leur chance ailleurs. Ces solutions sont fragiles : un très grand nombre de pharmacies a fermé. Beaucoup d’autres, qui ont pignon sur rue et semblent avoir survécu, ont été rachetées par des firmes multinationales de grossistes privés. Ces derniers ont réagi aux bas prix et aux longs délais grecs d’apurement des créances en se tournant vers d’autres marchés plus lucratifs. Pendant un temps, les fabricants ont fixé des quotas censés couvrir les besoins du marché grec, et par conséquent ne livraient pas nécessairement les commandes en totalité. Pour se justifier, ils disaient ne pas avoir suffisamment de stocks, et parmi eux quelques-uns avaient arrêté de vendre des médicaments coûteux à la Grèce. Un problème particulier se pose au sujet des nouveaux médicaments entrant sur le marché grec (83 ces trois dernières années) parce que la Grèce figure au plan international parmi les pays de référence pour l’établissement et la négociation de leur prix [14]. Ainsi, la firme Novartis s’est alliée avec des agents publics et des docteurs grecs pour vendre en Grèce certains nouveaux produits à des prix exorbitants qui lui ont assuré des profits élevés dans des pays plus peuplés (comme par exemple la Turquie, et plus encore le Brésil). Le scandale Novartis [15] fait actuellement l’objet d’une enquête pour établir les faits et déterminer les responsabilités. En attendant, des initiatives internationales sont prises pour tenter de modérer les appétits des fabricants du fait de la crise générale des finances publiques. En Grèce, la pression (et le mécontentement des fabricants) est encore plus forte parce que, en sus de son droit de recouvrement, l’État demande aux fabricants une réduction de 25 % pour chaque nouveau médicament dont le prix est fixé en Grèce.
Ajoutons finalement que l’industrie pharmaceutique grecque est structurellement vulnérable aux firmes multinationales et aux politiques gouvernementales. Elle produit des génériques de haute qualité et constitue un vivier de main-d’œuvre actuel et potentiel, mais elle n’est pas en mesure de se défendre contre des menaces telles que le dumping sur les prix des firmes pharmaceutiques mondiales. Elle a aussi été affaiblie par le droit de recouvrement de l’Etat dont le montant pour 2014 a été estimé à 30 % du budget national pharmaceutique (Anastasaki et al., 2015). Des opportunités de croissance endogène se perdent ainsi, tandis que la société est dépossédée d’un fournisseur de qualité.
Pour aggraver la situation des gens, les nouvelles politiques ont transféré une partie des coûts aux patients qui doivent assumer une part croissante de la dépense totale non remboursée au risque de se priver de soins. Le panier de soin a été modifié pour introduire des frais modérateurs et exclure certains produits et services, en particulier les tests cliniques et pharmacologiques, de la couverture publique (les assureurs privés ont aussi restreint leur couverture). En moyenne, le ticket modérateur acquitté par les assurés est passé de 9 % du prix du médicament en 2011 à 25 % en 2013 et 35 à 40 % en 2015. Dans les cas extrêmes, le ticket modérateur peut atteindre 75 % du prix du médicament. En raison des effets combinés des pénuries, des stratégies des firmes, et de la règle stricte de l’alignement du médicament sur les trois plus bas prix de l’UE, les médicaments prescrits sont régulièrement introuvables sur le marché. Tantôt, comme aujourd’hui (2017), les vaccins, surtout les vaccins pour enfants, et tantôt l’insuline, les anticoagulants, les produits antidiabétiques et anticancéreux, les immunosuppresseurs et d’autres produits essentiels ne sont plus en circulation ou ne s’obtiennent que très difficilement. Le dysfonctionnement du système est particulièrement mortel pour les personnes atteintes de maladies chroniques.
II. 3 Les hôpitaux en sursis permanent
Des mesures drastiques ont été introduites pour restructurer les hôpitaux publics et le reste de l’ESY. Au cours des dernières années, on a assisté à la fermeture de grands hôpitaux à Athènes, Thessalonique et ailleurs, la suppression et/ou la fusion d’un grand nombre de cliniques ou d’unités spécialisées, le regroupement de centaines de laboratoires, et l’élimination d’au moins 2000 lits. Des mécanismes de surveillance managériale ont été mis en place : les budgets des hôpitaux sont maintenant gérés par une firme privée (Karakioulafi, 2014 : 90) et des techniques variées permettent d’inspecter l’activité hospitalière et celle des médecins, dont un système de collection mensuelle des données pour contrôler l’activité et les dépenses hospitalières à travers des procédures électroniques obligatoires. Comme ailleurs en Europe, deux instruments clés ont été actionnés par les gouverneurs pour ralentir la croissance des dépenses hospitalières : la tarification à l’acte et la compression du personnel.
La tarification à l’activité ou diagnosis related groups (DRGs) est un outil budgétaire importé des États-Unis au début des années 1980 qui s’est substitué au prix de journée habituellement pratiqué en Europe. Elle s’est imposée partout, bien que la recherche scientifique et les évaluations indépendantes mettent depuis longtemps en lumière sa nuisibilité tant pour les finances publiques que pour les patients. Elle consiste à lier directement les recettes des hôpitaux à leur volume d’activité, c’est-à-dire au nombre d’actes et de consultations enregistrées. Le critère est purement comptable et ne permet pas de distinguer entre une activité technique, facilement quantifiable, mesurable, et une autre plus complexe exigeant plus de temps et l’appel à des compétences pluridisciplinaires. En France, par exemple, où un financement analogue a été introduit, toute consultation, pour être rentable, ne devrait pas dépasser douze minutes. Dans le contexte de l’injonction politique d’un retour à « l’équilibre financier », il n’est donc plus vraiment question de soins mais d’augmentation du nombre d’actes rentables (Grimaldi, 2009). En Grèce aussi, cette politique organise le renoncement à la qualité de bien public inhérente aux services de soin pour les transformer en entreprises capitalistes (Ioakeimoglou, 2010).
Cette transformation est cependant coûteuse. Comme le note le neurologue Makis Mantas (entretien, 2014), coordinateur jusqu’en juillet 2015 du programme de soins primaires de Syriza, le système de paiement à l’acte :
« … a accru les déficits publics [grecs] et multiplié les coûts hospitaliers par sept. Il favorise les hôpitaux privés. Prenez le cas du strabisme. Il s’agit d’un acte très simple. Dans le passé, l’opération coûtait entre € 70 et € 90 en Grèce. Aucun hôpital privé ne s’y intéressait. Aujourd’hui, la même opération coûte dix fois plus cher. Soudainement, les hôpitaux publics qui prenaient en charge toutes ces opérations, le font de moins en moins ; ils cèdent la place aux hôpitaux privés. »
Les hôpitaux privés y trouvent leur compte et en tirent des profits élevés parce qu’ils peuvent facilement se spécialiser dans les traitements relativement simples et peu risqués de maladies courantes et prévisibles. Ce qui pénalise les hôpitaux publics et universitaires auxquels incombent les traitements plus complexes, coûteux et risqués, alors que leurs ressources et celles de la recherche médicale sont diminuées.
Autre instrument majeur visant la baisse des coûts, les coupes salariales et la liquidation des droits des travailleurs dans tout le secteur public ont été, dès le premier Mémorandum, l’une des principales priorités de la Troïka. En 2011, il apparaissait déjà que la chute des dépenses publiques hospitalières avait été obtenue spécialement au moyen d’une diminution de 75 % des coûts salariaux (plutôt que d’un accroissement de l’efficience) (Kondilis et al., 2013). Les salaires des professionnels de santé publique, qui étaient les plus faibles d’Europe occidentale avant la crise financière, ont été réduits d’au moins 40 % depuis 2010. Charis Matsouka (entretien, 2014 [16]) affirmait qu’elle gagnait € 2000 par mois, frais professionnels inclus, alors qu’elle avait atteint le sommet de la carrière hospitalière. Aujourd’hui, le salaire moyen d’un nouveau médecin référent ou d’un professeur de médecine débutant s’élève environ à € 1 100 (Ifanti et al. 2015 ; entretiens, 2016, 2017).
La compression du personnel dans le secteur de la santé publique a été dramatique, avec une perte de 30 % des effectifs consécutive au gel des embauches, au non remplacement de fait des travailleurs partant à la retraite et au non renouvellement des contrats temporaires. En 2011, l’Association médicale d’Athènes estimait qu’en cette seule année, 26 000 agents du secteur de la santé publique, dont près de 9 100 médecins, allaient perdre leur travail (Triantafyllou et Angeletopoulou, 2011). La réduction du nombre de médecins a été beaucoup plus importante que celle prévue par la Troïka (Corriea et al. 2015) à cause de la détérioration rapide de l’environnement et des conditions de travail. Nombre de docteurs et d’infirmiers ont pris des retraites anticipées. À cela s’ajoute un exode massif depuis 2010 de jeunes grecs hautement qualifiés, parmi lesquels des médecins spécialisés et autres personnels médicaux à la recherche de conditions de travail meilleures hors de Grèce. On estime à plus de 7 500 le nombre de médecins grecs ayant émigré jusqu’en 2014, notamment vers l’Allemagne où ils sont employés dans des positions en deçà de leurs qualifications et à des taux de rémunération (€ 3 000) inférieurs à ceux de leurs collègues [17].
Les sous-effectifs, un afflux considérable de patients et les pénuries ont poussé les hôpitaux publics au point de rupture. Les conditions de travail y sont précaires et dangereuses. Des hôpitaux sont à court des fournitures les plus élémentaires : draps, ciseaux, antalgiques, tensiomètres, équipement stérilisé, médicaments vitaux, dépistage du cancer et équipement approprié pour les interventions chirurgicales… Le nombre d’heures travaillées a considérablement augmenté. Le temps de travail des médecins incluant les périodes de garde peut atteindre 32 heures ininterrompues, et lorsqu’ils sont en service d’astreinte ils peuvent travailler jusqu’à 93 heures par semaine. Alertée, la Commission européenne a porté le problème devant la Cour de Justice qui a jugé ces pratiques illégales [18]. Jusqu’ici, cela n’a pas été suivi d’effet : alors que taux de chômage est élevé parmi les médecins et le personnel soignant, les recrutements de médecins statutaires n’ont pas augmenté, des milliers d’embauches sont toujours en attente et les internes quittent l’ESY. À la mi 2017, une loi destinée à réduire le temps de travail légal des médecins grecs pour le rendre conforme aux normes européennes (48 heures) était en préparation. Mais comme il n’est toujours pas possible de recruter du personnel statutaire, le projet de loi prévoit une option en vertu de laquelle les médecins qui le souhaitent auront la possibilité de travailler 60 heures hebdomadaires à condition de signer un document attestant qu’ils font eux-mêmes le choix de travailler plus (auparavant, ils y étaient obligés). Parallèlement, la pratique consistant à recruter du personnel non statutaire auto-employé sur des contrats à court terme se généralise. Des unités de soins intensifs, des laboratoires et même des départements hospitaliers entiers ferment ou menacent constamment de fermer. Les divers services luttent constamment pour obtenir les financements indispensables à leur survie. Comme le dit une femme médecin dans un entretien :
« Nous devons sans arrêt nous battre pour obtenir des fonds additionnels du gouvernement. (…) Ça se passe tous les trois mois. Donc nous avons constamment un horizon de trois mois devant nous. C’est épuisant. Et déprimant… »
Certains centres publics de traitement du cancer n’arrivent même pas à nourrir leurs patients. Le manque de ressources les amène parfois à fermer abruptement leurs services à divers moments de la journée et à annuler des consultations sans les reporter à une autre date. En janvier 2016, l’Hôpital universitaire général Laiko à Athènes a renvoyé des dizaines de patients atteints du cancer parce qu’il ne pouvait pas pratiquer les chimiothérapies vitales prévues pour eux (MCCH Archive 2015). Dans certaines circonstances extrêmes, des nouveau-nés ont été retirés à leur mère jusqu’à ce qu’elle puisse payer la facture hospitalière ; le cardiologue Georgos Vichas qui dirige la Clinique Métropolitaine solidaire d’Hellinikon, a rapporté des situations où des patients atteints du cancer avaient été expulsés de l’établissement de soins où ils devaient subir une opération chirurgicale parce qu’ils ne pouvaient pas payer 1 800 €. Conséquence de la forte proportion de personnes non assurées, ces dernières situations sont cependant restées exceptionnelles grâce à l’ingénuité des médecins grecs qui trouvent des moyens créatifs de contourner les régulations.
II. 4 Vers un système fruste de soins primaires
Inégalitaire et fragmenté avant 2010, le réseau des services de soins primaires a connu, depuis, une série de réorganisations. En 2011-2012, les quatre principales caisses d’assurances sociales (IKA, OGA, OAEE et OPAD) furent transférées avec leurs effectifs et leur infrastructure à une nouvelle et unique Organisation nationale pour la prestation de services de santé (EOPYY). L’intégration des structures de soins primaires avait été espérée depuis au moins la création de l’ESY en 1983 car elle portait une promesse d’universalité et d’égalité d’accès à la santé. La promesse ne fut pas honorée dans le contexte des memoranda. Légalement obligées de déposer 77% de leurs avoirs disponibles à la Banque de Grèce, les caisses d’assurance maladie absorbées par l’EOPYY perdirent 53,5% de leurs avoirs au moment de la restructuration (« la décote ») d’une partie de la dette grecque en mars 2012. Elles ne reçurent aucune compensation pour leurs pertes (environ 10 Mds € en trois mois), contrairement aux banques. Par ailleurs, la diminution des prestations couvertes par les caisses, l’augmentation des frais modérateurs, la compression des personnels soignants et les baisses de salaires détériorèrent, comme dans le secteur hospitalier, la qualité des prestations et l’accès aux soins primaires publics (Kaitelidou and Kouli, 2012 ; Kondilis et al., 2013).
En 2014, dans la ligne des principes promus par la Banque mondiale, le ministre de la Santé, Adonis Georgiadis, dissocia les fonctions d’acheteur et de prestataire de soins. La fonction d’acheteur resta de la compétence de l’EOPYY, tandis que les prestations de santé furent confiées à un nouveau Réseau national de soins de santé primaire (PEDY). Le ministre manœuvra habilement pour provoquer à l’occasion de cette réorganisation le départ « volontaire » de la moitié des médecins du réseau. En février 2014, il ferma du jour au lendemain toutes les unités de soins de l’EOPYY et renvoya chez eux quelque 6 500 à 8 000 médecins. Il annonça que ceux-ci pourraient être embauchés à l’ouverture du nouveau réseau (PEDY), à condition d’accepter des contrats de travail à plein temps et de fermer leurs cabinets privés. L’idée de créer un statut d’emploi exclusivement public dans le secteur des soins primaires était populaire et en général bienvenue, mais cela impliquait que les docteurs dorénavant se contentent du même (bas) salaire (1 100 €), renoncent à des sources supplémentaires de revenus (en fermant leurs cabinets) et oublient les perspectives d’avancement de carrière [19]. Ils furent nombreux à « s’autolicencier », pour citer la formule d’un de mes interlocuteurs, c’est-à-dire à « choisir » de perdre leur emploi. Aujourd’hui, le réseau PEDY compte quelque 2 700 médecins.
En dehors de réussir un « coup » bien noté par la Troïka avec la suppression d’un nombre conséquent d’employés du secteur public, l’initiative de M. Georgiadis s’est révélée problématique. D’abord, les structures de soins primaires (c’est-à-dire principalement celles de l’ancienne IKA) ont pratiquement cessé de fonctionner en raison de l’importance des sous-effectifs. Autrefois pleins de monde, elles sont pratiquement vides. Il faut se représenter ce que cela signifie : j’ai vu un médecin généraliste s’occuper de vingt-quatre personnes en une heure un quart, ce qui revient à une durée moyenne de trois minutes par consultation. Ce n’est pas exceptionnel. Le travail du médecin est aussi pénible que l’est la situation pour le malade. Les patients pour la plupart savent ce qu’ils ont et viennent seulement renouveler leurs ordonnances. Mais il y a toujours au moins une minorité qui ne sait pas ce qui lui arrive et qui ne trouvera ni l’attention ni l’écoute dont elle a besoin. Les médecins, eux, n’ont pas le temps de faire grand chose de plus que de contrôler les carnets de santé ou les anciennes ordonnances, et en établir de nouvelles. De plus, ils sont étroitement surveillés par la plateforme électronique : ils ne peuvent pas prescrire de médicaments ou des examens au-delà de ce qu’autorise leur budget [20]. S’ils s’y hasardent, le système commence par lancer un avertissement orwellien apparaissant en lettres rouges sur l’ordinateur avant de se bloquer, et le médecin, alors passible d’une amende, ne peut plus rien prescrire. Dans les services de santé primaire (comme à l’hôpital), des auxiliaires précaires sont embauchés pour des périodes courtes pouvant se limiter à huit mois (ce qui évite de les garder l’été) ou s’étendre à un an ou un an et demi : ceux-là ne veulent pas risquer leur emploi ou avoir une amende. Les autres [21] sont également piégés par le système, de sorte que la plupart des médecins ne soignent pas les gens. Si nécessaire, ils les envoient à l’hôpital où il est encore possible de prescrire librement des médicaments ou des examens. Mais c’est un cercle vicieux, car les médecins hospitaliers estiment à juste titre qu’ils n’ont pas le temps de recevoir les gens pour simplement leur délivrer des ordonnances, et que ce n’est pas leur rôle.
Même quand ils n’étaient pas dirigés à l’hôpital par leur médecin traitant, et parce que les soins primaires ne fonctionnent pas, les patients se sont massivement tournés vers les urgences hospitalières. C’est le deuxième grand écueil de la réorganisation conduite par M. Georgiadis. Pour décongestionner les urgences et pallier les conséquences des sous-effectifs dans les soins primaires, le ministre de la Santé a cru trouver une solution en incitant les médecins du secteur privé à passer des conventions avec l’EOPYY : ils s’engagent à examiner 200 patients par mois contre une rémunération de 2000 euros mensuels. Cette mesure extrêmement coûteuse pour le système de santé publique s’est aussi avérée très inefficace car la plupart des médecins « se débarrassent » des 200 patients en une semaine, sinon plus vite, et pendant le restant du mois les malades n’ont d’autre choix que de payer le prix d’une consultation privée, d’aller à l’hôpital ou de tenter leur chance dans un centre de soins primaires, s’il existe ou s’il s’y trouve quelqu’un pour les accueillir.
Telle était encore la situation au printemps 2017 quand l’actuel ministre de la Santé, Andreas Xanthos, lançait un nouveau projet de loi quadriennal dit « Soins primaires de santé » (Terzis, 2017). Son objectif prioritaire consiste toujours à désengorger les urgences hospitalières, mais le gouvernement entend aussi remettre à plat tout le système (voir encadré).
L’initiative est bienvenue : elle simplifie l’organisation des soins primaires, vise leur intégration à un système national de santé unique et pourrait corriger certains dysfonctionnements. Mais les fortes contraintes budgétaires indiquent que la perspective reste celle d’un rationnement des soins de santé publique. Les besoins du pays tout entier ne sauraient être couverts avec le recrutement de seulement 1300 nouveaux médecins, même si les profils privilégiés (généralistes, internistes, pédiatres) correspondent à un manque avéré, tant le déséquilibre est grand entre, d’un côté, les spécialistes en surnombre et, de l’autre, les omnipraticiens souvent inexistants dans les services de soins primaires. Avec seulement trois praticiens, le rôle des unités locales de santé risque de se ramener à celui de pourvoyeur d’ordonnances et de garde-barrière empêchant le tout-venant de se rendre spontanément aux urgences hospitalières. On ne sait pas encore ce devrait impliquer la restructuration de ces dernières, actuellement à l’étude. Elles pourraient devenir des unités autonomes dotées d’un personnel propre, distinct des équipes soignantes des hôpitaux. Dans l’ensemble, la précarisation des personnels soignants ira en augmentant. Même si l’EOPYY révise ses conventions avec les médecins privés, il manquera au système national de santé, et singulièrement au secteur des soins primaires, la masse critique indispensable à des prestations publiques de qualité. La dépendance à l’égard du secteur privé n’en sera que renforcée. On s’achemine très probablement vers un système à deux vitesses comprenant des services publics rudimentaires, « minimalistes » au sens évoqué dans l’introduction, sinon gratuits du moins à faible coût, et des prestations privées ou mixtes accessibles seulement aux plus aisés.
De fait, la logique d’une participation maximale du secteur privé chère à l’analyse coût-efficacité s’incruste progressivement dans le secteur des soins primaires. Les dépenses non remboursables se multiplient. Les copaiements pour les consultations ambulatoires sont passées de 3 à 5 € en 2011 (le gouvernement Syriza a supprimé cette taxe qui a été réintroduite puis supprimée). Les prescriptions médicales sont limitées à trois médicaments. S’il en faut davantage, le médecin doit établir une ou plusieurs nouvelles ordonnances, chacune coûtant 1 € au patient. Il y a aussi d’autres coûts moins visibles, comme le prix d’un appel téléphonique pour programmer un rendez-vous chez le docteur. Il sera bientôt possible le faire par voie électronique, solution difficilement praticable pour les personnes âgées ou démunies. L’assurance privée croît lentement dans le marché des soins primaires avec des formules bon marché. Par exemple, on a vu des journaux comme Proto Thema ou Anexartisia offrir aux lecteurs dans leurs éditions du week-end des coupons à collectionner pour obtenir une carte de santé « gratuite » donnant un accès annuellement limité et à faible coût à des médecins et des centres privés de diagnostic. Les banques aussi offrent à leurs clients différents types de polices d’assurance maladie (selon un éventail de prix variant de € 85 à € 800 annuels.
Les montants de ces taxes acquittées par le patient peuvent paraître négligeables. Mais l’objectif, ici, pourrait bien être pédagogique. Comme a pu le dire un médecin grec au cours d’un entretien : « Le projet consiste à habituer les gens à payer jusqu’à ce que le système [de santé publique] soit finalement supprimé. Dans sa contribution aux travaux du réseau Globalization and Health Knowledge Network, » John Lister note :
« Il ne fait pas de doute qu’en promouvant des frais modérateurs, la Banque mondiale et d’autres agences entendaient notamment nourrir l’apparition de polices d’assurance, même dans les pays les plus pauvres […]. [Par exemple], à l’occasion d’un atelier majeur financé par l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID), qui s’est tenu au Zimbabwe, l’une des conclusions principales relatives aux “enseignements” tirés de la réflexion sur le financement des soins de santé était que “les frais modérateurs sont vitaux pour l’introduction de n’importe quel type de système assurantiel“ » (McEuen et McGaugh, cité par Lister, 2008 : 34).
Tout aussi importantes ont été d’autres mesures prises en Grèce pour aller dans la même direction. La dérégulation des services privés de santé a commencé très tôt au début du premier programme d’ajustement structurel. Par exemple, Kondilis et al. (2013) mentionnent la suppression de toutes les limites à l’établissement de laboratoires, de centres médicaux et d’unités de dialyse par des entrepreneurs privés, et la levée des restrictions relatives à l’expansion des hôpitaux privés. Les auteurs relèvent également l’introduction en 2011 de contrats entre les établissements publics et les compagnies d’assurance privées pour transférer à celles-ci des services hospitaliers publics. Des centaines de lits hospitaliers de luxe leur ont été transférés. Avant même la loi « Soins primaires de Santé » d’Andreas Xanthos, deux grandes cliniques privées aux spécialités multiples fonctionnant en lien avec d’importants prestataires d’assurance privées avaient été créées en remplacement des structures du réseau PEDY à Athènes et à Thessalonique.
III. Survivre sous conditions
L’importance des déterminants sociaux de la santé pour le bien-être physique, mental et social des communautés humaines a été soulignée plus haut. Avec l’aide et une certaine complicité du gouvernement grec (Burgi, 2014c), la Troïka a prétendu pallier les effets de la « crise » (les effets de la quasi-liquidation, effective ou en instance, de la protection sociale) en agissant sur ces déterminants dans l’intention de renforcer la « résilience » de la population. Les mesures phare initiées à cette fin — indemnisation et accès des chômeurs aux soins médicaux, instauration d’un revenu minimum garanti (RMG) — tracent, dans leur version grecque, les contours matériels et idéels du « nouveau modèle social européen » minimaliste appelé à se substituer à l’État social décrété « révolu » par le gouverneur de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, en 2012. Ce modèle est évoqué dans le Mémorandum d’août 2015 qui consacre une petite section à un « authentique filet de sécurité sociale » et à « une société plus équitable ». Embrassant la notion promue par la Banque mondiale d’un « ensemble de prestations de base » (essential package) pour les plus démunis, il assure tout juste la survie aux plus dépossédés d’entre les pauvres.
III. 1. La reconfiguration de l’assurance-maladie et des indemnités de chômage
Avant juillet 2011, la durée maximale d’indemnisation du chômage, qui conditionnait l’accès aux prestations de santé, n’excédait pas un an, mais les patients en fin de droit et privés de ressources financières pouvaient encore être traités dans les hôpitaux. Après juillet 2011, de nouvelles dispositions exigèrent que les non assurés paient intégralement leurs soins et en mars 2012, les montants de l’indemnisation du chômage furent réduits (de € 561 à € 360) [22] . Entre temps, les taux de chômage et le nombre de personnes non assurées grimpèrent en flèche et restèrent énormes jusqu’à aujourd’hui. Médecins de Monde estime qu’il y a environ 3 millions de non assurés, si l’on inclut les autoemployés qui ne sont pas comptabilisés dans les chiffres officiels du chômage ; Makis Mantas estime la proportion de non assurés toutes catégories confondues à 35% de la population en 2016, parmi lesquels 60 % d’autoemployés ; les rapports officiels de l’UE ou de l’OCDE avancent généralement le chiffre de 2,5 millions de non assurés (sur une population totale de 11 millions d’habitants).
L’assurance maladie
Sous la pression sociale, le ministre de la Santé, Adonis Georgiadis, introduisit par décret ministériel en 2013 puis en 2014 un système de coupons censé permettre aux non assurés d’accéder aux soins primaires (2013) puis également aux soins hospitaliers (2014). Ces coupons, administrativement ingérables et pratiquement inaccessibles au plus grand nombre, se révélèrent une mesure palliative [23]. Les patients se retrouvèrent dans des situations où ils devaient payer formellement ou informellement — en signant une reconnaissance de dette envers l’établissement public de soins — une partie sinon la totalité de leur traitement hospitalier, diagnostic et médicamenteux.
Finalement, c’est au gouvernement Syriza qu’est revenue la responsabilité de mettre en place un plan dit d’accès « égal et universel à la santé ». Amélioration significative, la loi 4368/16 complétée par un arrêté interministériel du 2 mars 2016 offre à tous les citoyens légalement installés en Grèce la possibilité d’être pleinement couverts sur simple présentation de leur numéro de sécurité sociale. Les réfugiés récemment entrés et enregistrés en Grèce le sont au même titre que les autres citoyens dépourvus d’assurance sociale. Par contre, les immigrés sans papiers plus anciens, Pakistanais, Indiens ou autres, ne sont pas couverts.
Sauf pour les très pauvres, la gratuité des soins n’inclut pas les médicaments dont le coût est en moyenne supporté pour moitié par les patients. La dispense des frais modérateurs est subordonnée à des conditions telles que seul un petit nombre, estimé [24] à quelque 170 000 personnes, est concerné (sur au moins 2,5 millions de bénéficiaires potentiels, comme on vient de le voir). La gratuité des médicaments est soumise aux critères suivants : (a) les revenus ne doivent pas excéder 2400 € annuels pour une personne seule (le double pour un couple avec deux enfants et € 600 de plus par personne dépendante) ; (b) si une personne n’a pas de revenus mais possède un bien immobilier d’une valeur de 150 000 € et plus, ou si une personne a un compte en banque comprenant des avoirs équivalents à trois fois le critère annuel des 200 € mensuels (donc un solde créditeur de 7 200 €), elle doit participer aux frais modérateurs ; (c) les handicapés dont le taux de handicap est évalué à moins de 67 % ne sont pas couverts à 100 % (avec une légère différence en leur faveur s’il y a des enfants) ; (d) l’accès à la consultation de spécialistes est restreint : la prestation de services publics de santé gratuits est rigoureusement limitée aux ressources publiques existantes et ne s’étend pas à des services que les hôpitaux ou les centres de santé contractent auprès de prestataires privés. Dans tous les cas où les patients habitent une contrée dépourvue du service ou du spécialiste recherchés, ils se voient obligés ou bien de voyager s’ils le peuvent pour se rendre dans une grande ville, ou bien de se passer de soins spécialisés.
III. 2. L’Allocation de solidarité sociale, un revenu minimum garanti (RMG)
Censé refléter l’ambition de « justice sociale » dont se pique le troisième Mémorandum, le RMG incarne bien l’idéal d’une protection sociale réduite à un plancher de prestations minimalistes. Sur le plan idéel, la rhétorique de la Commission européenne le décrit comme un « exemple typique d’investissement social » (Ziomas et al. 2015a). L’investissement social, dans ce vocabulaire, est l’antithèse des droits (durement conquis) à des revenus de transfert inconditionnels qui sont, eux, désobligeamment appelés consommation sociale. La finalité de cet « investissement social » ciblé exclusivement sur la pauvreté extrême (ibid.), n’est pas de combattre l’indigence, mais de réduire l’indicateur mesurant « l’écart de pauvreté » (Ziomas et al., 2015b) c’est-à-dire l’écart relatif entre le niveau de vie médian de la population pauvre et le seuil de pauvreté.
Le RMG est entré en application en 2017 (arrêté ministériel du 24 janvier 2017 relatif à la loi n°4320/15) sous l’appellation « Allocation de solidarité sociale » (KEA selon l’acronyme grec). Il avait préalablement été l’objet d’une expérimentation pilote dans treize gouvernements locaux (un par région) (novembre 2014 à avril 2015). Le dispositif comprend une allocation dégressive inférieure au seuil de pauvreté extrême [25] n’excédant pas 200 € mensuels pour une personne seule, et par exemple 400 € pour une famille de quatre personnes ou 500 € pour un coupe et quatre enfants mineurs. Il comprend également une aide sociale en nature et une aide à la recherche d’emploi. Les conditions d’attribution du RMG sont analogues à celles mentionnées précédemment au sujet du programme d’accès universel à la santé. Le revenu déclaré du ménage au cours des six mois précédant la demande ne doit pas excéder six fois le montant de l’allocation [26] ou un plafond fixé à 5 400 € quel que soit le nombre de personnes composant le ménage. À cela s’ajoutent des critères portant sur la propriété, qui varient aussi en fonction de la composition du ménage. Ils incluent la valeur taxable des biens immobiliers en Grèce ou à l’étranger [27], le coût objectif de tous types de véhicules privés [28] et le montant total des dépôts en banque ou dans toute autre institution de crédit [29]. La mise en œuvre du dispositif est confiée aux municipalités.
Les volets aide sociale et aide à la recherche d’emploi n’avaient pas été inclus dans l’expérimentation pilote, le dernier cité parce que la Grèce est plongée dans une dépression économique durable et que les structures de ce type sont quasiment inexistantes, en tout cas inopérantes, et l’autre (aides sociales), semble-t-il, parce que les procédures relatives à l’articulation entre les trois piliers n’étaient pas au point. Quoi qu’il en soit, les prestations d’aide sociale municipale ne sont pas de nature à sortir du dénuement les candidats retenus. Historiquement rudimentaires, elles sont encore plus dégarnies depuis les lois grecques de décentralisation et le premier Mémorandum (2010 dans les deux cas). Notre recherche en cours dans deux quartiers ouvriers du Pirée trouve que les prestations servies ne vont guère au-delà de la distribution alimentaire. Une somme d’argent forfaitaire peut être exceptionnellement accordée à des individus seuls ou à des ménages, auquel cas les montants demeurent proches du niveau établissant le seuil de pauvreté. La plupart des programmes d’aide sociale sont cofinancés par le Fonds Social Européen (FSE) qui, sauf exception, ne permet pas aux autorités locales de recruter pendant la phase de mise en œuvre des dispositifs des travailleurs pour les affecter à leurs services sociaux (aux sous-effectifs critiques : ainsi, dans le service social de la municipalité de Perama qui compte 25 000 habitants, il n’y a que quatre travailleurs sociaux et deux employés administratifs). On notera au passage que dans le cadre de la programmation 2014-2020 du FSE, les subventions allouées par ce Fonds tendent à être instrumentalisées par les institutions supranationales qui en font un moyen de pression sur les gouvernements pour respecter les strictes disciplines fiscales (Jouen, 2012). Ainsi, même articulée au volet financier du nouveau dispositif, l’aide sociale municipale n’est pas de nature à consolider les déterminants sociaux de la santé.
III. 3. Le cadre de la survie
De ce qui précède, il est permis de penser que l’Allocation de solidarité sociale, composante centrale d’un filet social soi-disant authentique, est appelé à devenir un dispositif intégré de coordination de politiques dites de protection sociale ciblées sur la misère, qui produisent, normalisent et contrôlent le statut de dépossédé ; un dispositif de gestion limité aux 15 % de la population classée extrêmement pauvre, jugée marginale, dangereuse sans doute. Du point de vue du fondamentalisme de marché, les conséquences sociales des politiques austéritaires se réduiraient à la « résilience » défectueuse d’une minorité.
Notion polysémique, la résilience sociale peut s’entendre comme la capacité des individus ou des groupes de résister à l’adversité en mobilisant et en inventant de nouvelles ressources et manières de faire et d’agir pour préserver leur bien-être matériel, physique et psychique, ainsi que la dignité conférée par la reconnaissance de soi et d’autrui comme membre à part entière d’une communauté de semblables. Bien sûr, les réponses individuelles et collectives à la déstabilisation des cadres sociaux diffèrent sensiblement d’une société à l’autre (Hall et Lamont, 2013). Pour ce qui concerne la santé publique en Grèce, la création, évoquée plus loin, d’un réseau de structures de soins solidaires dans tout le pays a été portée par l’espoir de préserver la substance de la société et défendre ses droits.
Ce n’est pas ainsi que les institutions dominantes conçoivent la notion de résilience. Elles donnent à ce vocable un sens normatif inférant une soumission fatale à l’ordre établi. Dans son acception politico-administrative, la résilience désigne étroitement la résistance avant tout psychologique des individus à l’infortune (euphémisme pour injustice [Shklar, 1990]) au sens de leur aptitude à réaliser un « ajustement positif » pour s’adapter et « rebondir » dans les contextes les plus difficiles — qui ne sont pas, eux, questionnés (p. ex. Burgi et Soumara, 2014). Cette grammaire de la résilience induit la conviction qu’il faut s’accommoder de la (grande) précarité, contrôler le « désordre », les comportements « antisociaux », les troubles à l’ordre public, et légitimer si nécessaire des mesures d’exception et/ou le recours à la force. Il appartiendrait à chacun et à tous de se prendre en charge. Seules les catégories sociales totalement démunies (à l’exclusion des réfugiés et autres immigrés totalement privés de droits) pourraient espérer, sous d’austères conditions, une aide matérielle parcimonieuse financée par la communauté.
La Troïka trouve dans ces préceptes un moyen parmi d’autres de passer sous silence sinon de nier les conséquences de ses politiques. Avant la crise financière, les gens allaient chez le médecin malgré les carences des soins primaires. Maintenant, ils doivent se résoudre à une mort à échéance plus ou moins précoce. Même les assurés sociaux, souvent incapables de couvrir les dépenses non remboursables, ont tendance à négliger les examens préventifs, à les reporter à plus tard (ou trop tard) ; ils réduisent leurs traitements, les prennent de façon discontinue, les remplacent par des substituts moins chers, les arrêtent même. Des maladies que l’on croyait éradiquées comme la malaria réapparaissent, le VIH s’est répandu. L’état de la santé mentale est désastreux. Dès le premier Mémorandum, les médecins hospitaliers constataient une augmentation des pathologies cardiaques et accidents vasculaires cérébraux liés à l’anxiété et au stress [30]. Le taux de dépressions majeures est passé entre 2009 et 2014 de 3,5 % à 12,5 % de la population et le taux de suicides s’est accru de 35 points de pourcentage entre 2010 et 2013 (Economou et al., 2013a ; 2013b ; 2016 ; Madianos et al. 2014). La consommation de « drogues de la crise » — substances synthétiques très bon marché comme la métamphétamine (1 à 5 €) fabriquées dans des laboratoires de fortune et même dans les cuisines des particuliers — pourrait détruire une génération entière d’adolescents, comme le sisa en Argentine (Matsa, 2014). La désintégration de la société et le désastre sanitaire nourrissent la violence interpersonnelle (homicides et violence domestique). Le psychiatre Spyros Sourlas (entretien, 2015) a observé un accroissement de 30 % des troubles psychosomatiques (maux de tête, de ventre) parmi les enfants, dont un tiers finit à l’hôpital. Gerasimos Kolaitis et Georges Giannakopoulos (2015), tous deux pratiquant dans d’importants services hospitaliers de psychiatrie infantile à Athènes, rapportent qu’ils rencontrent un « nombre toujours grandissant de familles confrontées à des adversités psychosociales compliquées » et d’enfants maltraités ou négligés admis dans le plus grand hôpital pédiatrique de Grèce au titre de la protection de l’enfance…
Les traités font obligation à la Commission européenne d’évaluer les effets sociaux et sanitaires de toutes les politiques publiques, y compris celles de la Troïka. Elle a traîné les pieds. Une étude d’impact social a fini être réalisée a posteriori en 2015, mais elle fut pour le moins « décevante à bien des égards », comme le note dans sa déclaration de fin de mission sur l’état social et humain de la Grèce Juan Pablo Bohoslavsky (2015), expert indépendant sur la dette extérieure et les droits humains auprès des Nations Unies. Elle « ne mentionne pas une seule fois la notion de “droits humains” » fondamentaux, poursuit l’expert, dont le rapport pointe au contraire une violation systématique de ces droits (Filoni, 2014). La « vertigineuse liste de normes, règles, lois grecques, européennes et internationales piétinées par les memoranda » (Cadtm, 2015) est aujourd’hui assez bien répertoriée (p. ex. Salomon, 2015 ; Ghailani, 2016) mais mal connue du grand public mieux informé sur l’interprétation dominante des abondantes données économiques et financières que sur les atteintes à la démocratie.
Pour leur part, les gouvernements grecs se sont montrés tout aussi cyniques et indifférentes au sort de la population. Ils ont par exemple reporté sur les femmes et les migrants la responsabilité de la crise sanitaire. En 2012 et 2013, ils orchestrèrent des campagnes de « nettoyage » contre les consommateurs de drogue et les migrants. Ils mirent le pays en garde contre la propagation du SIDA — qui « peut être transmis par une femme migrante illégale au consommateur grec, à la famille grecque » — et contre les « bombes à retardement sanitaires » menaçant les hommes grecs et les ménages. Un décret (39A) de 2012 permettant à la police de détenir n’importe qui en vue de procéder à des tests forcés de dépistage des maladies infectieuses et de rendre publiques les données personnelles des sujets atteints du VIH entraîna de multiples rafles et l’arrestation, des poursuites pénales, l’emprisonnement, la stigmatisation et l’humiliation de milliers de personnes (Vasilopoulou, 2014 : 225-7). Il fut définitivement abrogé en avril 2015 par le gouvernement Syriza, à qui fut cependant transférée par les puissances dominantes de l’UE la charge et la responsabilité de « traiter » au moins 60 000 réfugiés actuellement bloqués en Grèce où ils sont confrontés à la politique de détention automatique dans des camps inhumains et aux plus grandes difficultés d’accès (si tant est qu’ils accèdent) à des soins médicaux essentiels. Alors qu’il n’y a pas de relation de cause à effet entre la migration et l’importation de maladies contagieuses (p. ex. Langlois et al., 2016 ; Rechel et al., 2011 ; Grove and Zwi, 2006), ces traitements spéciaux pourraient bien rendre encore plus critique la crise sanitaire et finir par mettre en danger la société tout entière.
Conclusion
Loin de cette logique mortifère, une partie de la société a pris un chemin d’une tout autre nature pour défendre la santé publique et ses conditions de possibilité. Dans un élan de solidarité remarquable, des hommes et des femmes bénévoles, médecins, soignants ou simples citoyens ont œuvré pour créer et faire fonctionner à partir de 2009 une quarantaine de cliniques et pharmacies autogérées dans tout le pays. Toute personne nécessitant des soins médicaux sans y avoir accès pour une raison ou une autre y est accueillie indépendamment de sa nationalité, de son statut social ou de ses origines. Ces structures ont sauvé des milliers de vies, mais leurs maigres ressources, provenant exclusivement de dons de la population et de réseaux militants nationaux et internationaux (dont le collectif Solidarité France-Grèce pour la Santé), ne leur permettent de répondre, dans la limite de leurs possibilités, qu’à une part minime des besoins de la population. La lutte ainsi engagée au nom de la santé pour tous n’a pas eu pour objet de construire une alternative au système public de santé. Elle a été pensée, menée et vécue comme un acte de résistance positive contre un pouvoir despotique, un acte susceptible d’amener les habitants à se relever et défendre par leurs pratiques solidaires leurs droits et les principes démocratiques. Cet espoir s’essouffle depuis que le gouvernement Syriza et son premier ministre, choisissant de conserver le pouvoir après la capitulation d’Alexis Tsipras en juillet 2015, appliquent un troisième programme mérmorandaire plus violent et punitif encore que les deux précédents. L’apathie gagne du terrain. Les militants et bénévoles, épuisés, quittent les organisations de solidarité. Nul ne sait par quels moyens la société grecque cherchera dans le dénouement de cette tragédie à se défendre des atteintes portées à sa substance même.
Cet article a paru http://www.ires.fr/publications-de-...
Pour citer cet article :
Noëlle Burgi, « Le démantèlement méthodique et tragique des institutions grecques de santé publique » Econosphères, mars 2018, texte disponible à l’adresse :
[http://www.econospheres.be/Le-demantelement-methodique-et]
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