Depuis longtemps, le travailleur « autonome », dit aussi atypique ou freelance, est assimilé à un travailleur indépendant. À tort quand il s’agit de « faux indépendants », pour lesquels les syndicats se positionnent pour la reconnaissance et la requalification du statut de ces travailleurs en tant que salariés, mais bien souvent, ces travailleurs ont une mentalité de « travailleur indépendant », due à une volonté d’autonomie dans l’exercice de leurs métiers. Ce n’est pas pour autant qu’ils refusent les formes de représentation et d’organisation collectives, comme les syndicats.
Il est utile et nécessaire de s’intéresser au processus qui a amené à catégoriser les travailleurs autonomes comme des « micro-entrepreneurs », plutôt que comme des travailleurs qui pratiquent leur métier tout en offrant leur force de travail à un donneur d’ordre. Cette réalité se caractérise par le fait qu’ils ne sont pas dans le régime du travail salarié.
Dans la conception du travail salarié, issu du rapport de force historique entre patrons et syndicats, le travail présuppose un lien de subordination à un employeur qui confie des tâches et des missions à exécuter. En échange de cette activité, le travailleur ou la travailleuse perçoit un salaire et a droit à des protections sociales. Depuis le XIXe siècle jusqu’à nos jours, le droit du travail s’est érigé grâce aux conquêtes sociales. Cependant, un vide juridique s’est créé autour des formes de travail non subordonnées comme celle du travail indépendant, autonome. La question est donc de chercher des réponses syndicales pour défendre ces travailleurs et travailleuses.
Cette contribution tentera de mettre en lumière les enjeux syndicaux que soulèvent la recrudescence des « nouvelles formes de travail », qui ne se limitent pas à l’économie de plateforme, mais bien à l’univers des freelances [1] et plus largement au travail indépendant ou autonome. D’ailleurs, nous le verrons, les expériences syndicales ou associatives autour de cette question ne datent pas d’hier et ont déjà une certaine expérience, voire une réalité syndicale effective.
Tentatives de définition et de représentation du travailleur autonome ainsi que du périmètre de l’action syndicale pour les défendre et les représenter
Quelques chiffres sur le travail indépendant « à son propre compte » [2]
Une tendance européenne vers la hausse de ce type de forme de travail
En Europe, selon les chiffres 2018 d’Eurostat, les travailleurs indépendants représentent 14,2% du monde du travail, soit 30,5 millions de personnes.
Parmi ces chiffres :
21,8 millions de ces personnes sont des « travailleurs indépendants à leur propre compte », les autres étant des employeurs qui engagent des salariés ;
Ce qui représente 71,5% de la masse des travailleurs indépendants ;
Et 10,1% de l’ensemble des travailleurs et travailleuses de l’Union européenne.
La Belgique compte 9,5% de ces travailleuses et travailleurs, contre 15,4% en Italie (dont 25% rien que dans le commerce alimentaire), 12,2% aux Pays-Bas (qui encouragent le travail indépendant) et, seulement à 5,3% en Allemagne ou 4,6% au Danemark (le travail salarié y est davantage favorisé).
Parmi cette catégorie bien spécifique, on ne compte que 34,6% de travailleuses, avec un pourcentage plus important concernant certains métiers (comme celui de graphiste). Comparativement, la moyenne européenne pour le travail salarié est de 46,1% pour les travailleuses.
Chez les jeunes de 20 à 24 ans, on est à 4,2%, mais dans le secteur des livraisons de biens, le pourcentage monte à 10%. Précisons que les livreurs à vélo des plateformes en font probablement partie, mais sont eux de « faux indépendants », notamment en ce qui concerne la livraison de repas [3].
Qui sont ces travailleurs indépendants à leur propre compte (TIPC), parmi lesquels on retrouve des freelances ?
De manière générale, les TIPC sont représentés dans cinq catégories professionnelles :
Les spécialistes issus des professions libérales (architectes, médecins, avocats) ;
Les artisans (avec une forte surreprésentation de TIPC) ;
Les secteurs des services ;
Les secteurs de la vente ;
L’industrie, à hauteur de 60%, dans l’agriculture, la sylviculture et la pêche, le commerce de gros et de détail, la construction, les activités techniques et scientifiques.
Il y a une nette augmentation de 5,2% des TIPC [4] entre 2011 et 2016, sauf dans le secteur de l’agriculture, où le nombre de travailleurs indépendants est en baisse
Parmi tous ces chiffres, il faut aussi prendre en compte l’augmentation des « faux indépendants ». En 2017, une étude européenne [5] aurait estimé qu’ils représentent près de 8% de l’ensemble des travailleurs indépendants. Cela devrait être encore supérieur aujourd’hui.
La zone grise qui nous intéresse est la suivante : sur base d’une autre étude [6], focalisée sur les conditions de travail en 2015 de tous les travailleurs indépendants en Europe (y compris les employeurs), on y délimite quatre catégories plus pertinentes qui permettent de mieux visibiliser les freelances :
Les directeurs d’entreprises (les employeurs), représentent 22% du travail indépendant.
Les agriculteurs, sans salariés, ne rassemblent que 15%.
Les indépendants des professions libérales seulement 5%.
Tandis que les freelances et sous-traitants indépendants représentent près de 51% du travail indépendant en Europe, dont 33% sont qualifiés dans leur travail d’indépendants, bénéficiant d’une réelle autonomie, et 18% sont qualifiés de « dépendants », donc assimilables à des salariés.
Ainsi, sur base des chiffres de 2018, près d’un travailleur indépendant sur cinq en Europe travaille à son compte et est aussi économiquement dépendant.
Tentative de définition : le travailleur autonome est-il un travailleur indépendant ?
Généralement, on le considère comme une personne qui travaille « pour son compte », seule, et qui n’a pas de salaire fixe, puisqu’elle ne travaille pas dans une entreprise privée ou dans une administration publique. Historiquement, plusieurs catégories de travailleurs ont été admis comme indépendants : paysans et petits propriétaires fonciers, petits commerçants détenant des magasins, ou encore les artisans (dont la plupart des métiers ont été au fil de l’histoire absorbés par l’industrie), et enfin les professions libérales (avocat, médecin, notaire, journaliste, architecte etc.). Cette dernière catégorie a par ailleurs été considérée comme d’intérêt public, accomplissant ses missions en marge de celles de l’État, au contraire des artisans, estimés à disparaître peu à peu du schéma classique du travail industriel.
Ces catégories de travailleurs indépendants, autonomes, n’ont pas intégré le travail salarié. Ils ont plutôt été catalogués comme faisant partie de la petite bourgeoisie, voire directement de la bourgeoisie (en ce qui concerne les professions dites libérales). Cependant, le travail autonome n’a jamais été considéré comme une catégorie homogène, au contraire de la classe ouvrière et plus largement le travail salarié, où les organisations syndicales ont toujours cherché à défendre leurs intérêts d’une même voix. Néanmoins, paysans, artisans et commerçants ont accédé aux dispositifs de la Sécurité sociale, tandis que les professions libérales se sont davantage tournées vers les assurances privées.
Dès les années 1970, plusieurs professions ne sont pas reconnues par les systèmes de couvertures sociales ou les ordres professionnels. Il s’agit principalement d’activités de type intellectuel, technique ou créatif qui n’ont pas forcément de liens avec le commerce, l’agriculture ou le travail artisanal. D’ailleurs, ces activités utilisent surtout des techniques numériques. Ainsi, l’intégration manquée au système de Sécurité sociale de ces nouvelles formes de travail autonome – dit de « deuxième génération » d’après l’historien Sergio Bologna – a fini par déclencher la formation de nouveaux mouvements sociaux revendicatifs parmi les freelances et autres formes de travail indépendant qui n’étaient pas représentées pour défendre leurs droits.
Le démantèlement de l’État social frappe toutes les catégories de travailleurs et travailleuses
En Europe, suite à la Deuxième Guerre mondiale, une large construction des systèmes de sécurité sociale et de solidarité s’est opérée, avec une progression des systèmes de prévoyance et d’assistance sociales à différents niveaux. A partir des années 1980, ces dynamiques de solidarité ont subi un important mouvement régressif, d’abord en Grande-Bretagne sous l’ère Thatcher, pour se répandre ensuite ailleurs en Europe et dans le monde, avec une course idéologique effrénée à la privatisation des services et à la prolifération des règles de la concurrence « libre et non faussée ». Avec, en plus, une réduction progressive des dépenses sociales, promouvant ainsi le modèle du privé partout où cela peut s’avérer possible, y compris au niveau d’assurances aux personnes visant à remplacer à terme la Sécurité sociale.
Dans ce contexte qui dure maintenant depuis plus de 40 ans, les syndicats de travailleurs ont fait des choix pragmatiques pour défendre les protections des salariés, tout en en essayant de freiner le démantèlement de l’Etat social. Le travail indépendant s’est retrouvé ainsi relégué à la marge de leurs priorités, et a été délaissé au profit des organisations représentatives patronales qui prétendent les défendre.
En Belgique, un large débat serait nécessaire au niveau syndical pour re-considérer la défense de ces travailleurs autonomes, souvent considérés comme des travailleurs pleinement indépendants (on ne parle pas ici d’un indépendant gagnant plus de 6.000€ par mois), et pourtant plongés dans la précarité et non-représentés par des délégations syndicales.
Une définition qui reste complexe pour le périmètre de représentation syndicale
En effet, si l’on part du principe que les travailleurs autonomes, atypiques ou freelances sont des travailleurs comme les autres, et qu’ils souhaitent contribuer tout autant à la Sécurité sociale afin d’être protégés et défendus, comment leur permettre d’intégrer les rangs du syndicalisme qui défend le monde du travail (salarié) ?
Pour débuter, il faudrait déjà déconstruire l’archétype du travailleur autonome indépendant qui s’est développé au fil du temps, définissant sa figure juridique comme n’étant pas intégré au monde du travail salarié, mais plutôt au monde de l’entreprise et des auto-entrepreneurs. Encore aujourd’hui, on estime que ces travailleurs autonomes représenteraient en somme des microentreprises, car n’étant pas considérés comme des travailleurs salariés.
Pourtant, un jugement du 4 décembre 2014 de la Cour de Justice Européenne déclare que les travailleurs autonomes sont des entreprises si l’on peut démontrer qu’ils « ne sont pas économiquement dépendants ». Faire cette distinction n’est pas du tout claire, et malheureusement les écoles de management, les médias et l’idéologie individualiste se sont donc chargés de vanter le cliché du freelance et du travailleur indépendant, solitaire, et qui ne peut compter que sur lui-même et ses propres facultés personnelles.
Les premières associations de freelances ont justement commencé par déconstruire ce cliché. Exercice qu’il pourrait être intéressant de reproduire ou du moins d’analyser. Car en effet, si l’on se base sur la théorie économique classique, le terme d’« entreprise » désigne une organisation au sein de laquelle les rôles sont assumés par des personnes différentes. Or, une personne, seule, ne peut pas assumer toutes les fonctions. Le travailleur autonome n’est donc pas une entreprise à lui tout seul. Il s’agit simplement d’une façon différente de gagner sa vie, en travaillant pour soi ou pour le compte de tiers.
Il est donc nécessaire de ramener les travailleurs autonomes dans la sphère symbolique du travail. Un travail qui ne se limite pas à un « business », mais à des métiers, établis en « corps de métiers » qui ne sont pas suffisamment protégés et qui ne sont pas non plus à reléguer au monde des entreprises. On peut également remarquer que ceux qui se définissent comme auto-entrepreneurs sont également ceux qui génèrent le plus de revenus, tandis que ceux qui ont des revenus plus modestes préfèrent davantage s’identifier en tant que travailleur (autonome).
Au cours du XXe siècle, une large transformation s’est opérée parmi les professions intellectuelles due à une forte demande de professions techniques par les grandes entreprises (comme les métiers d’ingénieur). Ces nouvelles professions n’ont d’ailleurs pas développé de modèle associatif ou représentatif, mais elles ont plutôt choisi le modèle des professions libérales en fondant leurs propres ordres professionnels, suivant des dynamiques corporatistes. Et comble du phénomène, on y retrouvait à la fois des employés et des indépendants, dans ces formes traditionnelles de la représentation des professions libérales.
Ces professions avaient déjà connu d’autres changements lorsque les grandes entreprises demandaient des professions spécifiques (comptabilité, marketing, relations publiques, ressources humaines). Ce n’est donc pas nouveau que ce soit le marché qui domine la demande de nouvelles professions, s’imposant par elles-mêmes, à l’affût de toute anticipation de la représentation associative ou syndicale.
Les freelances et travailleurs autonomes peuvent-ils se définir par leur mouvement ?
Réflexions et actualités autour de la représentation du travail autonome et freelance
Au-delà de l’histoire du travail autonome, indépendant, et de ses différentes catégories ou corps de métiers et de professions, aucune n’a permis une représentation large et globale du travail autonome. Qu’il s’agisse des paysans, commerçants et artisans, leur poids social a pu varier en importance, hissant leurs revendications vers plus de protections les concernant, mais trop souvent liées au bon vouloir (électoraliste) du monde politique.
C’est ainsi que le mouvement actuel des freelances, d’après Sergio Bologna, est un phénomène tout à fait nouveau dans sa perspective de définir une même identité du travailleur autonome. Ce mouvement cherche à la fois à représenter un certain type « nouveau » de travailleurs du savoir, autonomes, et de l’ère digitale, qui ne sont pas salariés ; et à la fois, il ne se limite pas à représenter une seule profession mais bien toutes celles qui recouvrent un travail intellectuel, technique et créatif, au service tant des entreprises que des personnes. La recherche du modèle d’organisation collective se focalise également dans une optique associative, vers un rôle strictement syndical, éloigné des traditions assignées aux ordres professionnels qui limitaient leur action par du lobbyisme.
Le travail autonome dit de « deuxième génération » se caractérise donc par des modifications autour de l’organisation du travail (notamment par les procédés d’outsourcing ou de downsizing) [7], mais aussi par l’utilisation massive des technologies (dont l’informatique), ainsi que dans les modes de vie. Le travail autonome apparaissait comme un choix plus facile et simple, accordant plus de libertés et de flexibilité, en développant une activité de travail indépendant avec un moindre investissement en capital (grâce à l’utilisation de l’informatique, la capacité de travailler chez soi etc.), et générant des revenus concrets à partir d’une activité indépendante (comme la consultance informatique).
À cela, on peut remarquer qu’il y a eu une évolution croissante entre des revenus analogues au top manager pour certains professionnels, tandis que d’autres freelances sont restés à des revenus très bas. Ce processus s’est surtout intensifié suite à la crise de 2008. De plus, les freelances ont été oubliés et invisibilisés parmi les différentes victimes de la crise économique, n’ayant pas droit aux mêmes protections que les travailleurs salariés.
Cela s’est remarqué à nouveau lors de la crise du Coronavirus. N’ayant pas forcément de statut reconnu correspondant à leur situation, certains de ces travailleurs autonomes connaissent la réalité de courir derrière des CDD de courte durée, et n’ont ainsi pas eu accès au chômage temporaire des salariés, tandis que d’autres ne généraient suffisamment pas de revenus pour recevoir le droit-passerelle des indépendants.
Une situation, inconfortable et difficile, d’un « entre-deux statut » à laquelle les responsables politiques néolibéraux souhaiteraient répondre par la mise en place d’un « 3ème statut » entre l’indépendant et le travailleur salarié. Une fausse bonne idée qui ne ferait que figer la situation précaire des travailleurs concernés et la transposer à l’ensemble des nouvelles formes de travail. Cette solution engendre l’opposition des syndicats progressistes, mais au-delà de celle-ci, s’intéresser aux réalités multi-formes des travailleurs autonomes serait opportun pour permettre à ces travailleurs d’être protégés, sous certaines conditions, par la Sécurité sociale.
Les différences entre travailleur salarié et travailleur autonome doivent-elles continuer à exclure ces derniers des systèmes de solidarité et des syndicats ?
L’éveil des consciences des travailleurs autonomes de « deuxième génération » s’est démarqué par une volonté de rendre visible leur spécificité et leur distinction du monde de l’entreprise et du travail salarié. La liste de leurs griefs liés à leur réalité est encore bien longue, où ils dénoncent l’absence de couverture sociale, l’asymétrie dans les rapports avec leurs donneurs d’ordre, le manque de protections juridiques en cas de conflit professionnel, l’impossibilité d’accéder à des fonds publics pour la formation à de nouvelles compétences ou encore leur pression fiscale excessive.
Aucun modèle d’organisation des travailleurs indépendants, à savoir l’association professionnelle de métiers (réunissant salariés et indépendants d’une même profession) ou l’ordre professionnel corporatiste, n’a réussi à convaincre la grande majorité des travailleurs autonomes d’adopter telle forme d’organisation collective. Ils sont donc particulièrement isolés. Néanmoins, dans certains pays, les freelances ont estimé que leurs « nouvelles » professions avaient besoin d’une organisation qui leur est propre, bien qu’il y ait toujours la possibilité de s’inscrire à une organisation syndicale de travailleurs salariés.
Identifier et comprendre les différences pour mieux organiser les convergences
On peut dénombrer six différences principales, dont la dernière est probablement la plus pertinente pour prendre en compte les enjeux autour de la syndicalisation des freelances :
L’espace pour les travailleurs autonomes est avant tout virtuel, via la connectivité du web, et non pas seulement physique pour délimiter leur poste ou lieu de travail qui n’est donc pas forcément fixe. Les espace de coworking ont ainsi beaucoup de succès, afin de matérialiser davantage les lieux de travail en commun pour les freelances.
Le temps de travail n’est pas limité et n’a pas d’horaires fixes pour les travailleurs autonomes. Néanmoins, le moteur de travail est davantage ancré dans les délais de livraison qu’il faut pouvoir respecter auprès des clients. Il ne sait pas à l’avance combien de temps il lui faudra pour effectuer la tâche qui lui est demandée. Les donneurs d’ordre et clients des freelances sont d’ailleurs moins rigides sur le prix que sur les délais ; il y a un vrai rapport temps-rétribution qui peut représenter un risque important pour les freelances.
La rétribution peut s’avérer être une grande problématique quand il y a retard ou défaut de paiement pour les travailleurs autonomes. Ils ne perçoivent leur « salaire » que lorsqu’ils ont effectué leur prestation. Ces revenus doivent à la fois subvenir à leurs moyens de subsistance mais aussi aux coûts liés à leur travail. La forme de cette rétribution est une facture (brute), qui représente à la fois un paiement et une preuve fiscale, où s’ajoute une autre difficulté pour les freelances qui doivent payer leur taxe sur la valeur ajoutée de leurs prestations, alors que souvent, celles-ci n’ont pas encore été rémunérées par leurs clients. Ils payent donc un impôt sur un revenu qu’ils n’ont pas encore perçu ! Ces retards de paiement, comblé à la nature brute du revenu des freelances sur leurs factures, peuvent développer des effets psychologiques importants.
Le travail relationnel représente l’activité de recherche et de construction de relations avec les clients des travailleurs autonomes, qui peut parfois représenter un temps de travail important et surtout non-rétribué. Tout se joue beaucoup à travers des réseaux que chaque freelance va développer au fil de sa « carrière ».
Les compétences (diverses) à entretenir par les travailleurs freelances peuvent représenter un coût important, ces derniers n’ayant pas forcément droit à des congés d’éducation et de formation.
La négociation et les formes de conflit social parmi les travailleurs autonomes sont de nature très différente. Étant donné qu’ils sont dépourvus de liens de subordination, ils ne peuvent pas faire grève et n’ont pas non plus de contrat de travail, mais établissent des contrats commerciaux avec leurs clients. On jauge alors, du côté des juristes du droit du travail, si le travail autonome peut être considéré comme « économiquement dépendant » ou non, mais cela reste assez complexe à définir. Les formes d’actions qu’utilisent les freelances se font donc davantage à travers l’espace virtuel ou des actions spectaculaire pour faire entendre leur voix.
Quelques exemples d’associations de freelances aux Etats-Unis et en Europe
De la tradition syndicale à celle de l’associationnisme de métier, sans rentrer dans le registre de corporations, plusieurs expériences originales existent en Europe comme ailleurs. Elles sont surtout inspirantes dans leur dimension collective et sur la manière dont elles ont affronté la complexité de la défense et de la représentation des travailleurs autonomes.
Le modèle syndical de la Freelance Union
La Freelance Union (FU) est fondée aux Etats-Unis en 1995 par Sara Horowitz, avocate spécialisée en droit du travail. Elle commence par élaborer le blog « Working today », afin de recueillir les témoignages des nouvelles formes du travail, à l’encontre de ce qui est véhiculé dans l’imaginaire collectif où prévaut l’archétype du travailleur salarié, et de sa variante de travailleur précaire. Avec cet outil, les freelances vont pouvoir mettre en lumière leurs problématiques ainsi que leur subjectivité.
Ce n’est que quelques années plus tard que Sara Horowitz propose la création d’une « Union », où, aux Etats-Unis, le terme a une symbolique importante liée à la tradition syndicale américaine. Cela a également permis de rompre avec la conception que les freelances devraient s’organiser sur base de leurs professions plutôt que sur leurs conditions matérielles. Grâce à des ressources importantes issues de fondations privées, la FU a pu mettre en place en 2008 une Insurance Company (assurance) sur l’ensemble du territoire des Etats-Unis à destination des freelances. La FU dénombre 490.000 affiliés aujourd’hui, le double par rapport par rapport à 2012.
C’est aussi en utilisant le terme populaire de constituency aux États Unis que la FU a pu éclairer le travail d’identification des freelances, à travers un univers sémantique cohérent, définissant le périmètre de leurs activités et de la place qui devrait leur être donnée au sein de la société. D’ailleurs, c’est en s’appuyant sur des statistiques et des recherches, relevant qu’un travailleur sur cinq aux Etats-Unis est aujourd’hui considéré comme un freelance, que la FU a choisi de consacrer son action à la consolidation de cette communauté.
La FU souhaite leur donner accès à une meilleure couverture en cas de maladie ou d’accidents, les accompagner dans la dimension fiscale de leurs métiers, et limiter les retards de paiement des clients et donneurs d’ordre. Une dimension qui s’inscrit historiquement dans la tradition syndicale américaine de la mutualisation de services spécifiques organisés avec les moyens du syndicat, à des coûts inférieurs de ceux du marché.
L’association italienne ACTA et son réseau européen
En Italie, c’est un modèle d’association de travailleurs autonomes qui a vu le jour en 2004, avec l’organisation ACTA (Associazione Consulenti Terziari Avanzati). Depuis les années 1970, de larges débats entre chercheurs et spécialistes ont eu lieu sur les transformations du monde du travail, bien que les discussions sont trop souvent abstraites dues au manque de données statistiques fiables. Néanmoins, de nombreuses campagnes ont été organisées par ACTA pour contester les discriminations sociales et fiscales à l’égard des travailleurs autonomes, notamment par l’INPS (Institut National de Prévoyance Sociale). Le style d’action d’ACTA se rapproche de la FU, dont ils sont également très proches idéologiquement, sans que pour autant ils aient choisi le terme de « syndicat » dans leur nom, mais bien « association ».
ACTA est également membre d’un réseau européen qui exerce du lobbying auprès des parlementaires européens : le European Forum of Independent Professionals (EFIP). En tant que membre fondateur de ce réseau, ACTA se révèle plus militante que d’autres, dont une association de consultants britanniques favorisant davantage une vision libérale de l’auto-business, à l’opposé de la tradition syndicale de la FU et de leur dimension mutuelliste et solidaire. Ce lobby se positionne donc plus sur le caractère entrepreneurial du travail autonome que sur la dépendance économique des travailleurs, sans pour autant revendiquer l’assimilation du travail indépendant au monde de l’entreprise.
Evening Class : du collectif au syndicat de graphistes en Angleterre
Le collectif britannique de graphisme Evening Class (EC) a été fondé en 2016 comme « expérience d’éducation auto-organisée » avant de créer un syndicat de graphistes en 2018 après des recherches sur les pratiques d’emploi, les coopératives de travail et les conditions de travail des graphistes, mais aussi sur les exemples historiques [8]. Ainsi, EC estime que c’est en raison de la manière dont la création graphique a changé – en s’éloignant des sites clairs de l’industrie, de l’artisanat à l’ordinateur, du travail collectif à celui fragmenté et individuel – qu’elle a été exclue de l’histoire de l’organisation du lieu de travail.
La plupart des membres EC intéressés par la syndicalisation sont des indépendants ou des freelances qui présentent des similitudes avec les conditions des « faux indépendants » comme les chauffeurs Uber ou les coursiers Deliveroo, tout aussi précaires et atomisés. Partant de la considération que le travail créatif est trop souvent dissocié des règlementations sur les conditions de travail (en particulier pour celles et ceux qui travaillent comme freelance à domicile, sans patron ni service RH), le collectif EC estimait que les graphistes ont trop peu de connaissance sur les droits fondamentaux du travail ou les normes de salaires et des conditions qui sont possibles à instituer. Changer le statu quo du travail dans le graphisme demandait donc de rassembler les gens par la création d’un syndicat.
Cependant, créer un syndicat à partir de rien, sans infrastructure ni poids politique, est coûteux et compliqué sur le plan juridique. C’est donc avec le soutien et au sein du syndicat United Voices of the World (UVW) que le collectif EC a fini par créer une branche de graphistes et de travailleurs culturels.
Nouvelles méthodes de syndicalisation en Grande-Bretagne
Les syndicats se consacrent à l’amélioration des salaires, des horaires et des conditions de travail de leurs membres, souvent par le biais de conventions collectives pour négocier avec les employeurs. Ils fournissent également des services, formations et conseils juridiques sur les droits des travailleurs. Depuis quelques décennies, on voit apparaître de nouvelles organisations syndicales qui pratiquent ce qu’on nomme le « micro-syndicalisme », notamment au Royaume-Uni, où les logiques du marché ont développé des phénomènes de très fortes dérégulations dans le monde du travail.
Fondé en 2014, l’UVW est un syndicat plus récent en Angleterre qui organise principalement des travailleuses migrantes du nettoyage, et a récemment lancé une branche représentant les travailleuses du sexe ainsi qu’un service juridique. Il fait partie d’une nouvelle génération d’organisations de base, « ascendantes » et non spécifiques à un secteur en particulier, et qui ont tendance à représenter une économie de petits boulots et des emplois non traditionnels. Ainsi, l’adhésion à un syndicat existant n’a pas seulement fournit aux membres d’Evening Class l’infrastructure initiale, elle les a aussi reliés à d’autres travailleurs précaires, leur permettant de participer aux grèves et aux campagnes des autres branches et vice versa.
À propos de la formation à la syndicalisation, toujours en lien avec l’exemple d’EC, cela demande un changement culturel et mental important pour amener les travailleurs de la création graphique à conceptualiser ce que cela peut signifier d’être syndiqué et de pouvoir être représenté quand on est également son propre patron. L’idée très souvent répandue est celle que ce type de travail ne ressemble pas aux autres formes de travail, et qu’il n’y a pas forcément besoin de protection.
L’habitus à accepter prend alors la forme de stages non rémunérés, la difficulté de trouver des contrats avec les clients, ou encore l’habitude de prester de longues heures de travail avec des normes salariales peu claires si pas inexistantes. Pourtant, comme l’a démontré un autre syndicat des plus récents au Royaume-Uni, l’Independent Workers of Great Britain (IWGB), qui a affronté des requins de l’ubérisation comme la plateforme Deliveroo, il est tout à fait possible d’obtenir les droits fondamentaux du travail tels qu’un salaire minimum, des indemnités de maladie et un régime de retraite.
Aperçu de la syndicalisation du travail indépendant en Belgique et en Europe [9]
Du besoin de considérer la défense syndicale des travailleurs indépendants
Considérer que parce que les travailleurs indépendants à leur propre compte (TIPC) ne sont pas des travailleurs salariés, ils n’ont pas leur place dans les syndicats n’a pas de sens juridique en ce qui concerne leur affiliation, que ce soit en Belgique ou ailleurs. Cela figure même dans la convention 87 de l’Organisation international du travail (OIT), qui stipule que les syndicats ont le droit de recruter et de représenter des travailleurs indépendants.
Néanmoins, il y a d’importantes difficultés d’assurer des négociations collectives pour ces travailleurs. En effet, les règles du droit de la concurrence vont très souvent s’y opposer, considérant que permettre d’accéder à de nouveaux droits issus de négociations collectives (comme par exemple un salaire fixe) est contraire aux lois de la concurrence d’entreprises…
Bien entendu, il ne s’agit pas d’organiser et de syndiquer les employeurs parmi les indépendants, et il est tout à fait légitime pour les syndicats de refuser ces affiliations-ci, afin d’éviter les conflits d’intérêts entre employés-employeur. Pourtant, c’est sur ce postulat que les syndicats se sont positionné en Belgique, laissant aux indépendants le choix d’être représentés par les associations d’employeurs comme l’Union des classes moyennes (UCM) ou le Syndicat neutre des indépendants (SNI).
Cependant, au lieu de considérer qu’il n’y a qu’un choix binaire pour les organisations syndicales entre représentation des travailleurs indépendants ou salariés, pourquoi ne pas établir de distinction claire entre les TIPC et le reste du travail indépendant, plutôt représenté par les associations professionnelles ou les organismes de représentation classique des intérêts des employeurs ?
C’est le cas en Espagne au sein de la grande confédération CCOO (Confederacion Sindical de Comisiones Obreras), où les travailleurs indépendants qui emploient des salariés ne sont pas autorisés à adhérer au syndicat, à l’inverse des TIPC. En Belgique, on peut constater que depuis peu, il existe de nouvelles initiatives pour organiser et représenter les travailleurs indépendants, comme à la CSC avec le service United Freelances.
Ce choix d’organiser et représenter les travailleurs indépendants isolés ou autonomes s’est produit en Allemagne, au sein du plus grand syndicat d’Europe en effectifs : l’IG Metall (membre de la DGB), qui regroupe à la fois les travailleurs de la métallurgie, du textile et d’une série d’autres industries. À leur Congrès de 2015, la décision a été prise de permettre aux travailleurs indépendants sans salariés de devenir membres, justifiant que le travail freelance et la production participative (comme par exemple les youtubeurs) créent de plus en plus un vide juridique, et qu’il fallait impérativement prévenir de l’utilisation abusive et du développement de ces nouvelles formes de travail en dehors de tout cadre syndical, sans que ces travailleurs puissent s’affilier et accéder aux services syndicaux.
Les modèles syndicaux d’intégration des travailleurs autonomes sont nombreux
En Europe, on retrouve ainsi plusieurs formes de syndicalisation des travailleurs indépendants. Ils sont le plus souvent organisés dans des syndicats spécialisés, à savoir des syndicats autonomes ou des sections syndicales intégrées dans de plus grandes structures confédérales, qui permettent l’adhésion de travailleurs opérant généralement dans des domaines issus du travail indépendant comme les journalistes, les acteurs, les musiciens, les techniciens du spectacle, les traducteurs et interprètes, les architectes, et certaines professions médicales.
Cependant, il y a aussi des syndicats qui vont organiser uniquement des travailleurs indépendants, sur base de leur statut et non de leur profession, regroupant plus facilement les travailleur autonomes et atypiques. Ces syndicats sont parfois intégrés dans de plus importantes structures syndicales. C’est le cas dans plusieurs pays européens comme :
En Espagne : l’importante Union General de Trabajadores (UGT) a intégré depuis 2000 l’organisme Union de Profesionales y Trabajadores Autonomos (UPTA), qui regroupe aujourd’hui plus de 340.000 membres.
En Italie : la Confederazione Italiana Sindacati Lavoratori (CISL) est composé de la CISL-FeLSA (Federazione Lavoratori Somministrati Autonomi Atipici) qui rassemble différents syndicats représentants des groupes spécifiques d’indépendants, avec 42.000 membres au total en 2016. La CISL (équivalent CSC en Italie) a aussi permis la création de vIVAce, une association spécifique pour les freelances.
Aux Pays-Bas : la plus grande confédération syndicale FNV a intégré une branche FNV-Zelfstandigen depuis 1999 et qui compte plus de 10.000 membres. Celle-ci a par contre entièrement fusionné en 2017 dans l’organe central FNV.
En Grande-Bretagne, l’IWGB (déjà mentionné plus haut), est à la différence des exemples précédents, un syndicat autonome des plus grandes structures syndicales britanniques. Il organise lui aussi les travailleurs indépendants, mais plus spécifiquement les travailleurs précaires, les intérimaires, avec des contrats temporaires ou sans contrat type. Des syndicats similaires de travailleurs précaires ou atypiques existent également en Italie, comme par exemple au sein de la Confederazione Generale Italiana del Lavoro (CGIL – équivalent FGTB), avec le Nldil-Nuove Indentità di Lavoro, fondé en 1998 et qui se décrit comme le syndicat des travailleurs atypiques. En 2016, il comptait près de 94.000 membres. En Slovénie, le Sindikat prekarcev (Union des précaires), membre de la confédération principale ZSSS, représente tous les « travailleurs non classiques ».
À une autre échelle, de grandes confédérations syndicales similaires à la FGTB et à la CSC œuvrent à organiser davantage les travailleurs indépendants, en leur permettant d’accéder plus facilement à leurs services traditionnels de défense syndicale. C’est le cas de l’IG Metall en Allemagne mais aussi de l’ÖGB en Autriche, de Unionen en Suède, ou encore de la CFDT ou la CGT en France.
Approches syndicales sur la négociation collective
Il est nettement plus difficile de peser sur la défense des conditions de travail des travailleurs indépendants, que de les organiser. En Belgique, par exemple, la loi du 5 décembre 1968 sur les Conventions collectives de travail (CCT) et les Commissions paritaires (CP) ne régit pas la négociation pour fixer les conditions de travail des travailleurs indépendants… L’article 3 est très spécifique concernant les professions libérales qui se retrouvent parmi les intérêts des employeurs, où on précise qu’ils ont leurs propres « syndicats » (comme par exemple l’UCM) [10]. Cependant, l’article 2 stipule que « les personnes qui, autrement qu’en vertu d’un contrat de louage de travail, fournissent des prestations de travail sous l’autorité d’une personne » devraient être assimilés aux travailleurs salariés, ce qui est donc une voie vers la négociation de certains accords par les syndicats de travailleurs. Sans oublier l’existence de la convention 87 de l’OIT (citée plus haut).
Plus largement en Europe, il existe principalement deux stratégies syndicales pour négocier des droits pour les travailleurs indépendants, qui ne s’excluent pas mutuellement et sont cumulables :
Limiter l’approche à la profession et négocier des droits en fonction des secteurs de métiers (ex : journaliste, acteur, musicien), comme cela se fait en Autriche.
Dans d’autres pays, comme en Belgique, les syndicats vont avoir plutôt tendance à démontrer que les travailleurs sont « économiquement dépendants ».
L’obstacle le plus important à ces négociations collectives reste le droit de la concurrence. Effectivement, les autorités nationales empêchent très souvent les syndicats d’aboutir, et c’est particulièrement le cas en Irlande, mais aussi au Danemark, aux Pays-Bas et en Espagne. Les autorités de la concurrence vont régulièrement se baser sur l’article 101 du Traité du fonctionnement de l’UE, interdisant aux entreprises de fausser ou d’éliminer la concurrence. Mais à nouveau, on considère que les indépendants sont dans ces situations, non pas des travailleurs, mais bien des entreprises. Ainsi, on aime les considérer comme des « micro-entrepreneurs », alors qu’il s’agit bien de travailleurs.
Conclusion
La difficulté principale pour organiser syndicalement les travailleurs autonomes ou freelances est de définir leur profil juridique controversé : sont-ils des travailleurs ou des indépendants ? Pour répondre au mieux à ce questionnement, les critères de dépendance économique et de lien de subordination ne devraient pas empêcher l’insertion des travailleurs autonomes aux dispositifs de solidarité de la Sécurité sociale, ni à leur intégration dans les organisations syndicales.
Ne faudrait-il pas pouvoir défendre tous les travailleurs et toutes les travailleuses ? C’est sur ce mot d’ordre que dans plusieurs pays en Europe, de nombreux syndicats se positionnent sur l’organisation, la représentation et la défense des travailleurs indépendants, et particulièrement les travailleurs autonomes, atypiques, que l’on nomme généralement les freelances. Certains pays ont réussi à organiser et représenter ces travailleurs, il y a déjà de cela plusieurs dizaines d’années.
Certes, la tâche n’est pas simple, et la complexité des définitions et des approches syndicales sur ces nouvelles formes de travail est avérée. On peut tout à fait s’inquiéter d’observer une évolution régressive du droit du travail et les processus de disruption du marché du travail, avec la précarisation des statuts et des contrats, ainsi que les dégâts de l’ubérisation de l’économie. Face à cette pression idéologique toujours plus grande, les débats et les propositions de lois, y compris à l’agenda européen, risquent d’avancer sur la création d’un troisième statut entre le travailleur salarié et l’indépendant, bien que les syndicats haussent le ton sur la nécessité de requalifier les faux indépendants en tant que travailleurs salariés.
Le 3e statut n’est pas la solution, et cela ne ferait que déforcer la Sécurité sociale. Cependant, doit-on se contenter de laisser les travailleurs autonomes être exclus des systèmes de solidarité, sous couvert de la faiblesse de leur statut ? Ils sont pourtant désireux de mieux y participer afin de recevoir les mêmes protections que les salariés, voire même d’être affiliés aux organisations syndicales. Doit-on leur fermer la porte parce qu’ils n’épousent tout simplement pas les modalités du travail salarié subordonné à un seul employeur bien défini ?
Les stratégies syndicales de requalification des faux indépendants en travailleurs salariés doivent-elles également s’accompagner d’une plus grande considération pour les travailleurs autonomes et freelances ? Les syndicats doivent-ils s’efforcer de prendre en compte l’ensemble des différences et des réalités des nouvelles formes de travail, vers une meilleure intégration de ces travailleurs, afin de pouvoir mieux les défendre, les organiser et les représenter ?
Les propos tenus dans cet article s’inspirent essentiellement sur les recherches menées par Sergio Bologna, historien italien de la classe ouvrière et du monde du travail. Il s’est concentré de près sur les questions autour des nouvelles formes de travail, sur lesquelles il publie un ouvrage important en 1997 : Sergio BOLOGNA, Andrea FUMAGALLI (dir.), Il lavoro autonomo di seconda generazione : scenari del postfordismo in Italia, [Le travail indépendant de seconde génération. Scénarios du postfordisme en Italie], Milan Ed. Feltrinelli, 1997.
Cet article a paru sur le site du Cepag, le 31 mai 2021.
Pour citer cet article, Orville Pletschette, « Ouvrir le syndicalisme du travail salarié aux freelances et travailleurs autonomes ? », Éconosphères, septembre 2021.