Loin du Plan Marshall américain, tant par leur contexte d’émergence, leurs ambitions et leur méthode de financement, les plans wallons de redressement économiques se succèdent depuis la fin du siècle passé et, même si leur nom change au fil des législatures, ils s’inscrivent dans la même continuité. La crise du Covid et avec elle la promesse d’un autre monde à venir ont fait miroiter un changement de cap ; l’espoir d’une relance qui rencontre vraiment les besoins humains, écologiques, sanitaires et sociaux de la société. Finalement, le dogme du marché s’est à nouveau imposé pour financer les politiques publiques et même s’il est encore trop tôt pour évaluer le Plan de relance wallon actuel et les projets prioritaires qui le composent, on peut d’ores et déjà poser un certain nombre de questions et mettre en avant des enjeux primordiaux pour l’avenir.

Quand l’expression « plans de relance » est évoquée, on pense invariablement au Plan Marshall américain. Élaboré après la Seconde Guerre mondiale, il visait la relance de l’Europe de l’Ouest et son ancrage dans l’économie capitaliste anglo-saxonne, avant qu’elle ne soit trop tentée par les sirènes communistes venant de l’Est. La charge symbolique est forte. Elle est aussi source de grande confusion, car l’Europe perçoit alors 16,5 milliards de dollars, dont 11 sous forme de dons. Cette aide représente plus de 10 % du PIB des pays concernés. Si les termes sont les mêmes, l’ambition actuelle des « plans » de relance wallons est nettement moins importante qu’hier et la question du mode de financement se pose aujourd’hui. Ce n’était pas le cas en 1947. Roosevelt assumait clairement le besoin d’assurer la santé économique de l’Europe avant d’envisager le cout américain de cette aide qui relevait pour l’essentiel du « don ». Il était bien conscient du retour ultérieur que les États-Unis y gagneraient, notamment en s’assurant un marché pouvant accueillir la surproduction de masse américaine. L’aide avait d’ailleurs pour but essentiel de permettre d’acheter des denrées et des biens américains…

L’illusion du don

Aussi, il semble que le premier réflexe syndical judicieux à avoir quand on pense les « plans de relance wallon » est de ne pas les associer à ce qu’ils ne sont pas : un énorme don financier. Les plans wallons ont des effets multiplicateurs keynésiens nécessairement modestes, au regard de leur taille budgétaire qui les différencie considérablement de l’ampleur du Plan Marshall américain. De plus, les plans wallons consistent toujours essentiellement en des dettes à rembourser dans un contexte européen d’austérité budgétaire ancré dans ses traités. Le plan actuel [1] court sur cinq années (2021-2026), est doté de 7,2 milliards d’euros (soit environ 1 % du PIB wallon, loin des 10 % du Plan Marshall américain), et est financé par la dette à raison de 6 milliards d’euros !

Les logiques d’investissements publics recueillent naturellement les faveurs des organisations syndicales, mais pas à n’importe quelles conditions. Un juste plan de relance ne se finance pas sur le dos des petits et moyens revenus, par plus d’impôts les visant, ou par moins de services publics et collectifs. Bien malin qui peut déjà prédire sur qui reposera le financement du plan actuel ! C’est pourtant bien en fonction de ce critère encore incertain que nous pourrons évaluer l’impact de ce plan sur la réduction des inégalités et de la pauvreté.

Si les gouvernements wallons successifs ont eu le courage politique de la planification par de l’investissement public pluriannuel permettant de réelles bouffées d’oxygène budgétaire, ils ne l’ont pas associé au courage du financement par le juste impôt. Un mode de financement trop difficile, sans doute, face à une opinion publique gangrenée par une culture de diabolisation de l’impôt quasi hégémonique (y compris au sein des partis dits progressistes) et par un contexte institutionnel néolibéral (cf. La loi spéciale de financement des entités fédérées [2] ). Celui-ci ne donne en effet pas de marges de manœuvre fiscales suffisantes aux Régions pour financer des politiques d’investissement ambitieuses, allant au-delà de la gestion « courante » des budgets régionaux, sinon en permettant une petite concurrence aux faibles effets entre Régions.

Plutôt que de faire preuve de pédagogie sur ce terrain, les gouvernements successifs pratiquent la confusion. Ceci se manifeste concrètement lors des exercices budgétaires annuels dans lesquels sont discrètement mises de côté les dépenses d’investissement. Celles-ci sont financées de facto par une hausse de la dette, à charge des gouvernements futurs de la rembourser au « marché », selon les rapports de force politique et les cadres légaux alors en vigueur. Le budget wallon 2024 présenté en octobre 2023 n’échappe pas à cette règle.

Un plan qui s’inscrit dans la continuité

Les plans de relance wallons sont, au fil des majorités successives à dominante socialiste, devenus une méthode de gouvernance assez commune. La succession de plans vient ainsi renforcer le caractère quasi banal de ceux-ci. Chaque nouveau plan est présenté comme majeur et potentiellement sous la menace de la dernière chance. L’impression de gravité pèse sur tous ces plans qui s’inscrivent toujours dans un souci de relever l’économie wallonne, en décrochage par rapport à la Flandre, mais aussi par rapport aux autres riches régions européennes. Tous ces plans permettent d’inscrire les forces vives de la Wallonie sous un drapeau commun. Là réside probablement le coup politique majeur. Il emmène nécessairement avec lui la « société civile », les administrations et les grands Organisme d’Intérêt public (OIP) wallons, ainsi que les interlocuteurs sociaux avec plus ou moins de concertation réelle selon les plans et majorités politiques. Là aussi, cependant, réside leur grande faiblesse. Que fait-on si ça ne fonctionne pas ? Quel impact sur la confiance en nos démocraties, en la concertation sociale ?

Souvenons-nous ainsi du « Contrat d’Avenir » que la Wallonie sous gouvernement « arc-en-ciel » présente en septembre 1999 sous l’impulsion d’Elio Di Rupo. Destiné à augmenter le taux d’emploi et la création de PIB régional wallon, il est rapidement réactualisé pour mettre en œuvre 20 mesures dites prioritaires pour 2002-2004. Vient ensuite le « Plan Marshall » en 2006-2009 de la majorité PS-cdH (1,1 milliard d’euros), puis le « Plan Marshall 2. vert » de la majorité PS-Ecolo-cdH en 2009-2014 (2,75 milliards d’euros, dont 1,15 par financement alternatif). Intervient ensuite le « Plan Marshall 4.0 » de 2015-2019, pour 2,9 milliards d’euros (dont 468 millions de financement alternatif). L’aventure est interrompue par le « coup » de Benoît Lutgen (cdH) qui remanie la majorité wallonne en cours de législature pour s’allier aux libéraux sous la houlette de Willy Borsus (MR). Ceci moins de deux ans avant les élections. Cependant, fort de sa présidence entamée avec les libéraux et écologistes en septembre 2019, Elio Di Rupo, qui n’a pas dit son dernier mot, initie déjà la base d’un futur « Plan de transition sociale, écologique et économique » dès la Déclaration de politique régionale.

C’est donc bien en parallèle à la crise du Covid, mais issue d’un souhait politique préexistant, qu’est initiée en 2020 la démarche participative « Get Up Wallonia ! ». Un conseil stratégique de « sages » publie en avril 2021 un rapport décliné en 51 actions et 18 mesures visant essentiellement à gérer l’urgence sanitaire, à diminuer les impacts économiques et sociaux de la crise, à relancer l’activité socio-économique en vue de produire un cercle vertueux de « progrès », et enfin à renforcer la résilience de notre société.

L’aide européenne conditionnée

À la suite de la grande récession européenne (-6,2 % de PIB belge en 2020), conséquence des confinements imposés au fil des « vagues » pandémiques, la nécessité d’un plan de relance est avancée en premier lieu par les économistes hétérodoxes [3] . Il s’agissait de sortir du « monde d’avant » et de rencontrer les besoins humains, écologiques, sanitaires, sociaux de la société. La gestion de la crise sanitaire a été l’occasion d’un retour en force de la légitimité de l’État dans la sphère économique. Qu’aurions-nous fait sans chômage économique ? Sans aides aux entreprises mises au repos forcé ? Comment pouvions-nous poursuivre une gestion démocratique de l’économie et promouvoir les services et travailleurs essentiels ?

In fine, et sous pression syndicale de la Confédération européenne des Syndicats (CES) [4] notamment, l’Europe parvient difficilement à la conclusion d’un plan de relance et de résilience (« Next génération UE »), sous la forme de subsides et prêts conditionnés, pour un montant total tournant autour des 750 - 800 milliards d’euros (5 % de PIB) emprunté sur les marchés, créant ainsi une dette commune européenne. De leur côté, les États-Unis dégagent des moyens colossaux en décembre 2020 (900 milliards de dollars), puis en mars 2021 (1.900 milliards, soit 10 % de PIB) et plus encore en novembre 2021 pour un total investi de plus de 3.000 milliards de dollars. Des deux côtés de l’Atlantique, la philosophie du plan est identique : protéger la population face à l’urgence sociale et sanitaire, éviter un enlisement dans la récession et soutenir la transition verte de nos économies avec un focus majeur mis sur l’énergie « verte », la voiture électrique (de manière massive aux États-Unis), la rénovation du bâti, la digitalisation des entreprises et administrations.

Du côté belge, le plan de relance européen est ainsi doté de 5,9 milliards d’euros et est l’occasion de financer des infrastructures civiles, l’installation de bornes électriques et de pistes cyclables, la 5G, la rénovation du bâti de diverse nature (dont quasi 1 milliard pour les bâtiments scolaires francophones), l’économie circulaire, le train, etc. [5] . Il est aussi le bâton qui permettra à la Commission de s’inviter dans les débats sociaux belges en faisant pression pour réduire les droits à la (pré-)pension l’été 2022, avec en perspective le retour aux dogmes budgétaires de l’Union européenne. La CES a régulièrement dénoncé les manquements européens notamment en relevant l’absence d’avancées en matière de ressources propres à l’Union (par le biais de taxes européennes sur les sociétés, les GAFAM, les transactions financières, etc.), le défaut de concertation en amont avec les syndicats, le maintien d’un cadre politique austéritaire, ou encore l’absence de mise en œuvre du Socle européen des droits sociaux, élément pourtant essentiel à une relance dite « résiliente ».

Cette grande opération européenne a évidemment impacté les projets wallons, car les décideur·ses de la Région ont ainsi vu dans le plan européen un moyen de cofinancer leurs projets, à hauteur de 1,48 milliard d’euros. Une aubaine, même si l’espoir d’un plan visant l’avènement d’un nouveau monde pour l’après-Covid en fut diminué.

Le plan wallon : des centaines de priorités…

Le Plan de relance de la Wallonie (PRW) comporte plus de 300 projets [6] issus des cartons de la Déclaration de politique régionale, de « Get Up Wallonia ! » et du Plan national pour la reprise et la résilience (Next génération UE). Ces mesures sont divisées selon cinq axes : miser sur la jeunesse et les talents de Wallonie ; assurer la soutenabilité environnementale ; amplifier le développement économique ; soutenir le bien-être, la solidarité et l’inclusion sociale ; garantir une gouvernance innovante et participative. À la suite des inondations de juillet 2021, un sixième axe est ajouté. Doté de 737 millions d’euros, il vise à rénover les voiries, voies hydrauliques, bassins d’orage, berges, etc. Plus de 7 milliards investis en Wallonie, alors que l’Europe prêtait moins de 1,5 milliard, voilà un effort propre du gouvernement wallon qu’on ne peut que saluer !

Soucieux de la bonne implémentation du PRW, désireux de renforcer la concertation sociale wallonne, et forts de nombreux travaux menés au sein du Conseil économique, social et environnemental de Wallonie, les interlocuteurs sociaux s’invitent à la table du gouvernement. Le dialogue social aboutit le 28 mars 2022 à la signature d’une déclaration commune donnant priorité à 42 projets, dotés de 2,5 milliards d’euros et impliquant une dynamique de co-construction de projet. Fruit de soucis d’équilibres politiques et d’échanges avec les interlocuteurs sociaux, ces projets sont jugés prioritaires, car disposant d’un facteur multiplicatif important. On évoque la notion de triple dividende pour justifier le choix prioritaire des projets : servir le développement économique, le social-santé et l’emploi, et notre environnement. Une impossible quadrature du cercle… Aucune donnée ne permet de garantir que le développement économique soit compatible avec les enjeux socio-économiques. La croissance ne sert effectivement pas mécaniquement l’emploi de qualité, la protection sociale, ou la réduction des inégalités. Elle peut la favoriser, mais sans garantie aucune. Et surtout, jusqu’ici, la croissance du PIB s’est toujours accompagnée d’une hausse des émissions de C0², et d’une destruction de notre écosystème. Il n’y a aucune preuve attestant d’un possible « découplage » absolu entre émissions de CO² et croissance du PIB, ni historique, ni même scientifique [7].

Cette déclaration définit le cadre de la concertation prévu et des organes de pilotage qui associent à des degrés divers le gouvernement wallon, les services publics wallons et les principaux OIP ainsi que les Partenaires sociaux et environnementaux (PSE), soit la CSC et la FGTB côté syndical, l’Union wallonne des entreprises ainsi que l’Union des Classes moyennes côté employeurs et Canopea (ex-IEW) pour l’environnement. Tout l’appareil régional wallon et les PSE se retrouvent donc acteurs et promoteurs du PRW. Ils sont mis au travail pour établir des fiches projets, des notes de gouvernement, des projets de décrets, des arrêtés, des avis, etc. Il faut définir des jalons pour chaque projet (on arrive ainsi à plus de 450 jalons-étapes pour les projets des Programmes d’Action prioritaire (PAP)), des indicateurs de réalisation, des outils de pilotage et d’évaluation, le tout au prix de centaines d’heures de réunion (celles des PSE étant non rémunérées par la Région) qui impactent la vie de chacune des composantes. Ce plan, par sa mise en œuvre éclatée en centaines de projets, implique un surcroit de travail très important. Les PSE y trouvent un gain symbolique comme acteur de la concertation sociale wallonne, mais aussi une perte d’autonomie et de force de travail affectée à la poursuite de leurs propres priorités.

Quatre programmes d’Action prioritaire (PAP)

Les 42 projets prioritaires définis par la déclaration1 de mars 2022 sont répartis en quatre Programmes d’Action prioritaire (PAP).

- Le premier PAP vise l’objectif de sortie de la précarité et est doté initialement de plus de 437 millions, dont plus de 180 pour stimuler la rénovation énergétique du bâti par quartier et près de 175 pour la création de logements d’intérêt public en partenariat public-privé.

- Le deuxième PAP vise la politique économique et industrielle forte et durable et est doté de 470 millions d’euros visant la recherche, la biotech, des projets pilotes de gestion de CO² (capture, réutilisation, séquestration, etc.), l’économie circulaire, la relocalisation industrielle/manufacturière, etc.

Le troisième PAP a pour objectif de renforcer l’indépendance et la transition énergétique, est doté initialement de 1,3 milliard d’euros, dont près de 720 millions pour la rénovation énergétique de 25.000 logements d’utilité publique, et plus de 400 millions pour la rénovation du bâti.

- Le quatrième PAP porte sur l’objectif de formation des travailleur·ses avec et sans emploi. Doté de 278 millions initialement, plus de 93 millions sont prévus pour les infrastructures et équipements de formation, et plus de 101 millions affectés au projet de passeport wallon à la formation qui vise surtout la réforme des incitants financiers à la formation, soit du subside public à la rencontre des objectifs privés de formation…
Enfin, en complément de ces « PAP » des projets du PRW sont régulièrement discutés entre le gouvernement et les interlocuteurs sociaux. Il faut ainsi relever, surtout vu l’importance budgétaire, les projets visant à améliorer les centres de formation pour plus de 83 millions, près de 390 millions pour les transports en commun, ou encore les plus de 100 millions visant la rénovation énergétique des bâtiments publics des pouvoirs locaux.

1. Déclaration disponible via : https://www.wallonie.be/sites/default/files/2022-03/De%CC%81claration%20commune%20sur%20les%20priorite%CC%81s%20du%20Plan%20de%20relance%20wallon.pdf
Cinq macro-objectifs
Les partenaires sociaux et le gouvernement conviennent au printemps 2024 de cinq macro-objectifs à l’horizon 2030 :
- L’industrie manufacturière et le secteur de la construction représenteront 25 % du PIB wallon
- Les sites naturels protégés représenteront 5 % du territoire wallon
- Les émissions de gaz à effet de serre seront réduites de 55 % par rapport à 1990
- La part des Wallons exposés à un risque de pauvreté ou d’exclusion sociale aura diminué de moitié par rapport à 2015 (26,5 % à 13,25 %)
- Le taux d’emploi pour les 20-64 ans sera de 75 % minimum

Ces objectifs servent davantage à exprimer aux citoyens-électeurs la volonté politique de nos gouvernements, qu’à évaluer les effets du plan, sauf à croire aux miracles et à l’impact majeur et quasi unique des politiques régionales sur la situation économique, sociale et écologique en Wallonie… Le seul objectif que l’on doit pouvoir garantir sur base du Plan et des compétences réelles de la Wallonie est probablement celui visant la protection des sites naturels.

Premiers éléments d’évaluation 

Il est évidemment trop tôt pour évaluer les impacts de ce PRW toujours en cours de mise en œuvre. L’Institut wallon de l’Évaluation, de la Prospective et de la Statistique (IWEPS) a néanmoins déjà produit quelques rapports intéressants.

Voici un extrait de l’évaluation de l’IWEPS sur « les effets macro-économiques attendus du Plan de relance de la Wallonie à court et moyen termes », dans son rapport de recherche paru en juillet 2022 :
« La prise en compte conjointe du Plan national de réforme et de résilience mis en place en Belgique augmente l’effet sur le PIB wallon de 0,10 point supplémentaire en moyenne (à 0,54 % du PIB). Dans la simulation qui combine ces plans, l’emploi en Wallonie dépasserait de 5.000 personnes le niveau du scénario de référence durant la période 2021-2026, avec un sommet en 2023 de 8.500 personnes. Un peu moins de la moitié de ces créations d’emplois sont attendues dans le secteur de la construction, ce qui fait peser un risque sur les capacités d’absorption du choc en Wallonie à court terme.

En raison de la faible taille et des caractéristiques de l’économie wallonne, le multiplicateur budgétaire du Plan de relance équivaut à 41 cents de valeur ajoutée par euro de dépense initiale [8]. La relance de la demande en Wallonie entraine une hausse des importations, interrégionales notamment, qui augmente l’activité économique en Flandre et à Bruxelles (à hauteur de 28 cents supplémentaires).

Les économies budgétaires pour la Région wallonne resteraient limitées aux montants de la dotation européenne, de sorte que l’endettement public wallon augmenterait à hauteur de 6 milliards d’euros à l’horizon de 2026. Les retours budgétaires attendus du surcroit d’activité en Belgique, de l’ordre de 32 % du montant initial du Plan de relance de la Wallonie, seraient principalement enregistrés dans le budget du Pouvoir fédéral et de la Sécurité sociale. » [9]

Mettre en perspective ces 5.000 emplois au cout global de plus de 7 milliards serait sans doute prématuré, mais tout de même, on peut déjà se dire que cela fait cher l’emploi créé. De plus, qui pourra affirmer que la hausse du PIB ne sera pas synonyme de hausse de rejets de CO² (produit ou importé) ? Enfin, quant à savoir l’impact de ce PRW, et ensuite de son mode de financement, sur la réduction des inégalités, cela restera probablement un mystère…

Questions pendantes

Le PRW pose un nombre important de questions, mais on peut ici déjà mettre en évidence quelques enjeux trop peu apparents :

1. Dès lors que le plan est financé par une dette dont on peut supposer qu’elle pèsera surtout sur les ménages modestes – vu le cadre austéritaire européen associé aux lois de financements des entités fédérées, et vu le contexte politique imperméable à toute idée de taxe nouvelle (fut-elle juste) – les plans de relance ne sont-ils pas la concrétisation du néolibéralisme autoritaire [10] qui socialise les investissements pour mieux assurer la privatisation des bénéfices ?

2. Dès lors que le plan vise principalement la hausse d’activité économique, et que le découplage entre hausse de PIB et consommation d’énergie fossile n’est pas avéré [11] , le principe même d’un plan de relance résilient est-il sérieux et cohérent au regard des enjeux portés par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) ? Ce plan ne participe-t-il pas de la vaste opération de greenwashing laissant croire que l’on peut poursuivre le modèle économique actuel, avec un peu plus d’énergie dite « verte » ?

3. Dès lors qu’il est admis que la rénovation énergétique du bâti est fondamentale, que le secteur de la construction est en manque de bras depuis des années (ce qui en fait un secteur très lucratif), et que le système des primes individuelles à la rénovation est globalement créateur de hausses d’inégalités, d’effets d’aubaine [12], et d’effets rebonds [13] , pourquoi ne pas avoir profité de l’occasion pour investir massivement, par la voie collective d’un service public de la rénovation ciblant des quartiers entiers ? Face à un risque certain de tsunami sur la côte belge, le gouvernement pratiquerait-il le système complexe de prime individuelle à l’achat de sac de sable, ou investirait-il lui-même dans la construction d’une large et haute digue ?

4. Dès lors que la crise du Covid a bien démontré les limites de la digitalisation, au regard d’une fracture numérique croissante et des risques démocratiques majeurs posés, le développement accru de services publics virtuels induits par ce plan ne vient-il pas surtout sonner la sanctuarisation d’une société à deux vitesses ?

5. Dès lors que les plans se suivent et se ressemblent, sans apporter de modifications structurelles majeures, ne revient-il pas aux responsables politiques wallons d’oser la franchise : les compétences wallonnes pèsent trop peu pour agir sur les objectifs politiques qu’ils s’assignent ! Il s’agit donc, soit d’agir en amont des politiques d’autres niveaux de pouvoir qui impactent sérieusement la Wallonie, soit de développer des politiques coordonnées de relance résiliente au niveau belge et de manière bien plus intégrée, soit enfin de revendiquer des leviers régionaux supplémentaires, par le biais de moyens nouveaux ou de compétences nouvelles.

Les besoins restent énormes. Les moyens manquent. Le dogme européen persiste : seul le « marché » peut financer les politiques publiques, seul le « marché » peut mettre en œuvre les politiques publiques. Sans remise en cause frontale des politiques monétaires et budgétaires européennes, et du « tout au marché », il n’y aura pas de « transition juste » et toute « relance » ne sera que « greenwashing » ! 

(*) Service d’étude de la CSC wallonne et francophone


Pour citer cet article :
Lucca Ciccia, « Plan de relance wallon : l’impossible quadrature du cercle », Démocratie, 7 novembre 2023, disponible à l’adresse : https://revue-democratie.be/index.php?option=com_content&view=article&id=1646&catid=38&Itemid=129


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