La banque centrale européenne (BCE) a pris ces dernières années un rôle… central en Europe. Elle vante son indépendance, mais si on se prétend au service de l’intérêt général, pourquoi vouloir être indépendant de la population et de ses représentants ? De plus en plus de mouvements sociaux demandent que les banques centrales prêtent aux États… mais un certain nombre de progressistes s’en méfient encore : pourquoi ces divergences ? Quelques pistes dans cet article.
Une fausse perception de la création monétaire
La monnaie est créée au moment où une banque émet un crédit et accorde ainsi des moyens de paiement nouveaux sur des comptes à vue ; c’est par définition ce qui se passe sur le marché primaire où, en Europe, seules les banques commerciales sont autorisées à opérer.
Comme cela est bien documenté dans l’article paru dans le n°27 de Financité, la BCE ne peut intervenir que sur le marché secondaire ; elle ne peut donc que prendre en pension des titres de la dette existants contre inscription de « monnaie banque centrale » (le moyen de paiement entre banques). Il est donc faux de prétendre que la BCE crée de la monnaie de cette manière ou qu’elle finance indirectement les États ; sa seule aide récemment consiste à prendre en pension en quantités plus importantes qu’elle ne l’aurait fait par le passé des bons d’États devenus « douteux » sur les marchés pour éviter que les taux d’intérêts ne montent trop fort pour les États concernés… en espérant que leurs situations s’améliore à moyen terme. Au passage on notera que la BCE « indépendante » a de cette manière tiré des banques privées d’un mauvais pas (celles qui se sont délestées de ces créances douteuses), et on se convaincra qu’elle saura au besoin se rappeler qu’il reste des contribuables à mettre à contribution. Une fois de plus.
Risque de dumping monétaire ? Ou dumping social réel ?
Il est souvent argumenté que si un État gardait le pouvoir de dévaluer sa monnaie, il fausserait les équilibres économiques et pratiquerait un dumping monétaire déloyal vis-à-vis de ses partenaires commerciaux. Regardons-y de plus près en considérant la dernière décennie où l’Euro est la monnaie unique d’une partie importante des États européens : nous avons une monnaie unique pour un ensemble de pays avec des trajectoires inflationnistes sensiblement différentes résultant en partie significative de politiques salariales non coordonnées ; ainsi par exemple la très forte modération salariale en Allemagne pendant la période lui ayant donné un avantage compétitif évident. Les déséquilibres commerciaux intra-européens y trouvent une bonne partie de leurs explications. Là où une modification des taux de changes aurait permis de corriger la donne, la monnaie unique interdit ces ajustements. Nous sommes loin d’une situation vertueuse et collaborative !
La peur irrationnelle de la « planche à billet »
Sous l’influence du traumatisme de l’hyperinflation des années 1930, l’Allemagne avait calqué la mission de la BCE sur celle de la BundesBank : contrôle de l’inflation essentiellement par le contrôle de la masse monétaire (« M3 » en l’occurrence)… jusqu’au moment où la BCE s’est rendue à l’évidence qu’elle ne pouvait contrôler une évolution de la masse monétaire plus rapide qu’elle n’aurait souhaité !… et que cette évolution n’avait que fort peu de relation avec l’inflation mesurée ! Depuis plusieurs années, ce critère n’est plus central pour la BCE. Il est surprenant que nombre de progressistes en soient encore restés à cette vision monétariste !
De manière plus générale, la « planche à billet » reste une perception monétariste qui a peu de relation avec la réalité. Une remise en cause de ces références est indispensable.
Une contradiction sur la démocratie
Alors que la « démocratie libérale » (la délégation par le biais des élections) reste encore assez largement louée, il est paradoxal d’entendre les mêmes voix s’ériger contre les dérives attendues, presque inévitables, des politiciens. Et si donc des personnes élues vont presqu’à coup sûr tromper l’intérêt général, qui nous assurera que des experts y veilleront mieux ? Sans doute quitte-t-on un peu le cœur du sujet, mais la contradiction doit être relevée.
Pourquoi la banque centrale doit prêter aux États
Nous nous accorderons probablement pour dire que le budget de l’État doit être, bon an mal an, à l’équilibre ; tout en sachant quand nécessaire accepter des déficits pour relancer une économie atone. Une politique fiscale conséquente doit veiller à ces équilibres. Mais après avoir œuvré dans ce sens, s’il y a déficit certaines années, il n’y a pas d’autre choix que d’emprunter. Il faut alors aller à la banque centrale. Cela évitera des charges d’intérêts inutiles et gardera les États hors de l’emprise et du chantage des marchés financiers. Les expériences récentes, brûlantes sous plus d’un aspect, devraient achever de nous convaincre.