Impossible désormais d’imaginer notre vie quotidienne sans eau ou sans énergie. Pour boire, se laver, chauffer sa maison, préparer le repas, manger ou tout simplement recharger son GSM : nous sommes systématiquement dépendants de l’eau ou de l’énergie. L’accès à l’énergie est crucial pour pouvoir vivre dans une société moderne. L’importance de l’eau pour la vie humaine va de soi.
Malheureusement, tout le monde n’a pas accès à l’énergie et à l’eau à des prix abordables. Aujourd’hui, un Belge sur cinq a difficilement accès à une énergie abordable. À Bruxelles, la situation est encore plus extrême : 27 % des Bruxellois ont des difficultés liées au prix de l’énergie et, dans le cas des locataires sociaux, ce chiffre grimpe même à 40 %. Ce contexte a donné naissance à la notion de précarité énergétique et dans un même ordre d’idée, on peut évoquer le problème de la précarité hydrique, qui touche 15 % des Belges et plus spécifiquement 24 % des Bruxellois.
En deux mots : plus les prix de l’énergie et de l’eau sont élevés et plus le nombre de personnes en situation de précarité énergétique ou hydrique est important. C’est exactement ce qui se passe pour le moment, puisque les prix de l’énergie s’envolent. Ils ont presque doublé par rapport à l’année dernière et l’avenir laisse peu d’espoir d’amélioration : le changement climatique, l’abandon progressif des combustibles fossiles, les taxes élevées sur l’énergie, l’augmentation de la demande et une offre en énergie (actuellement) limitée forment un cocktail dangereux, susceptible de pousser une grande partie de la population dans la précarité énergétique.
Si des recherches approfondies sur cette matière sont nécessaires, les solutions le sont encore plus. L’énergie et l’eau sont indispensables pour répondre aux besoins quotidiens (essentiels) et, pour nous en tant que syndicat, voir des personnes incapables de payer leur énergie est un problème grave. C’est pourquoi cette fiche commencera par brosser la problématique et son évolution, pour ensuite dégager des solutions. Chacun devrait pouvoir satisfaire sans problème ses besoins essentiels. C’est la position que nous défendons.
Précarité énergétique
Il est important, dans un premier temps, de définir et de baliser la notion de précarité énergétique.
Au sens large du terme, cette notion renvoie à « l’incapacité pour une personne ou un ménage d’accéder – dans son logement – à l’énergie qui lui est nécessaire à un coût abordable au regard de ses revenus » [1].
On distingue plusieurs formes de précarité énergétique. Les problématiques socio-économiques ont souvent un caractère multidimensionnel et celle-ci n’y fait pas exception. La notion de précarité énergétique doit donc être subdivisée selon trois types d’indicateurs synthétiques :
- La précarité énergétique mesurée
Cette situation vise les ménages qui doivent consacrer une part trop importante de leurs revenus disponibles aux factures d’énergie.
- La précarité énergétique cachée
Cette situation vise les ménages qui ont des factures d’énergie anormalement basses et que l’on soupçonne de restreindre leur consommation par rapport aux besoins essentiels. Cela peut avoir des effets néfastes sur la santé du ménage concerné (par exemple : ne pas chauffer en hiver et tomber malade).
- La précarité énergétique ressentie
Cette situation cible les expériences et le ressenti des ménages par rapport à leur capacité financière à payer les factures d’énergie. Comme son nom l’indique, cet indicateur est purement subjectif, mais il est suffisamment important pour être inclus dans le tableau final.
Situation en Belgique et dans ses 3 régions
Cette répartition de la précarité énergétique selon trois indicateurs nous permet de la mesurer de façon plus précise. Nous examinerons donc dans ce chapitre où la précarité énergétique se manifeste le plus en Belgique [2]. Les chiffres sont présentés schématiquement ci-dessous avec, dans la dernière colonne, le pourcentage total des ménages touchés par la précarité énergétique sur notre territoire.
Mesurée | Cachée | Subjective | Total | |
Flandre | 11 % | 2,5 % | 1,5 % | 15,1 % |
Bruxelles | 14,4 % | 10,5 % | 6,6 % | 27,6 % |
Wallonie | 22,6 % | 3,4 % | 6,4 % | 28,3 % |
Belgique | 15,1 % | 4,2 % | 3,6 % | 20,7 % |
On peut dire que le problème de la précarité énergétique est extrêmement significatif en Belgique. Un total de 20,7 % des ménages belges se trouve en situation de précarité énergétique. À Bruxelles, ce chiffre atteint même 27,6 %.
Vivre en situation de précarité énergétique peut avoir des effets particulièrement néfastes sur la santé. Il est donc très important de s’attaquer à la problématique. Un certain nombre de solutions sont proposées à la fin de cette fiche pour tenter de faire baisser ces chiffres élevés de la précarité énergétique sur le territoire belge.
Quel est le public le plus touché ?
Les chiffres globaux de la précarité énergétique sur le territoire belge sont à présent répertoriés et des questions complémentaires peuvent être posées. Certaines (catégories de) personnes sont-elles plus souvent touchées ? Pour quelle raison ?
- Faibles revenus
La précarité énergétique s’explique avant tout par le rapport entre le prix de l’énergie et les revenus disponibles. Si le prix de l’énergie est élevé, un ménage qui a de faibles revenus tombera beaucoup plus facilement dans la précarité énergétique.
Bien que les prix de l’énergie soient quasiment identiques pour tous (en fonction du fournisseur), on peut dire que proportionnellement, certaines familles paient plus pour leur énergie que d’autres. Leurs revenus étant plus faibles, ce qu’elles consacrent à leurs dépenses d’énergie représente proportionnellement une part plus importante de leur budget. Ces personnes sont le plus durement touchées par les augmentations du prix de l’énergie et sont plus souvent confrontées à une situation de précarité énergétique.
- Isolés et familles monoparentales
La situation et la composition des familles sont également des facteurs importants en matière de précarité énergétique. Les données ci-dessous nous indiquent pour chaque situation familiale le pourcentage du nombre total de ménages touchés par la précarité énergétique [3] :
Population totale | 20,7 % |
Autres | 6,4 % |
Couples avec enfants | 7,6 % |
Familles monoparentales | 32,3 % |
Couples sans enfants | 13,6 % |
Isolés | 38,3 % |
Ces chiffres illustrent clairement que proportionnellement, beaucoup plus de familles monoparentales et d’isolés vivent en situation de précarité énergétique. La principale raison est à nouveau de nature financière. Les familles monoparentales et les isolés doivent honorer leurs factures énergétiques et leurs frais de logement à l’aide d’un seul revenu. Si une personne bénéficiaire de revenus venait vivre sous le même toit, le coût total de l’énergie varierait peu, mais les revenus disponibles à consacrer aux dépenses énergétiques augmenteraient considérablement.
- Femmes et personnes âgées
La compilation des moyennes belges permet d’observer que 16,4 % des femmes vivent dans une précarité énergétique, contre 13,7 % des hommes. Plusieurs causes peuvent l’expliquer. Généralement, les femmes gagnent moins que les hommes en moyenne. Ensuite, les femmes sont surreprésentées dans les ménages les plus vulnérables, puisqu’elles représentent 68 % des personnes isolées âgées et qu’elles sont à la tête de 75% des familles monoparentales. On peut en conclure que les femmes sont beaucoup plus exposées au risque de tomber dans la précarité énergétique que les hommes.
À l’instar des femmes, les personnes âgées sont proportionnellement plus souvent victimes de précarité énergétique. 25,6 % des personnes de plus de 65 ans connaissent la précarité énergétique, contre 12,1% des personnes qui ont entre 18 et 49 ans.
- Locataire (sociaux)
Enfin, une distinction peut être faite en termes de précarité énergétique entre les locataires et les propriétaires de logements. Quelques chiffres globaux permettent d’esquisser la situation en Belgique : 66 % des ménages sont propriétaires de leur maison, 23 % sont locataires sur le marché privé et 7 % sont locataires sociaux. Sur la base de cette subdivision, nous pouvons chiffrer la précarité énergétique comme suit [4] :
Total ménages | 20,7 % |
Locataires sociaux | 41 % |
Locataires privés | 31,6 % |
Propriétaires avec hypothèque | 7,4 % |
Propriétaires sans hypothèque | 21,6 % |
Ces chiffres nous montrent que les locataires d’un logement sont clairement plus vulnérables à la précarité énergétique que les propriétaires. Plusieurs raisons l’expliquent, la plus évidente étant que les locataires (sociaux) disposent globalement de revenus moins élevés que les autres pour payer leur énergie. Mais ce n’est pas tout.
Proportionnellement, les locataires ont souvent des factures énergétiques plus lourdes à cause des mauvaises performances énergétiques de leur logement. Ces logements consomment considérablement plus d’énergie pour la seule et unique raison qu’ils ne sont pas bien isolés, ou que les fenêtres n’ont pas de double vitrage...
Précarité hydrique
La précarité hydrique est la situation dans laquelle se retrouve « une personne qui n’a pas accès à une eau soit en quantité soit de qualité suffisante pour répondre à ses besoins de base : alimentation, hygiène corporelle et logement » [5]. En Belgique, la précarité hydrique résulte principalement d’un revenu trop faible, d’une facture d’eau trop élevée et d’un logement de mauvaise qualité.
Les chiffres suivants brossent un tableau de la précarité hydrique sur le territoire belge [6] :
Flandre | 9,8 % |
Bruxelles | 23,5 % |
Wallonie | 20,7 % |
Belgique | 14,8 % |
De grandes similitudes peuvent être observées entre précarité énergétique et précarité hydrique. Comme dans le cas de la précarité énergétique, un ménage se trouve en situation de précarité hydrique lorsque les dépenses liées à l’eau sont disproportionnées par rapport aux revenus disponibles. On peut en déduire dans le même ordre d’idée que les mêmes catégories de personnes sont particulièrement vulnérables. Les faibles revenus, les personnes isolées et familles monoparentales ainsi que les locataires sociaux sont souvent victimes de la précarité hydrique de façon disproportionnée. Et souvent, ces personnes se trouvent déjà en situation de précarité énergétique…
Perspectives
Comme évoqué ci-avant, la précarité énergétique et la précarité hydrique constituent un problème majeur en Belgique et leurs effets sur la santé ne doivent pas être sous-estimés. On peut dès lors se demander quelles perspectives existent face à ces problématiques. Des améliorations sont-elles en vue ou l’avenir s’annonce-t-il sombre ?
L’évolution actuelle des prix de l’énergie penche clairement en faveur de la deuxième réponse… Les prix du gaz et de l’électricité continuent à augmenter et les ménages qui bénéficient d’un tarif énergétique variable peuvent s’attendre cet hiver à une augmentation de leur facture d’environ 500 euros par rapport à l’année dernière. Une augmentation considérable qui ne sera pas (suffisamment) compensée par des revenus plus élevés.
Selon les prévisions, chaque indicateur de la précarité énergétique va de ce fait augmenter. La précarité énergétique mesurée sera en hausse parce que le prix de l’énergie et les revenus disponibles ne feront que poursuivre leur évolution en sens contraire. La précarité énergétique cachée sera en hausse parce que les prix élevés de l’énergie contraindront les gens à consommer moins, avec toutes les conséquences que cela peut avoir. Enfin, la précarité énergétique subjective sera en hausse parce qu’il faudra faire beaucoup plus attention à sa consommation d’énergie.
La précarité hydrique évoluera également dans la mauvaise direction, avec une hausse de 10 % du prix de l’eau à Bruxelles. D’où le même constat : le prix de l’eau augmente, mais proportionnellement, les revenus n’augmentent pas assez vite. Soulignons en outre que si davantage de personnes se retrouvent en situation de précarité énergétique, la précarité hydrique se manifestera plus rapidement (et vice versa). Malheureusement, l’avenir s’annonce donc particulièrement sombre.
Dans ce contexte, les groupes à risque évoqués ci-avant doivent également bénéficier d’une attention particulière, car on s’attend à ce qu’ils soient à nouveau exposés de manière disproportionnée à l’évolution des prix de l’énergie. Une solution structurelle est donc indispensable pour préserver spécifiquement ces personnes de la précarité énergétique ou hydrique. Ce serait tout bénéfice pour la société.
Solutions ?
La fourniture d’eau et d’énergie à des prix abordables est indispensable pour garantir un certain niveau de vie. À notre époque, vivre sans énergie est dégradant. Vivre sans eau (potable) est impossible. C’est pourquoi nous plaidons, en tant que syndicat, pour que l’énergie et l’eau restent abordables pour tous. Nous pourrions même aller plus et reconnaître l’énergie comme un droit fondamental au même titre que l’eau. L’énergie est nécessaire pour satisfaire les différents besoins essentiels ; en soi, elle est donc au moins aussi importante que les besoins essentiels proprement dits.
Différents moyens permettraient de réduire ou d’éliminer la précarité énergétique et la précarité hydrique. Le prix de l’énergie ou de l’eau pourrait diminuer. Les revenus pourraient augmenter. Mais notre syndicat souhaite un changement structurel. L’énergie doit rester abordable pour tous !
- Élargissement des tarifs sociaux
La précarité énergétique et la précarité hydrique s’expliquent avant tout par des facteurs financiers. C’est donc là que les solutions les plus évidentes sont à chercher. Un élargissement du tarif social applicable à l’eau ou à l’énergie pourrait faire des merveilles. Au lieu d’accorder les tarifs sociaux aux seules personnes ayant un statut social particulier – les chômeurs ou les handicapés, par exemple – nous pourrions en faire bénéficier les personnes à faibles revenus. Les familles monoparentales et/ou les personnes isolées devraient aussi dans certaines situations pouvoir les solliciter.
- Financement de la rénovation de logements
Les locataires (sociaux) formant le groupe le plus vulnérable sur le plan de la précarité énergétique, ils doivent également faire l’objet d’une attention particulière. Souvent, les locataires ne sont pas en mesure de rénover le logement qu’ils louent et rien n’incite directement les propriétaires de ces logements à le faire. Si un propriétaire se lançait tout de même dans des travaux de rénovation, leur coût serait répercuté sur le locataire sous la forme d’une augmentation du loyer.
Pour éviter ce genre de situation, nous préconisons que les autorités octroient des primes pour les rénovations qui, à terme, permettront de réduire (drastiquement) la consommation d’énergie. Citons, à titre d’exemple, une meilleure isolation, la pose de double vitrage ou encore des installations de chauffage plus efficientes. Une habitation mieux isolée réduira drastiquement sa consommation d’énergie, ce qui aura pour effet de réduire les dépenses d’énergie et donc aussi la précarité énergétique mesurée.
- Focus sur les énergies renouvelables
Comme évoqué précédemment, les prix de l’énergie s’envolent. Le gaz et l’électricité sont encore souvent produits à partir de combustibles fossiles, lesquels sont de plus en plus chers et plus lourdement taxés. Il serait donc opportun d’investir largement dans l’exploitation des énergies renouvelables. Les investissements de départ seraient très importants, mais très rentables à terme. Produire soi-même de l’énergie et ne plus dépendre (totalement) du marché privé permettrait aussi de mieux contenir les prix et cela déboucherait sur une augmentation de l’offre d’énergie. Or, lorsque l’offre augmente et que la demande est stable, les prix diminuent.
Conclusion
La précarité énergétique et la précarité hydrique sont largement répandues en Belgique. C’est à Bruxelles que la situation est globalement la pire : 27 % des ménages bruxellois sont confrontés à la précarité énergétique et 24 % connaissent des difficultés liées à la précarité hydrique. Dans un pays prospère comme le nôtre, ces chiffres ne devraient pas être aussi élevés.
Nous avons remarqué que certaines (catégories de) personnes ou (de) familles sont exposées de manière disproportionnée aux conséquences de la précarité énergétique ou hydrique. Ces catégories sont : les faibles revenus, les personnes isolées et familles monoparentales, les locataires d’un logement (social), les femmes et les personnes âgées.
Des projections ont été réalisées concernant l’évolution des prix de l’énergie et de l’eau et malheureusement, l’avenir s’annonce sombre. Si nous n’agissons pas, le problème de la précarité énergétique et de la précarité hydrique ne fera que s’accentuer, surtout dans les catégories à risque précitées.
Il est donc nécessaire de trouver des solutions structurelles permettant de faire face à ces problématiques. Parmi les solutions les plus évidentes, citons l’élargissement du tarif social pour l’eau et l’énergie, dont pourraient alors bénéficier les faibles revenus. Ensuite, les autorités pourraient octroyer une prime à la rénovation des logements afin d’en améliorer la performance énergétique et pour autant qu’elle ne conduise pas à des augmentations de loyer. Enfin, les autorités devraient investir davantage dans les énergies renouvelables, pour accroître l’offre d’énergie et en faire baisser le prix global.
Nous pouvons dire en conclusion que les solutions à apporter à la problématique de la précarité énergétique et de la précarité hydrique doivent être structurelles avant tout. Si la santé (financière, émotionnelle, mentale…) des gens qui vivent dans notre pays est une priorité, l’élimination de toute précarité énergétique ou hydrique doit l’être aussi. Les deux sont en effet indissociablement liés.
Cet article a paru sur le site du Cepag le 18 octobre 2021.
Pour citer cet article : Jules Dirkx, « Précarité énergétique et hydrique : un problème aigu, surtout à Bruxelles », Éconosphères, janvier 2022.