C’est en 1978 que les pays fondateurs de ce qui n’était encore que la Communauté Economique Européenne (CEE) ont publié la IVème directive destinée à normaliser le contenu et la présentation des comptes annuels de certaines catégories de sociétés. Par la suite, cet effort a été étendu aux comptes consolidés (VIIème directive), aux banques et aux assurances.

La revue D’autres Repères
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Bref, au fil du temps, l’information économique et financière a fait l’objet de diverses mesures afin d’en améliorer tant la transparence que la pertinence. Preuve en est la loi d’avril 2008 qui octroie, entre autres, aux représentants des travailleurs un droit à l’obtention de l’information financière via le CPPT lorsque l’entreprise ne possède pas un conseil d’entreprise.

Aujourd’hui, la Commission européenne propose de simplifier les règles comptables pour les PME et d’autres entreprises. Selon elle, ce projet s’inscrit dans le contexte général du « mieux légiférer », un programme dans le cadre duquel la Commission a décidé, en collaboration avec le Parlement européen et les États membres, de simplifier l’environnement réglementaire dans lequel évoluent les entreprises. L’objectif annoncé est de faire en sorte que la législation communautaire en matière de droit des sociétés, d’information financière et de contrôle des comptes annuels réponde aux besoins actuels des entreprises et permette à celles-ci d’être plus compétitives et plus performantes dans un contexte international extrêmement concurrentiel. Dans cette optique, l’Union européenne vise une réduction de charges administratives des entreprises de 25% d’ici 2012.

Or, dans le cadre de réduction des dites charges des petites entreprises, la Commission a qualifié les obligations comptables de « charge administrative », en négligeant l’importance que revêt l’information économique et financière comme instrument de concertation, gestion et communication. Ainsi, à titre d’exemple, si la proposition de la Commission européenne visant à dispenser les petites entités des obligations de publication des comptes annuels devait être adoptée, cela pourrait conduire plus de 94% des sociétés qui y sont aujourd’hui tenues à ne plus devoir procéder au dépôt de leurs comptes, ce qui constituerait un détricotage de 35 ans de pratique et d’harmonisation comptable européenne !

Il s’agit ni plus ni moins d’un nivellement par le bas de l’information financière et notamment du degré de transparence relatif aux comptes annuels.

Pour les néophytes de la comptabilité, les comptes annuels décrivent la gestion d’une entreprise et se composent des parties suivantes :

  • le bilan,
  • le compte de résultats,
  • les annexes,
  • le bilan social.

Le bilan est une photo à un moment donné : il traduit la situation patrimoniale d’une entreprise à la fin de l’exercice comptable (qui correspond généralement à l’année civile). D’un côté, il y a les biens de l’entreprise (ses « actifs »), c’est-à-dire, ce qu’elle possède. De l’autre côté, se retrouvent les sources de financement de l’entreprise (ses « passifs »), c’est-à-dire, les moyens financiers qui sont à sa disposition pour se développer.

Le compte de résultats donne une vue d’ensemble des flux de recettes et de dépenses sur une période donnée, qualifiée « d’exercice comptable ». Il ne s’agit donc plus d’un patrimoine mais des prestations, des recettes et dépenses d’une entreprise durant une certaine période.

Dans les annexes, diverses rubriques du bilan et du compte de résultats sont ventilées en détail et expliquées de manière plus approfondie telles que les investissements, les participations financières détenues dans d’autres entreprises, les provisions ou encore les subsides liés à l’activité de la société.

Le bilan social, quant à lui, contient des informations spécifiques relatives à l’emploi dans l’entreprise : nombre de personnes occupées, rotation du personnel, personnel intérimaire,…, formations suivies par celui-ci.

Au regard de ce qui précède, vous comprendrez aisément la nécessité, non seulement pour les représentants de travailleurs mais également les fournisseurs, créanciers, institutions bancaires et pouvoirs publics, de pouvoir prendre connaissance régulièrement de la santé financière d’une entreprise.

Dans sa proposition, la commission européenne avance principalement les éléments suivants :

  • Création d’une nouvelle catégorie d’entreprises (les micro-entités), assortie de la possibilité de l’exclusion des obligations comptables. Cela signifie selon la banque nationale belge que près de 75 % des entreprises qui déposent leurs comptes actuellement selon le schéma abrégé, en seraient dispensés ! Avec comme conséquence pour les travailleurs de n’avoir plus aucune visibilité sur la santé financière de leur entreprise !
  • Exemption de publication des comptes pour les petites entités.
  • Possibilité pour certaines entités de taille moyenne de bénéficier d’exemptions réservées aux petites entités.

Ces propositions, si elles aboutissent, mèneraient tout droit à des difficultés en termes :

  • D’information des représentants du personnel, qui constitue la clé de voûte de la concertation et du dialogue social au sein des entreprises ;
  • De conditions d’octroi de crédits par les institutions bancaires ;
  • De coûts et charges ( !) administratives accrues liés à l’obligation de répondre à des enquêtes émanant des autorités (visant à collecter des informations aujourd’hui publiques) ;
  • D’information pour les clients et fournisseurs des entreprises/sociétés commerciales ;
  • De calcul de l’impôt. En effet, sachant que la comptabilité est un facteur essentiel en matière de fiscalité, nul doute que la suppression des comptes annuels serait remplacée par d’autres obligations administratives qui entraîneront automatiquement des frais supplémentaires pour les entreprises elles-mêmes !
  • De prévention de risques de faillites et de lutte contre le blanchiment d’argent.

L’objectif principal de la réforme initiée par la Commission européenne est clairement de réduire à sa plus faible expression les comptes annuels en réduisant ceux-ci à 12 chiffres clés au lieu de 160 actuellement ainsi que la suppression pure et simple du contrôle révisoral dans les entreprises de moins de 250 travailleurs. Avouons qu’en pleine crise économique, financière et sociale, les travailleurs auraient pu s’attendre à d’autres mesures en termes de transparence des marchés.

D’un autre côté, la Commission européenne, par l’entremise de son commissaire irlandais du marché intérieur McCreevy (dont le mandat arrive à échéance), n’en est pas à son coup d’essai ! Ancien ministre des finances issu du Fianna Fail, parti de droite irlandais, affilié au Parti européen des libéraux, démocrates et réformateurs ( ELDR) - au même titre que le MR ou le VLD -, McCreevy a été l’artisan d’un vaste plan de dérégulation financière en Irlande. Depuis son entrée en fonction à Bruxelles, il n’a cessé de torpiller toute tentative de régulation ou de supervision financière. Preuve en est, le projet de directive sur les fonds spéculatifs (hedge funds) et autres fonds d’investissement, véritable pied de nez pour ceux et celles qui réclament plus de transparence dans la finance internationale !

Fort heureusement, il s’avère que la proposition de simplification de l’information financière émanant de la Commission européenne doit faire face à des levées de boucliers, notamment en Belgique. Tous les organismes belges concernés, à savoir la Banque Nationale de Belgique, la Commission des Normes comptables, les trois instituts professionnels que sont l’Institut des Réviseurs d’Entreprises, l’Institut des Experts Comptables et des conseils Fiscaux et l’Institut Professionnel des Comptables et Fiscalistes agréés, le Conseil Supérieur des Professions Economiques, la Commission bancaire, financière et des Assurances et le Conseil central de l’Economie (où les partenaires sociaux sont représentés) ont exprimé unanimement leur inquiétude vis-à-vis des mesures proposées.

Le Conseil central de l’Economie, dans son avis unanime du 20 mai 2009, plaide notamment pour le maintien d’une harmonisation européenne et des formats de présentation des comptes garants d’uniformité et de leur comparabilité.

Il insiste également pour la préservation des informations belges existantes nécessaires à l’évaluation de la qualité de la situation financière d’une entreprise.

Conclusions

Nous pouvons aisément déduire que l’adoption d’une telle directive s’accompagnerait de conséquences néfastes pour de nombreux acteurs institutionnels et/ou économiques et principalement pour les représentants des travailleurs. Force est de constater que malgré l’appel des organismes belges à la plus grande prudence de par la crise économique que nous subissons, d’autres, à l’instar de la Commission européenne ne cessent de « revenir à la charge » en prônant une dérégulation pure et simple du cadre actuel. Où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir !

Même si notre pays reconnaît la nécessité de fournir un effort dans la réduction des lourdeurs administratives, il est inconcevable que cela se réalise au mépris de la qualité, la crédibilité et la disponibilité des informations financières. Cette dernière constituant une véritable valeur sociale et économique ajoutée, singulièrement pour le monde du travail !

Orientations bibliographiques

Jean-Luc Struyf, « Comptabilité des entreprises : vers la concurrence entre les pays européens », Echo FGTB, mars 2009

« La Commission Européenne veut-elle réduire la transparence financière des entreprises ? », Echo FGTB, avril 2009

Jean-Luc Struyf, « Les interlocuteurs sociaux s’opposent à un nivellement par le bas des comptes annuels », Echo FGTB, juin 2009

Quatrième directive 78/660/CEE du Conseil du 25 juillet 1978 fondée sur l’article 54, paragraphe 3, sous g), du traité et concernant les comptes annuels de certaines formes de sociétés :http://europa.eu/legislation_summaries/internal_market/single_market_capital/l26009_fr.htm

Septième directive 83/349/CEE du Conseil, du 13 juin 1983, fondée sur l’article 54, paragraphe 3, sous g), du traité, concernant les comptes consolidés : http://europa.eu/legislation_summaries/internal_market/single_market_capital/l26010_fr.htm