La fiscalité est un élément de choix dans le concert des mots bleus. En effet la responsabilité politique immédiate est portée par un ministre libéral depuis près de 10 ans.

Le point de départ de cet article est un état des lieux. Comment ont évolué les recettes fiscales et parafiscales de manière globale et en fonction de ses principales composantes ? Ensuite, quatre mirages bleus sont particulièrement examinés : la courbe de Laffer, le mot d’ordre « un problème, une déduction fiscale [1] », la « flat tax » et la concurrence fiscale. Quelques pistes de réflexion permettent de conclure.

Le contexte

Après autant d’années de battage médiatique, de communication sur la réforme fiscale, des diminutions fiscales et autres mesures favorables aux contribuables, on s’attend à ce que les ressources collectives soient nettement inférieures en 2009 à ce qu’elles étaient, il y a 10 ans.

Mais qu’en est-il en réalité ? L’indicateur le plus utilisé est celui de la « pression fiscale », qui exprime le rapport entre le total des contributions (impôts et cotisations sociales) et le produit intérieur brut.

cliquez sur l’image pour l’agrandir

Même en prenant une échelle qui amplifie les variations, l’impression qui prévaut, sur le long terme, est celle de la stabilité des contributions par rapport à l’activité économique. Le niveau de prélèvement de 2008 est le même que celui de 1985. C’est à dire que les ressources collectives ont augmenté au même rythme que l’ensemble des revenus.
Depuis 2000, il y a bien une légère érosion (-0,7%) des contributions ; mais modeste au regard de celle des années 1988-1989.

Un regard un peu plus affiné peut être porté en décomposant les contributions en 3 catégories : les cotisations sociales, les impôts directs et les impôts indirects.

cliquez sur l’image pour l’agrandir

Depuis le milieu des années ‘90, les cotisations sociales ont augmenté un petit peu moins que le PIB (-0,6%), les impôts indirects (TVA et accises) un peu plus (+1%). Les impôts directs ont légèrement diminué depuis 2000 (-0,7%).

La Belgique est parfois citée comme étant le pays au monde avec la fiscalité la plus importante. Ce n’est globalement pas le cas ; même si la fiscalité et parafiscalité belges peuvent l’être pour certaines catégories de revenus du travail, autour des revenus « moyens ». Le Danemark et la Suède connaissent des ressources publiques de l’ordre de 50% du PIB, en 2006. La Belgique est en 3° position, proche de pays comme la France, la Norvège, la Finlande et l’Italie.

« Trop d’impôt tue l’impôt » ?

« L’impôt peut entraver l’industrie du peuple et le détourner de s’adonner à certaines branches de commerce ou de travail », écrivait déjà A. Smith. Une bonne part des « mots bleus fiscaux » sont bâtis sur cette hypothèse.

L’idée est qu’au-delà d’un certain niveau de taux d’imposition, augmenter le taux va diminuer les recettes obtenues, parce que les contribuables travailleront moins, détourneront des activités vers le secteur informel, pratiqueront plus l’évasion et la fraude fiscale, …

Si, d’un point de vue théorique, on peut comprendre le raisonnement, la détermination du taux « maximal » reste une question ouverte, de même que la forme réelle de la courbe. Les quelques économistes qui s’y sont risqués ont rarement pu fixer un taux « frontière », selon quelques estimations, le taux maximum serait situé entre 50 et 80% du PIB, ce qui laisse de la marge.

cliquez sur l’image pour l’agrandir

Pour les tenants des « mots bleus », les Etats se trouvent quasiment pour tous les impôts dans la phase où réduire le taux des impôts amènerait plus de recettes publiques au final. Ce raisonnement simpliste a deux implications. Il sert d’argument aux diminutions d’impôts, qui rapporteraient des moyens supplémentaires, ce qui évacue rapidement la question de leur financement. En outre, cette illusion discrédite les augmentations d’impôts, qui seraient naturellement contreproductives.

Malgré le peu de crédit que l’on peut accorder à la courbe de Laffer, elle est régulièrement présente dans les mots bleus comme l’indiquent ces quelques illustrations [2] :

- « A ceux qui songeraient à des augmentations d’impôts, Didier Reynders, Premier Vice-Premier Ministre et Ministre des Finances a souligné, dans le cadre des discussions en cours pour le budget 2008 qu’une baisse de la fiscalité avait bien des effets positifs sur les recettes fiscales.  »

- « C’est bien la preuve qu’une baisse de la fiscalité a des effets positifs sur les recettes fiscales », a constaté Didier Reynders

- Dans le domaine des entreprises, Didier Reynders a préconisé une baisse « linéaire » des cotisations patronales. « S’il faut contrôler, vérifier le lien avec la création d’emplois, cela ne fonctionne pas. Cette baisse, additionnée à une autre de l’Isoc, devrait générer de l’activité et dégager ainsi les moyens d’affronter le vieillissement.  »

Deux modifications fiscales récentes sont utilisées en Belgique comme « preuve » du raisonnement :

1. Les droits de donation ont été fortement réduits, en Flandre d’abord. On y a observé une augmentation spectaculaire des droits payés. Ceci s’explique parce que beaucoup de transactions ont été postposées entre l’annonce de la réduction et la mise en œuvre du décret. En outre Les droits de donation sont beaucoup plus avantageux que les droits de succession. Ces derniers vont être nettement réduits dans le futur.

2. La diminution du taux de l’impôt des sociétés (2001), puis l’introduction des intérêts notionnels (2005), ne se sont pas accompagnées d’une réduction des rentrées de l’impôt des sociétés. Ce qui a fait dire au Ministre des Finances que réduire le taux augmentait les recettes de l’Etat. Ce qu’il faut bien voir c’est que les années 2000 ont connu une augmentation très rapide des bénéfices des sociétés belges, plutôt due à la modération salariale, que reflète la diminution de la part des salaires dans la valeur ajoutée. En outre, l’impôt des sociétés devient de plus en plus attrayant, ce qui entraîne nombre de contribuables à soustraire leurs revenus de la progressivité de l’impôt des personnes physiques pour les amener à l’imposition plus légère des sociétés.

Dans la réalité, « l’effet retour » d’une diminution d’impôt ou de cotisation situe en général entre 20 et 30% selon le Bureau fédéral du Plan. Une réduction de 100 millions d’euros va coûter effectivement autour de 75 millions d’euros. On est loin d’un coût nul voire d’un bénéfice comme le vente les supporters d’Arthur Laffer.

"Un problème, une déduction fiscale”

Les économistes et les organismes internationaux nous enseignent qu’un impôt juste et efficace doit reposer sur la base imposable la plus large possible et afficher le taux le plus bas possible. La multiplication des déductions ou réductions d’impôts, leur élargissement, se sont clairement manifestés depuis 1999. Il ne se passe pas 6 mois, une loi-programme, sans de nouvelles dépenses fiscales. L’article 145 du code, qui rassemble un grand nombre de déductions est passé de 23 à 32 rubriques [3].

A titre d’exemple, voici quelques mesures de ce printemps 2009 en plus de l’application de l’accord interprofessionnel :

- une bonification d’interêt (1,5%) est accordée sur des emprunts destinés à des investissements « verts » ;

- dans la déduction pour les dépenses qui économisent l’énergie, ajout de l’isolation des murs et du sol ; en cas de rénovation (>5 ans) report possible sur plusieurs années ;

- augmentation de 0,15 à 0,20 euro/km de l’indemnité « vélo » exonérée, exonération de l’avantage de toute nature « vélo », + amortissement accéléré.

Ces dépenses fiscales sont la plupart du temps socialement peu justifiées :

- il faut payer de l’impôt pour en bénéficier et environ 20% de la population, dont la fraction la plus précarisée n’a pas un revenu imposable suffisant pour en bénéficier ;

- il faut être au courant des mesures et savoir déjà bien calculer pour l’inscrire correctement dans sa déclaration ;

- le montant effectivement déduit augmente avec les revenus (titres services, logement, épargne à long terme), investissements « verts » ;

- les locataires ont de fait moins de possibilités d’obtenir ce type d’aide ;

- le taux de déduction est, pour les déductions les plus importantes, le taux marginal ou le taux moyen d’imposition soit un taux plus important pour les revenus les plus élevés.

De plus, leur accumulation réduit les moyens disponibles pour les besoins collectifs. Les diverses déductions représentent au moins 6% de l’impôt des personnes [4].

Sur le plan de l’efficacité, il y a aussi pas mal de questions à se poser. Il a déjà été démontré [5] que les avantages liés à l’épargne à long terme étaient plus importants pour des placements à moyen terme. L’effet d’aubaine joue un rôle important en ce qui concerne les investissements en logements. Si quelqu’un a vraiment besoin de l’aide, peut-il attendre 2 ans en moyenne avant de l’obtenir ? L’extension des avantages à l’acquisition de logement pousse les prix à la hausse sans retombées sur l’activité économique, … Les déductions liées aux frais d’accueil extra scolaire seraient plus utiles globalement, si elles étaient réinvesties dans les services collectifs, …
Tous ces mécanismes complexifient chaque année la déclaration, nécessitent des attestations, …devraient donner lieu à des contrôles.

Le réflexe bleu s’est propagé à toutes les composantes du paysage politique et mobilise le travail de nombreux parlementaires. Environ 50 propositions de loi ont été déposées dans ce domaine à la Chambre depuis juillet 2007.
Seule une petite partie, heureusement, des propositions sont intégrées dans les lois-programmes. On peut citer les parlementaires cdH, qui verraient bien quelques cadeaux pour les familles ou le capital humain : déduction des frais d’études, de kot, de transport scolaire, de formation, … Les parlementaires écologistes sont naturellement portés vers la bicyclette, les placements éthiques, les investissements qui économisent l’énergie, … Les socialistes ne sont pas en reste. Ils souhaitant réintroduire un crédit d’impôt remboursable, prévoir, pour les Wallons, des déductions pour attirer leur épargne dans la « Caisse d’investissement de Wallonie », augmenter la déduction logement, …

Sous l’impulsion bleue, l’impôt est de plus en plus mis au service de la « compétitivité », via le mécanisme du non versement du précompte : le précompte est retenu normalement sur la fiche de paie du travailleur ; mais l’employeur au lieu de tout verser au SPF Finances, en garde une partie. Cela s’applique essentiellement aux heures supplémentaires, au travail de nuit, au travail en équipe, aux chercheurs. Une nouvelle extension accompagne l’accord interprofessionnel 2009-2010. La sécurité sociale est préservée mais … la différence entre l’assuré social actif et le contribuable est relativement mince.

La « Flat tax »

« Il faut que le travaille paie », difficile de dire non, sauf que derrière cette sentence peut se cacher un atteinte forte à la progressivité de l’impôt, que recouvre le mot très bleu et pas très beau de « flat tax » [6]. Côté francophone, seul le parti (?) Lidé est derrière ce projet ; mais en Flandre, c’est au programme de la Liste De Decker et recueille pas mal de suffrage au VLD.

Le Manifeste du MR est cependant ambigu sur la question. « L’impôt équitable est celui qui permet aux citoyens de contribuer à l’effort commun en proportion de leurs revenus. Il est totalement inacceptable de faire porter sur les épaules plus fragiles une contribution excessive. A ce titre, la poursuite et l’intensification de la lutte contre la fraude fiscale est une exigence légitime de civisme. » . Cette position est compatible aussi bien avec un système d’imposition progressif que proportionnel.

Le principe initial de la « flat tax » est d’avoir un seul taux d’impôt, peu importe la base imposable : impôt des sociétés, revenus financiers, revenus du travail, TVA, … et en principe dès le 1° euro.

Pour « vendre » la proposition, un taux très bas est proposé, par exemple 25%. Appliqué en Belgique, avec le maintien du minimum imposable actuel, ce qui assure une certaine progressivité, un taux de 25% creuse un trou budgétaire très important d’environ 9 milliards d’euros. Pour une opération « neutre » sur le plan budgétaire et intégrant les effets retours, un taux autour de 40% est nécessaire.

Le public principalement touché par une réforme de ce type « budgétairement neutre », c’est-à-dire avec un taux de 40%, serait les allocataires sociaux. En effet, pour pallier la faiblesse des allocations, un système fiscal particulier a été mis en place pour les revenus de remplacement, assurant une taxation réduite par rapport au système général.

Les effets d’une « flat tax » par groupe socioprofessionnel

La discussion sur la « flat tax » permet cependant d’ouvrir le débat sur les déductions fiscales. En effet, dans un tel système elles devraient disparaître. L’écart entre l’impôt des personnes et celui des sociétés, entre les sociétés elles-mêmes (taux réduits pour les PME) et les fameux intérêts notionnels sont incompatibles avec le projet de « flat tax ».

La concurrence fiscale

Que ce soit au plan interne (régionalisation, communes, …) au plan européen, international, la concurrence fiscale est synonyme, en langage néo-libéral, de limitation ou de réduction d’impôts. Un peu comme la concurrence sur un marché peut limiter la hausse des prix.

La concurrence bénéficie généralement aux revenus les plus mobiles : les bénéfices des sociétés, les revenus mobiliers, les (très) hauts revenus.

Le MR a une position partagée dans son Manifeste fondateur. « Les réformateurs souhaitent une harmonisation fiscale au niveau européen pour éviter toute concurrence déloyale entre Etats au sein de l’Europe et réduire aussi progressivement la pression fiscale dans l’ensemble de l’espace économique européen. » On peut en déduire un soutien à l’harmonisation, si elle permet de diminuer l’impôt. D’autres partis de droite, en Europe, sont plus ouvertement favorables à la concurrence fiscale.

Au plan européen, la concurrence fiscale était encore dommageable dans certains domaines à la fin des années ’90. Depuis lors, le terme dommageable a largement disparu pour l’impôt des sociétés, notamment suite aux élargissements. Le groupe chargé de mettre fin aux pratiques dommageables n’a plus de feuille de route depuis plusieurs années. La concurrence s’est déplacée des régimes d’exception vers l’ensemble de l’impôt sur les bénéfices. Une indication de la concurrence entre pays est fournie par l’évolution du taux officiel de l’impôt des bénéfices des sociétés. La moyenne des taux est passée de 36 à 26,5% pour l’Europe des 15 en 10 ans. Pour les pays qui ont adhérés à l’Union en 2004, la moyenne est passée de 31% à 21%.

Evolution du taux de l’impôt sur les bénéfices des sociétés (source Ires-UCL)

cliquez sur l’image pour l’agrandir

Au plan interne, avec les intérêts notionnels, on réentend un air connu. Au début des années ’80, avaient été mis en place des centres de coordination. A présent il faut à nouveau être « compétitif », attirer les investisseurs étrangers, faire mieux que les pays voisins, …

A la veille de discussions institutionnelles, plusieurs voix politiques, en Flandre, appuient l’idée d’une régionalisation totale ou partielle de l’impôt des sociétés, ce qui déclencherait probablement une concurrence entre les régions belges, facilitée par le fait que les entreprises importantes sont présentes dans 2 ou 3 régions.

Pour les revenus financiers, des avancées ont été faites avec la directive épargne, qui touche les revenus d’intérêt. Elle est d’application depuis juillet 2005 et une proposition de révision a été formulée par la Commission pour élargir le champ d’application et éviter les échappatoires les plus visibles.

La crise financière, la mise en lumière du rôle des paradis fiscaux, du secret bancaire dans certains pays ou territoires associés ravivent les activités de l’OCDE en matière de lutte contre la concurrence dommageable. Des propositions avaient été formulées en 1998 déjà et étaient, pour la plupart restée lettre morte.

En guise de conclusion

Les mois et les années à venir pourront laisser la place à d’autres mots dans les matières fiscales. Des mots plus solidaires et porteurs de progrès.

Le rôle premier de la fiscalité est de permettre le financement des biens et services collectifs. Le Moc et ses organisations contribuent à la sensibilisation, l’information sur des questions comme « où vont nos impôts ? à quoi servent-ils ? », sur les gains des achats collectifs de services par rapport aux marchés privés, …
Il serait intéressant de renforcer le suivi, l’évaluation des dépenses fiscales et plus largement des dépenses publiques.

La fiscalité est un des leviers de la redistribution. Elle permet de financer des services, comme l’enseignement ou la santé, qui sont accessibles en fonction des besoins et non des moyens. Au travers de la progressivité, surtout présente dans l’impôt des personnes, chacun participe au financement en fonction de ses capacités contributives. Plutôt que de remettre en cause la progressivité, il s’agit de la rendre plus réelle, en luttant contre la fraude, l’évasion fiscale et en prenant en compte l’ensemble des revenus, y compris financiers.

La coopération fiscale, des pas vers l’harmonisation, en matière d’impôt des sociétés comme une base comparable et un taux minimum à 25-30%, pour imposer mieux les revenus de l’épargne sont possibles sous la prochaine législature européenne et devraient, espérons-le, être particulièrement soutenus par la présidence belge de l’Union en 2010.

Notes

[1« A problem, a tax relief », expression attribuée à R. Reagan

[2Source : www.mr.be

[3Quelques exemples d’extensions : accueil des enfants au-delà de 3 ans ; logements extension aussi pour les acquisitions ; relèvement des montants pour l’épargne pension.
Quelques exemples de nouvelles dépenses fiscales : sécurité (alarme), voitures propres, économie d’énergie avec une liste qui s’allonge, maison passive, rénovation urbaine, obligations publiques ciblées, …

[4Source : Inventaire des dépenses fiscales 2006, Chambre des représentants doc 52 1527/010. Les derniers chiffres publiés en février 2009 se rapportent à l’année 2005. Ne sont pas considérées ici comme dépenses fiscales les réductions d’impôt pour revenus de remplacement.

[5C. Valenduc, SPF Finances.

[6Pour en savoir plus : « La Flat Tax, Un rêve pour certains, un cauchemar pour les autres », Dossier du Service d’Etudes de la CSC, N°4, Koen Meesters et Luc Simar, 2008.