Le court-termisme qui accompagne bien souvent l’analyse des crises du capitalisme empêche trop souvent une compréhension systémique du phénomène. C’est pourtant sous l’angle du système que la FGTB wallonne a décidé d’appréhender cette problématique à travers les regards croisés de plusieurs travailleurs et travailleuses du CEPAG (Centre d’Éducation Populaire André Genot). Voici un premier opus, rédigé en avril 2011, qui en appelle d’autres...
Les 3 années écoulées depuis la faillite des banques américaines ont démontré à souhait que nous sommes bien dans une crise structurelle du capitalisme, qu’on tend à faire payer par le monde du travail.
L’approfondissement des inégalités sociales, le recul de la part des salaires dans la distribution des richesses et le développement de la consommation à crédit sont à l’origine de la crise financière. Et pas, comme certains tentent encore de le faire croire, le comportement malhonnête et irresponsable de quelques acteurs financiers.
L’appauvrissement de la classe moyenne aux USA, assorti d’une autorisation de recours massif à l’endettement à bas taux progressif pour doper le secteur de la construction et de l’immobilier fut l’élément déclencheur. Le modèle reposait sur un remboursement des prêts par l’éventuelle revente des immeubles sur un marché en hausse. La crise est apparue quand le marché immobilier s’est effondré.
Le crédit est nécessaire au capitalisme pour soutenir l’investissement et la consommation. Mais, en l’absence de régulation, l’accaparement du profit financier des montages basés sur l’endettement par une poignée d’initiés a finalement provoqué une crise financière.
Les défaillances du système ont été sciemment ignorées, en raison de l’adhésion générale au mythe de l’autorégulation.
L’élimination de la séparation entre le système de paiement et le système spéculatif a créé une situation explosive. Née de pratiques incontrôlées des banques aux USA, la crise financière s’est transformée en crise généralisée du financement public.
Suite aux imprudences de leurs organismes bancaires vis-à-vis de produits structurés dangereux, les Etats européens sont intervenus au départ des budgets publics, s’enfonçant dans l’endettement pour sauver leurs banques, sans rien exiger en échange.
La crise est devenue alors une crise souveraine touchant les différents Etats de la zone Euro.
La volonté commune de réguler le secteur bancaire pour éviter de futurs accidents, apparue à l’occasion de la crise financière, s’est rapidement délitée.
La thèse dominante selon laquelle c’est en libérant les marchés de toute entrave qu’on peut atteindre le maximum de rationalité a retrouvé ses marques.
L’objectif poursuivi reste clairement sauver le système, pas le changer !
En effet…
Dans un premier temps, les États européens ont réagi en renforçant les « stabilisateurs sociaux » pour maintenir l’emploi et soutenir la relance économique.
En Belgique, le recours au chômage économique (amélioration et extension aux employés) et aux formules de réduction individuelle du temps de travail (crédit-temps, prépension) a permis d’amortir le choc.
Rapidement, en l’absence de mesures de contrôle des banques et de mutualisation des dettes publiques au niveau européen, la spéculation contre la dette souveraine des États - les agences de notation jouant à accentuer la défiance - a entraîné dans la tourmente les États plus fragilisés : la Grèce, l’Irlande puis le Portugal.
L’Europe a décidé alors d’intervenir pour rassurer les marchés, les États se révélant prêts à assainir sur le dos des citoyens.
Un fonds de stabilisation de l’euro a été improvisé, qui s’est révélé très lucratif pour les grands États de la zone. En contrepartie d’un soutien collectif au financement des dettes des États, l’Europe leur impose de pratiquer une austérité touchant à l’absurde dans la mesure où elle crée les conditions d’une nouvelle récession.
Soucieuse avant tout de faire respecter le pacte de stabilité, l’Europe introduit, sous le vocable de « semestre européen », une procédure de surveillance mutuelle plus stricte et adopte un calendrier de réduction des dettes publiques en porte-à-faux avec les besoins d’une relance économique.
Au menu : coupes sombres dans les dépenses publiques (services publics et prestations sociales), modération salariale stricte, flexibilisation accrue du marché du travail, relèvement de l’âge de départ à la retraite et réforme des pensions.
Et si cela ne suffit pas, le basculement vers une fiscalité plus centrée sur la consommation est préconisé.
Pour Merkel et Sarkozy, le renforcement de la compétitivité est « la » condition d’un avenir européen.
Dans cet objectif, le salaire est « la » variable d’un nécessaire ajustement des coûts de production, les dépenses publiques celle d’un nécessaire ajustement budgétaire.
Le défi lié à l’avenir des pensions est instrumentalisé au service d’une vision économique de droite.
Il est présenté comme étant celui du maintien à l’emploi des travailleurs âgés (allongement des carrières) et de la responsabilisation individuelle par rapport au financement de la vieillesse (généralisation de pensions en capitalisation et privatisation de pans de l’assurance santé), et pas pour ce qu’il est, c’est-à-dire celui du développement des services et de la redistribution des richesses.
Le capitalisme confronté à la crise d’un de ses rouages, la finance, cherche, classiquement, à sortir de l’impasse en menant une offensive antisociale d’envergure. L’Europe néolibérale, construite sur la libre circulation des capitaux, lui déroule un tapis rouge.
Les entreprises cherchent à rétablir - voire à étendre - leur marge au détriment des salaires, de l’embauche et des conditions de travail.
La crise énergétique et la crise écologique viennent toutefois compliquer le tableau.
Les prix des matières premières montent et l’inflation - en grande partie cachée par un index amputé qui ne reflète pas l’évolution réelle des coûts - a repris du poil de la bête, entrainant une baisse du pouvoir d’achat.
En 2010, les résultats de nombreuses entreprises industrielles se sont révélés très profitables sans que les travailleurs n’aient accès au partage des bénéfices.
Les bonus et salaires des grands patrons explosent à nouveau, les salaires des travailleurs, quant à eux, sont bloqués.
Le capitalisme se conforte sur la croissance des inégalités. Il profite de la crise pour approfondir l’écart d’évolution entre revenus du travail et du capital, sans tenir compte d’enjeux collectifs à long terme.
Les mesures prises, aux conséquences sociales négatives, créent des tensions qui menacent la construction européenne, perçue par les populations, de plus en plus, comme uniquement au service des marchés.
Chaque pays tente de tirer son épingle du jeu au prix d’une concurrence exacerbée pesant sur les travailleurs et les allocataires sociaux.
En Belgique, malgré l’absence de Gouvernement fédéral, la population a, jusqu’à présent, moins souffert que celle des autres Etats européens, sans pour autant que la situation globale du pays ne s’aggrave. Le budget tient la route et la dette diminue sans mesures d’austérité.
Le paradoxe n’est qu’apparent dans la mesure où les gouvernements en place ont tous mis en œuvre des politiques d’austérité au service du système.
Dès le début, la FGTB wallonne a dénoncé, derrière la crise financière, une crise structurelle du capitalisme. La campagne « le capitalisme nuit gravement à la santé » répondait à l’urgence de favoriser et soutenir une prise de conscience nécessaire pour organiser la résistance.
Le sauvetage des banques privées par l’Etat offrait une opportunité unique pour expliquer les dérives du capitalisme et mettre sur la table des propositions concrètes visant :
- la régulation du secteur bancaire
- la création d’une banque publique
- la limitation des bonus
- une fiscalité équitable (suppression des intérêts notionnels, levée du secret bancaire, impôt sur le capital...)
- une politique de relance économique qui tienne compte des enjeux environnementaux
- la réduction collective du temps de travail (emploi de qualité pour tous)
- la défense et le développement des services publics
- le renforcement du système de pensions légales par répartition dans le cadre d’une sécurité sociale forte et solidaire.
Certes, des résultats ont été engrangés par rapport à certains de ces objectifs, tant au niveau régional que fédéral. On pointera :
- la création de la Caisse wallonne d’Investissement
- une série de mesures de soutien au pouvoir d’achat des travailleurs et des allocataires sociaux
- un accompagnement syndical du Plan Marshall 2.Vert de relance économique
- l’amélioration et l’extension temporaire du chômage économique
- un premier pas - timide mais appréciable - vers la levée du secret bancaire.
Il faut constater cependant que les mesures prises s’inscrivent dans des politiques conjoncturelles et ne participent en rien à une remise en cause du système.
Pour preuve :
- La régulation du secteur bancaire, la suppression des intérêts notionnels, la levée totale du secret bancaire et l’impôt sur le capital restent loin d’être acquis, même si ce ne sont plus des sujets tabous. L’opinion du public ainsi que d’une partie du monde politique évolue mais l’absence d’harmonisation fiscale européenne sert de bouclier aux défenseurs de l’immobilisme.
- La réforme des pensions reste dans les cartons, gelée uniquement par défaut de gouvernement à part entière. L’Europe fait pression tandis que la classe politique et l’opinion publique restent largement convaincues d’une fatalité liée au vieillissement de la population, obligeant tant à reculer l’âge du départ à la retraite qu’à revoir le système de financement pour y introduire une composante en capitalisation.
- La réduction collective du temps de travail ne rencontre que très peu d’adeptes et - y compris dans l’organisation syndicale - le doute domine quant au réalisme d’une telle revendication. La flexibilité et l’individualisation de la négociation du temps de travail ont fait des dégâts, la multiplication des formules de réduction individuelle du temps de travail également !
Il est clair que si quelques batailles ont été gagnées, la guerre est loin d’être finie.
Le récent épisode de l’AIP et les décisions du sommet européen en témoignent, si nécessaire encore. Quelques miettes ont été distribuées aux travailleurs et allocataires sociaux tandis que le projecteur est temporairement recentré sur le cadre général du Pacte européen indigeste, pour tenter de calmer la grogne.
Le changement de système n’est pas à l’agenda des décideurs politiques.
Ils ne remettent pas en cause la logique de marché.
Ils voient dans l’augmentation de la compétitivité « la » méthode pour rembourser la dette.
Et maintenant ?
La crise a une fois de plus montré que le capitalisme laissé à lui-même tourne fou, ce qui réhabilite l’Etat dans son rôle de régulation et de contrôle.
Le fossé reste cependant immense entre les tenants du marché libre, présents à tous les niveaux et dans tous les rouages de la décision politique, partisans tout au plus d’une régulation étroitement circonscrite à la consolidation du secteur bancaire, et ceux, issus de différents horizons, qui estiment que le système a montré ses limites et que l’heure du changement a sonné.
La résistance aux plans d’austérité au niveau de chacun des États est indispensable mais ne suffira pas. Elle devra nécessairement s’inscrire dans la construction d’une réaction orchestrée, portée solidairement au niveau européen, visant à changer fondamentalement les règles du jeu.
Le rapport de force permettant de sortir d’un système entièrement construit en référence à la compétitivité nécessite la mise en cohérence des différents mouvements (environnemental, syndical, mouvement pour la décroissance…) entrés en résistance au départ d’analyses et priorités immédiates différentes.
Parallèlement à la conscientisation de la population et à la mise en réseau des énergies combattives, des objectifs syndicaux concrets devront être définis - régionaux, nationaux, européens -, complémentaires pour construire un projet européen alternatif au service des populations et pas du capital.
Plus précisément, il s’agit d’avancer tout à la fois sur le plan :
- du contrôle du système économique :
- régulation des secteurs financier et bancaire en lien avec les besoins de l’économie réelle
- contrôle des prix de l’énergie
- renforcement de la concertation sociale
- de la répartition du profit :
- définition d’une norme actionnariale
- plafonnement des bonus et instauration d’un salaire maximal
- convergence de la fiscalité sur le capital (transactions, plus-values…)
- réduction collective du temps de travail en lieu et place des réductions de cotisations et déductibilités fiscales.
- harmonisation des normes sociales
- de la réponse aux besoins sociaux, c’est-à-dire :
- développement des services publics
- politique d’investissement public - sur base d’un budget européen élargi - dans des secteurs porteurs d’emplois, respectueux d’un développement durable, notamment dans le développement de services répondant aux besoins communs des populations (par exemple, les besoins liés au vieillissement de la population).
Dans ce cadre, au niveau européen, porter en commun quelques grandes revendications pourrait avoir un effet de levier.
Par exemple :
- annulation de la dette publique des Etats à hauteur des moyens engloutis dans le sauvetage des banques
- mutualisation des coûts de la dépendance au sein d’une branche d’assurance publique européenne.
- fixation d’un salaire minimum européen indexé sur la productivité des pays
- lutte contre le projet de marché transatlantique.
Chacun se rappellera que l’accumulation de bonds quantitatifs conduit au bond qualitatif.