Il est frappant d’observer que les « programmes d’ajustement structurels ou d’austérité » se retournent maintenant contre les pays du « centre ». Ce sont ces derniers qui les ont imposés depuis 50 ans aux pays sous-développés et depuis 20-25 ans aux pays d’Europe du centre ex-communistes.

Maintenant, les attaques en question ne concernent plus seulement les pays appauvris ou les pays à la marge de l’Union européenne (UE) mais aussi les six pays fondateurs de l’UE, tel que la Belgique ou encore les États-Unis. Jusqu’ici, nous connaissions de la TV les pays lointains qui ont subi les attaques. A présent, c’est chez nous grâce à l’UE ! [1]

La distinction entre les notions du centre et de la périphérie provient des travaux du français Fernand Braudel et de l’américain Immanuel Wallerstein. Selon ces travaux, tout espace se subdivise en sous-ensembles entre lesquels existent habituellement des inégalités variées de développement. Le centre correspondrait à

  • une population bien formée,
  • une capacité notable de production,
  • une disposition des moyens militaires adéquats
  • une ancienneté du développement relativement aux sous-ensembles territoriaux voisins,
  • un degré élevé d’innovation et
  • une attraction démographique.

De son côté, la périphérie est fort dépourvue de ces caractéristiques ! Le centre n’est pas toujours unique dans un monde multilatéral et les périphéries s’avèrent multiples. Il existe aussi des semi-périphéries. Les rapports de force entre ces sous-ensembles se caractérisent par leur déséquilibre.

Partant ainsi de l’hypothèse que le capitalisme comportait, du moins jusqu’ici, des « centres » et des « périphéries », je me demande donc si depuis les années 1990 nous n’arrivons pas à un stade de la « globalisation » où l’attaque du capital se concentre sur les pays du « centre », des deux côtés de l’Atlantique. Les attaques des multinationales, relayées par les institutions internationales, se présentent sous forme des programmes d’austérité. Ces programmes se réfèrent au dit « consensus de Washington » depuis des décennies.

Ce fameux consensus vise un ensemble de mesures contraignantes mais pointe avant tout l’Etat providentiel de bien-être. Les mesures prétextent des difficultés des pays face à leur dette, bien sûr uniquement public [2]. Elles sont exécutées par les institutions financières internationales siégeant à Washington et à prédominance américaine et maintenant par celle de l’UE [3]. La dette dont il est toujours question correspond à celle des pouvoirs publics. Elle ne concerne ni les dettes des entreprises ou des banques, ni celles des particuliers, représentant pourtant 3 à 10 fois des dettes publiques et croissant également bien plus vite.

Le consensus est, avant tout, dix propositions au niveau de l’Etat mais en faveur du capital, des grandes entreprises ou de leurs actionnaires :

  1. une stricte discipline budgétaire, sans augmentation des impôts réels sur les revenues et les fortunes ;
  2. cette discipline budgétaire s’accompagne d’une réorientation des dépenses publiques vers des secteurs offrant à la fois un haut taux du profit privé eu égard des investissements ou placements privés ;
  3. la réforme fiscale, c’est-à-dire baisser les impôts en faveur des mieux lotis et éviter toute hausse d’impôt sur les revenus des particulier et des entreprises, sauf par les impôts indirects (TVA ou accise sur l’essence) ;
  4. la fixation des taux d’intérêts par des banques privées, c’est-à-dire la privatisation de la politique monétaire et de la création monétaire. Il en est de même pour les taux de change ;
  5. les réformes dites structurelles comme la privatisation des services publics tels que la santé ou les pensions, l’abandon de beaucoup de garanties des conditions de travail humaines ou la « libéralisation » des heures d’ouvertures des magasins, etc. ;
  6. l’abandon de toute politique du commerce extérieur, en laissant aux multinationales privées de le gérer à leur guise ;
  7. l’interdiction de toute politique d’investissement, sauf la subsidiation massive des entreprises privées ;
  8. la privatisation des entreprises, des banques et des services publics autant que faire ce peut ;
  9. le renoncement de toute planification et de réglementations du fonctionnement de l’économie ;
  10. la garantie et la protection absolue de la propriété privée telles que les moyens de production, les découvertes intellectuelles, les actions, les avoirs financiers, etc. mais pas bien sûr les habitations des particuliers endettés et en cessation de remboursement due à la baisse de leurs revenus.

En lisant cette liste, on comprendra que les mesures d’austérité que nos gouvernants nous promettent ou appliquent déjà risquent notamment

  • d’atteindre la justice élémentaire et d’accroitre des inégalités ;
  • de susciter de réactions d’extrêmes droites, de xénophobies et d’exclusions ;
  • de miner notre démocratie déjà fort limitée au seul politique, à l’exclusion de la culture ou du social-économique ;
  • d’aboutir à des mouvements violents de protestations plus importants encore que ceux plus récents de Madrid, de Rome, de Paris ou de Londres.

Ne convient-il pas de repenser d’urgence notre rapport avec nos gouvernants, avec nos représentants tels que les partis et les parlementaires, les organisations syndicales, les mouvements écologiques, les associations de consommateurs et… les mouvements de paix en vue d’une pensée à renouveler, d’une efficacité accrue et d’une manière d’agir nouvelle ?

L’économie même si elle était humaine et non capitaliste ne devrait-elle être au service de la société ? Et, s’il s’agit du capitalisme globalisé n’est-ce pas une raison supplémentaire d’avoir la volonté de vouloir reconstruire notre société ?

Notes

[1voir les deux articles de Paul Pasterman dans Démocratie, le 1 octobre 2011 : www.revue-democratie.be et pour les détails techniques : http://www.comitesactioneurope.blogspot.com/.

[2La plupart des gens ignore que les dettes des particuliers, des ménages restent insignifiantes par rapport aux deux autres catégories de dettes privées.

[3C’est l’UE qui conçoit et impose les mesures d’austérité radicales au nom de la stabilité. En réalité, il soumet le fonctionnement socio-économique entier à la logique privée ! Voir l’article « Le Mécanisme européen de stabilité » paru dans le dernier bulletin de la Banque centrale européenne du juillet 2011.