Parmi les nombreuses attaques contre l’assurance chômage, le gouvernement Papillon prévoit une importante réforme des allocations d’attente. Changement de dénomination, allongement de la durée de stage, limitation des allocations dans le temps, renforcement des contrôles de « recherche active d’emploi »… Les bouleversements sont nombreux et profonds. Ils annoncent un véritable bain de sang social, sans précédent dans l’histoire de la Sécurité sociale belge.
Bref rappel historique
Les allocations d’attente ont été instaurées au début des années 70 dans le contexte de la crise pétrolière et de l’explosion du chômage. Elles permettent aux jeunes demandeurs d’emploi de percevoir une allocation forfaitaire sur base de leurs études. Les conditions nécessaires pour en bénéficier ont évolué au fil du temps et des changements de législation. Elles peuvent également varier selon le parcours scolaire et l’âge du jeune. Le montant du forfait est quant à lui déterminé par la situation familiale du sans emploi (chef de ménage, isolé, cohabitant privilégié ou pas).
Ces allocations d’attente permettent donc à des jeunes, qui n’ont pas travaillé suffisamment pour être admis au bénéfice des allocations de chômage, de bénéficier d’un « minimum vital » qui reste cependant bien inférieur au seuil de pauvreté [1].
Situation jusqu’au 31 décembre 2011
Pour pouvoir bénéficier d’allocations d’attente, le jeune devait être âgé de moins de 30 ans, avoir terminé certaines années d’études (variables selon le type d’enseignement) et avoir été inscrit comme demandeur d’emploi durant une période variant de 6 à 12 mois selon son âge.
Durant ce stage, il devait être inscrit comme demandeur d’emploi et rechercher activement un travail. Cette obligation impliquait de répondre à toute invitation ou injonction du service régional de l’emploi [2] au risque de voir son stage suspendu ou même définitivement annulé.
Sous certaines conditions, les périodes de travail étudiant prestées durant les études (en dehors des vacances d’été) pouvaient raccourcir jusqu’à trois mois la durée du stage.
Après ce stage, le jeune bénéficiait des allocations d’attente jusqu’à ce qu’il ait trouvé un emploi. En cas de travail à temps partiel, il pouvait bénéficier, sous certaines conditions, d’une allocation de garantie de revenus (AGR).
Comme tous les chômeurs, les allocataires d’attente étaient évidemment soumis au contrôle de disponibilité ONEM et devaient suivre les recommandations du service régional de l’emploi.
Ce qui a changé depuis le 1er janvier 2012
Les allocations et stage d’attente ont été rebaptisés « d’insertion ». Même si ce changement d’appellation est loin d’être cosmétique - il cadre parfaitement avec la conception, actuellement très « en vogue », de l’Etat social actif - il ne constitue pas la modification principale de ce régime. Comparé à son prédécesseur, le nouveau système ressemble en effet à s’y méprendre à une espèce en voie de disparition.
En effet, tant les conditions d’accès que le droit aux allocations sont fortement restreints.
Ainsi :
La durée de stage est portée à un an pour tous, indépendamment de l’âge. Cette prolongation vaut pour tous les jeunes inscrits, même ceux dont le stage a débuté en 2011.
La « recherche active d’emploi » des jeunes en stage sera évaluée à trois reprises durant les 12 mois. Il faut trois évaluations positives pour terminer son stage et bénéficier des allocations.
Le travail étudiant ne raccourcit plus le stage d’insertion.
Les allocations sont limitées dans le temps : pas plus de 3 ans ! Le compteur de ces trois ans a débuté le 1er janvier dernier. Concrètement, cela signifie que les cohabitants dits « non-privilégiés » [3] comptant plus de trois ans de chômage au 1er janvier 2015 seront automatiquement exclus à cette date. Pour les demandeurs d’emploi connaissant une autre situation familiale, cette mesure s’appliquera à partir de l’âge de 33 ans.
Les bénéficiaires d’allocations d’insertion seront en outre soumis à des contrôles semestriels de leur recherche d’emploi (qui viendront s’ajouter aux contrôles de disponibilité de l’ONEM et à l’accompagnement régional déjà existants).
Les sanctions du contrôle de disponibilité sont renforcées pour la catégorie des allocataires d’insertion.
Il existe quelques exceptions qui permettront à un sans emploi d’échapper à la limitation dans le temps des allocations d’insertion : 156 jours [4] de travail sur les 24 derniers mois, formation professionnelle, suivi d’études… Elles ne concerneront cependant que peu de sans emploi et ne feront que reporter une future exclusion de quelques mois.
Dans 3 ans, des exclus par dizaines de milliers.
Le projet initial de Déclaration de politique générale laissait penser que les cohabitants ne bénéficieraient pas du « sursis » de trois ans. En décembre dernier, la FGTB wallonne avait donc alerté les médias et l’opinion publique : 24.000 exclusions étaient à craindre dès le 1er janvier 2012 !
Ce pavé dans la mare, s’il en a inquiété plus d’un, aura au moins eu le mérité d’inverser la tendance. L’arrêté royal définitif prévoit en effet que le compteur de trois ans débute le 1er janvier 2012 pour tous les allocataires d’attente, quelle que soit leur situation familiale.
Mais cela ne fait que reporter le désastre…
Au 1er janvier 2015, ce sont près de 40.000 bénéficiaires d’allocations d’insertion qui risquent d’être exclus, dont plus de 70% en Wallonie ! C’est le nombre de demandeurs d’emploi qui se trouvent actuellement dans les conditions d’une exclusion potentielle. Evidemment, personne ne peut prédire quelle sera la situation de chacun de ces 40.000 personnes dans trois ans. Mais, à moins d’un changement radical de cap politique, tout laisse à penser que le nombre d’exclusions sera de cet ordre.
Les réformes de l’assurance chômage – la limitation des les allocations d’insertion mais aussi la dégressivité accrue des allocations de chômage ou la détérioration des périodes assimilées – précipiteront des dizaines – voire des centaines – de milliers de chômeurs dans la précarité.
On peut dès lors se demander comment le gouvernement compte tenir son engagement de « faire sortir 380.000 personnes de la pauvreté à l’horizon 2020 » [5]…
Et l’emploi dans tout ça ?
Car, le grand absent des textes gouvernementaux, c’est bel et bien l’emploi : aucune mesure réellement créatrice d’emplois durables et de qualité n’est envisagée. L’emploi reste rare, voire inexistant, mais les chômeurs sont priés d’aller voir ailleurs. Le résultat ne se fera guère attendre : appauvris et précarisés, contrôlés de toutes parts, les jeunes (et moins jeunes) demandeurs d’emploi n’auront plus d’autre choix que d’accepter le premier emploi précaire qu’on leur imposera.
Parallèlement à ce bain de sang social programmé, un autre phénomène risque donc d’encore se renforcer : la précarisation généralisée du marché du travail… A la grande satisfaction du patronat et des actionnaires.