Pris hors de la structure propre de l’Union européenne (UE), le Mécanisme européen de stabilité (MES) est un accord intergouvernemental, démarrant en juin 2012, entre états de la « zone euro » (mais ouvert aux autres états de l’UE).

Cela évite à certain pays de passer par la voie référendaire pour pouvoir adopter le MES[1]. Il crée un fond financier commun, apte à lever des emprunts sur les marchés financiers[2], afin de soutenir un état signataire se trouvant en difficulté (principalement quant au remboursement de sa dette souveraine). Le MES fusionne deux mécanismes précédents[3], l’un portant sur la zone euro, l’autre sur l’Union européenne. L’accès au MES est conditionné au respect du « Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance » (TSCG), faute de quoi l’octroi du prêt ou l’achat des titres de la dette nouvellement émis sera refusé. Le contrôle des conditions à respecter, pour bénéficier de ce mécanisme, est donné à la Commission européenne – en lien avec la BCE (Banque centrale européenne), associée au FMI (Fond monétaire international).

Le « Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance » (TSCG ou « règle d’or »), en vigueur pour mars 2013, lie 25 états européens quant à la convergence de leur « Union économique et monétaire ». Il diffère du « Pacte de stabilité et de croissance », car constitué comme le MES sur une base intergouvernementale[4] et concerne d’abord les pays de la zone euro. Il donne droit de regard à la Cour de justice européenne sur la mise en œuvre de la « règle d’or » par les états, avec comme objectif un déficit structurel à 0,5% du PIB (contre 3% auparavant). Au delà de ce niveau, des mécanismes rectificatifs s’appliquent automatiquement. Et si les déficits dépassent 3% du PIB les sanctions deviennent quasi-automatiques. Ce qui se résume par une politique perpétuelle d’austérité budgétaire.

Puisque le MES permet de contourner l’interdiction faite à la Banque centrale européenne (BCE) de soutenir financièrement les états-membres en difficulté, certains de ses partisans[5], mais opposant au TSCG, tablent sur un rejet possible de ce dernier et sur une vie autonome du MES. C’est à la fois irréaliste et irrecevable :

- Irréaliste, parce que le TSCG ne sera pas rejeté dans l’état actuel du rapport de force gauche-droite entre gouvernements européens, et qu’une évolution rapide en la matière est fortement improbable.

- Irrecevable, parce que même si leur hypothèse se réalise (un MES sans TSCG), non seulement les traités et pactes précédents restent effectifs et donnent déjà les éléments nécessaires à transformer le MES en outil de contrainte[6] sur le budget des états devant avoir recours à son fonds d’aide. Mais aussi parce que le point 1 de son article 12 stipule que : « le MES peut fournir à un membre (…) un soutien à la stabilité, subordonné à une stricte conditionnalité adaptée à l’instrument d’assistance financière choisi. Cette conditionnalité peut prendre la forme, notamment, d’un programme d’ajustement macroéconomique ou de l’obligation de continuer à respecter des conditions d’éligibilité préétablies. »[7].
On ne peut, en effet, aborder le MES sans revenir sur les précédents pactes et traités européens. Depuis la réactivation de la construction européenne en 1986 par l’Acte unique[8] et le traité de Maastricht[9] (1992), précisant les « fameux » critères de convergence nécessaire à l’union monétaire (taux d’inflation pas à plus de 1,5% celui des 3 pays membres ayant les plus faibles taux d’inflation ; déficit budgétaire inférieur à 3% du PIB ; endettement public inférieur à 60% du PIB), les prescrits économiques néolibéraux sont au cœur du corpus législatif européen. Ces trois critères deviendront le credo de la BCE et vont être bétonnés, voire renforcés dans le TSCG, dans une série de traités et pactes ultérieurs. [10]
Il faut également regarder de plus près les mécanismes même du MES :

1) pour que sa capacité à lever des fonds sur les marchés soit dans une ampleur suffisante (au moins 4 fois la mise de départ des états) et à des taux relativement bas, il faut faire le pari risqué que les agences de notation lui accorderont une note favorable, durablement. Rappelons qu’elles avaient déjà dégradé la notation du FESF, l’un des 2 « ancêtres » du MES… Se finançant sur les marchés internationaux de capitaux, le MES renforce leur mainmise sur l’orientation des politiques économiques des états européens. Entre autres en alourdissant sensiblement la dette publique des états cocontractants ces emprunts, sans certitude aucune qu’ils suffisent à « absorber » la crise actuelle. Encore moins lors d’une très potentielle aggravation de la crise, si la chute grecque entrainait celles des autres pays euro-méditerranéens et de l’Irlande. L’actualité espagnole est là pour nous le rappeler[11]. La dégradation de la note de l’Espagne étant des plus préoccupante, vu son poids dans la zone euro bien plus élevé que la Grèce ou le Portugal, si elle devait demander l’aide de l’UE, cela ne serait pas possible vu sa taille.[12]

2) Les votes au sein du MES sont proportionnels aux parts détenues par les contributeurs, autrement dit les états (Allemagne, France, etc.) apportant les plus grosses contributions détiennent un quasi droit de véto (la majorité des décisions se prenant « de commun accord »)[13]. La participation au MES est obligatoire pour les membres de la zone euro actuelle, et pour tout état qui y entrerait, cela sans droit de retrait. Les contributions sont à verser de manière irrévocable et inconditionnelle dans un délai de 7 jours [14] . Une fois le MES adopté, les instances élues d’un état sont donc privées de tout droit d’intervention ultérieur.

3) Cet ensemble, à la fois fragile et peu démocratique, est loin d’être LA solution à la crise des dettes des états européens, encore moins quant aux conséquences sur les peuples d’Europe qui en seront les financiers involontaires en derniers ressort. Au point que les artisans du MES ont voulu assurer l’immunité aussi bien à l’institution[15] qu’à son personnel, sur l’ensemble des territoires des états membres[16].
Par l’inscription dans les constitutions des états-membres des règles d’équilibre en matière de déficit budgétaire et de dette publique, les gouvernements européens ont la volonté se prémunir de tout changement de majorité politique qui viendrait remettre en cause les orientations de la gouvernance économique.

Fin 2011, à propos de la déclaration gouvernementale, Wouter Beke (prés. du CD&V) affirma : « Parler de gouvernement de gauche ou de droite n’a pas de sens puisque ce sera avant tout un gouvernement européen, un gouvernement qui sera contraint de faire ce que lui impose l’Europe. »[17]. Conclusion : A quoi servent encore les gouvernements et parlements nationaux ? … les élections, la démocratie, etc. ?

[1] 16/12/10, le Conseil européen amende de 2 lignes au « traité sur l’Union européenne », évitant la tenue de référendums (procédure de révision simplifiée, art. 48-6 TUE). http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/en/ec/118578.pdf#page=6
[2] Actuellement de 800 millions d’euros, montant jugé très largement insuffisant si l’Italie ou l’Espagne y faisait appel (http://www.levif.be/info/actualite/economie/les-800-milliards-du-mes-pas-suffisants-pour-sauver-l-espagne-et-l-italie/article-4000079188166.htm)
[3] Le Fonds européen de stabilité financière et le Mécanisme européen de stabilité financière, remplacer par le MES en juillet 2012.
[4] Les traités précédents, dont le « Pacte de stabilité et de croissance », faisant eux partie du corpus « supranational » des législations régissant l’U.E.
[5] http://www.lemonde.fr/idees/article/2012/02/24/mecanisme-europeen-de-stabilite-la-bourde-historique-de-la-gauche_1648055_3232.html
[6] La Commission européenne peut déjà, par le 6-pack, proposer les amendes s’appliquant AUTOMATIQUEMENT, sauf… si 70% des états-membres du Conseil européen votent contre.
[7] Traité du MES : http://www.european-council.europa.eu/media/582863/06-tesm2.fr12.pdf
[8] Décisions politiques visant à « améliorer » les mécanismes institutionnels et à « libéraliser » le marché intérieur de la Communauté européenne (dimension économique). C.-à-d. supprimer tout ce qui fait obstacle à la libre circulation de marchandises et des services au sein de l’Union (douanes, règles administratives, différences d’unités de mesures légales, monopoles publics, législations sur le travail ou les marchés publics…)
[9] Etablissant des procédures de coopération renforcées entre les états membres en créant l’Union européenne (dimension politique)
[10] Pacte de réforme structurelle (2010) : mesures de contrôle et de discipline économique et financière des états membres de la zone euro ; Pacte dit de « L’Euro Plus » (2011) : « calendrier perpétuel » de mise en œuvre (Le Semestre européen) donnant à la Commission un droit de regard et des outils de sanctions (6-pack) dès la confection des politiques budgétaires nationales, vis-à-vis des états ne respectant pas les pactes précédents.
[11] Avril 2012, le gvt espagnol annonce des mesures d’économie totales de 39,5 milliards d’euros (objectif un déficit public à 5,3 %, contre 8,5 en 2011, alors que l’objectif initial était de 4,4 %). Les budgets ministériels sont réduits de 17 % pour 27,3 milliards d’économie en plus de 12,3 milliards de hausse de prélèvement. La récession de l’économie est estimée en 2012 à 1,7 %, mais si les coupes budgétaires entrainent une contraction plus importante de l’économie, le gvt ne pourra pas atteindre ses objectifs. http://www.lesechos.fr/economie-politique/monde/actu/0201985245016-l-espagne-s-essaye-a-l-austerite-massive-mais-intelligente-308238.php
[12] Aubin, Bugge et Angrand, « L’Espagne sanctionnée à son tour par S&P, à AA », Nouvel Obs, 28/04/10
[13]Traité du MES, article 4, point 2.
[14] Traité du MES, article 9, point 3.
[15] Traité du MES, article 32. : « 3. Le MES et ses biens(…) jouissent de l’immunité de juridiction sous tous ses aspects, (…).4. Les biens, les financements et les avoirs du MES (…) ne peuvent faire l’objet de perquisitions, de réquisitions, de confiscations, d’expropriations ou de toute autre forme de saisie ou de mainmise de la part du pouvoir exécutif, judiciaire, administratif ou législatif.5. Les archives du MES et tous les documents qui lui appartiennent ou qu’il détient sont inviolables.
6. Les locaux du MES sont inviolables. »
[16] Traité du MES, article 35. : « 1. Dans l’intérêt du MES, le président du conseil des gouverneurs, les gouverneurs, (..), les administrateurs, (…) ainsi que le directeur général et les autres agents du MES ne peuvent faire l’objet de poursuites à raison des actes accomplis dans l’exercice officiel de leurs fonctions et bénéficient de l’inviolabilité de leurs papiers et documents officiels. »
[17] Emission « Terzake » de la VRT, 17 mai 2011.