Septembre 2009 : le débat budgétaire fait rage, et nul ne sait ce qui va en sortir. Pour en éclairer les enjeux, prenons du recul et revenons aux origines de la crise. Outil de référence : les analyses du Bureau fédéral du Plan. Un outil démocratique et scientifique qui se veut au-dessus de la mêlée politique. Dans quelle mesure y parvient-il ? Débat et analyse...
Introduction
18 milliards ? 20 milliards ? 25 milliards d’euros ?
Les enchères concernant le déficit budgétaire ont grimpé durant tout l’été. A la fin du mois d’août, le Ministre du Budget, Guy Vanhengel (Open-VLD), a fixé le chiffre repris par tous : le gouffre financier des finances publiques s’élève à 25 milliards d’euros. Soit approximativement 2.350 € par habitant [1] !
Qui va payer ? La question enflamme le monde politique, la tourmente médiatique s’emballe, au risque d’occulter cette évidence : quelle que soit la contribution de chacun (personne physique, firme privée, institution publique), les efforts exigés le seront en vain si l’on ne remédie pas aux problèmes qui ont engendré la crise. D’où les questions suivantes :
1. a-t-on réfléchi aux origines de la crise budgétaire ?
2. si oui, quelles leçons en a-t-on tirées ?
Tels sont les enjeux de cet article. Qui prendra pour point de départ le travail d’une institution précisément mandatée pour répondre à ces deux questions : le Bureau fédéral du Plan (BFP).
Présentation du Bureau fédéral du Plan (BFP)
Le BFP est un organisme d’intérêt public : il a pour vocation d’être au-dessus de la mêlée politique et de travailler pour le bien de tous. Comment ? En mettant sa science au service « du gouvernement, du Parlement, des interlocuteurs sociaux ainsi que des institutions nationales et internationales », et en alimentant le débat démocratique. Plus concrètement :
1. il établit des constats statistiques (croissance, emploi, inflation, chômage, rejets de gaz à effet de serre, …) et des scénarios d’évolutions plausibles dans le futur. Il offre ainsi une perspective à long terme des enjeux du moment ;
2. il évalue les conséquences concrètes des politiques passés, et formule des propositions (alternatives ou non) de politiques à mettre en œuvre. Une tâche certes difficile, mais d’une importance vitale dans les circonstances actuelles.
Alors, quels sont les constats du BFP par rapport à la crise ? Pour le savoir, tournons-nous vers les « Perspectives économiques 2009-2014 », publiées en mai dernier par le BFP [2] .
Constat n°1 : la crise est exceptionnelle
La crise est mondiale, et frappe durement. En Belgique, le tableau dressé par le BFP est très sombre :
nous faisons face à la « récession économique la plus sévère subie par l’économie belge depuis soixante ans » ;
nos relations commerciales avec l’étranger sont devenues déficitaires (- 1,2 milliard €, soit - 0,3% du PIB), chose qui n’était plus arrivée depuis les années 1980 ;
le chômage monte en flèche, et on doit craindre un peu moins de 200.000 chômeurs supplémentaires d’ici 2011 ;
enfin, la crise marque aussi le retour catastrophique des déficits publics [3] .
Constat n°2 : la crise a une origine…
Rappelons les grandes lignes du scénario : aux Etats-Unis, des crédits subprimes ont été créés par des sociétés privées à l’intention de gens trop pauvres pour s’acheter une maison. Les crédits subprimes avaient pour particularité d’être à taux d’intérêt variables et d’offrir des remboursements très faibles au départ. Ensuite, les montants à rembourser ont grimpé, rendant insolvables des centaines de milliers de personnes jetées à la rue. L’afflux soudain de maisons à vendre fit chuter les prix immobiliers, anéantissant du même coup le matelas financier devant protéger, en cas d’insolvabilité des emprunteurs, les sociétés possédant des titres subprimes. Il s’ensuivit une crise financière mondiale, des banques aux abois appelant les pouvoirs publics à la rescousse, etc.
Le BFP identifie quatre phénomènes comme mutuellement responsables de la crise. A savoir [4] :
1. « la politique monétaire américaine de bas taux d’intérêt » qui a favorisé le crédit facile et le surendettement des ménages américains ;
2. « la globalisation des marchés financiers » qui a permis aux bulles et aux déséquilibres « de se disséminer dans le monde » ;
3. « la dérégulation du système bancaire » qui « a permis aux banques de gonfler leurs bilans », de travailler « en dehors de la zone de contrôle prudentiel des autorités de régulation » et de porter « leurs investissements sur des produits de plus en plus risqués (ou plutôt dont le risque était mal évalué) » ;
4. « et l’asymétrie d’information » due pour partie à des « innovations financières » occultant « la qualité des produits » dans lesquelles les banques pouvaient investir.
Le moins qu’on puisse dire de cette analyse, globalement pertinente, c’est qu’elle manque parfois sa cible et masque certains problèmes sous un vocabulaire politiquement trop correct.
Limites de l’analyse du BFP : une crise de la spéculation
Le BFP ne nie pas l’écrasante responsabilité des sociétés privées (banques et sociétés de crédit) dans l’éclatement de la crise. Mais son vocabulaire, sobre et extrêmement concis, élude certains aspects du problème.
Par exemple, le mot « bulle » est lâché pour décrire la sous-évaluation des risques liés aux subprimes et le fol engouement qu’ils ont suscité chez les investisseurs, mais à aucun moment n’est prononcé le mot spéculatif. Pourtant, c’est bien à l’éclatement de bulles spéculatives qu’on doit le déclenchement de la crise. De même, le BFP pointe du doigt une mauvaise évaluation des risques liés aux subprimes, modérant ainsi la responsabilité des banques qui y ont investi beaucoup d’argent.
Soyons sérieux : la crise des subprimes met profondément en cause l’extrême avidité de l’ensemble du secteur financier privé, prêt à toutes les folies pour engranger des bénéfices maximum. Ainsi :
La logique même de création des subprimes (prêter beaucoup d’argent à des personnes qui n’ont pas les fonds suffisants pour rembourser) bafoue les plus élémentaires principes de précaution ;
Loin d’être marginale, cette pratique était largement répandue : en 2006, 10.200 milliards de dollars avaient été octroyés en crédits subprimes, soit au minimum [5] 13 % de l’ensemble des crédits hypothécaires américains [6] ;
Pour occulter le risque et rendre ces produits alléchants, des montages financiers ont regroupés subprimes à risque et actifs moins périlleux dans un seul et même titre financier, un savant dosage de formules mathématiques empêchant par ailleurs toute évaluation impartiale et critique ;
Loin de condamner ces pratiques, les agences de notation (nullement citées par le BFP) ont donné leur caution morale à ce système, empochant au passage de grasses rémunérations pour leur pseudo-service d’expertise financière ;
Enfin, la plupart des banques qui ont acheté ces produits ont laissé de côté leur propre devoir d’expertise et de prudence, lui préférant la mise en place de sociétés financières parallèles au sein desquelles étaient amassés les titres de crédits à risque… Il faut dire que le jeu en valait la chandelle : la rentabilité de ces crédits pouvant avoisiner jusqu’à 30 % tant que la bulle spéculative n’implosait pas [7] .
Pas de principe de précaution mais des montages financiers opaques, des sociétés écran parallèles, un besoin de rentabilité extrême et des agences de notation manquant du plus élémentaire professionnalisme : c’est tout un système d’organisation privée qui a grassement vécu de la spéculation à haut risque. Effleurées à mots couverts par le Bureau du Plan, les pratiques internes du secteur financier et bancaire sont très largement en cause.
Limites de l’analyse du BFP : le libéralisme économique sur la sellette
Lâchons le mot : c’est la sacro-sainte autorégulation du marché qui n’a pas fonctionné.
Et si la crise des subprimes, partie des Etats-Unis, a touché le monde entier, c’est aussi le libéralisme économique qui est en cause. En effet, c’est au nom de cette doctrine que le monde politique a progressivement dérégulé l’économie et levé tous les obstacles aux échanges, y compris de capitaux, permettant ainsi au secteur privé d’investir où bon lui semble comme bon lui semble - tout contrôle sérieux de la part des institutions publiques étant présenté comme une insupportable entrave au commerce.
Au nom des vertus du marché, c’est ainsi mis en place un jeu planétaire de dominos financiers, gangrené à sa base par la spéculation et le manque de régulation, où un élément vacillant emporta dans sa chute tous les autres.
Enfin, l’analyse du BFP manque encore le coche sur un point vital : à aucun moment, il n’y est question d’une ébauche de réflexion sur les origines de l’extrême précarité dans laquelle vivent de nombreux Américains. Pourtant, cette précarité ne tombe pas du ciel - elle résulte d’une certaine forme de consensus sociopolitique extrêmement favorable au mérite individuel et extrêmement défavorable aux mécanismes publics de solidarité [8]. Or, sans pauvres, pas de crédits subprimes !
Il faut bien comprendre ce fait crucial : depuis les années 80 et le retour en force du néolibéralisme, avec son cortège de dérégulations économiques et de financiarisation croissante de l’économie, la part des richesses produites revenant aux salariés n’a cessé de fondre comparativement à la part du gâteau revenant aux investisseurs et aux détenteurs de capitaux. Cette tendance se dégage dans tout l’Occident, mais est particulièrement virulente aux Etats-Unis où, statistiquement parlant, la baisse bien réelle des petits et moyens salaires est occultée par la hausse prodigieuse des rémunérations des cadres et PDG [9] . C’est alors qu’on met le doigt sur le paradoxe le plus cynique de la crise : le monde industriel vient de plonger dans le rouge parce que de puissantes sociétés privés, à l’affut de profits toujours plus grands, ont sans scrupules grassement vécu et spéculé… sur la pauvreté croissante de millions de personnes.
En plus des quatre facteurs cités par le BFP (politique monétaire américaine, globalisation financière, dérégulation bancaire, asymétrie d’informations), on peut donc ajouter une extrême disparité des revenus de la population américaine, des soifs de profits illimités du secteur privé, ainsi qu’une foi aveugle dans les mécanismes du marché comme autant de facteurs coresponsables de la crise actuelle. Ce qui est en jeu ici, en fin de compte, c’est l’évolution culturelle d’un système nommé capitalisme qui, avec la dérégulation et le tout au libre-échange absolu, reprend un visage pur et dur où l’éthique et le respect de l’autre ne comptent plus.
Passons à présent aux propositions du BFP pour éviter le retour d’une telle crise dans l’avenir.
BFP : pas d’alternative en vue
On l’a dit : le BFP est notamment chargé de formuler des propositions au monde politique. Dans le contexte actuel, et au vu des constats qu’il a lui-même effectués, on pourrait s’attendre à des mesures concrètes visant à mieux réguler l’économie en général, et le secteur bancaire en particulier.
Or, il n’en est rien.
L’hypothèse principale du rapport du BFP est la suivante : « la présente projection est réalisée sous l’hypothèse de politique inchangée » (p.50). Certes, le BFP reconnaît page 15 qu’il faudra « que les mesures nécessaires soient prises pour rétablir le bon fonctionnement des marchés financiers », mais il n’en propose aucune. Et les seules mesures concrètes qu’on peut lire dans son rapport ne concernent ni le monde financier, ni la régulation bancaire mais… le nécessaire contrôle des salaires et des allocations sociales [10] (deux mesures qui touchent au portefeuille des classes pauvres et moyennes), ainsi que le maintien de subsides à l’emploi (une mesure qui fait passer de l’argent public dans l’escarcelle de sociétés privées, en encourageant par ailleurs des postes de travail majoritairement précaires et faiblement rémunérés).
L’austérité salariale : une évidence ?
La loi de 1996 sur la compétitivité stipule que les salaires belges ne peuvent augmenter plus vite que ceux de nos trois principaux partenaires commerciaux (Allemagne, France, Pays-Bas). Le Bureau fédéral du Plan abonde dans ce sens : si les salaires en Belgique augmentent davantage que ceux de nos partenaires commerciaux, nos produits deviennent plus chers, donc moins compétitifs, et nous perdons des parts de marchés qui mèneront à une destruction d’emplois.
Imparable à première vue, cette logique est critiquable.
Première lacune : dans un monde où la concurrence domine, tous les Etats ont intérêt à surenchérir pour freiner (voire diminuer) les salaires sur leur territoire. Autrement dit, la logique de la compétitivité encourage les entreprises qui offrent les plus bas salaires et les plus mauvaises conditions de travail. C’est évidemment grave pour tous ceux qui vivent de leur salaire. Mais c’est aussi grave quand on songe à l’un des facteurs de la crise des subprimes : l’extrême précarité de nombreux ménages américains. L’Europe et la petite Belgique veulent-elles s’engager sur cette voie ? Manifestement, oui ! Rappelons que dans un Livre Vert publié en 2006, la Commission européenne n’y allait pas de main morte quant à l’évolution possible des contrats de travail : exit les contrats à durée indéterminée en tant que modèle de référence, et revue à la baisse des clauses, coûts et procédures de licenciements collectifs comme individuels (en ce incluse la définition du licenciement abusif) [11] .
Il faut reconnaître à la Commission européenne une certaine logique : dans un univers concurrentiel, où les fluctuations incessantes du marché obligent les entreprises à couler ou à s’adapter incessamment, assurer un travail stable et décent à une majorité d’actifs devient un luxe insupportable : le travailleur n’est plus une personne, mais l’un des innombrables composants des ressources humaines que l’entreprise doit pouvoir adapter quasi instantanément – tel un pilote de Formule 1 jouant en permanence du volant, de l’accélérateur et des freins. La montée en flèche des contrats intérim illustre fort bien cette tendance lourde : d’un montant de 394 millions d’€ en 1986, le chiffre d’affaires du secteur intérimaire en Belgique a franchi le cap du milliard d’euro en 1994, des deux milliards d’euro en 1998, des trois milliards d’euro en 2004 et des quatre milliards d’euro en 2007 [12] . Quant aux dérives les plus tragiques de cette logique de flexibilité extrême, on les retrouve dans les écrits de Christophe Dejours [13] , mais aussi dans l’actualité récente avec le suicide de trop à France Telecom, où la 23ème personne ayant mis fin à ses jours en 18 mois a fini par provoquer des réactions publiques… et une certaine critique sur les méthodes managériales [14] .
Deuxième lacune : même si la majorité de nos échanges ont lieu dans la zone euro, la politique monétaire internationale a une influence considérable sur le commerce mondial. En effet, lorsqu’on sort de la zone euro, les taux de change entre monnaies deviennent flottants : ils sont fixés par l’offre et la demande (y compris spéculative) du marché. Or, ce flottement des monnaies a une influence directe sur notre compétitivité : ainsi, quand l’euro gagne de la valeur par rapport au dollar, nous pouvons acheter plus de produits étrangers (exprimés en dollars) avec une même quantité d’euro, tandis que le phénomène s’inverse à l’étranger où, à quantité de dollars égale, les gens ne peuvent plus acheter autant de produits exprimés en euros. Pour donner un exemple concret, la chute de la livre sterling rend moins chères nos dépenses à Londres, tout en provoquant le phénomène inverse pour les Anglais en visite à Paris ou Bruxelles.
On peut donc imposer (comme le fait la loi de 1996) une austérité salariale dans l’espoir de booster nos exportations, et voir tous les efforts exigés des salariés être anéantis… par une simple fluctuation des monnaies. Or, même si l’explication ne vaut qu’à l’égard des pays situés hors de la zone euro, c’est exactement ce qui s’est passé au cours des dernières années. Ainsi, selon le BFP :
Evolution du taux de change effectif réel de la Belgique (TCER1) [15]
De 1995 à 2000, les salaires belges ont contribué pour 5,9 % à l’amélioration de notre compétitivité internationale, tandis que l’évolution des taux de change y contribuait pour 7,7%. De 2000 à 2007, les salaires belges n’ont pratiquement pas eu d’influence (amélioration de 0,2%) sur notre compétitivité internationale, mais l’évolution des taux de change, elle, en a eu une fameuse puisque l’évolution du dollar par rapport à l’euro a contribué à détériorer notre compétitivité de 9,5% !
Tout cela pose questions.
La politique monétaire internationale est-elle juste ? Non.
Est-elle une garantie de stabilité pour l’avenir ? Non plus.
Des spéculations sur les monnaies peuvent-elles anéantir des années de modération salariale ? Oui.
Bien sûr, on pourra toujours rétorquer que cela ne concerne qu’une minorité de nos exportations, l’essentiel de notre commerce extérieur se faisant à l’intérieur de la zone euro.
Ajoutons alors, comme on l’a vu plus haut, que les décisions politiques des autorités monétaires américaines ont contribué au déclenchement de la crise financière. Au-delà des problèmes liés aux taux de change monétaires, l’instabilité du système monétaire international (résultat d’un certain consensus diplomatique) a donc de très importantes répercussions sur notre pays, comme sur l’ensemble de la planète.
Autant d’excellentes raisons de réfléchir à des réformes structurelles d’un système basé, d’une part sur la suprématie du dollar, d’autre part sur la libre circulation des capitaux (y compris à des fins spéculatives)… Mais le BFP, lui, préfère se focaliser sur la régulation salariale… C’est d’autant plus dommage qu’à partir du 1er juillet 2010, la Belgique occupera pour six mois la présidence de l’Union Européenne. Une occasion historique, pour notre petit pays, de contribuer aux réformes qui s’imposent à l’échelle internationale.
Le BFP et l’orthodoxie économique
Que conclure des analyses du Bureau fédéral du Plan ?
Si ses constats sont lacunaires, son travail de prospective politique - formuler des propositions pour corriger les erreurs passées - est tout simplement nullissime. Aucune mesure de régulation bancaire ou financière n’y est proposée. On trouve plus d’informations à ce propos dans les journaux et quotidiens, que dans cet organe mandaté pour servir le bien-être public et contribuer au débat démocratique.
Ainsi, les seuls contrôles publics proposés par le BFP visent des salariés et des allocataires sociaux - autrement dit, des gens victimes de la dérégulation et du climat de compétition économique. Le BFP va très loin dans cette direction, reconnaissant d’un côté qu’il n’y a pas de travail pour tout le monde, mais préconisant de l’autre de poursuivre l’activation des chômeurs [16] : on va donc motiver des gens à trouver un travail qui n’existe pas, et en sanctionner financièrement des milliers parmi eux… pour cause de recherche insuffisante [17] !
On aurait presque envie de dire : de qui se moque-t-on ?
Mais le problème est ailleurs. Le problème est que nous traversons une crise engendrée par le libéralisme économique, la cupidité financière, le cynisme spéculateur, et la foi aveugle dans les mécanismes autorégulateurs du marché.
Dès lors, toute alternative sérieuse implique de remettre en cause - fusse partiellement - l’idéologie dominante des élites et certains privilèges sociaux qui en résultent (les parachutes dorés n’étant ici qu’un arbre cachant la forêt de l’extrême disparité des revenus et des patrimoines à l’échelle mondiale). Or, c’est cela que le BFP a manifestement du mal à admettre : oui, l’Etat a le droit de réguler la vie économique ; et il en a même le devoir quand le bien-être général et l’équité sont en péril.
En conclusion : retour au débat budgétaire
La Belgique va devoir combler un trou financier estimé à 25 milliards d’euros.
Dans son rapport, le BFP pointe clairement l’origine du problème :
« L’augmentation à fin 2008 par rapport à fin 2007 de la dette brute consolidée de l’ensemble des administrations publiques en pour cent du PIB est imputable, à concurrence de 6,1 %, du PIB, aux rachats, recapitalisations et prêts à des institutions financières en 2008 (Fortis, Dexia, Ethias, KBC). En l’absence de ces interventions, le taux d’endettement aurait continué à décroître légèrement en 2008 » [18] .
Traduction : c’est parce que l’Etat a du sauver les banques de la faillite, qu’il se retrouve à présent lui-même en difficulté.
Dans ce contexte, on ne peut espérer qu’une chose : que le gouvernement appelé à prendre les décisions ait davantage le sens de la justice que le BFP. Qu’il réclame son dû, non aux pauvres, non aux travailleurs, non aux enseignants, non aux simples contribuables, mais bien prioritairement à ceux qui nous plongé dans cette galère. A savoir les banques, mais aussi les couches sociales les plus élevées et les plus florissantes de nos sociétés. Ces dernières ont en effet très largement profité des politiques de dérégulation mises en place depuis les années 80.
Ainsi, est-il nécessaire de rappeler que le marché commun européen a considérablement modifié la structure des sociétés privées ? Les plus grandes ont mangé les plus petites (par fusions et acquisitions), provoquant euphorie boursière et bonis spéculatifs pour les actionnaires… mais vagues de licenciements et durcissement des conditions de travail pour les salariés. De même, les intérêts notionnels, l’amnistie fiscale et les réformes fiscales du très libéral ministre des Finances Didier Reynders ont évité aux riches de contribuer selon leurs moyens au financement de l’Etat, tandis que les politiques d’austérité imposées depuis les années 1990 ont prioritairement touché les salariés et les allocataires sociaux [19] . Résultat concret et chiffré : en 2006, la part des salaires dans le PIB belge est descendue sous la barre des 50% (chose inédite depuis 1971) [20] .
Ce sont des choses dont il faut se souvenir et rappeler si, réellement, l’on veut faire un débat budgétaire franchement démocratique. Car, sauf à imaginer qu’on veuille poursuivre vers une plus grande précarisation de la population dépourvue de tout patrimoine et de toute qualification enviable sur le grand marché des ressources humaines (sic), il est grand temps de mettre un terme, en Belgique comme à l’échelle du monde, à l’économie-casino et à la croissance exponentielle des écarts de revenus.
Concrètement, qu’attendre du gouvernement ?
Qu’il taxe sévèrement la spéculation et limite les profits bancaires et boursiers.
Qu’il réinstaure des paliers d’imposition progressifs sur les plus hauts revenus et plafonne les écarts de salaires possibles [21] .
Qu’il mette autant de zèle à poursuivre la fraude fiscale et le crime en col blanc… qu’à contrôler les chômeurs et les allocataires sociaux.
Mais aussi, notamment afin d’enrayer la volatilité des capitaux, qu’il régule l’activité économique et cesse de considérer toute action de sa part comme une inacceptable entrave au développement de la libre entreprise. Cette régulation devrait encourager une réelle éthique et solidarité, par exemple en liant les bonus des cadres et PDG non seulement aux résultats de l’entreprise, mais aussi à la qualité des conditions de travail et à la rémunération de l’ensemble des salariés.
Bien entendu, cela implique un changement de cap dans l’idéologie des élites, et notamment dans les politiques du tout au marché développées ou encouragées par les plus puissantes institutions internationales (Union européenne, OMC, OCDE…).
Pour rappel, dans les années précédent la crise, la spéculation à haut rendement contribua aux extraordinaires profits du monde bancaire (résultats après impôts pour la Belgique, toutes banques confondues, de 3,5 milliards € en 2004, de 4,8 milliards € en 2005 et… 8,4 milliards € en 2006 [22] ).
Faut-il être amnésique - ou partisan - pour pointer du doigt les enseignants ?
Faut-il être cynique - ou partisan - pour évoquer un nouveau plan global d’austérité ?
Et faut-il être aveugle – ou partisan - pour laisser les acteurs du désastre, en toute impunité, recommencer ?