La sidérurgie wallonne va mal…Pas besoin d’être un spécialiste de la question pour s’en rendre compte. Mais au delà de ce constat, il est important de voir ce qui se cache derrière les discours notamment des soi-disant « experts » qui tentent de faire passer la production d’acier comme « ringarde » ou « dépassée ».
Rétroacte
Début des années ’80, la sidérurgie perd déjà pas mal de plumes. La raison ? Deux crises pétrolières, l’émergence de sidérurgies dans des pays du Sud et d’Asie, l’entrée massive des voitures japonaises « bon marché » sur le sol européen… Et chez nous, le tristement célèbre « plan Gandois » [1]. De restructurations en fermetures, les outils subsistent tant bien que mal, protégés par la légitime pugnacité des travailleurs du secteur.
Et les crises à répétition qui jalonnent ces 40 dernières années ont rendu le contexte européen de moins en moins. Des crises qui servent également d’alibi à l’ensemble des « nouveaux » patrons de la sidérurgie plus soucieux de « financiariser » l’activité que de la développer au travers de véritables plans industriels.
Dans les années 2000, l’arrivée de Mittal crée de grandes espérances pour relancer la sidérurgie dans nos contrées. Mais déjà à l’époque, des voix se sont élevées et doutent de la pérennité de ces reprises par le géant de l’acier indien. L’avenir va malheureusement leur donner raison :
- 14 octobre 2011 : ArcelorMittal annonce la fermeture de la phase à chaud à Liège (HF6, HFB et l’aciérie de Chertal).
- 28 mars 2011 : c’est au tour du HF4 de Carsid à Charleroi (groupe Duferco) d’être condamné.
- Octobre 2012 : c’est un plan de licenciement massif qui est annoncé par les Russes de NLMK à la Louvière.
- Janvier 2013 : Mittal annonce son intention de fermer 7 lignes à froid à Liège.
Coût de cette décennie noire pour les travailleurs : 8.000 emplois directs et indirects perdus.
Plusieurs constats peuvent être tirés de ce qui précède.
Tout d’abord, on peut douter du fait que Mittal ait jamais eu l’intention de pérenniser l’outil sidérurgique chez nous. Lorsque le groupe a fait main basse sur une partie de la production d’acier européen (Belgique, France, Espagne,…) son intention était avant tout de pouvoir réguler à sa guise la production d’acier mondiale afin de maintenir les prix à un niveau qu’il jugeait suffisamment élevé. Il entame dès lors les avoirs des entreprises ainsi rachetées pour acquérir massivement des sites, sources de matières premières (charbon et minerais de fer) dans des pays du sud.
Suite à la crise financière de 2008, son manque de liquidité et la baisse de demande d’acier ont entraîné une chute de la valeur de ses actifs, le cours des actions du groupe a baissé. Par la vente d’une série d’outils, Mittal cherche à la fois à réduire l’offre d’acier sur le marché mondial afin de faire remonter les prix, mais également à déplacer l’axe principal de sa production vers des pays du sud, à bas coût salarial.
Il était donc illusoire, après la fermeture du « chaud » à Liège, d’espérer que le « froid » subsisterait seul : « Cette situation semble d’autant plus intenable qu’elle est en contradiction avec un vieux principe selon lequel, pour être compétitif et viable, un site sidérurgique doit être intégré. A savoir, recherche et développement, cokerie, chaud et froid regroupés » [2].
Le groupe ArcelorMittal a alors argué du fait que l’approvisionnement des usines subsistantes se ferait via son site de Dunkerque. Mais là encore, il s’agit d’une duperie : 250 kilomètres séparent ce site de liège. C’est trop long et trop coûteux. De plus, les hauts fourneaux de Dunkerque fournissent déjà 6 usines de Mittal. Impossible de faire plus.
Mittal jouerait donc la stratégie du sacrifice des implantations qui ne seraient pas en bord de voies maritimes, ce qui explique sans doute que Sidmar à Gand ne soit pas - encore - menacé. Aucune vision industrielle à long terme donc, si ce n’est l’intérêt financier immédiat du groupe. Ce qui n’empêchera pas certains hommes politiques belges d’abonder en ce sens : « Ce que nous devons faire, explique Alexander De Croo (Open VLD), c’est de s’assurer que nous nous adaptons à l’évolution internationale. La demande d’acier est moindre en Europe, tout comme il y a moins de demandes pour certaines voitures » [3]. Voilà qui s’appelle hurler avec les loups…
Prétextes
Face à cette honteuse stratégie, il se trouve donc encore des défenseurs de Mittal qui justifient son cynisme économique par de pseudo-arguments qui étaieraient la nécessaire fin d’une industrie qui ne serait plus en phase avec notre siècle.
Mais ce secteur demeure encore d’une importance majeure sur le vieux contient : « Plus de 250.000 travailleurs sont employés directement par les industries métallurgiques des métaux non-ferreux en Europe et 370.000 le sont par l’industrie sidérurgique en Europe » [4]. Pour la Wallonie, ce n’est rien de moins que 3% du PIB régional.
Comme précisé plus haut, si les outils aux mains de Mittal ferment, c’est moins à cause de problèmes de productivité que d’objectifs purement financiers visant à maintenir une tension artificielle entre offre et demande. Mais comme cette justification purement capitaliste risquerait de passer plus difficilement, Mittal et consorts, puissamment relayés par des médias de plus en plus dociles, préfèrent affirmer que l’acier est complètement dépassé en Europe. « On crée un effet de mode à répéter que l’on a plus besoin d’acier », constate André Pineaud [5].
Mais, aussi bien sur les filières classiques que sur les nouvelles technologies, la sidérurgie a encore un avenir, comme le rappelle Nico Cué, Secrétaire général de la MWB-FGTB (Fédération des Métallos Wallonie-Bruxelles) : « On travaille à Liège sur l’intégration des nanotechnologies à l’acier, sur l’intégration de cellules photovoltaïques dans les tôles pour multiplier par trois ou quatre l’autonomie des voitures électriques. On travaille à Liège sur des tôles à mémoire, qui retrouvent leur forme après un choc (…). Indéfiniment recyclable, l’acier a probablement plus d’avenir que toute une série de produits type plastique, soumis au couperet de l’épuisement des réserves en hydrocarbures » [6].
En 2012, un nouveau rapport d’expert réalisé par le bureau français de conseil Syndex concluait lui aussi à la viabilité de la sidérurgie liégeoise… à condition que celle-ci demeure intégrée.
Sans rentrer dans des détails trop techniques, on doit également souligner la spécificité importante de certains de nos aciers spéciaux (fil machine, inox,…) Justement à propos de l’inox : « La Belgique est l’un des principaux producteurs mondiaux d’inox plat. Alors que la production mondiale est d’environ 30 millions de tonnes d’inox plat par an, et que la Chine en produit 20 millions, notre pays en assume environ 2 millions à lui tout seul » [7].
Ajoutons encore que, suite aux nombreuses fermetures de ces dernières années, l’industrie métallurgique européenne a perdu de sa capacité de production, ce qui va l’handicaper quand la reprise due à l’épuisement des stocks existants se fera sentir : « Si on ajoute près de 12 MT [8] (c’est quoi ?) d’arrêts temporaires longs aux arrêts définitifs, la capacité totale de production d’aciers bruts en Europe se réduit à moins de 180 MT en rythme annuel. Un niveau qui ne manquera pas d’être insuffisant et fera croître sensiblement les importations, notamment dans les produits plats » [9].
Enfin, on constate que les sidérurgistes dont l’activité essentielle se situe dans le secteur des aciers à haute valeur ajoutée (en Allemagne, par exemple) sont moins touchés par la récession que les entreprises produisant des aciers plus courants.
Ce dernier point montre, si besoin en était, l’importance de la recherche et des investissements, couplés à la sauvegarde des savoir-faire individuels et collectifs des salariés.
La force publique
Depuis cette cascade de fermetures dans le secteur, des voix, très à gauche, s’élèvent pour réclamer une intervention des pouvoirs publics. Arnaud Montebourg, ministre français du Redressement productif, a même osé utiliser le terme qui fâche le patronat : nationalisation face au cas de l’usine de Florange, aussi propriété de Mittal. Inutile de préciser que le ministre s’est vite fait remettre au pas par ses petits camarades du gouvernement Ayrault.
Pourtant, les pouvoirs publics ont un rôle à jouer. Et Bruno Beauraind de donner un exemple concret : « A Dilligen, dans la Sarre, le Land a investi pour sauver l’entreprise Dillinger Hütte avec le support des organisations syndicales, tout en gardant Arcelor Mittal actionnaire à raison de 30,08 % des parts » [10].
Encore faudrait-il pour cela que Mittal accepte de se défaire des sites qu’il a condamnés. Or, il ne veut pas vendre (pour éviter l’émergence de concurrents), ce qui empêche toute reprise. Légiférer en la matière paraît donc plus qu’urgent, notamment pour rendre efficient un éventuel « droit de préemption ». Ces sites ainsi repris pourraient très bien demeurer rentables dans la mesure où, après avoir délocalisé pas mal de lignes de production à l’étranger (par exemple au Brésil), plusieurs groupes sidérurgiques se tournent à nouveau vers l’Europe pour faire face aux difficultés locales (environnement économique avec fortes variations cycliques, instabilité…). Un exemple ? La reprise de la fonderie de Teeside en 2012 par le thaïlandais SSI.
On le constate, le combat, tout comme la sidérurgie d’ailleurs, se porte au niveau européen, voire mondial, comme le rappelle Michel Capron, chercheur retraité à la FOPES (Faculté ouverte de Politique économique et sociale) : « Globalement, c’est à l’Europe d’arrêter de faire des politiques d’austérité pour commencer à réfléchir à nouveau à une politique industrielle et surtout à encadrer les pratiques des multinationales » [11].
Une minute de courage politique…