Les travailleurs de Swissport se sont mis en grève le dimanche 12 mai 2013, après des mois et des mois de tentatives échouées de négociations avec leur employeur, à propos des conditions de travail inhumaines qui leur sont imposées et face à une nouvelle tentative de détériorer celles-ci (horaires coupés, sous-effectif des équipes, charge de travail insupportable).
Ces travailleurs n’ont pas eu l’honneur de voir les médias se pencher longtemps sur les raisons - tout-à-fait légitimes - de leur mouvement de grève, annoncé de longue date face à l’attentisme de leur employeur.
Les médias se sont rapidement focalisés sur les conséquences de ce mouvement de grève, qui ont consisté en l’impossibilité pour des voyageurs de faire embarquer ou de récupérer leurs bagages.
Conséquence extrêmement désagréable, certes, mais ne remettant nullement en cause un besoin vital ni des individus ni de la nation entière.
Swissport est une des entreprises privées qui a « succédé » à l’entreprise publique Sabena, démantelée et complètement privatisée après un bain de sang social mémorable en 2001.
Swissport n’a rien d’une entreprise publique et l’Etat n’y est nullement partie prenante.
Or, le secrétaire d’Etat Wathelet est intervenu dans cette grève (conflit collectif de travail), au nom du gouvernement et en concertation avec Brussels Airport, pour prendre des mesures contre les grévistes de Swissport :
• Le matériel de Swissport servant à manipuler les bagages est réquisitionné. Il s’agit par exemple des chariots de chargement.
• Le personnel de Swissport refusant de retourner au travail ne peut plus se rendre sur le tarmac de l’aéroport ou dans d’autres zones sécurisées.
• Ceux qui bloquent l’accès à l’aéroport ou entravent les opérations aéroportuaires doivent payer des astreintes.
En tant que défenseurs du droit du travail et particulièrement des droits des travailleurs, en ce compris leur droit de grève, nous sommes tout simplement ébahis par cette intervention, tout –à-fait illégale.
L’état « de droit » qui viole le droit !
Ni le secrétaire d’Etat Wathelet ni le gouvernement n’avaient la compétence pour prendre de telles mesures dans le cadre d’un conflit collectif de travail opposant des travailleurs et un employeur du secteur privé.
En effet, ils ne représentent, de toute évidence, aucune des parties.
Ce n’est que s’il existe des accords dans le secteur concerné entre les employeurs et les syndicats qu’il peut en être autrement. Il n’existe aucun accord de ce genre pour les aéroports.
D’autre part, quelque soit l’hypothèse, la procédure ne tient pas la route.
Soit le secrétaire d’Etat Wathelet a pris un arrêté de réquisition, sur base de la loi du 19 août 1948, et cet arrêté de réquisition, pour être valable, devait être fondé sur le fait qu’un « intérêt vital » pour la nation est mis en péril ou risque de l’être.
Le fait que des passagers d’un aéroport connaissent des difficultés avec leurs bagages ne relèvent évidemment en rien d’un intérêt vital pour la nation.
Le conseil d’Etat a déjà cassé, en extrême urgence (en octobre 2011) un arrêt de réquisition du même genre, pris par la Ministre de l’Intérieur Milquet, dans le cadre d’une grève dans une usine pétrochimique.
En effet, le conseil d’Etat a considéré que le droit de grève des travailleurs était mis en péril par un tel arrêté de réquisition et en a ordonné la suspension immédiate.
Soit le secrétaire d’Etat Wathelet et/ou Brussels Airport ont introduit une action devant un Tribunal, qui est le seul à pouvoir prononcer une décision reprenant les mesures prises (ou annoncées).
Mais ni le secrétaire d’Etat Wathelet ni le gouvernement n’ont de droit sur lequel se baser pour introduire une telle action judiciaire afin d’obtenir de telles mesures coercitives contre des grévistes.
Une telle décision serait d’autant plus inacceptable qu’elle constituerait incontestablement une forme d’abus de droit.
L’année passée, l’Etat belge a été condamné car les tribunaux donnent trop facilement raison aux employeurs qui demandent systématiquement des mesures coercitives contre les grévistes.
Selon le Comité Européen des Droits Sociaux – un organe du Conseil de l’Europe, qui veille au respect de la Charte sociale européenne, qui fonde en son article 6§4 le droit de grève – les tribunaux ne peuvent imposer des mesures contre des grévistes que s’il y a violence ou intimidation.
Le gouvernement belge s’est engagé à communiquer cette décision aux tribunaux.
Cet engagement est inconciliable avec sa propre intervention auprès de Swissport, pour autant qu’il y ait eu une action en justice et une décision.
Il est encore possible que Mr Wathelet n’ait, en fait, agité que des menaces, mais peu importe.
Le fait même de proposer ces mesures exerce une pression évidente sur les grévistes. S’il n’existe pas d’arrêté de réquisition ni de décision d’un tribunal, une telle pression est d’autant plus inacceptable, qu’elle est abusive en raison de son caractère mensonger.
Mais ce qui est surtout sans précédent et inacceptable, c’est le fait qu’un secrétaire d’Etat, a fortiori le gouvernement, se soit rangé aussi ouvertement du côté d’une des parties impliquées dans un conflit, à savoir l’employeur.
Il est devenu de bon ton de dire qu’en Belgique il n’y a pas de limites au droit de grève.
Nous affirmons qu’il s’agit d’une idée simpliste et fausse, compte tenu de l’intervention fréquente des tribunaux dans les conflits sociaux à la demande des employeurs, que ce soit lors des grèves elles-mêmes ou postérieurement (licenciement des grévistes, des délégués syndicaux, actions civiles et pénales contre les travailleurs ayant participé à la grève ….).
Porter plus d’attention aux conditions de travail
Enfin, l’intervention du secrétaire d’Etat Wathelet ne peut pas être conciliée avec la déclaration (au même moment !) de la Ministre De Coninck à la Chambre, qui a attiré l’attention sur les conditions de travail des travailleurs de Swissport. Le gouvernement, et en particulier le secrétaire d’Etat Wathelet, feraient mieux de dépenser leur énergie pour trouver une solution à cette hyper flexibilité au lieu de la dépenser à restreindre le droit fondamental des travailleurs de s’y opposer.