L’an dernier, un peu plus de 150.000 sexagénaires sont partis à la retraite (hors régimes de la fonction publique) en Belgique. Une hausse de 5 % du nombre de pensionnés en douze mois qui nous rappelle combien il devient urgent de trouver les moyens d’assurer le financement à long terme du régime légal des pensions. Une gageure dans le contexte socioéconomique et budgétaire actuel dégradé.
Depuis la fin des années 1990, pour ce faire, les propositions de « réformes » sont toujours plus nombreuses. Néanmoins, aucune de ces propositions ne permet de garantir que la solidarité interpersonnelle et intergénérationnelle sera préservée demain. Pourtant, il ne se passe pas un jour sans que les medias nous relatent des interventions et autres rapports d’experts en tous genres nous expliquant à quel point le vieillissement de la population va poser problème. Voire provoquer une deuxième crise budgétaire. Singulièrement depuis que la crise financière de 2008 s’est propagée à l’ensemble de l’économie. Une crise qui a fait mal aux finances publiques, en raison surtout des coûteuses opérations de sauvetage des institutions financières à partir de l’automne 2009. Des institutions (groupes bancaires et d’assurances, fonds de pension) qui, doit-on le rappeler, continuent de proposer sans vergogne toujours plus de produits financiers parfois très risqués et particulièrement hypothétiques (épargne-pension,…, assurances-vie), et de les présenter comme de efficaces et indispensables substituts à la pension légale.
Une situation de crise et de confusion qui renforce, parmi la population (active), le sentiment d’incapacité de nos systèmes de protection sociale collectifs de garantir le financement des dépenses sociales futures. Les pensions notamment : des dépenses de pensions, en hausse continue, qui ont représenté pas moins de 29,5 milliards d’euros en 2012 [1] en Belgique (contre 23,9 milliards d’euros « seulement » en 2009).
Au-delà des conséquences de santé publique et démographiques bien connues, tel que précisé dans une analyse publiée fin novembre 2012 dans d’Autres Repères (auteur : Stéphane BALTHAZAR, « Vouloir faire face aux coûts du vieillissement, c’est faire le choix évident de la solidarité entre les générations et les contribuables. Une des priorités du monde syndical ! »), le vieillissement de la population engendre un coût croissant que nous avons tout intérêt à supporter collectivement. Sans quoi, la précarisation des aînés ne cessera d’augmenter. Ce qui semble être le cas en Belgique tant le niveau moyen des pensions légales,
Or, on en oublierait que l’augmentation de l’espérance de vie est d’abord une expression heureuse du progrès médico-social. Une réalité qui exige d’assurer désormais tant le financement structurel de la sécurité sociale dans son ensemble - en contexte de vieillissement démographique accéléré -, que l’accès, pour les seniors, mais aussi les personnes malades et souffrant d’handicap(s), à une multitude de services et infrastructures complémentaires de qualité (aides et soins de santé à domicile ; maisons de repos et de soins ; logements aménagés en conséquence ; etc.).
Toutefois, ces prestations ne pourront être financées collectivement et durablement que si les politiques publiques réforment en profondeur, sans plus attendre, les mécanismes fiscaux et parafiscaux de financement des services collectifs (services publics et sécurité sociale), et parviennent à améliorer effectivement le fonctionnement du marché de l’emploi et augmenter sensiblement le taux de dépendance (ratio entre population active et population totale admise à la retraite). Un autre défi de taille tant les mesures prises en la matière, en Belgique comme presque partout ailleurs dans l’Union européenne, ont démontré leur inefficacité au cours des deux dernières décennies.
I. De la réforme des pensions de 1997 à la Conférence nationale des Pensions, en passant par le Fonds de vieillissement.
A partir de la fin des années 1990, les autorités publiques du pays ont lancé plusieurs initiatives visant à préparer les institutions et les esprits pour faire face aux défis démographique et budgétaire du vieillissement : la création d’un Fonds de vieillissement (sur base d’une stratégie de préfinancement budgétaire) et la constitution d’un Comité d’étude sur le Vieillissement (C.E.V.) en 2001 ; … ; ou encore la mise en place d’une Conférence nationale sur les Pensions (à partir de 2009). Mais ce serait oublier un peu vite qu’une réforme des pensions relativement importante est intervenue en 1997 en Belgique.
I.I. La réforme des pensions de 1997 a modifié le cadre légal et réglementaire, principalement sur les trois éléments majeurs suivants : d’une part, elle a eu pour conséquence d’apporter la généralisation de la possibilité d’accéder à la pension avant l’âge normal (à savoir : 65 ans pour les hommes et 60 ans alors pour les femmes), moyennant une certaine ancienneté qui était de quinze ans en 1997, et qui a été portée à…35 ans en 2009 ; d’autre part, l’âge de la pension légale pour les femmes a été relevé progressivement (à concurrence de un an tous les trois ans) afin d’égaler le régime s’appliquant aux hommes (soit 65 ans) à l’horizon 2009 ; enfin, un montant minimum de pension légale, par année de carrière, a été introduit.
Autant de mesures qui ont eu un impact indéniable et immédiat sur l’évolution (hausse continue) des dépenses de sécurité sociale en matière de pensions.
I.II. En 2001, pour faire face à cet écueil budgétaire inéluctable (papy-boom oblige), il a été créé un Fonds de vieillissement [2]. Pendant la première moitié des années 2000, ce Fonds spécifique a été alimenté presque exclusivement par des recettes non fiscales non récurrentes [3] (dites opérations budgétaires « one shot »).
Or, l’intention politique initiale était de l’alimenter avec des surplus budgétaires : soit un montant équivalent à quelque 0,3 % du PIB (produit intérieur brut) pour le seul exercice budgétaire 2007 et, ensuite, à partir de 2008 et jusqu’à 2012 inclus, ce pourcentage serait augmenté chaque année à concurrence de 0,2 %. La modification de la loi sur le mode d’alimentation du Fonds de vieillissement (décembre 2005) prévoyait qu’en principe, en 2011, un montant égal à 1,1 % du PIB serait attribué au Fonds [4].
Mais compte tenu de l’absence d’excédents budgétaires depuis 2007, et l’instabilité gouvernementale (et donc budgétaire) persistant au Fédéral jusqu’en 2011, le Fonds de vieillissement n’a plus été alimenté depuis. Sauf par les intérêts procurés par les placements qui ont été opérés à terme (via des bons du Trésor public).
Si bien qu’aujourd’hui, après douze années d’existence, le montant des fonds propres global accumulé par le Fonds de vieillissement est à peine supérieur à 14,5 milliards d’euros (14,63 milliards d’euros très exactement au 31/12/2012) dont la valeur sera de 24,6 milliards d’euros aux échéances finales. A peine de quoi payer les pensions légales actuelles pendant une période de six mois !
Valeur du portefeuille du Fonds de vieillissement au 31/12/2012 (en millions d’euros)
31.12.2012 | 31.12.2011 | |
---|---|---|
Portefeuille nominal : |
14.629,5 |
14.073,6 |
Prorata d’intérêts : | 4.544,6 | 4.314,9 |
Portefeuille, y compris prorata d’intérêts : | 19.174,1 | 18.388,5 |
Somme remboursable aux échéances finales : |
24.667,4 |
23.681,7 |
Source : Fonds de vieillissement/Zilverfonds, Rapport annuel 2012.
I.III. Dans son accord de gouvernement de mars 2008, en raison de l’inefficacité du Pacte entre les générations (octobre 2005) en matière de réduction des dépenses sociales liées au vieillissement démographique, l’équipe Leterme I avait pris l’engagement de « lancer une Conférence nationale des Pensions. Et ce, en concertation avec les interlocuteurs sociaux, histoire de tenter de réformer - et renforcer - notre système de pensions légales…La réflexion doit être vaste et globale et doit permettre de proposer des changements concrets et significatifs ».
Les éléments de base de l’organisation de cette conférence ont été définis quelques mois plus tard, le 3 octobre 2008. Celle-ci a donné naissance ensuite à trois groupes de travail chargés principalement de dresser un état des lieux, et donc d’examiner - avec une mise en comparaison de la situation belge avec celle des autres pays de l’Union européenne -, respectivement [5] :
- Le renforcement du régime de la pension légale (ou régime de pension par « répartition ») et sa modernisation (simplification administrative notamment).
Quelles sont les particularités du cadre réglementaire belge en matière d’accès à la pension légale ? Quel rôle accorder à la pension légale, aujourd’hui et demain ? Comment pouvons-nous améliorer la gestion administrative (simplification, transparence) des dossiers des multiples catégories de pensionnés d’aujourd’hui et de demain ? Et comment mettre fin, dès lors, aux nombreuses discriminations qui résultent de la multitude de régimes qui coexistent en Belgique (Voir Infra) ?
Quelles sont les conséquences de nos réglementations actuelles en matière de pensions - légales et extra-légales (appelées régulièrement « pensions complémentaires) - sur le niveau de vie, sur l’efficacité du système et sur son financement ? Comment améliorer l’équité intergénérationnelle et la solidarité des régimes légaux de retraite en Belgique ?
Comment augmenter le taux de remplacement (à savoir le ratio suivant : Allocation de pension légale/Montant des dernières rémunérations) en Belgique, pour éviter la pauvreté (et donc le risque de pauvreté) chez les personnes âgées, en particulier les femmes isolées qui encourent un risque sensiblement supérieur à la moyenne ? Ce qui suppose de maintenir une liaison des pensions légales au bien-être et de réfléchir, par ailleurs, sur les moyens complémentaires permettant une majoration, régulièrement, des pensions les plus basses.
Comment pouvons-nous adapter, dès lors, le cadre réglementaire actuel pour mieux prendre en compte les nouvelles réalités et difficultés du monde du travail (participation accrue des femmes sur le marché du travail ; contrats à temps partiel et interruptions de carrière en nette augmentation ; précarisation croissante des contrats de travail proposés ; flexibilisation des pratiques et trajectoires professionnelles ; sous-emploi criant des jeunes et des travailleurs/travailleuses âgés de plus de 50 ans ; carrières mixtes de plus en plus nombreuses ; etc.) ?
- Les régimes de pensions complémentaires (dites « pensions par capitalisation »).
Quel doit être leur(s) rôle(s), au côté de la pension légale, aujourd’hui et demain ? Comment mieux les encadrer, face aux risques avérés de déconfiture de la plupart des organismes financiers qui les proposent (vendent) aux épargnants-particuliers ? Comment éviter ainsi qu’elles se substituent à la pension légale ? Quel est le coût total annuel, pour les finances publiques - et donc la collectivité en général -, des nombreux incitants/avantages fiscaux accordés sur ces produits (d’épargne-pension) complémentaires ?
- La place des aînés dans la société.
Comment garantir la solidarité, et éviter la concurrence, le dumping, entre les différentes générations de travailleurs sur le marché de l’emploi ? Comment stimuler ainsi le taux d’emploi (des travailleurs/travailleuses âgés de plus de 45 ans) et augmenter la qualité des emplois qui leurs sont proposés ? Quid de la réglementation en matière d’activités autorisées une fois que l’on est pensionné en Belgique ? Comment permettre ainsi aux pensionnés de s’organiser, le cas échéant, une retraite utile (et donc active, créative et solidaire à la fois) et de qualité (revenus confortables) ? Bref, comment valoriser le rôle des aînés dans le fonctionnement sociétal ?
Concrètement, tel que rappelé récemment par la FGTB fédérale, et bien qu’elle soit restée relativement peu efficace entre mars 2008 et juin 2012 - en raison de tensions vives entre interlocuteurs sociaux et de la mort prématurée du précédent gouvernement fédéral (gouvernement Leterme I) -, la Conférence nationale des Pensions a pour objet (en concertation avec les interlocuteurs sociaux) d’initier d’urgence une réflexion en profondeur sur [6] :
- 1. L’adaptation des systèmes de retraite légale et de soins de santé pour faire face utilement au défi du vieillissement démographique.
- 2. Les moyens de renforcer/revaloriser la pension légale constituée au sein de la Sécurité sociale, fondée sur la répartition (plutôt que la capitalisation) et à l’abri de la spéculation (comme c’est le cas pour les pensions complémentaires extra-légales).
- 3. Les méthodes de calcul des différentes catégories de pensions légales.
- 4. Les freins, pour la constitution de la pension légale, liés à la mobilité entre les différents systèmes légaux de pensions (hausse significative et continue du nombre de cas de carrières mixtes - Lire, à ce titre, l’ANNEXE 1, Infra, ci-contre).
- 5. Les formes de précarité au travail (contrats d’intérim, en CDD ou temps partiels à répétition) qui limitent, retardent, voire rendront impossible, l’accès à la pension légale pour certain(e)s.
Bien incapables de s’entendre dans le cadre de la Conférence nationale des Pensions - sur les orientations à prendre quant à la réforme nécessaire des différents régimes de pension légaux -, les interlocuteurs sociaux ont ouvert une voie « royale » au gouvernement fédéral qui en a profité, avec le très libéral Vincent VAN QUICKENBORNE (Open VLD) comme ministre en charge des Pensions [7], pour adopter une série de règles ayant pour effet, fin 2011, de rendre plus contraignant encore l’accès à la pension légale en Belgique.
II. Les nouvelles contraintes en matière d’accès à la pension prévues par l’accord de gouvernement de décembre 2011.
Il y a un peu plus de deux ans déjà, sous la pression des institutions internationales (la Commission européenne surtout), l’exécutif DI RUPO a adopté divers paquets de mesures en matière de pensions : un ensemble de mesures éparses que certains, dans les hautes sphères politiques, ont cru bon de considérer comme une mini-réforme. Or, il s’agit davantage d’un processus de renforcement des conditions d’accès à la pension que d’une mini-réforme.
Concrètement, on n’a pas relevé l’âge légal de la pension en Belgique - qui reste fixée à 65 ans pour les hommes comme pour les femmes, avec une carrière de 45 ans -, mais touché exclusivement aux conditions de carrière.
Des conditions devenues plus strictes, plus contraignantes pour les travailleurs et travailleuses. Et ce, principalement en matière de :
- a) Pensions anticipées ;
- b) Prépensions ;
- c) Crédit-temps de fin de carrière ;
- d) Périodes assimilées
[8].
La règle : conditions requises pour prétendre à la pension légale complète en Belgique.
DATE | Age minimum | Condition de carrière | Exceptions pour les longues carrières |
---|---|---|---|
2012 | 60 ans | 35 ans | / |
2013 | 60,5 ans | 38 ans | 60 ans, si 40 ans de carrière |
2014 | 61 ans | 39 ans | 60 ans, si 40 ans de carrière |
2015 | 61,5 ans | 40 ans | 60 ans, si 41 ans de carrière |
A partir de 2016 | 62 ans | 40 ans | 60 ans, si 42 ans de carrière 61 ans, si 41 ans de carrière |
Sources : Office national des Pensions (ONP), Rapport annuel 2012.
a) Pension anticipée
Pour les salarié(e)s du secteur privé, l’âge minimal pour prétendre à une retraite anticipée est porté progressivement, d’ici 2016, de 60 ans à 62 ans. Tandis que la condition de carrière passe de 35 ans à…40 ans !
Dit autrement, jusqu’à la fin 2011, on pouvait opter pour une pension anticipée dès l’âge de 60 ans, à condition d’avoir derrière soi une carrière longue d’au moins 35 années de travail (y compris les périodes assimilées : chômage, maladie de longue durée, etc.). Or, suite aux mesures prises au Fédéral par le gouvernement DI RUPO, à partir de 2012, la possibilité de prendre une retraite anticipée a commencé à reculer progressivement, pour arriver au seuil de 62 ans (plutôt que 60 ans jusqu’il y a peu) en 2016.
Pour les travailleurs et travailleuses du privé souhaitant partir à la pension anticipativement, il leur faudra faire valoir désormais 42 ans de carrière pour accéder à la pension anticipée à 60 ans, ou 41 ans de carrière pour partir à 61 ans, voire 42 ans pour quitter à 62 ans le marché du travail.
Retraite anticipée : les conditions générales.
Jusqu’à présent | A partir du 1/1/2016 (progressivement) |
60 ans 35 ans de carrière |
62 ans 40 ans de carrière |
Notons que dans les faits, cette modification des conditions de carrière pour les travailleurs du secteur privé, pour partir à la pension anticipée, rend celle-ci presque inaccessible à la quasi-totalité des jeunes travailleurs qui débutent aujourd’hui leur carrière à l’âge de 24 ou 25 ans, après avoir achevé par exemple un cycle d’études universitaires. Une mesure particulièrement injuste, et peu solidaire, à l’égard des jeunes générations actives (ou en passe de l’être) qui peinent de plus en plus à trouver leur place sur un marché du travail qui leurs propose toujours plus de jobs et contrats précaires. Une génération en quelque sorte sacrifiée qui peinera, dans de telles conditions, à engranger les années de carrière indispensables pour accéder un jour à la pension.
Cependant, au début de l’hiver 2011, à la demande expresse des deux principales organisations syndicales du pays - le syndicat FGTB en tête -, un régime transitoire a été mis en place pour permettre à celles et ceux qui se trouvent au seuil de la pension anticipée - mais qui ont une carrière trop courte - de pouvoir partir tout de même en retraite anticipée après maximum 2 années de travail additionnelles. Petite précision qui a son importance : le droit à la pension anticipée (âge de 60 ans + 35 ans de carrière) pour tout qui était dans les conditions en 2012, mais qui a décidé de le reporter, a été maintenu [9].
Au passage, fin 2011, le gouvernement DI RUPO a modifié les règles en matière de pension anticipée des travailleurs indépendants. Mais contrairement aux salariés du privé, les modifications intervenues leurs sont largement favorables. Jusqu’à présent, les travailleurs indépendants qui arrêtaient leur(s) activité(s) professionnelle(s) avant l’âge de 65 ans subissaient, avec le système dit du « malus », une amputation définitive de leur pension légale qui pouvait représenter un quart du montant de la pension (si l’indépendant décidait, par exemple, de cesser ses activités à l’âge de 60 ans) [10]. Mais suite aux mesures adoptées récemment, à partir de 2013, ce dispositif du malus sera supprimé progressivement dès lors que le travailleur indépendant dispose d’une carrière longue d’au moins 41 années ou qu’il prend sa retraite anticipativement à l’âge de 63 ou 64 ans. Si bien que les travailleurs indépendants qui souhaiteront prendre leur pension anticipativement seront moins pénalisés que jusqu’à présent (c’est-à-dire jusqu’en 2012-2013). Une injustice de plus à l’égard des travailleurs et travailleuses du secteur privé qui témoigne de la nécessité d’harmoniser au plus vite les différents régimes de pension coexistant en droit belge (Voir Infra).
b) Régimes de prépensions
Les politiques de retrait anticipé du marché de l’emploi sont nées au milieu des années 1970 pour faire face à la hausse brutale du chômage. La crise économique et industrielle internationale frappe alors de plein fouet le continent européen. Le nombre de cas de restructurations d’entreprises et de licenciements collectifs est alors particulièrement élevé. Pour tenter d’amortir le choc du chômage galopant, le monde politique aménage la législation sociale en profondeur afin de permettre aux interlocuteurs sociaux de conclure notamment des conventions collectives organisant le départ massif de travailleurs en prépension. Pour les amener, « en douceur », aux portes de la pension.
Mais depuis le milieu des années 1990, sous la pression grandissante surtout des institutions européennes (mais également de l’OCDE, la très libérale Organisation de Coopération et de Développement économiques, le « club » des pays industrialisés) qui poussent les États membres à adopter toujours plus de mesures pour repousser l’âge de sortie définitive du marché de l’emploi des travailleurs « âgés » (50-64 ans), les conditions réglementaires d’accès à la prépension (un dispositif particulièrement activé en Belgique [11]) n’ont cessé d’être renforcées. Au motif que ce dispositif coûterait cher aux employeurs - à la collectivité en général -, et qu’il serait utilisé par ailleurs abusivement tant par les entreprises qui restructurent que par les organisations syndicales amenées à défendre au mieux les intérêts de leurs affiliés « âgés » menacés de licenciement.
Notons que la Belgique, qui affiche le taux d’emploi des 55-64 ans le plus faible parmi les pays de l’Union européenne (UE 28), est régulièrement épinglée par différentes institutions supranationales (Commission européenne, OCDE, etc.) pour ses mauvais résultats en la matière.
Au sein du monde politique ou patronal, en Belgique et à l’international, d’aucuns réclament ainsi depuis un temps certain la fin des systèmes de prépension en Belgique (un dispositif de transition, en fin de carrière professionnelle, qui est spécifique au plat pays). A tout le moins son encadrement de façon plus stricte. D’où l’adoption, en 2005, du pacte (« de solidarité ») entre les générations. Un paquet de mesures qui ont eu pour objectif de décourager notamment les départs anticipés du marché du travail, en les rendant d’une part plus onéreux pour les employeurs, d’autre part moins attractifs (financièrement parlant) pour les travailleurs [12].
Les mesures adoptées récemment au niveau de l’État fédéral et qui sont entrées en vigueur le 1er janvier 2012 - il est suggéré d’ailleurs de parler désormais de « régime de chômage avec complément d’entreprise ou RCCE » plutôt que de prépension -, renforcent ces dispositions, et vont donc dans le même sens : maintenir à l’emploi un maximum de travailleurs âgés de plus de 50 ans, et donc dissuader par ailleurs les employeurs de recourir à ce mécanisme pour tenter de se débarrasser des travailleurs plus âgés.
Les réformes des régimes de prépension adoptées fin 2011-début 2012 peuvent être synthétisées comme suit (voir ANNEXE 2 ci-contre « Régimes Prépensions – Complément d’informations », pour plus de détails) [13] :
- Pour tous les travailleurs, l’âge requis reste fixé à 60 ans.
- Pour les hommes, la durée de la carrière minimale fixée à 35 ans passera à 40 ans à partir de 2015.
- Pour les femmes, la durée de la carrière minimale fixée à 28 ans augmentera progressivement, pour se fixer à 40 ans en 2024.
- Pour les nouvelles conventions collectives, le RCCE peut être pris à 60 ans, mais sous réserve d’une carrière de 40 ans et de 35 ans respectivement pour les hommes et les femmes.
- Pour les entreprises reconnues en restructuration, la condition d’âge est grimpée à 55 ans à partir du 1er janvier 2013 tandis que pour les entreprises reconnues en difficulté, la condition d’âge de 52 ans (tel que c’est le cas aujourd’hui) sera portée à 55 ans à l’horizon 2018.
Certains avancent régulièrement que les régimes de prépensions coûtent cher à la sécurité sociale en Belgique. Et donc qu’il s’agit d’une raison supplémentaire valable d’en exiger la suppression à court terme. Mais c’est oublier un peu vite que les prépensionnés en Belgique ne représentent jamais que 5,7 % de la population des 50-64 ans. En outre, le montant à charge de la sécurité sociale pour indemniser (allocations de complément de chômage) les quelque 115.700 prépensionnés du pays est peu conséquent : environ 130 millions €. Une poussière par rapport aux dépenses sociales de pensions et de soins de santé réalisées en 2012 en Belgique : total cumulé de près de 55 milliards € [14] !
Aussi, la position des organisations syndicales concernant le sort à réserver aux régimes de prépension est claire et ferme : pour différentes raisons légitimes, il n’est pas question de les supprimer. Tout particulièrement en ces moments agités de crise socioéconomique et industrielle, où il ne se passe pas une semaine sans qu’on nous annonce une restructuration d’entreprise.
Quelles sont ces raisons invoquées régulièrement par les syndicats (la FGTB en tête) ?
- Le mécanisme de la prépension constitue un moyen efficace de maintenir la paix sociale, tout spécialement lors des restructurations d’entreprises (situations de licenciements collectifs ou fermeture). Aussi, en limitant drastiquement les conditions d’accès aux prépensions, voire en les supprimant purement et simplement, le risque de voir la paix sociale s’éroder est bien réel.
- Restreindre l’accès à la prépension, c’est accepter de voir les travailleurs âgés qui ont perdu leur emploi - et qui peinent à en retrouver un - de venir grossir les rangs des chômeurs complets indemnisés. Une option qui coûterait plus cher à la sécurité sociale in fine et qui reviendrait, par ailleurs, à dédouaner les employeurs de leur responsabilité morale et financière à l’égard des travailleurs concernés, et de la collectivité (en général) : il nous apparaît fondamental qu’ils continuent de supporter effectivement une partie substantielle des conséquences financières (coûts) des licenciements de travailleurs « âgés » qu’ils ont initiés.
- Pour maintenir de la solidarité entre les générations de travailleurs, il est nécessaire de contraindre les employeurs à garder plus longtemps les travailleurs « âgés » au travail, tout en maintenant une pyramide des âges interne équilibrée. C’est-à-dire sans que cela ne se fasse au détriment des plus jeunes générations de travailleurs.
Pour ce faire, plusieurs formules existent : développement de dispositifs de tutorat, d’encadrement qualifiant des plus jeunes travailleurs ; aménagement du temps de travail en faveur des plus de 50 ans avec embauches compensatoires de travailleurs moins expérimentés ; etc.
- En outre, améliorer le fonctionnement des services d’accompagnement (individualisé) des demandeurs d’emploi « âgés », c’est augmenter leurs chances de rester à l’emploi jusqu’à l’âge légal de la retraite.
- Enfin, augmenter le taux de remplacement (ratio du montant des allocations/montant des dernières rémunérations) - un taux qui est relativement bas en Belgique par rapport à d’autres pays industrialisés de taille similaire à la Belgique -, et conserver la liaison des allocations sociales au bien-être (notamment les pensions), permet de diminuer le risque de pauvreté des travailleurs âgés, des seniors en général. Et de soutenir davantage la consommation, l’activité économique en général.
D’où l’importance de garantir le maintien de régimes de prépensions en cas de restructurations ou de licenciements massifs : les annonces récentes comme celles d’ArcelorMittal (région liégeoise), de Duferco NLMK (La Louvière), de Caterpillar (Gosselies),…, ou de Ford (site de Genk) suffisent à démontrer le caractère indispensable de la prépension en Belgique. Cela l’est tout autant pour les travailleurs et travailleuses en fin de carrière qui ont exercé des métiers lourds et pénibles.
c) Crédit-temps de fin de carrière
Pour accéder au crédit-temps de fin de carrière, la règle veut qu’il faut désormais avoir atteint l’âge de 55 ans. Mais pour autant, bien entendu, que l’on puisse justifier d’un passé professionnel fourni d’au moins 25 années en tant que salarié.
Dans les entreprises de dix travailleurs ou moins, l’employeur devra impérativement marquer son accord au préalable. Dans celles de plus de dix travailleurs, ce dernier pourra reporter la demande temporairement, mais uniquement pour des raisons impératives liées au fonctionnement de l’entreprise (ou du département directement concerné par la demande de crédit-temps).
Le nouveau cadre réglementaire prévoit néanmoins - en guise d’exceptions à la règle susmentionnée -, que les travailleurs effectuant un métier pénible (travail de nuit, en équipes ou service interrompu) continuent à bénéficier du crédit-temps en fin de carrière dès l’âge de 50 ans. Et que les travailleurs âgés de 50 à 54 ans qui bénéficient pour l’instant d’un crédit-temps de fin de carrière sont autorisés à prolonger ce droit une fois aux anciennes conditions, avec la possibilité de le prolonger pour une durée indéterminée.
Dès lors, peut encore prétendre à un régime de crédit-temps de fin de carrière à 4/5ème temps, tout(e) travailleur ou travailleuse de 55 ans (et plus) qui aura été occupé(e) à temps plein au cours des douze mois précédant la demande ou qui travaillait déjà à 4/5ème en crédit-temps. Notons que cette formule à 4/5ème temps peut être activée pour une durée indéterminée (jusqu’à la pension, prépension ou interruption mi-temps), sous la forme d’une journée ou de deux demi-journées par semaine, avec un minimum de 6 mois.
Tous les travailleurs et travailleuses âgés de 55 ans et plus pourront prétendre également à un crédit-temps de fin de carrière à mi-temps, pour une durée indéterminée (jusqu’à la pension, prépension ou interruption mi-temps), avec un minimum de 3 mois, pour autant qu’ils aient été occupés au moins à ¾ temps au cours des 24 mois précédant la demande.
d) La fin de certaines périodes assimilées (et l’assimilation sur base du salaire minimum) [15]
On l’a dit supra. L’âge légal de la retraite est fixé à 65 ans, avec la condition d’avoir travaillé un minimum de 45 ans pour faire valoir une carrière complète. Par « carrière complète », outre les périodes de travail légal comptabilisées, il y a lieu d’inclure aussi certaines périodes de non travail. On parle alors de périodes assimilées. « Assimilées » parce qu’elles comptent comme des années de travail pour le calcul de la carrière.
Jusqu’il y a peu de temps encore, la seule différence entre les périodes de travail et les périodes dites « assimilées » était que le salaire pris en considération pour celles-ci soit le dernier salaire gagné. Car, si ces périodes d’inactivité (situations de maladie de longue durée, de chômage, de prépension, ou encore de crédit-temps) ont certes été indemnisées par la sécurité sociale, elles n’ouvrent cependant pas de droit à faire valoir un salaire en tant que tel. Seulement un revenu de remplacement.
Le grand changement apporté par les nouvelles mesures en matière de pensions est que certaines de ces périodes ne compteront plus dorénavant sur base du dernier salaire mais seulement sur base du salaire minimum garanti par année de carrière.
Les périodes en question sont les suivantes :
- Chômage en troisième période. Et ce, dans un contexte nouveau de dégressivité des allocations de chômage [16] (dispositif effectif depuis le 1er novembre 2012).
- Situations de prépension pour les moins de 60 ans (sauf quelques exceptions qui permettent de conserver des droits d’assimilation complète [17]).
- Crédit-temps de fin de carrière :
Entre 50 et 59 ans.
Après l’âge de 60 ans.
Dans ce cas précis : il n’est question que d’une assimilation sur base du minimum garanti d’un an maximum. Le crédit-temps à mi-temps et à 1/5ème temps restent assimilés respectivement à 2 années et 5 années mais aussi sur base du minimum. Ce sont donc des années de carrière perdues si l’allocation de pension dépasse le montant minimum évoqué ci-avant !
- Crédit-temps sans motif supérieur au 1/5ème temps.
Ici : Assimilation complète de maximum une année ou de 5 années (pour les 1/5ème temps).
Conséquences de l’assimilation sur base du salaire minimum garanti.
Primo. Toutes autres choses étant égales par ailleurs, les pensions futures seront vraisemblablement faibles étant donné que la carrière moyenne des hommes est actuellement de 42 ans et de 31 ans pour les femmes…avec environ un tiers des carrières constitué de périodes assimilées.
Or, faut-il le répéter, les niveaux (montants) des pensions en Belgique, et donc le taux de remplacement, sont parmi les plus bas des pays industrialisés. Et c’est sans compter sur le fait que toujours plus de travailleurs (surtout les jeunes et les femmes) doivent se contenter de plus en plus souvent de contrats de travail précaires, ou à temps partiel, entrecoupés de périodes de retour à la case chômage.
Secundo. Les nouvelles conditions de carrière arrêtées par le gouvernement DI RUPO - pour l’accès à et/ou le calcul de la pension et la prépension - comme, par exemple, les modifications des périodes assimilées susmentionnées, sont telles que les carrières seront inévitablement prolongées. Une situation totalement indigeste pour les organisations syndicales et leurs affiliés. Des organisations syndicales qui viennent de conclure un accord (fin novembre 2013) avec les représentants des employeurs du pays portant sur la définition de nouvelles règles de calcul d’accès à la pension.
III. Les nouvelles règles de calcul de l’accès à la pension : l’accord de novembre 2013.
Fin novembre 2013, suite à une série de propositions de réformes faites par le nouveau ministre des Pensions - Alexander DE CROO (Open VLD) -, les interlocuteurs sociaux du pays sont parvenus à conclure un accord social qui ne manquera pas d’avoir d’importantes répercussions sur le mode de calcul de la pension légale. Désormais, c’est-à-dire une fois que le contenu de cet accord sera transposé dans la législation sociale belge, chaque jour de travail sera pris en compte. Un changement qui n’est pas négligeable et qui profitera donc essentiellement à celles et ceux qui auront travaillé, et cotisé, plus longtemps.
Jusqu’à présent, les droits à la pension légale ont été constitués par année civile, calendrier. Ce qui signifie que chaque année de travail donne droit à une quote-part de pension calculée sur base de la rémunération brute annuelle. Si bien qu’à la fin de la carrière, donc avant de partir à la pension, ces quotes-parts annuelles sont additionnées, pour définir le montant brut de l’allocation de pension.
Deux paramètres majeurs déterminent directement ce montant de pension [18] :
- Le niveau de la rémunération annuelle brute.
Plus celle-ci est élevée tout au long de la carrière, plus les quotes-parts de pension [19] sont élevées. Et, in fine, plus le montant de l’allocation de pension sera élevé. Mais jusqu’à un certain point seulement, car un plafond annuel est bien entendu déterminé par l’Office national des Pensions.
- Le nombre d’années de travail (année civile ou calendrier).
Le maximum légal est actuellement de 45 ans, pour les hommes comme les femmes.
Néanmoins, plus la carrière est longue, plus le nombre de quotes-parts de pension est élevé. Dès lors, si un travailleur dispose d’une carrière constituée de 43 années, il aura droit à 43 quotes-parts de pension. Ou dit autrement : 43/45ème. C’est ce qu’on appelle la « fraction de carrière ».
Notons que dans le régime encore en vigueur à ce jour, le salarié qui aurait travaillé pendant 47 ans peut choisir parmi l’ensemble de sa carrière ses 45 « meilleures » années. C’est-à-dire les années au cours desquelles il aura accumulé les quotes-parts de pension les plus avantageuses, donc celles lui donnant droit à bénéficier du niveau de pension le plus élevé.
Mais une fois que les éléments de l’accord social intervenu récemment entre les interlocuteurs sociaux seront incorporés dans la législation sociale belge - ce qui devrait être fait au cours du premier semestre 2014 -, le mode de calcul des pensions sera significativement modifié par rapport à ce qui s’est fait jusqu’à présent. Où jamais le numérateur de la fraction de carrière ne pouvait être plus élevé que le dénominateur.
Or, les modalités du dit accord suppriment effectivement le plafond de 45 années de carrière. Pour prendre en considération, à l’avenir, dans le calcul de la pension, l’intégralité des années travaillées. En ce compris les années de travail les moins favorables, c’est-à-dire celles qui auront rapporté au travailleur le moins en termes de droits (quotes-parts) à la pension.
Plus question donc, pour un travailleur ou une travailleuse qui disposerait d’une carrière plus longue que les 45 années requises de pouvoir choisir, parmi les 47 ou 48 années travaillées, les 45 années qui contribuent le plus favorablement à la détermination du niveau de sa pension légale. Il n’en reste pas moins qu’en principe, le niveau de l’allocation de pension de celui ou celle qui aura travaillé plus de 45 ans sera vraisemblablement plus élevé étant donné que le nombre de quotes-parts de pension qu’il/elle peut faire valoir augmentera.
Du moins en principe car, de son côté, l’Office national des Pensions (ONP) a précisé aussitôt que dans l’accord social adopté tout récemment, le calcul opéré sur la base du nombre d’années calendrier avait été remplacé par un système de comptabilisation se basant dorénavant sur le nombre de journées de travail (et/ou de journées assimilées) appelées « jours équivalent temps plein » (ou « ETP »). Et non plus sur le nombre d’années (civile ou calendrier) de travail. Et l’ONP d’ajouter qu’un travail à temps plein correspond à 312 jours ETP par année calendrier, soit 26 jours ETP par mois. Toutes autres choses restant égales par ailleurs, une carrière réputée complète supposerait dès lors une prestation totale de quelque 14.040 crédits ETP (soit 45 années x 312 jours ETP). Or, « l’ancien système » avait pour vertu de prendre en considération chaque année de travail, y compris les années incomplètes, pour amener les travailleurs et travailleuses à la pension, et donc au cap des 45 années.
Une fois que l’accord en question sera « coulé » dans la législation sociale belge - et que celle-ci entrera en vigueur -, la barre des 312 jours ETP par année calendrier deviendra la référence en matière de calcul de la pension. Pour autant, ces jours seront calculés certes sur la base des journées effectives de travail, mais aussi de certaines périodes assimilées (Voir Supra, Section « La fin de certaines périodes assimilées (et l’assimilation sur base du salaire minimum »)). Ce système permettra ainsi à un travailleur d’accumuler des quotes-parts de pension même lorsqu’il ne travaille pas (par exemple, quand il souffre d’une maladie de longue durée, prend un crédit temps, ou se retrouve au chômage). Dans pareille situation, la quote-part de pension sera alors calculée sur la base d’un salaire fictif correspondant au dernier salaire brut perçu par le travailleur.
Toutefois, il est d’ores et déjà prévu que ce salaire fictif soit progressivement supprimé pour les périodes de chômage éventuelles. Ainsi, après quatre ans (ou plus) de chômage, au regard des nouvelles règles en matière de dégressivité des allocations de chômage, un travailleur tombera dans ce qu’on appelle la 3ème période de chômage. Aussi, depuis 2012, l’assimilation de certaines périodes et revenus n’est plus réalisée que sur la base d’un « salaire fictif limité et corrigé ». Dit de façon plus concrète encore, ceux qui gagnaient 45.000 euros (il s’agit d’un exemple) et qui devaient retomber à ce niveau minimum d’indemnisation (soit 22.189,36 euros annuels) n’auraient plus droit qu’à une quote-part de pension de 295,86 euros (22.189,36 euros x 60 % divisés par 45), soit une perte financière de près de 45 % !
Cette nouvelle règle de comptabilisation répond clairement aux pressions internationales (de la Commission européenne, du FMI,…, de l’OCDE) incitant les États industrialisés à relever (postposer) l’âge de la retraite. Et vient s’ajouter à des incitants comme le système du « bonus pension » [20] qui, faut-il le reconnaître, parce qu’il n’offre que des cacahuètes aux travailleurs et travailleuses qui prolongent leur carrière au-delà des 45 années, est cependant relativement peu activé en Belgique. Mais encore faut-il pouvoir se le permettre tant les carrières professionnelles deviennent pénibles et entrecoupées d’accidents de parcours (cas de plus en plus fréquents de burn-out ; risques de perdre son emploi de plus en plus fréquents ; contrats de travail de moins en moins stables et donc de plus en plus précaires ; etc.). Et prolonger volontairement sa carrière professionnelle au-delà des 45 années requises par le régime général n’est évidemment possible qu’à partir du moment où l’état de santé physique et mental du travailleur ou de la travailleuse l’y autorise.
Précisons toutefois le fait que, fort heureusement, le processus de calcul de la pension ne sera pas réformé intégralement suite à l’accord convenu entre interlocuteurs sociaux dernièrement ! Deux principes antérieurs élémentaires subsisteront de facto demain :
- a) Le maintien du plafonnement salarial annuel, pour le calcul de la pension légale.
Vu l’existence d’une pension maximum, l’Office national des Pensions est amené à fixer chaque année un plafond de rémunération que l’on peut faire valoir pour le calcul de sa pension. Ainsi, quelques soit le nombre d’années travaillées au-delà du cap des 45 années, les salarié(e)s dont la rémunération brute dépasse le plafond de 51.092,44 euros/année (revenus pour l’exercice 2012) ne pourront en aucun cas se constituer des quotes-parts de pension de façon « illimitée », allant au-delà. Une fois ce plafond atteint, la quote-part de pension ne pourra donc jamais être supérieure à 681,23 euros (soit 51.092,44 euros x 60 % divisés par 45).
Ce qui implique que le plafond salarial comme la quote-part de pension seront adaptés systématiquement en cas d’année de travail incomplète, c’est-à-dire si un(e) salarié(e) a « presté » moins de 312 jours ETP lors d’une année civile. Aussi, les travailleurs et travailleuses qui gagnent très bien leur vie, mais dans le cadre d’un contrat de travail à temps partiel, ne conserveront dès lors pas tous leurs droits à la pension.
Par exemple, si une personne a travaillé 280 jours ETP en 2012 et gagné 70.000 euros bruts annuels, elle ne pourra bénéficier que d’un complément financier à hauteur de 611,36 euros maximum (soit 51.092,44 euros x 280/312 x 60 % divisés par 45) de quote-part de pension.
- b) La comptabilisation intégrale de l’année de la prise de la pension.
Dans le régime actuel, tout travailleur qui a pris sa pension le 1er juillet 2011 (il s’agit d’un exemple parmi d’autres) - étant donné que l’on comptabilise actuellement les années « calendrier » -, n’aura pas pu faire valoir les six mois courant entre août et décembre (inclus) 2011 pour le calcul de sa pension. Si bien que tout travailleur pouvant prétendre à la retraite en cours d’année calendrier (exemple : le 1er septembre) avait souvent tout intérêt à poursuivre le travail jusqu’à la fin de l’année (31 décembre), histoire de ne pas y perdre pour le calcul de ses quotes-parts de pension.
Par contre, avec le nouveau système, le travailleur qui souhaitera partir en cours d’année verra les mois restant (mois non prestés) de l’année calendrier entamée compter dans le calcul de ses quotes-parts de pension, à concurrence d’1/12 de 320 jours ETP. Ce qui peut représenter un complément financier de quelques euros par mois.
IV. La nécessité de renforcer, simplifier, et moderniser les systèmes de pension légale
Lorsqu’au début des années 2000, Frank VANDENBROUCKE (alors ministre des Affaires sociales et des Pensions dans le gouvernement Verhofstadt I) a introduit le concept d’Etat social actif, il a été décidé de mettre en œuvre - stratégie de Lisbonne [21] oblige -, progressivement, des plans de transformation de certaines politiques et institutions organisant la redistribution des revenus en Belgique. Avec en ligne de mire, principalement : l’indemnisation chômage, les régimes de prépensions et les systèmes légaux de pensions.
Après quelques années d’instabilité politique au Fédéral, entre 2008 et 2011, l’exécutif DI RUPO a opéré, au pas de charge, plusieurs « réformes » prônées (sinon imposées de l’extérieur) par la Commission européenne. Des « réformes » inéquitables qui fragilisent d’ores et déjà les trajectoires socioprofessionnelles d’un nombre croissant de travailleurs. Des travailleurs qui sont de plus en plus nombreux à craindre de ne pouvoir, un jour, bénéficier d’une retraite acceptable et souvent bien méritée.
Or, sous certaines conditions, pour améliorer les bases intrinsèques du financement des mécanismes et institutions (services publics, sécurité sociale) qui assurent une répartition plus juste des richesses, il aurait été judicieux d’initier au préalable, prioritairement, plusieurs réformes substantielles et structurelles :
- Améliorer le fonctionnement du marché de l’emploi en général. Au travers notamment d’une modernisation des systèmes de formation et d’enseignement…car ceux-ci sont censés préparer les apprenants à intégrer le marché du travail et y évoluer, mais également à s’inscrire dans une démarche plus large (au-delà de la réalité strictement professionnelle) visant à mieux comprendre l’environnement, le monde, dans lequel nous vivons (citoyenneté,…, savoir-être et savoir-vivre).
- Afin de réaménager utilement le fonctionnement du marché de l’emploi, et se donner davantage de moyens d’actions pour assurer le financement des services collectifs (y compris ceux organisant la solidarité interpersonnelle et intergénérationnelle), il devient impératif de mettre en œuvre un plan de relance de l’économie ambitieux. Mais ce choix politique ne peut être envisageable que s’il est opéré d’urgence une réforme en profondeur de la fiscalité et de la parafiscalité en Belgique.
- L’encadrement indispensable des pensions complémentaires (assurances-groupe,…, épargnes-pension) qui sont proposées par les groupes bancaires et d’assurance. Des opérateurs financiers sans vergogne qui ne cessent - pour convaincre les particuliers et les entreprises de leurs confier toujours plus de capitaux (leur épargne) pour investir dans de tels produits financiers à risque -, de faire baisser les taux d’intérêt sur les livrets d’épargne et de prédire l’incapacité des systèmes publics de sécurité sociale à garantir le paiement des pensions légales dans un avenir proche.
- Réformer, sans plus attendre, les mécanismes de prélèvement fiscaux et parafiscaux pour restaurer plus de justice économique et sociale. Ce qui suppose de réorienter la fiscalité en s’appuyant sur : d’une part, une imposition accrue des revenus du capital et du patrimoine (actifs financiers et immobiliers, etc.) afin d’alléger enfin les charges sur la mise au travail, pour que cela profite tant aux salariés - surtout les bas et moyens revenus - qu’aux employeurs…mais pour autant qu’ils soient en mesure de démontrer que grâce à ces allégements de charges sur le travail, ils ont créé effectivement davantage d’emplois de qualité (ce qui implique de conditionner les aides publiques directes de même que les nombreuses réductions structurelles d’impôts et de charges sociales accordées aux entreprises, surtout les grandes et très grandes) ; d’autre part, une globalisation des revenus, pour les taxer de manière plus progressive qu’aujourd’hui, c’est-à-dire en imposant davantage les contribuables à mesure que leurs revenus augmentent ; ensuite, la mise en œuvre effective d’une cotisation de sécurité sociale généralisée (ou CSG) afin de faire contribuer davantage les revenus du capital au mécanisme de financement de la solidarité interpersonnelle…étant donné que tout un chacun (ou presque), en Belgique, bénéficie des nombreuses interventions de la sécurité sociale et ce, quel que soit son niveau de revenus ; enfin, une lutte plus conséquente et efficace contre les fraudes sociale et fiscale, pour réduire significativement le niveau des manques-à-gagner qu’elles génèrent pour les caisses publiques.
Outre ces réformes indispensables, il serait surtout opportun que l’on procède également, sans plus attendre, à une simplification des modes de fonctionnement des différents régimes légaux de pension. La raison majeure est simple : il est question de faire travailler les gens plus longtemps et il apparaît que de plus en plus de travailleurs et travailleuses candidats à la pension font valoir une carrière mixte, enchaînant ainsi activité(s) salariée(s) et activité(s) d’indépendant ou dans la fonction publique [22]. Pour preuve, tel que précisé en ANNEXE 1 (Source : Office national des Pensions, 2012), les carrières dites « mixtes » comptent à présent pour un peu plus d’un tiers des pensionnés. Et la tendance va croissant.
Or, dans bien des cas, il semble qu’un nombre élevé de pensionnés qui ont (eu) une carrière mixte s’en trouvent pénalisés en fin de parcours quant au niveau de leur allocation de pension. En cause : le manque criant de coordination entre les différentes administrations chargées de gérer les dossiers des travailleurs qui changent, en cours de carrière, de régime de pension ainsi que l’existence, pour chaque régime de pensions, d’un nombre incalculable de règles leurs étant spécifiques. Aussi, par souci d’efficacité mais surtout d’équité entre les différentes catégories de travailleurs et de pensionnés (en fonction de leurs parcours professionnels), tel que recommandé par le Service fédéral de Médiation des Pensions dans ses deux derniers rapports annuels (2011 et 2012) [23], du côté des services habilités à assurer la gestion administrative des dossiers de pension, il devient impératif de garantir davantage de cohérence et de rigueur en la matière.
Il n’est pas question pour autant de changer fondamentalement les règles en ce qui concerne les trois grands régimes de pension, lesquelles sont le fruit d’une longue évolution historique et ont été concertées au travers de processus complexes de dialogue social. Mais compte tenu de la multiplication des carrières mixtes, il semble tout indiqué de jeter enfin des ponts entre les diverses législations, afin de favoriser la simplification des procédures, éradiquer les incohérences et les discriminations, améliorer l’information relative à leur situation (statuts administratif, social et fiscal), et garantir in fine l’égalité de traitement entre pensionnés.