« Nous sommes parvenus a un moment où une politique industrielle véritable – c’est-à-dire des interventions publiques visant à assurer des allocations de ressources autres que celles par lesquelles aurait procédé le marché — est indispensable. »
Longtemps écarté de l’horizon, le besoin de politique industrielle, revient en force et occupe désormais souvent le devant de la scène. Les propositions pour une telle relace sont variées. Pour ma part je voudrais ici me centrer sur un point que je considère essentiel : la crise écologique qui s’étale sous nos yeux, non seulement peut et doit faire l’objet d’une politique industrielle résolument appliquée, mais aussi, elle présente cette vertu qu’elle permettrait une sorte d’aggiornamento et de redéfinition de la Politique Industrielle, lui donnant de nouveaux fondements et une nouvelle pertinence.
Dans les discours, l’urgence à assurer la transition vers des produits et procédés plus propres et économes en ressources, et tout particulièrement la nécessité de passer à des énergies renouvelables, ne fait plus vraiment question. C’est sur les moyens d’y parvenir, par contre, que règne la confusion la plus grande Pour les uns, la transition énergétique n’est finalement qu’un moyen d’ajouter encore du marché au marché. Ainsi est-elle pensée comme devant être assurée pour l’essentiel par des moyens marchands : instauration de marchés des droits à polluer (c’est l’option faite à Kyoto et confirmée par l’Union Européenne), taxe carbone visant à sur-tarifer les productions non écologiques pour que le marché décourage d’y recourir, quand on ne rêve pas à des « secteurs » de dépollution, venant dédoubler ceux existant et ainsi grossir les perspectives de profit. Pour d’autres, dont je suis, ces solutions n’en sont pas car, elles ne font que reproduire et étendre la prégnance des mécanismes mêmes qui nous ont conduit au bord du gouffre.
Pour que la crise que nous traversons serve et finalement soit bénéfique, il faut résolument s’orienter dans de nouvelles directions. Ce qui passe par accepter l’idée que le marché ne sait pas tout faire. Que certaines orientations stratégiques qui exigent des ruptures de trajectoires ne peuvent être assurées si on laisse les allocations de marché, même « dopés » par des taxes CO2 ou des droits à polluer, continuer d’opérer. Pour le dire autrement, nous sommes parvenus a un moment où de la politique industrielle véritable, c’est à dire des interventions publiques visant à assurer des allocations de ressources autres que celles auraient procédé le marché , sont indispensables. Ma conviction est que la crise écologique constitue par excellence le type d’événement qui rend possible et nécessaire le déploiement de politiques industrielles nouvelles et ambitieuses à même d’assurer la transition dont tous ressentons le besoin. Pour ce faire le nouveau type de politique industrielle et de « grand programme » que j’appelle de mes vœux, doit s’appuyer sur quelques principes simples, que je voudrais ici énoncer et préciser. La nouveauté doit concerner aussi bien la nature des acteurs dont il faut favoriser l’essor que le contenu lui même de la politique industrielle
De la micro-entreprise à la collectivité territoriale …
Pour ce qui est des acteurs, il faut préciser tout d’abord que la politique industrielle nouvelle ne doit pas avoir pour objet (comme par le passé) de renforcer les grands groupes, les fameux « champions nationaux » supposés porter à l’international les couleurs du pays. Si dans certains des domaines nouveaux qu’il faut promouvoir des grandes entreprises à l’évidence sont nécessaires, fondamentalement car c’est cela qui importe, c’est vers de nouveaux modèles productifs qu’il faut résolument s’orienter, des modèles largement « horizontaux » constitués et d’acteurs multiples. C’est là, en effet un des intérêts que présente la transition écologique à promouvoir qu’elle est spécialement adaptée et propice au déploiement de tels modèles. Il faut ainsi saisir l’opportunité qui s’offre de travailler à rompre avec la logique linéaire et destructrice qui prévaut aujourd’hui : « extraire, fabriquer, consommer, jeter », non pour ajouter une fonction nouvelle de « recyclage » (ou la substituer à la fonction « jeter » en bout de cycle), mais bien pour impulser d’autres logiques soucieuses de préservation et d’économie des ressources. Les modèles de « l’économie circulaire » et de « l’économie de la fonctionnalité » encore souvent à leurs balbutiements doivent être favorisés et confortés.
En pratique les petites et moyennes doivent avoir ici toute leur place . Qu’il s’agisse des expertises multiples dont le la coopération est nécessaire pour installer des panneaux solaires ou retraiter de la biomasse et des déchets organiques, tout doit être fait pour que de la « micro » à la moyenne entreprise, l’initiative des petites et moyennes entreprises soit encouragée et soutenue. Et ce à la ferme comme au village ou à la ville. De même, des fonds particuliers doivent être réservés aux « start ups » engagées dans la recherche ou l’expérimentation de procédés nouveaux capables par exemple garantir des économies d’énergie.
Une autre originalité des modèles à promouvoir tient dans le fait que des acteurs publics décentralisés sont appelés à y tenir des rôles clés . Qu’il s’agisse de la mairie, du conseil d’arrondissement ou de district en zone urbaine, ou des conseil territoriaux de niveaux multiples en zone rurale, les décideurs publics peuvent et doivent être des opérateurs à plein titre. Cela est d’autant plus souhaitable, que si pour illustrer notre propos, nous raisonnons ici sur le cas e solaire il faut s’attendre à ce que le Nord Pas de Calais et le Languedoc Roussillon ou la Corse …, ne fassent pas les mêmes choix et ne donnent pas au solaire la même place dans leur mix énergétique. La décentralisation, la diversité des choix, l’initiative locale sont des éléments clés du nouveau modèle .
A côté des entreprises (de toutes tailles), des mairies et des collectivités locales, un troisième type d’acteur est appelé à jouer un rôle important. Il s’agit des organisations issues de la société civiles et des ONG animées par des préoccupations et des ambitions citoyennes . Outre leur capacité à orienter les choix en fonction des besoins des populations et riverains concernés (ou implanter un parc d’éoliennes ?, comment mettre en place un circuit court d’alimentation d’écoles et de collèges…), de telles organisations citoyennes, engagées par exemple dans la lutte contre le mauvais logement ou la précarité énergétique doivent avoir toute leur place, pour fixer les contenus et les modalités de programmes d’isolation thermique et de rénovation de l’habitat, appelés dans tous les cas à jouer un rôle majeur dans les programmes d’économie d’énergie
Associer innovations techniques et innovations sociales
L’engagement dans la transition écologique et énergétique devra évidemment s’appuyer sur des programmes « dédiés » et spécialisés de nature « verticale ». Ainsi par exemple du développement de l’offre d’énergie solaire ou éolienne (ou plus généralement des énergies renouvelables), qui exigent des mesures spécifiques pour favoriser le développement des entreprises, des services et des réseaux à même de garantir le succès de cette offre. Mais ce n’est que dans une vision systémique intégrant la mise au point conjointe de normes et la promotion d’offres nouvelles que la politique doit se déployer. Par excellence la politique énergétique requiert le déploiement de réseaux : production, stockage, distribution doivent être coordonnés
De même, car il s’agit là d’une dimension clé de la nouvelle politique énergétique, tout ce qui à trait aux économies d’énergie, à commencer par l’isolation de l’habitat ancien , requiert des mesures spécifiques permettant à la fois le développement de l’offre (du côté des entreprises à même d’offrir ce service) et de la demande pour sovabiliser auprès des consommateurs – et ils sont légions - à faible pouvoir d’achat un service que nombre de locataires (voire de propriétaires) ne peuvent aujourd’hui s’offrir. Dans ce domaine, certaines des propositions visant à décentraliser l’intelligence informatique au niveau de la gestion énergétique mettant en réseaux des immeubles de diverses natures, pourraient sans doute prendre une place dans les politiques nouvelles à déployer. Le Conseil Régional du Nord de Calais, vient ainsi d’adopter un plan cadre qui fait sienne de telles orientations, fortement novatrices, mais aussi dont chacun sent bien qu’elles indiquent le sens vers lequel il faut aller.
Car, c’est ici le lieu de préciser que l’avancée vers la transition écologique suppose certes la mise en place d’innovations technologiques, mais tout autant, elle ne pourra se développer que sur la base d’un ensemble d’innovations sociales majeures. La mise en place de modèles économiques reliant dans des coopérations renforcées des acteurs multiples entreprises publiques et privées, centres de recherche et universités, collectivités locales, associations et organismes à but non lucratif, poursuivant des objectifs d’utilité publique, est une condition de la réussite de la politique nouvelle .
Quant au « niveau » optimal de conception et de déploiement de la nouvelle politique industrielle, plusieurs remarques peuvent être faites. Idéalement l’Europe est le lieu privilégié pour assurer les impulsions nouvelles . En définissant des normes, en allouant des moyens et en favorisant les coopérations entre acteurs elle peut jouer un rôle d’initiation et d’entrainement majeur. Les choses étant ce qu’elles sont, et en dépit de certaines proclamations auxquelles l’Union nous a habitués, il ne faut pourtant pas attendre grand- chose de ce côté. Le « plan » stratégique de l’Union en matière énergétique, appuyé sur les quotas et la taxe CO2, est, clairement, en train d’échouer. Devant cet échec, et en attendant que sur ce point comme sur d’autres l’Union comprenne qu’il lui faut se mettre à la hauteur des nouveaux enjeux, en renonçant à son attirail de vieilleries néolibérales, des coopérations élargies entre pays membres, telles que prévues par le traité de Lisbonne sont certainement envisageables . Le ministre allemand de l’industrie a souvent répété qu’un « Airbus des énergies solaires » était nécessaire en Europe sans que personne jusqu’ici ait jugé bon de lui donner la réplique. Il n’est pas irréaliste de penser que sur ce point, comme sur d’autres, des politiques communes à tout ou partie des États de l’UE pourront voir le jour. Des initiatives dans ce sens fourniraient la base de ces nouveaux « grands projets », repensés et différemment définis, que nous appelons de nos vœux.
À défaut ou en complément de ces politiques européennes, nombre d’initiatives peuvent et devront être prises au niveau « national » ou « local » . Souvent c’est même à ce seul niveau qu’elles pourront se déployer efficacement Ainsi des politiques d’isolation de l’habitat, ou encore de maintes d’initiatives d’écologie circulaire ou d’économie de la fonctionnalité qui ne peuvent souvent trouver logique et cohérence que dans des limites territoriales, nationales ou régionales.
Dans nombre de cas, l’ancrage par excellence de ces politiques est et sera constitué par la ville et la communauté urbaine . Hanovre et Bristol, pour ne prendre que ces deux exemples ont montré ici la voie et tout ce qu’il est possible de faire dans ce domaine.
Alors, on commence quand ? …