Echo du séminaire d’actu du Cepag : « Compétitivité, tarte à la crème du libéralisme européen et de la mondialisation », organisé le vendredi 14 février 2014 à Beez.

Intervenants :

  • Réginald Savage, économiste dans un service d’étude fédéral public, professeur à la FOPES, co-auteur du livre « salaire et compétitivité : pour un vrai débat », paru en mars 2013 aux Ed. Couleur Livres.

  • Ronald Janssen, Conseiller économique à la Confédération européenne des Syndicats

C’est l’un des mots les plus utilisés dans les sérails économiques et politiques. Les médias en abreuvent le bon peuple en oubliant cependant un détail : finalement, on ne sait pas vraiment ce que c’est… La compétitivité.

Gilles Ardinat, dans un récent article du Monde Diplomatique, faisait la remarque suivante : « Avec le soutien d’un nombre croissant d’industriels, l’Union européenne a formulé une autre priorité, qu’elle impose déjà aux pays en difficulté : accroître la compétitivité du marché du travail. Mais que désigne ce terme, que dirigeants de gauche comme de droite semblent avoir érigé en nouveau Graal ? » [1]

Bonne question, en effet.

Pour Réginald Savage, il n’y a pas d’unanimité dans le discours par rapport à la compétitivité. Il s’agit avant tout d’un concept fourre-tout qui cache généralement une autre notion qui est le « taux de profit ».

Pour lui, les crises récentes que nous avons connues furent autant d’occasion pour la droite européenne en général de se rigidifier sur « l’adaptabilité », la « mauvaise gouvernance » ou encore la désormais célèbre « rigidité du marché du travail ».

Dans le sillage du bulldozer néolibéral, les réformes structurelles sont devenues un leitmotiv avec, d’une part, le modèle allemand érigé en dogme quasi religieux et, d’autre part, la vieille rengaine du déclin de l’Europe. Les conséquences de ces postulats furent (et sont encore) dramatiques pour bon nombre de pays européens tels que la Grèce ou l’Espagne. Les politiques d’austérité menées ayant surtout eu pour effet d’augmenter le taux d’endettement, de rogner la confiance des entreprises et d’augmenter le chômage… Bien sûr, les actionnaires s’y retrouvent avec une augmentation manifeste du taux de (leur) profit, mais cette augmentation ne profite pas aux entreprises dans la mesure où l’on constate dans le même temps une baisse des taux d’investissement dans ces dernières.

Les temps sont durs…

Ronald Janssen a relevé, pour sa part, que les conditions étaient « idéales » pour les tenants de cette sacro-sainte « compétitivité salariale ». Et s’il est vrai que les salaires ont augmenté de manière significative dans un pays comme la Slovénie (mais bon, ils partaient de très bas), ces mêmes salaires n’ont plus augmenté en Allemagne depuis 2008.

Il n’en fallait pas plus pour que les « élites » européennes stigmatisent des hausses toutes relatives de salaire et les désignent comme des « dérapages ». Bien évidemment, avec une logique toute libérale, les syndicats sont également pointés du doigt comme des « freins » sur le chemin tortueux du retour à la compétitivité. D’où plusieurs tentatives de réforme des négociations collectives, notamment en décentralisant celles-ci vers les entreprises. Conséquences directes et très concrètes : le salaire nominal a été réduit de plus de 20% en Grèce, tandis que l’Espagne voit s’éroder ce même indice de 3 à 4% par an. Sans parler des coupes dans le secteur public. Les organisations syndicales se trouvent donc parfois coincées entre le marteau et l’enclume. Exemple parmi d’autres, les accords « tourisme et commerce » en Grèce en 2013 (15 à 20% de réduction salariale) qui furent signés par ces mêmes syndicats…

Et comme le rappelle Ronald Janssen, c’est ce qui attend la Belgique dans quelques temps si personne ne réagit.

De surcroît, on ne peut ignorer une contradiction fondamentale : eu égard aux chiffres, la Belgique est plutôt bonne élève puisqu’elle caracole en tête du classement de la compétitivité au sein de l’Union européenne. Et même si nos salaires peuvent (parfois) paraître (un peu) plus élevés, le ratio salaire/productivité demeure au-dessus de la moyenne européenne et au-dessus de … l’Allemagne, un autre « modèle » maintes fois plaqué sur la bonne conscience des orientations économico-sociales européennes.

Cerise sur le gâteau, le taux d’investissement en Belgique demeure également meilleur que nos voisins teutons. A méditer quand on nous ressort en permanence ce fameux « modèle allemand » ! Ironie de l’histoire économique, l’Allemagne revient elle-même sur ce modèle tant vanté puisque depuis 2009-2010, elle tend désormais à privilégier un peu plus la sauvegarde de l’emploi au détriment du taux de profit.

Fausses solutions

Que retenir à ce stade ?

Tout d’abord, bien resituer les enjeux : la compétitivité et les salaires ne sont qu’un cache-sexe pour masquer les appétits de plus en plus grands des actionnaires, conséquence terrible d’une financiarisation de l’économie européenne et mondiale. D’où la nécessité de la définanciariser, tout en rencontrant les besoins sociaux. Ce retour à « l’économie réelle » passe impérativement par un contrôle des contraintes actionnariales et des normes de rentabilité ; ce qui signifie réorienter la gouvernance d’entreprise vers le long terme et l’investissement durable.

Au niveau belge, il faut en finir avec cette obsession des salaires et de l’index qui ne tient pas ou peu compte des performances et de la position compétitive (mais oui…) de notre économie.

Ces quelques constats tirés, on peut se poser des questions sur l’attrait que peut encore revêtir ce discours biaisé sur les vertus de la compétitivité. Laissons la parole à Gilles Ardinat : « Dès lors que l’on constate la fragilité théorique du discours sur la compétitivité — puisqu’il conduit à des diagnostics erronés et à un dumping dissimulé —, comment expliquer son succès auprès des dirigeants politiques ? Peut-être par le fait qu’il répond aux injonctions des entreprises et des marchés internationaux. Or, s’étant privés des moyens de contrôler les unes et les autres, les élus s’adaptent désormais à leurs exigences. En définitive, l’objectif de la compétitivité masquerait une perte d’autorité et de souveraineté des États-nations. Il permettrait d’évincer, dans l’action politique, toute possibilité de protection. Alors que le territoire, avec ses frontières et ses institutions politiques, apparaissait traditionnellement comme un rempart face aux menaces extérieures (qu’elles soient militaires ou commerciales), cette fonction protectrice s’estomperait désormais avec l’affaiblissement des barrières douanières et des prérogatives de l’État. » [2]

Malgré ces constats, bon nombre d’États européens continuent béatement à emboîter le pas, tel le président français récemment : « François Hollande entend mettre à profit ce délai pour engager des réformes de compétitivité, notamment en matière de retraites (« parce que la précédente réforme n’a pas suffi ») et de chômage. Ces réformes seront menées en accord avec les partenaires sociaux, a-t-il dit, insistant sur le regain de « vigueur » du dialogue social survenu après son élection. Prenant le contre-pied d’une certaine germanophobie en plein essor en France et notamment dans les rangs de son parti, il a cité l’Allemagne en exemple. « Pendant dix ans, les Allemands ont fait des choix », a-t-il dit. Il concède à sa gauche que ces choix peuvent « être contestés », mais il souligne qu’« aujourd’hui les Allemands sont compétitifs ». Et il ajoute : « J’espère que cela ira plus vite pour la France ». » [3]

Mais cette « tarte à la crème » d’idéologie économique libérale éclipse, comme le rappelle Réginald Savage, un débat essentiel, à savoir le poids des contraintes internationales en économie très ouverte. Ajoutez à cela la dimension internationale du débat et sa toile de fonds : la financiarisation de l’économie, en ce compris l’industrie, et vous obtiendrez une équation à plusieurs variables qui implique de repenser globalement nos économies vers un modèle plus égalitaire dans lequel les syndicats (re)trouveraient la place qui est la leur : celle du combat.

P.-S.

Source : « La compétitivité... jusqu’à la nausée ! », Laurent d’Altoe , CEPAG, février 2014
http://www.cepag.be/publications/notes-reflexion-analyse

Notes

[1Gilles Ardinat : « La compétitivité, un mythe en vogue », in Le Monde Diplomatique, octobre 2012.

[2Gilles Ardinat, Op.cit.

[3Trends Tendances.be,17/02/2014