Dès l’origine, l’objectif du Fonds est de promouvoir le développement sans entrave du commerce international et de limiter l’ampleur des crises. Il est chargé d’une double mission : la mise en place du système monétaire de Bretton Woods fondé sur la libre convertibilité des monnaies et un régime de change fixe (basé sur l’or et le dollar) ainsi que l’assistance aux pays connaissant des difficultés financières.
Bretton Woods et la « pax americana »
En réalité, c’est la mise en place du système monétaire pensé en 1944 qui occupera le FMI pendant ses premières années d’existence. Les pays en reconstruction passeront principalement par le plan Marshall pour pallier leurs difficultés. Mais, fin des années 1950, les premiers déficits américains apparaissent et en 1964, le montant des avoirs en dollars détenus hors des États-Unis - les eurodollars - devient supérieur au stock d’or américain. Le système monétaire basé sur la convertibilité du seul dollar en or (35$ l’once d’or) devient alors intenable pour le Trésor américain. En 1971, le président Nixon suspend la convertibilité du dollar en or et en 1973 le régime de change fixe est définitivement abandonné, marquant la fin du système de Bretton Woods. Un nouveau rôle est alors attribué au FMI en plus des prêts aux pays en difficulté : la surveillance des déséquilibres économiques.
Durant les Trente Glorieuses, le montant des prêts du FMI reste assez modeste. Parmi ses interventions, on peut mentionner le premier « accord de confirmation » accordé à la Belgique en 1952, l’assistance au Royaume-Uni lors de la crise de Suez puis de la livre sterling, la « crise du pool de l’or » à la fin des années 60 ou encore les « mécanismes pétroliers » des années 70.
Le médecin des Trente Glorieuses se fait sorcier néolibéral
Dans les années 1980, les crises de la dette qui frappent les pays du Sud vont considérablement modifier le rôle du FMI sur la scène internationale. En moyenne, le Fonds interviendra dans 35 pays par an durant les années 80 : deux fois plus que dans les années 70. Une grande partie des pays africains et sud-américains sont concernés. Si à l’origine, les pays ayant connu des problèmes de balance des paiements bénéficient d’une relative liberté dans l’affectation des aides reçues, les années 80 vont être marquées par des interventions de nature tout à fait différente. Le FMI ne va plus seulement s’intéresser à la résorption de déséquilibres temporaires, mais bien à la croissance et à l’investissement à long terme – donc à la « réforme » en profondeur de la base productive des pays. C’est le début des plans d’ajustement structurel, de la conditionnalité, en d’autres termes de la mise sous tutelle des pays en développement. Au menu : réduction des dépenses publiques, hausse des taxes sur divers biens de consommation, des prix de l’essence et de l’électricité, gel des salaires, libéralisation, privatisations, réduction du rôle des Etats dans l’économie...
Dans les années 90, rebelote. Les banques étant encore échaudées par les restructurations de dette de la fin des années 80, les Etats doivent désormais emprunter sur les marchés financiers. La croissance observée au début de la décennie dans les pays latino-américains s’accompagne d’une hausse des importations (notamment de biens d’équipement) et les déficits publics explosent. Il s’ensuit une défiance croissante des investisseurs étrangers et la fuite des capitaux. Le Mexique, l’Argentine et le Brésil sont successivement touchés par des crises économiques et politiques. Les plans d’ajustement des années 90 poursuivront « l’œuvre » entamée quelques années plus tôt. Les populations en paieront les frais lors de la crise asiatique (1997) ou de la crise turque (2000-2001). En Amérique latine, le taux de pauvreté dans les années 1990 retrouve son niveau des années 1970 ! Après l’implosion de l’URSS, la Russie signe six accords avec le FMI entre 1992 et 2000. L’ouverture des comptes de capitaux et la dérégulation hâtive constitueront une des causes de la crise russe de 1998. Paradoxalement, plutôt qu’une remise en question de sa stratégie, ces crises confortent le FMI dans son rôle.
Quant aux pays n’ayant pas accès aux marchés financiers internationaux, ils resteront sous perfusion du FMI et de la Banque mondiale. Des plans d’ajustement, on s’acheminera vers l’initiative PPTE (pays pauvres très endettés). L’intitulé change, les pratiques très peu. Les bons élèves pourront voir une partie de leur dette annulée – une générosité de façade vu les sommes en jeu.
L’Europe comme nouveau terrain de jeu
Au tournant du 21e siècle, la légitimité du Fonds s’estompe progressivement. L’ « échec » des interventions des décennies précédentes, le meilleur accès aux marchés financiers pour les pays en développement et le fait que certains « gros clients » – les pays latino-américains notamment - remboursent même par anticipation leurs emprunts contribuent à une certaine marginalisation du FMI.
Par ailleurs, la gouvernance et le système des quotes-parts (qui détermine les montants de prêt mais surtout le nombre de votes auquel un pays à droit [1]), symbole de la mainmise occidentale sur l’institution, sont de plus en plus décriés par les pays émergents.
Il faudra l’éclatement de la bulle des subprimes en 2008 et la crise de l’euro à partir de 2010 pour redonner souffle à l’organisation. Dès 2008, avant les pays du Sud de la zone euro, la Hongrie, la Lettonie puis la Roumanie demandent l’assistance du FMI. Les recettes « européennes » proposées par le FMI sont similaires à celles des interventions des décennies précédentes : programme d’austérité budgétaire, mise à mal des systèmes sociaux, marginalisation de la concertation sociale. Le rôle du Fonds évolue cependant dans le cas de la crise européenne. Il intervient désormais « en couple » aux côtés des institutions européennes dans le cadre de la Troïka (FMI, Commission et Banque centrale européenne) et « coopère étroitement » au Mécanisme européen de stabilité. La spécificité de cette Troïka est d’agir en dehors de tout statut juridique international. D’autre part, au sein de cette construction, le FMI endosse aussi un rôle d’expert aux côtés des institutions européennes, et moins, comme ce fut le cas dans les pays du Sud, d’acteur principal des ajustements. Un expert peu écouté lorsqu’il reconnaitra après coup sa mauvaise estimation des effets des politiques d’austérité. Dès lors, une question s’impose aux peuples européens : leurs institutions européennes sont-elles plus néolibérales que le FMI ?