En Belgique, face à la hausse des prix, un dispositif précieux existe : l’indexation automatique des salaires et des allocations sociales.
Cet article, publié une première fois en 2008, propose l’analyse des apports mais aussi des limites d’un outil qui reste néanmoins essentiel en termes de progrès social et d’égalité.

Le quinze décembre 2007, près de 25.000 manifestants se sont retrouvés dans les rues de Bruxelles. Avec des revendications claires : la défense de la sécurité sociale fédérale, une fiscalité plus équilibrée et la protection du pouvoir d’achat. Cette mobilisation d’ampleur significative a succédé à une série d’actions qui se sont déroulées dans les différentes régions. Car le pouvoir d’achat particulièrement est l’objet de nombreuses préoccupations. Le contexte est en effet celui d’une accélération de la hausse des prix, qui frappe de plein fouet les ménages et particulièrement les plus vulnérables.
En Belgique, un dispositif précieux existe : l’indexation automatique des salaires et des allocations sociales. Il est censé offrir une protection contre la hausse des coûts de la vie. Mais est-ce suffisant ?

Inflation et indexation

L’inflation, c’est la hausse des prix sur une période donnée. Pour mesurer cette inflation, un indice est construit : l’indice des prix à la consommation. Selon la définition donnée par le service public économie, « l’indice des prix est un indicateur économique qui a pour vocation première de mesurer, de façon objective, l’évolution, au cours du temps, des prix d’un panier de biens et services achetés par les ménages, et censé être représentatif de leur consommation ».
Cet indice est construit mensuellement, à partir de l’observation des prix de plus de 500 produits dans 65 localités géographiques du pays.
Pour déterminer l’indice des prix à la consommation, une étape clé est l’élaboration de l’enquête sur le budget des ménages. Le poids d’un bien ou service dans l’indice est en effet déterminé en fonction de la part de la dépense qu’il représente pour un ménage moyen. Aussi, l’indice est-il régulièrement réformé afin de refléter les changements dans les habitudes de consommation. Tous les 8 ans environ, une réforme significative est introduite dans la composition du panier témoin. Et des mini-réformes intermédiaires sont opérées tous les 2 ans. A titre illustratif, les différentes catégories de dépenses mesurées pour construire l’indice, ainsi que leur pondération figurent dans le tableau 1. Celui-ci doit être lu de la manière suivante : la part des produits alimentaires dans le panier témoin représente un peu plus de quinze pourcent du total pour un ménage moyen en Belgique. Et comme expliqué plus haut, ce pourcentage est lui-même censé refléter la part des dépenses pour ce produit dans le budget des ménages.

Tableau 1 : types de dépenses et pondération de celles-ci dans l’indice des prix
Source : SPF économie

En Belgique, les salaires et les allocations sociales sont indexés. En d’autres mots, ils sont automatiquement augmentés suite à la hausse du coût de la vie. Ce mécanisme est devenu quasi unique à l’échelle européenne. Il fait régulièrement l’objet d’attaques des milieux libéraux et des employeurs (voir par exemple les propos de Rudi Thomaes, l’administrateur délégué de la FEB dans ’Le Soir’ du 8 janvier 2008). Depuis le début des années nonante, l’indexation automatique ne s’opère d’ailleurs plus à partir de l’indice des prix à la consommation mais bien à partir de ce qui est qualifié d’indice-santé. Ce dernier est l’indice général duquel ont été retirés différents produits : l’alcool, le tabac et les carburants (à l’exception du LPG). Notons que contrairement à une croyance largement répandue, le mazout de chauffage figure bien dans la liste des produits permettant de mesurer l’indice santé.
L’indexation automatique est bel et bien un mécanisme clé permettant de protéger les revenus des ménages contre la hausse du coût de la vie. Il existe une large variété de modes d’indexation. Un mécanisme bien connu est l’indexation suite au dépassement d’un seuil pivot. C’est le cas par exemple pour les salaires dans la fonction publique mais aussi pour les allocations sociales. Le dépassement du pivot donne lieu à une augmentation de ces revenus de 2 pourcents.
Dans le secteur privé, les formes d’indexation sont fixées via les conventions collectives de travail. Elles peuvent prévoir une adaptation périodique (mensuelle, trimestrielle,...) ou bien une indexation au moment où l’indice santé atteint le seuil pivot.

Regard sur la hausse actuelle des prix

Comme le met en évidence le tableau 2, la Belgique n’a plus connu depuis plus de dix ans une inflation qui a dépassé le seuil des 3 %. La hausse des prix est malgré tout assez fluctuante. Si on regarde la dernière décennie, on s’aperçoit que l’inflation, mesurée à partir de l’indice des prix à la consommation est très faible de 1995 à 1999. Elle s’accélère ensuite au tournant du millénaire. Elle se stabilise à nouveau à un bas niveau de 2002 à 2004. Et à partir de 2005, elle reprend à nouveau de la vigueur.

Sources : BNB

Lorsqu’on se penche sur les chiffres de l’année 2007, le constat est celui d’une hausse modérée des prix durant les 9 premiers mois de l’année suivi d’une forte accélération à partir du mois d’octobre. A l’heure d’écrire ces lignes, la tendance haussière est toujours bien présente.

Sources : BNB

Une décomposition de la hausse des prix par produit permet de mettre clairement en évidence les biens et services concernés. Les chiffres proposés dans le tableau 2 sont éloquents. Depuis 2004, les prix des produits énergétiques connaissent une croissance forte qui ne semble pas prête de se ralentir : plus de 12 % de hausse en 2005, et plus de 7 % en 2006. La pause enregistrée pour la dernière année semble temporaire. Un nouveau phénomène est apparu au cours de l’année 2007 : celui d’une hausse significative du prix des produits alimentaires transformés, alors que ceux-ci étaient restés relativement stables durant l’ensemble de la décennie précédente. En ce qui concerne les services et les biens industriels non énergétiques, c’est jusqu’à présent la stabilité qui est de mise.
Mais l’observation majeure qui nous semble devoir être soulignée, c’est l’écart entre deux séries : d’une part, l’indice général des prix à la consommation et d’autre part, l’indice santé. Du fait de la forte hausse des prix de l’énergie, l’indice-santé a régulièrement été inférieur à l’indice général. C’est un phénomène qui peut être observé de manière significative pour les années 2004 et 2005.

Les limites de l’indexation

L’indexation automatique des salaires et des allocations sociales est un mécanisme précieux pour les travailleurs et les allocataires sociaux. Il n’en reste pas moins vrai que ce dispositif n’est pas parfait et présente des limites de différents ordres.

Le premier, c’est bien sûr l’application de l’indice santé. Comme nous l’avons vu plus haut, lorsque les produits pétroliers coûtent plus chers, l’indice-santé croît moins rapidement que l’indice complet des prix à la consommation. Dans les faits, l’indexation des salaires et allocations n’est alors que partielle et les personnes concernées sont confrontées à une baisse de leur pouvoir d’achat, toutes autres choses restant égales par ailleurs. De nombreux développements pourraient être proposés sur les raisons qui ont poussé à l’introduction de cet indice santé lors du plan global en 1994. C’est une sorte de donnant-donnant qui s’est opérée. A cette période, l’indexation automatique faisait l’objet d’attaques fortes de la part des milieux de droite. Le principal reproche mis en avant était le risque d’inflation auto-entretenue : soit une hausse des prix qui amène à une indexation des salaires qui conduit elle-même à une hausse des coûts pour les entreprises avec à la clé une nouvelle poussée des prix. En d’autres mots, le risque d’un effet boule de neige. Bien entendu, l’angle d’approche n’est pas le même pour la personne avec un petit revenu qui doit pouvoir être protégée contre l’augmentation des prix.
Avec l’indice-santé, le principe d’indexation automatique a été confirmé. Et il reste en vigueur aujourd’hui. Mais c’est un principe amoindri dans un contexte où, de manière durable, la tendance de fond est une hausse soutenue du coût des produits pétroliers. Première limite donc au principe d’indexation automatique : son caractère partiel vu son application sur base de l’indice santé.

Une étude récente de Philippe Defeyt met remarquablement en évidence une deuxième difficulté (voir Defeyt Philippe, ’Indice des prix, indexation et pouvoir d’achat des ménages à petits revenus’, Institut pour un Développement Durable, novembre 2007). L’idée-clé est que les modes de consommation ne sont pas homogènes. La part des dépenses pour certains produits est beaucoup plus importante pour les ménages à petits revenus. D’autres biens et services par contre occupent une part plus importante dans le caddie des personnes plus fortunées. En d’autres mots, il existe des différences significatives dans la consommation entre la moyenne des ménages et ceux à petits revenus.

Tableau 4 : structures de consommation sur base de l’enquête sur le budget des ménages (EBM) 2004
Sources : INS-SPF Economie et calculs : IDD (Ph. Defeyt)

Le tableau présente la structure de consommation telle que décrite à partir de la dernière enquête sur le budget des ménages (EBM) réalisée en 2004. Les chiffres dans la première colonne se rapportent à l’ensemble des ménages et proposent donc une moyenne, tandis que ceux dans la dernière colonne concernent le dernier décile, soit la tranche des 10 % des ménages les plus pauvres. Comme on peut le voir dans le tableau ci-dessus, il existe bel et bien des différences significatives. Pointons particulièrement le poste ‘logement, eau, électricité, gaz et autres combustibles’. Son poids est de 26,1 % pour un ménage moyen tandis qu’il est de 38,5 % pour les ménages les plus défavorisés. Pour les transports, la situation est inverse.

Les travaux réalisés par Philippe Defeyt mettent clairement en évidence que pour différents produits qui connaissent actuellement une augmentation rapide des prix (dont l’électricité et le gaz), la part de ceux-ci dans les dépenses des ménages au bas de l’échelle des revenus est plus importante que pour la moyenne des ménages. Les familles moins favorisées sont donc davantage
touchées par les hausses de prix actuelles. Et, malgré le mécanisme d’indexation automatique, elles subissent une perte de pouvoir d’achat. Si l’on ajoute le fait que l’indexation s’opère sur base de l’indice-santé, l’économiste estime que les pertes de pouvoir d’achat pour les ménages situés au bas de l’échelle des revenus sont de l’ordre d’environ 400 euros par an depuis 2004.

Pistes d’action

S’agit-il pour autant de remettre en cause l’indexation des salaires ? Ou bien encore d’avoir des indices construits différemment pour chaque catégorie de revenus ? Ca ne nous apparait pas être la bonne stratégie.
En terme de progrès et d’égalité, quatre pistes nous semblent devoir être explorées simultanément.

La première est fondamentale. Il s’agit de veiller à un juste partage des fruits de la croissance. Or, on sait que tant en Belgique que dans les autres pays européens, la part salariale dans la valeur ajoutée (prise globalement en intégrant la part socialisée à travers les cotisations sociales et les prélèvements fiscaux) est en recul. Ce phénomène doit être enrayé. Et il faut combattre les idées portées par la droite décomplexée qui à l’instar de Sarkozy en France ou le MR en Belgique voit dans la baisse de la fiscalité les seules voies possibles pour augmenter le pouvoir d’achat. On sait à quoi mènent ces mesures : l’assèchement des ressources de l’Etat. Et lorsque les caisses sont vidées, les néolibéraux ont beau jeu de prétendre qu’il est impossible de mener des politiques sociales ambitieuses.

Le deuxième terrain est précisément celui de la sécurité sociale. Le mécanisme de liaison au bien-être des allocations sociales est maintenant inscrit dans la loi. Comme l’ont encore rappelé les organisations syndicales lors de la manifestation du 15 décembre à Bruxelles, l’application effective de ce principe est une priorité absolue. Il ne doit pas être limité aux pensions, aux indemnités d’invalidité et aux allocations familiales, mais valoir aussi pour les allocations de chômage, ainsi que pour les indemnités pour maladie professionnelle ou accident de travail.

Troisième piste incontournable : l’exercice de régulation et de contrôle des prix afin de combattre les dérives des marchés. Le contrôle doit particulièrement concerner certains produits sensibles tels que le marché locatif. Concernant les produits énergétiques, les pouvoirs publics doivent également agir. A travers l’extension du fond mazout qui jusqu’à présent n’a eu qu’une ampleur trop limitée et n’a touché que marginalement les personnes qui ont des difficultés à faire face à l’accroissement de leur facture de chauffage. En matière de gaz et d’électricité, les dérives constatées dans la foulée de la libéralisation des marchés doivent être corrigées : accroissement du contrôle sur les tarifs, meilleure régulation à travers la restauration du rôle de la CREG (commission de régulation de l’électricité et du gaz),…
Enfin, si la suppression de l’indice-santé au profit d’une indexation sur base d’un indice complet est de l’ordre de l’utopie, la vigilance syndicale doit continuer à être absolue sur le terrain de l’observation des prix et de l’adaptation périodique de l’indice. Il en va de la crédibilité d’un outil, qui à défaut d’être parfait, a un rôle essentiel pour le monde du travail.

P.-S.

Démocratie, février 2008.