L’avenir des pensions en Belgique ? Une question qui se pose encore avec plus d’acuité depuis que la crise financière et économique est venue grevé le budget de l’État. Cure d’austérité sociale, allongement du temps de travail ou rééquilibrage de la répartition « capital-travail », voici une présentation synthétique des options politiques disponibles face au vieillissement de la population belge. Des options misent en débat ce 2 décembre 2009 lors du premier « Midi d’Econosphères ».

Derrière la question de l’avenir des pensions, et en particulier du système actuel des pensions légales, c’est tout le débat sur la soutenabilité financière du système existant de sécurité sociale (au sens large) en contexte de vieillissement, qui est posé. Cette question n’est pas neuve. Cela fait maintenant près de dix ans au moins que le diagnostic de base a été posé – et ce même si le chiffrage associé a dû être adapté au fil du temps et des vicissitudes économiques.

Le vieillissement attendu de la population entraînera, à système social globalement inchangé, un alourdissement progressif mais substantiel des dépenses de sécurité sociale, et en particulier des dépenses de pensions légales. Ceci se greffera sur une tendance historique lourde à l’augmentation du coût budgétaire des dépenses publiques de santé. Les dernières estimations officielles du coût budgétaire global du vieillissement ( [1]) ou « CBV » sur la période 2008-2050 s’élevaient à près de 8% de PIB, soit un « alourdissement » de plus d’un tiers en termes relatifs. Ceci soumettra les finances publiques belges à une pression considérable et permanente.

La réponse officiellement apportée à ce défi budgétaire, dès le début de la décennie, a été de profiter du retour à l’équilibre atteint pour viser la constitution progressive de surplus budgétaires structurels en vue d’assurer un large degré de pré-financement du CBV. Dès avant l’actuelle crise financière, il s’est avéré cependant que cette stratégie dite de pré-financement ne parvenait pas à se matérialiser. Et la crise économique majeure actuellement en cours est venue compléter la déstabilisation des finances publiques belges, avec un déficit public de 6% de PIB environ en 2009 au lieu du surplus de 0,7% qui était encore visé il y a à peine moins de trois ans. C’est toute la stratégie officielle qui est de facto remise en cause, faisant peser une menace majeure sur le système des pensions légales et plus largement sur l’avenir du modèle social belge et de son financement. Pour faire court, deux options politiques se profilent aujourd’hui :

La première consiste en gros à en revenir à la stratégie initiale, en visant un retour à l’équilibre budgétaire aux alentours de 2015. Ceci permettrait en principe d’assurer un degré élevé de préfinancement du CBV, mais exigerait par contre un effort budgétaire et fiscal d’ampleur considérable et fortement concentré d’ici 2015 (de 6 à 7% du PIB en 5 ans, soit l’équivalent du CBV estimé d’ici 2050 !). Dans l’actuelle configuration des rapports de forces politiques et sociales, il est pratiquement exclu que les dépenses sociales soient dispensées d’une participation substantielle à cet effort. La viabilité financière de plus long terme de la protection sociale et des systèmes de répartition serait ainsi dans ce scénario en principe sauvegardée, mais ce au prix probable d’une cure assez sévère d’austérité budgétaire et sociale à court terme (horizon 2015).

La seconde option vise de facto à étaler ou réduire l’ajustement budgétaire de court terme requis en programmant des « réformes structurelles » du système social et du marché du travail dans le sens d’un allongement de la carrière professionnelle (augmentation de la durée de cotisation sans augmentation parallèle des droits sociaux) en vue de réduire le coût des pensions légales et de raboter ainsi le CBV. Le mot d’ordre implicite est donc de « travailler – et cotiser - plus longtemps pour une pension inchangée voire rabotée ». L’ajustement budgétaire requis à court terme est réduit parce que étalé et reporté pour partie sur les générations futures. La question parallèle centrale – et très rarement explicitée – est celle de savoir quels seront à l’avenir les mécanismes permettant d’assurer que l’augmentation de l’offre d’emplois (par les entreprises) suivra ou même précédera celle de la demande d’emplois (par les travailleurs, « incités » à travailler plus longtemps et à retarder l’âge du départ à la retraite). Le « modèle » sous-jacent est très souvent celui d’une libéralisation et dérégulation accrue du marché du travail, permettant de facto, selon les schémas d’économie néo-classique et « d’auto-régulation » concurrentielle de marchés dits efficients, à l’augmentation de l’offre de travail de faire pression à la baisse sur les salaires réels et de rentabiliser ainsi une offre accrue d’emplois marchands dits productifs.

Une variante ou un complément de (à) ce scénario est celui d’un développement intensif des seconds et troisièmes piliers, avec éventuellement soit des dispositions légales contraignantes (second pilier obligatoire et généralisé), soit/et des avantages fiscaux à la clé, permettant de compenser la dérive à la baisse des taux de remplacement associés au premier pilier.

Une troisième option, quasiment jamais évoquée parce que contraire au dogme toujours dominant – même au centre-gauche – du caractère excessif des prélèvements obligatoires sur le facteur travail, consisterait à assurer la pérennité du système actuel de pensions légales par (notamment) une augmentation progressive et calibrée des cotisations patronales de sécurité sociale. Selon l’évolution des rapports de forces sociaux, cette augmentation se ferait à part salariale inchangée (scénario défavorable) ou au contraire croissante, auquel cas elle se ferait au détriment des profits distribuables plutôt que des salaires « directs ». Mais ceci suppose une orientation offensive coordonnée du mouvement social en faveur d’un rééquilibrage de la répartition primaire « capital/travail » du gâteau, ainsi que l’acceptation simultanée d’une solidarisation intra-salariale accrue en faveur du salaire indirect.

En conclusion, l’échec antérieur de la stratégie de pré-financement ainsi que les dégâts collatéraux durables de la crise actuelle sur les finances publiques reposent crûment la question de la viabilité du système actuel de protection sociale. Le durcissement des contraintes financières imposera très rapidement des arbitrages difficiles, nécessitant y compris à gauche un positionnement politique clair sur des questions essentielles comme la durée du travail et sa répartition (sur le cycle de vie), le partage « primaire » souhaitable « capital / travail » des revenus, le degré de « socialisation » assumé des revenus du travail (entre salaire direct des actifs et salaire indirect solidarisé).

La bataille idéologique sur ces questions est déjà lancée, avec une offensive utilisant le levier de la crise pour promouvoir un allongement de la durée (et du volume) d’activité marchande productiv(ist)e plutôt qu’une redéfinition des logiques de redistribution solidaire (y compris intra-salariales) et du contenu même du modèle de croissance.

P.-S.

Cette contribution de Réginald Savage a servi de base aux discussions du Midi d’Econosphères consacré aux pensions.

Notes

[1Coût mesuré par la progression escomptée du ratio des prestations publiques sociales totales, en pourcentage du PIB, d’ici 2050.