La stratégie Europe 2020, adoptée par le Conseil européen le 17 juin 2010, correspond à la stratégie dont s’est dotée l’Union européenne pour encourager la croissance et l’emploi au cours de la présente décennie. Elle met l’accent sur une croissance intelligente, durable et inclusive comme moyen de surmonter les faiblesses structurelles de l’économie européenne, d’en améliorer la compétitivité et la productivité et de jeter les bases d’une économie sociale de marché durable.

Les grands objectifs liés à cette stratégie sont les suivants :

  • 75% de la population entre 20-64 ans devra avoir un emploi
  • 3% du PIB devra être consacrée à la R&D
  • Objectifs en matière de changement climatique et d’énergie :
    > Réduction des émissions de gaz à effet de serre de 20% par rapport à 1990
    > Accroissement de la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie pour atteindre 20%
    > 20% d’accroissement dans l’efficacité énergétique
  • Le taux de jeunes ayant quitté prématurément l’éducation et la formation devra être inférieur à 10% et au moins 40% des 30-34 ans devront avoir obtenu un diplôme de l’enseignement supérieur ou équivalent
  • La pauvreté devra être réduite en s’attachant à ce qu’au moins 20 millions de personnes cessent d’être confrontées au risque de pauvreté ou d’exclusion sociale. » [1]

La présente note s’intéresse au premier de ces objectifs.

Le tableau ci-après montre les taux d’emploi et l’objectif 2020 pour les pays de l’Union. On remarquera que :

  • l’objectif a été adapté pour la plupart pays, en fonction des performances atteintes au moment de la définition de la Stratégie Europe 2020
  • certains pays sont encore relativement éloignés de l’objectif assigné ; c’est en particulier le cas pour la Belgique ; l’objectif 2020 pourrait être difficile à atteindre au vu de la stagnation du taux d’emploi observée depuis 2008 (voir graphique en bas de la page suivante).

Les dernières Perspectives du Bureau fédéral du Plan annoncent que la Belgique n’atteindra pas son objectif, dans le cadre des hypothèses retenues en tout cas [2].

Dans un tel contexte il est tentant d’aller voir ce qui se passe dans d’autres pays, notamment pour y chercher des orientations politiques et des mesures opérationnelles qui sont supposées être plus efficaces et que la Belgique ferait donc bien d’adopter. L’Allemagne, les Pays-Bas et la Suède servent donc souvent de « modèles » à suivre.

Démarche intéressante, certes, mais qui doit peut être relativisée sur base du raisonnement suivant : toutes choses égales par ailleurs, un taux d’emploi identique n’a pas le même impact sur la soutenabilité de la protection sociale en fonction du salaire moyen et/ou du temps de travail moyen.
Autrement dit encore, de manière plus directe, créer des emplois à temps (très) partiel et dont le salaire horaire est inférieur à la moyenne – ce qu’on appelle par exemple « minijobs » pour qualifier certains emplois créés en Allemagne depuis les réformes Harz – augmente certes le taux d’emploi mais n’accroît pas, à due concurrence, la capacité de financement de la protection sociale.

La présente note a pour premier objet de mesurer les taux d’emploi en équivalents temps plein pour déterminer ce que devient le classement européen des performances en matière de taux d’emploi.

Cette approche n’est pas non plus sans faiblesse. C’est ainsi, par exemple, qu’il n’est nullement garanti que certaines heures de travail ne « disparaîtraient » pas si certains horaires et/ou certains types d’aménagement du temps de travail étaient rendus impossibles. Mais la comparaison des taux d’emploi mesurés classiquement et des taux d’emploi en équivalents temps plein peut permettre de comprendre mieux les spécificités des marchés du travail nationaux.

De cette comparaison chacun en retirera les enseignements qu’il souhaite.

Notes méthodologiques :

  • les données utilisées sont les résultats 2015 de l’Enquête sur les forces de travail (période d’extraction juin 2016) ; ce sont donc des données avec intervalle de confiance et parfois différentes des données administratives, mais ce sont ces données qui servent à la Commission à mesurer l’écart par rapport à l’Objectif 2020 ;
  • le concept de temps de travail utilisé est le temps de travail effectivement presté, déduction faite des absences pour diverses raisons (sauf pour le tableau en annexe consacré aux minijobs pour lequel le concept retenu est celui du temps de travail habituel) ; autrement dit, le temps de travail moyen est calculé en incluant les travailleurs qui, pour diverses raisons, n’ont pas travaillé au cours de la semaine de référence ;
  • le temps de travail à temps plein qui sert de référence est celui de chaque catégorie socioprofessionnelle (salariés, indépendants et aidants) et de chaque genre ;
  • le temps consacré à un second job est intégré dans les calculs ;
  • suite à des problèmes de données, deux pays (Lettonie et Malte) ne sont pas couverts ; les pays retenus sont donc : Autriche, Allemagne, Belgique, Bulgarie, Chypre, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Lituanie, Luxembourg, Norvège (non UE), Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Slovaquie, Slovénie et
    Suède ;
  • les données proviennent d’EUROSTAT (enquête sur les forces de travail) et les calculs sont de l’IDD.

L’Annexe statistique 1 (fichier séparé) présente l’ensemble des données. Voici les principales observations que l’on peut en déduire.

A première vue l’argument développé ci-dessus n’a qu’une portée limitée. Le graphique ci-après (voir haut de la page suivante) indique certes une corrélation positive entre le pourcentage de temps partiels et le taux d’emploi des 20-64 ans mais le R² est relativement modeste. Mais se contenter de comparer des taux d’emploi et les proportions d’emplois à temps partiel revient à ignorer que des pays ont, à proportion d’emplois à temps réduit donnée, une capacité plus ou moins élevée à créer des emplois.

Regardons cela de plus près. Il n’y a évidemment pas que la proportion d’emplois à temps partiel qui varie d’un pays à l’autre ; le temps de travail moyen des temps partiels aussi, en absolu comme en relatif. Il n’y a pas de lien entre le pourcentage de travailleurs à temps partiel et le nombre d’heures relatif.

Attention : dans ce tableau, comme dans les suivants, les moyennes sont non pondérées !

Comme le montre le tableau en bas de la page précédente, le rapport entre le temps de travail moyen des travailleurs à temps partiel et celui des travailleurs à temps plein s’étale de 41,7% au Portugal à 62,7% en Roumanie. En Belgique le rapport est de 56,2% [3]

Par ailleurs, vu leur importance dans certains pays, il faut aussi tenir compte des heures de travail fournies dans un second emploi. Le tableau suivant montre que :

  • sauf en Bulgarie, la proportion de travailleurs exerçant un second job est plus élevée chez les travailleurs à temps partiel ;
  • il y a de grandes différences entre les pays : 0,4% des travailleurs déclarent exercer un second emploi en Bulgarie, 8,9% en Suède ;
  • la part du volume d’heures de travail total assurée par ces emplois est néanmoins relativement modeste (le maximum – en Norvège – est de 2,9%) ; en Belgique la part est de 1,2%.

A partir de ces différentes informations on peut calculer un taux d’emploi en équivalents temps-plein. Il s’agit, précisons-le encore une fois, d’un calcul mécanique. Mutadis mutandis, les arguments activés pour contester les évaluations purement mécaniques des créations d’emplois liés à une réduction du temps de travail valent ici.

En gardant en tête ce caveat, le tableau suivant montre que :

  • trois pays (vus comme « bons élèves »), sur lesquels les projecteurs se sont souvent braqués ces dernières années, à savoir l’Allemagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, enregistrent un écart entre le taux d’emploi en nombre d’emplois et le taux d’emploi en équivalents temps plein très élevé, l’écart le plus important étant observé aux Pays-Bas (-14,5 points de pourcentage) ;
  • trois autres pays observent un écart supérieur important, à savoir l’Autriche, le Danemark et la Norvège ;
  • la part très importante dans beaucoup de pays des femmes dans l’emploi à temps partiel explique évidemment l’importance de l’emploi féminin dans l’écart entre le taux d’emploi en équivalents temps-plein et le taux d’emploi en nombre d’emplois.

NB : Le résultat supérieur à 100% pour la Pologne (dernière colonne) n’est pas une erreur. Le très faible pourcentage d’hommes à temps partiel et une part relativement importante des heures de travail prestées dans un second job par les hommes font, ensemble, que le taux d’emploi masculin en équivalents temps plein est supérieur à celui calculé sur le nombre d’emplois. Dès lors, l’écart entre le taux d’emploi en équivalents temps-plein et le taux d’emploi en nombre d’emplois est en Pologne uniquement positif pour les hommes et négatif pour les femmes, d’où un pourcentage supérieur à 100.

On notera encore que les six pays où l’écart est le plus important sont aussi ceux qui sont dans le haut du « classement » en matière de jobs salariés à horaire faible (moins de 15 heures/semaine – voir Annexe). L’impact de ces petits jobs sur l’écart entre le taux d’emploi en équivalents temps plein et le taux d’emploi calculé classiquement est immédiatement lisible sur le graphique ci-après [4] .

A partir de ces résultats, le tableau suivant classe les pays en fonction de leur performance sur chacune des mesures du taux d’emploi.

Trois observations :

  • le classement est assez bien bouleversé quand on mesure le taux d’emploi en équivalents temps-plein et l’écart entre les performances quelque peu resserré ;
  • on notera en particulier le recul de la 3ième à la 9ième place de l’Allemagne, de la 4ième à la 8ième place du Royaume-Uni, de la 7ième à la 23ième place des Pays-Bas et de la 9ième à la 17ième place de l’Autriche ;
  • la performance relative (et absolue) de la Belgique reste médiocre ; en équivalents temps plein les taux d’emploi des Pays-Bas et de la Belgique sont identiques.

Comme déjà dit ci-dessus, ces calculs sont des calculs mécaniques, à interpréter avec prudence, nul ne pouvant dire ce que deviendraient les taux d’emploi si le travail à temps partiel et/ou les minijobs (à savoir des jobs – principaux – avec peu d’heures de travail) devaient, toutes choses égales par ailleurs, être encouragés ou au contraire découragés, implicitement ou explicitement. Quand à l’intérêt d’augmenter le taux d’emploi en stimulant le recours (offre comme demande) à des emplois à temps partiel il varie évidemment en fonction du positionnement sur l’échiquier politique. Une partie de l’acceptabilité de la création de tels emplois dépend évidemment de l’existence ou non de mécanismes de soutien au revenu (du travailleur ou du ménage dont il fait partie) et de la « générosité » de ceux-ci.

Les résultats pour 2015 sont évidemment la résultante des évolutions passées. La suite de cette note sera donc consacrée à examiner comment, pour la Belgique et une sélection de pays européens, a évolué l’emploi salarié et l’emploi salarié en équivalents temps plein entre 2000 et 2014.

Notes méthodologiques :

  • les durées de travail effectives sont celles publiées par EUROSTAT sur son site ;
  • les pays retenus (Allemagne, Autriche, Danemark, Espagne, France, Italie, Pays-Bas, Pologne, Suède et Royaume-Uni) l’ont été pour offrir des situations et évolutions contrastées ;
  • à la fois parce qu’il s’agit de données résultant d’enquête et pour mieux cerner les tendances, les données ont été lissées par des moyennes sur trois ans ;
  • la période de départ – 2000 – a été choisie parce qu’elle précédé la mise en œuvre de réformes importantes dans certains pays (par exemple les lois Hartz en Allemagne et les titres-services en Belgique), même si, dans la plupart des pays européens, les réformes ont été plus nombreuses après 2008 ; c’est la raison pour laquelle l’analyse se concentre sur l’emploi salarié, objet principal de ces réformes.
    Les principaux résultats de l’analyse des évolutions entre 2000 et 2014 sont reproduits au tableau suivant.

Le tableau suivant détaille l’évolution entre 2000 et 2014, en points de pourcentage, des facteurs sousjacents :

  • le pourcentage de salariés travaillant à temps partiel
  • le temps de travail moyen des salariés à temps partiel en proportion du temps de travail moyen des salariés à temps plein
  • l’importance relative (nombre et heures) des seconds emplois.

Les évolutions sont détaillées, années par année, dans les tableaux en Annexe (les données de base sont données dans l’Annexe statistique n° 2 sous forme de fichier joint).

Quelques constats :

  • les écarts parfois importants entre l’évolution de l’emploi salarié mesuré en nombre d’emplois et celle de l’emploi en équivalents temps plein
  • la relative bonne performance de la Belgique par rapport à deux pays souvent cités en exemple (l’Allemagne et les Pays-Bas)
  • quelques surprises par rapport à des représentations manifestement erronées : par exemple, au Royaume-Uni, le maintien du rapport entre l’emploi en équivalents-temps plein et l’emploi en nombre de salariés et la baisse de la proportion de travailleurs qui ont un second job
  • l’hétérogénéité des marchés du travail : évolutions de même sens ou en sens contraire de :
    > la proportion de salariés à temps partiel et du temps de travail, relatif, des salariés à temps partiel
    > la proportion de salariés qui ont un second job et l’importance relative des heures accomplies dans ce second emploi
    > du temps de travail relatif des travailleurs à temps partiel et de ceux qui ont un second job.

En tout état de cause, les résultats de cette étude incitent à la prudence dans la comparaison des performances et dans les conclusions pour l’action. Les pays européens ont en effet des marchés du travail très hétérogènes, présentant chacun des traits qui plaisent ou pas, mais qui forment un équilibre national. Ceci dit, même si les « modes » des dernières années l’ont un peu oublié, le modèle suédois continue à générer d’intéressantes performances : un très haut taux d’emploi, quel que soit l’indicateur retenu, et une très courte durée effective du temps de travail. Et en même temps, comme quoi rien n’est jamais tout blanc ou tout noir, un pourcentage très élevé de suédois – 8,9% - ont un second emploi.

ANNEXES :

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Notes

[2Attention : la définition du taux d’emploi dans les Perspectives du Bureau fédéral du Plan (voir http://www.plan.be/databases/PRF/fr/RESL2.xls pour l’évolution du taux d’emploi dans les Perspectives 2016-2021) n’est pas identique à celle retenue ici. Cela ne change cependant rien à la conclusion : la possibilité pour la Belgique de respecter l’objectif européen en 2020 est très faible pour ne pas dire nulle.

[3On sait par ailleurs que ce pourcentage est orienté à la hausse depuis plusieurs années.

[4Ce graphique a été construit sans la Bulgarie (données non crédibles) et la Roumanie (pas de données).