Le 12 mars dernier, le BEL 20 enregistrait sa plus forte baisse (-14.21%) depuis sa création en mars 1991. De nombreux médias en ont fait leur gros titre. La tonalité dramaturgique – « La Bourse de Bruxelles a connu jeudi l’une des pages les plus sombres de son histoire » (Le Soir) – ne manqua pas d’alerter le lecteur : profane ou expert, il comprend que la chute du BEL 20 est une mauvaise nouvelle, sans doute annonciatrice d’événements désagréables (panique, chômage, austérité…). Mais est-ce vraiment le cas ? A-t-on raison d’émouvoir l’opinion publique lorsque le BEL 20 voit rouge ? Décryptons ce qu’indique l’indice pour se convaincre du contraire.

Le BEL 20 reflète-t-il l’état de santé de l’économie belge ? Le cas échéant, les commentaires alarmés ne seraient pas absurdes : la chute du BEL 20 renseignerait une détérioration de l’activité économique du pays, ce qui – dans le contexte actuel – présagerait des moments douloureux pour une partie de la population. Une récente étude du Groupe de recherche pour une stratégie économique alternative (Gresea) a montré au contraire que l’échantillon du BEL 20, parce qu’il est fondé sur des critères financiers (capitalisation flottante et vélocité), offrait une vision réductrice du pouvoir économique belge [1]. Un indice reflétant l’état de santé de l’économie devrait, a minima, intégrer le chiffre d’affaires, la valeur ajoutée brute et le nombre de travailleurs de l’entreprise ; les chercheurs et chercheuses du Gresea ont déjà fait le travail, donnant naissance à un « Bel 20 alternatif ».

Le BEL 20 reflète-t-il les préoccupations des citoyens et citoyennes ? Si l’indice intégrait l’opinion de la population belge (comme c’est théoriquement le cas pour le budget d’un gouvernement élu), il serait en effet important de l’alerter de la chute du BEL 20, comme on l’informe du déficit public. Mais est-ce la cas ? Le BEL 20 est-il démocratique, c’est-à-dire décidé par toutes les parties prenantes ? Aujourd’hui, il est une marque protégée de la société privée Euronext ; sa révision annuelle, annoncée le 11 mars dernier, est décidée par un « Steering Committee ». Ce dernier est présidé par le CEO d’Euronext Bruxelles et composé notamment de trois experts externes à l’entreprise (deux universitaires et un membre de la banque d’investissement JP Morgan). Cet échantillon épuise-t-il toutes les parties prenantes ? L’employé de la société révisant ses budgets afin d’intégrer l’indice n’est-il pas également concerné par le BEL 20 ? Et le citoyen, n’est-il pas impacté par les mouvements boursiers ? Si tel était le cas, un élargissement du Steering Committee, incluant par exemple les syndicats des sociétés du BEL 20 et les pouvoirs publics, rendrait l’indice plus démocratique. Sans cette démocratisation, le BEL 20 demeurera une affaire privée d’Euronext, hors d’atteinte du citoyen. Pourquoi dès lors alarmer ce dernier de ce qui ne le regarde pas ?

Décideurs publics, citoyens et citoyennes ont besoin d’indicateurs pour suivre et réguler la situation économique. Le BEL 20 occupe aujourd’hui une place centrale dans ce « paysage statistique », notamment grâce aux journalistes le relayant bruyamment. S’il est pertinent pour saisir l’évolution du top 20 d’Euronext Bruxelles, il ne peut devenir un enjeu citoyen qu’à condition d’intégrer des critères plus industriels que financiers et le point de vue de tous les acteurs concernés.

 


M. Nicolay & A. Lepase Chercheurs indépendants en socio-économie et membres de Rethinking Economics

 


Cette carte blanche a paru dans L’Echo, le 22 avril 2020.

Notes

[1Bauraind, B. & Van Keirsbilck, L. (2019), Le Bel 20 alternatif, Gresea échos N°99, septembre 2019.