Nous estimons que la situation actuelle ne révèle pas seulement une crise de l’économie, mais également une crise intellectuelle profonde, celle de la pensée économique.
Les causes de cette crise sont nombreuses, et les solutions à y apporter se situent entre autres dans l’inventivité théorique et pratique. Mais nous souhaitons pointer ici une cause institutionnelle qui bloque cette inventivité, et à laquelle une réponse politique, simple et rapide, pourrait être apportée.
Le constat de l’Association française d’économie politique (AFEP), qui regroupe aujourd’hui plus de 500 adhérents, est simple : la pensée économique s’est progressivement nécrosée au fur et à mesure qu’elle s’écartait de sa posture originale de « science sociale » pour se calquer sur les pratiques et les critères de scientificité supposés des « sciences normales ».
Cette dérive, profonde, est allée trop loin pour espérer que la simple bonne volonté de quelques-uns suffise pour parcourir le chemin inverse.
La réalité du paysage scientifique des économistes aujourd’hui, en France comme au niveau international, est celle d’un rétrécissement considérable des méthodes et des concepts considérés comme « véritablement scientifiques ».
Faute d’une réforme institutionnelle, à l’horizon d’une dizaine d’années, la profession des économistes en France ne produira plus aucun économiste s’inspirant de la solide et longue tradition de l’économie politique (classique, marxiste, keynésienne, institutionnaliste, hayékienne, walrassienne, etc.). L’appauvrissement des programmes de lycée de sciences économiques et sociales est, malheureusement, un exemple de l’assèchement en marche de la réflexion économique.
PLURALITÉ D’ANALYSES
Or, plus que jamais, nous avons besoin de débattre du fonctionnement concret de nos économies et de leur possible réforme. Pour que la démocratie respire à nouveau, le débat économique et social doit être nourri d’une pluralité d’analyses entre lesquelles il convient aux citoyens, et aux politiques qu’ils élisent, de choisir.
C’est pourquoi nous, économistes, enseignants et chercheurs en sciences sociales, membres ou non de l’AFEP, demandons la création, au sein de l’institution qui organise la formation supérieure et la recherche en France, le Conseil national des universités (CNU), d’une nouvelle section intitulée « économie et société ».
La création d’une 78e section du CNU, qui relève d’une décision ministérielle, ne constituerait certes pas, en soi, une révolution. Mais elle fournirait les conditions pour qu’un vrai pluralisme existe dans la vie des idées, dans la pensée économique et sociale, et in fine, dans les pratiques de l’économie dans la société.
Tous, nous pensons que c’est là un enjeu décisif pour les sciences sociales et, beaucoup plus généralement, un enjeu de société. Nous sommes prêts à expliquer au nouveau président de la République, François Hollande, pourquoi la création d’une section « économie et société » aiderait à sortir de la crise intellectuelle qui affecte nos sociétés, menacées, comme le souligne Jürgen Habermas, de devenir « post-démocratiques ».
Un collectif signataire
Cet appel a été signé par 90 chercheurs français (dont M. Aglietta, L. Boltanski, B. Chavance, R. Boyer, J.-P. Dupuy, O. Favereau, R. Laufer, A. Orléan) et étrangers (dont P. Davidson, G. Epstein, J. Galbraith).
Liste complète sur www.assoeconomiepolitique.org/spip.php ? article417
à l’initiative de l’Association française d’économie politique.