Le débat sur dette publique grecque cache en fait une autre question bien plus fondamentale : la non remise en question de la structure politique, économique et sociale de l’UE.

Le défaut de la Grèce, cette épée de Damoclès, serait proche de la chute si Tsipras n’arrivait pas à se mettre d’accord avec les instances de l’Union Européenne sur le dernier plan d’aide octroyée à la Grèce. C’est que, le 30 juin, le gouvernement grec doit rembourser sa créance (1,6 milliards) envers le Fond Monétaire International (FMI) et payer les retraites et les fonctionnaires grecs. S’il s’est déjà donné du temps, en repoussant l’échéance de son remboursement au FMI, reste que le 30 juin approche… et aucun accord n’a été trouvé à ce jour. Mais qu’on ne s’y trompe pas, ce qui est négocié ne concerne en substance pas la dette publique, mais bien les conditionnalités des prêts. Les créanciers du pays de Démosthène veulent que Tsipras aille plus loin dans la réforme des retraites et augmente la TVA dans les îles. Pour un pays qui tire une importante partie de ses recettes du tourisme, on comprend que cette dernière mesure soit refusée par le gouvernement grec. Elle pourrait, en effet, décourager les vacanciers à découvrir ces écrins insulaires et grever donc un peu plus le budget de l’État. Or, ces mesures sont censées redresser le déficit budgétaire grec et par conséquent résoudre le problème de la dette publique. Les Plans d’Austérité sont donc présentés comme des solutions. Force est de constater d’abord que depuis l’instauration de ceux-ci, la dette publique n’a pas diminué [1] au contraire des salaires [2] et des emplois [3]. Non pas du fait d’une aggravation des déficits structurels, mais bien de l’effondrement du PIB [4]. On peut se demander ensuite, si l’argument de la dette n’est en fait pas un prétexte pour ne pas remettre en question la structure (économique, politique et sociale) de l’Union économique et monétaire tout en favorisant le capital. Est-ce vraiment l’indigence des gouvernements grecs précédents et la non-observation des règles budgétaires européennes, qui ont plongé ce pays dans les méandres abyssaux de sa dette publique ?

Avant toute chose, il faut distinguer dette publique et dette privée, c’est-à-dire celle qui est à la charge du gouvernement grec et celle qui est à charge du secteur privé. On a en effet souvent tendance à considérer uniquement la première. Or, depuis 2008, force est de constater que c’est bien l’endettement privé qui a plongé les États européens dans une crise sans précédent de la dette publique. La dette privée est donc non négligeable si l’on veut comprendre pleinement l’origine de la dette grecque.

La forte augmentation de la dette privée est assez récente puisqu’elle correspond à l’entrée de la Grèce dans la zone euro en 2001. Les ménages, les entreprises non financières et les banques ont emprunté massivement profitant de taux d’intérêt très faibles. « Une deuxième explosion de la dette se produit à partir de 2007 quand l’aide financière octroyée aux banques par la FED aux États-Unis, par les gouvernements européens et par la BCE est en partie recyclée par les banquiers vers la Grèce et d’autres pays comme l’Espagne ou le Portugal [5]. »

De nouvelles liquidités mises à leur disposition, les banques ont pu dès lors continuer, voire augmenter leur pratique de prêts aux ménages et aux entreprises.

L’augmentation de la dette publique est, quant à elle, plus ancienne. Il faut d’abord prendre en compte la dette qui fut contractée pendant le régime des colonels. « Elle a ainsi quadruplé entre 1967 et 1974 [6] ». En 2007-2009, tout comme la dette privée, la dette publique de la Grèce augmente de manière significative puisqu’elle passe de 107 % de PIB en 2007 à 129% en 2009, atteint 170% en 2011 pour redescendre à 156% en 2012 et grimper à 179.2 % en 2015. Des facteurs structurels (qui concernent la structure politique et économique du pays) et systémiques (liés au système économique et politique dans lequel le pays s’insère) sont à la source de cette croissance exubérante.

 Les causes structurelles

Depuis 1976, la balance courante de la Grèce n’est pas en équilibre comme le montre le graphique ci-dessous.

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La combinaison de plusieurs éléments a ainsi conduit la Grèce dans le trou béant de la dette extérieure : un régime fiscal inefficace, la corruption et une structure de production basée sur des biens non exportables ou à faible valeur ajoutée. Si les deux premiers éléments sont quotidiennement exposés et ne font pas l’objet de cette analyse, le troisième l’est rarement sans doute parce qu’il questionne résolument la structure de l’Union européenne (UE).

Une structure de production fragile…

Depuis 1960, comme le montre le graphique ci-dessous, la balance commerciale de la Grèce est déficitaire. Cela signifie donc que les exportations ne permettent pas de combler les dépenses liées aux importations. En 2000, par exemple, la part des exportations de biens et de services est de 25,73% [7] de PIB alors que les importations de biens et services constituent 39,60% [8] du PIB. Et l’année 2000 est loin d’être une exception [9]. Comment expliquer un tel phénomène et quelles en sont les conséquences ?

L’économie de la Grèce est peu diversifiée puisqu’elle est essentiellement tournée vers des productions non exportables ou à faible valeur ajoutée telles que l’agriculture, le tourisme, le transport maritime et l’immobilier. Or, « plus une économie est diversifiée et capable de produire des biens différenciés, moins elle est susceptible d’être affectée par un choc asymétrique [10]. » En ce sens, les économies non diversifiées sont des économies fragiles, car très dépendantes de certains secteurs et/ou certains acteurs.

L’adhésion de la Grèce à l’Union économique et monétaire, au lieu de renforcer sa structure de production, a contribué à sa fragilisation en poursuivant le processus de désindustrialisation entamé depuis les années 1970. Ainsi, selon Patrick Artus [11], la Grèce se serait désindustrialisée comme le montrent la diminution du poids de l’emploi manufacturier, de la valeur ajoutée dans ce secteur et du volume des exportations. On remarquera, d’ailleurs, que la balance commerciale de la Grèce connaît ses moments les plus difficiles à partir du moment où elle entre dans l’Union européenne en 1981.

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… et fragilisée

Cette désindustrialisation peut s’expliquer par la mise en concurrence au sein de l’UE d’économies totalement asymétriques et l’absence de mécanisme de transfert consistant [12] permettant la « cohésion économique ».

 Asymétrie des économies

L’instauration d’une zone monétaire permet aux pays ayant des excédents commerciaux de les maintenir tout en conservant la compétitivité de leurs produits. En effet, dans le cas d’un système de taux de change variable, il est possible d’utiliser la monnaie pour rendre ses produits exportés plus compétitifs.

Ainsi, prenons un pays A et un pays B. Le premier qui connaît un déficit commercial va voir sa devise se déprécier par rapport à celle du pays B. Ce qui aura comme conséquence l’augmentation des prix des biens importés du pays B exprimés dans la devise nationale du pays A. En ce sens, les produits du pays B deviennent moins compétitifs sur le marché national du pays A. « Ce mécanisme explique pourquoi, avec des taux de change flottants, un fort surplus commercial qu’un pays B aurait vis-à-vis d’un pays A ne pourrait se prolonger sauf si les consommateurs du pays A n’ont aucun substitut aux produits importés du pays B (c’est-à-dire qu’il n’existe pas de production des biens importés dans le pays A ou que le pays A ne peut les importer d’un pays tiers). [13] ». Cependant, dans une union monétaire, cette correction (jouer sur les taux de change) ne se réalise plus. Un pays peut, dès lors, maintenir durablement un surplus commercial vis-à-vis d’un ou plusieurs autres. Toutefois, deux mécanismes permettent de corriger ces déséquilibres persistants : la libre circulation des travailleurs et les aides régionales. Normalement, en facilitant la circulation des travailleurs, ceux-ci se déplacent des pays à déficit vers les régions à surplus. Les aides régionales, quant à elles, permettent de combler ou d’uniformiser les conditions de production entre les régions. Or, ces deux mécanismes de correction fonctionnent mal dans l’UE.

La concurrence va alors pousser chaque pays à se spécialiser « dans ce qu’il fait de mieux », pour reprendre la théorie des avantages comparatifs [14] de Ricardo. Les pays faiblement industrialisés dont la main-d’œuvre est peu qualifiée vont généralement se spécialiser dans la production de biens simples ou intermédiaires - C’est le cas de la Grèce – alors que les pays dont la main-d’œuvre est plus qualifiée et dont l’industrie s’est modernisée vont se spécialiser dans la production de biens à haute valeur ajoutée- c’est le cas de l’Allemagne. Ces derniers vont donc soit, délaisser la fabrication de biens simples dans le cas d’une spécialisation interbranche [15], soit la produire ailleurs, là où la main-d’œuvre est moins qualifiée, dans le cas d’une spécialisation intrabranche [16]. Cette spécialisation productive profite forcément aux pays producteurs de produits à haute valeur ajoutée, grevant, par contre, les balances commerciales des pays spécialisés dans les produits simples ou intermédiaires. Sans mécanismes de transfert de technologies ou de soutien au développement des économies plus fragiles, celles-ci n’ont d’autre choix que celui de s’endetter pour maintenir leur budget en équilibre.

Cette spécialisation productive a bien eu lieu au sein de l’UE, mais laissa de côté les pays dits du « Sud » (Espagne, Portugal, Grèce) qui n’ont même pas pu (ou faiblement) se spécialiser dans la production de biens simples ou intermédiaires. Et pour cause, l’entrée des pays de l’Est dans l’UE à partir de 2004 ne les rendait plus du tout compétitifs. Dans le secteur automobile, par exemple, si dans les années 1990, il y a eu des investissements surtout en Espagne et au Portugal, avec l’entrée des pays de l’Est, ces investissements ont migré vers ces contrées. Les avantages y étaient supérieurs (coûts de production nettement inférieurs) et les marchés plus proches des firmes allemandes, par exemple. Les usines automobiles portugaises ont fermé les unes après les autres alors que les unités espagnoles ont été délaissées. Ce n’est que récemment, avec la crise, que les investissements ont repris en Espagne (Ford ou même maintenant VW).

La Grèce, quant à elle, a toujours été dédaignée. Elle ne put continuer à développer ses propres industries devenues moins compétitives ni être le réceptacle d’investisseurs étrangers. « La Grèce était bloquée au milieu du gué, coincée entre les pays à fort contenu technologique, comme la France ou l’Allemagne, et des pays à bas salaires, comme la Bulgarie, la Roumanie et la Turquie [17]. » Elle s’est donc spécialisée dans les biens faiblement exportables qui ne lui permettent évidemment pas de combler l’importation des biens à haute valeur ajoutée dont elle a besoin. De plus, elle ne peut compter sur la production de biens à haute valeur ajoutée dans la mesure où ses industries n’ont pas suivi le même élan que ses voisines du Nord et ne sont donc pas capables de les concurrencer.

Reste que, lorsque l’on analyse les balances commerciales des pays du Nord, l’on remarque que « ces pays doivent une grande partie de leur surplus commercial au fait que les pays du sud de la zone euro ne disposent pas de cette technologie avancée [18]. » Dans le cas où les pays du Sud de la zone euro deviennent aussi compétitifs que ceux du Nord, les exportations de ces derniers devraient soit diminuer, soit conquérir d’autres marchés en dehors de l’UE.

 L’euro à tout prix

L’adhésion à l’euro a eu également des conséquences importantes sur la demande intérieure de la Grèce et sur l’endettement privé. Ainsi, la Grèce expérimente au début des années 2000 les conséquences typiques de la mise en place d’un programme de stabilisation du taux de change, à savoir une appréciation réelle du taux de change et une explosion des investissements et de la consommation. Les taux de croissance observés sont solides et l’inflation est contrôlée (…) [19] », Dans le contexte de concurrence que nous avons vu précédemment, la Grèce n’a pas et n’a pas pu industrialiser son économie, elle se voit forcée d’importer massivement pour répondre à la demande intérieure qui augmente significativement. Cette explosion de l’investissement et de la consommation est soutenue par une politique de crédits facilitée par d’un côté, des taux d’intérêt bas (quasi aussi proches de ceux de l’Allemagne [20]) ce qui facilite et encourage les crédits et d’un autre côté, par le statut de monnaie forte qu’a acquis l’euro et la confiance qu’on lui porte désormais. Effectivement, « l’adhésion de la Grèce à l’euro lui a valu la confiance des banquiers des pays de l’Ouest européen pensant que les grands pays européens leur viendraient en aide en cas de problème [21]. »

En plus de la confiance des banquiers, la Grèce bénéficie de celle des agences de notations qui confirment « la qualité de la dette ». C’est que les taux d’intérêts sur la dette publique grecque sont descendus au niveau des taux allemands. Or, « la balance courante de la Grèce, qui était déficitaire déjà de l’ordre de 7% du PIB au moment de l’entrée du pays dans l’euro, s’est effondrée à partir de 2004, atteignant 15% du PIB en 2007 [22]. »

Aussi, à partir des années 2000, la Grèce bénéficie de capitaux étrangers venant des prêts des pays excédentaires (facilités par la disparition des taux de change) et des compensations de l’Union européenne (PAC- Fonds de cohésion) lui permettant de maintenir sa croissance. « Ce transfert d’épargne du Nord vers le Sud de la zone euro a d’abord satisfait le besoin de financement du secteur privé des pays du Sud, en particulier des ménages [23] ». De plus, « les capitaux destinés aux pays de la périphérie de la zone euro sont simplement allés vers les meilleurs rendements : la propriété immobilière, les emprunts des banques locales et les bons d’Etat plutôt que vers des activités de production capables de générer des gains de productivité importants et des exportations [24]. » Tant le secteur public que le secteur privé ont participé à cette folie de l’emprunt après l’arrivée de l’euro. Le gouvernement grec a ainsi pu financer de grands travaux tels que la modernisation des transports ou de la communication, mais également les JO en 2004… Cela signifie donc que la Grèce s’est rendue de plus en plus dépendante des créanciers étrangers tout en faisant progresser son déficit et donc sa dette publique.

Si les transferts issus de l’Union européenne vont diminuer au gré des nouveaux élargissements, la crise financière va mettre, quant à elle, un terme aux transferts des capitaux venant des pays du Nord.

 La crise financière lève le voile

La crise financière est venue mettre à jour l’ampleur de la dette grecque jusque-là « officiellement » ignorée puisque ses comptes avaient été maquillés avec l’aide de Goldman Sachs. Le sauvetage de ses banques [25], combiné à la récession économique qui a touché toute l’Europe et à l’augmentation des taux d’intérêt nominaux sur sa dette, la Grèce s’est retrouvée en crise de liquidité menaçant de faire défaut. Incapable de se financer sur les marchés financiers à des taux raisonnables [26], elle ne pouvait rembourser ses emprunts qui lui permettaient de combler ses déficits publics.

Si la crise financière a mis à jour, dans un premier temps, la dette publique grecque, c’est une dynamique beaucoup plus profonde qu’elle a dévoilée : l’asymétrie des économies au sein de l’UE et donc l’incomplétude de la construction de l’UE.

Cependant, les plans d’aide conditionnés aux plans d’austérité et le renforcement des mécanismes de « gouvernance économique » tels que le six pack, le two pack ( maintenant repris dans le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance) et la soumission des budgets nationaux à l’approbation de la Commission, se sont arrêté à la dette publique. Selon les instances européennes, c’est bien la non-observation de la règle d’or qui a plongé les pays – la Grèce, surtout- dans une crise aussi profonde. Or, au regard de la structure de production de la Grèce combinée aux effets dévastateurs des plans d’austérité sur sa croissance (effondrement du PIB de plus de 30% [27]) et au regard du système compétitif en marche dans la zone UE, même si Athènes réussit à se sortir de la crise de liquidité qu’elle subit, on peut se demander dans combien de temps elle se retrouvera de nouveau face à une crise similaire ou avec le niveau de son PIB de 2008.

 Le prétexte de la dette grecque

Certes l’économie grecque souffre de quelques problèmes structurels qui ont engendré un déficit public significatif. Toutefois, il serait erroné d’affirmer que la structure économique de la Grèce soit seule responsable de cette dette publique faramineuse. Il est, en effet, clair que l’adhésion de la patrie de Platon à la zone euro n’a fait que renforcer des situations déjà alarmantes. Parce que l’économie grecque n’avait pas atteint un niveau de convergence suffisant avec les autres pays membres et/ou parce que l’UE n’avait pas mis en place des mécanismes de solidarité consistants, son adhésion était prématurée. Les conséquences n’en ont été que plus rudes. Si les premières années suivant l’adhésion, l’euro a boosté la croissance et les investissements, ce n’était qu’un château de cartes construit sur un mécanisme d’endettement dont l’apparence lui donnait l’allure d’un château fortifié…
La dette publique est un écran derrière lequel se terrent ceux qui ne veulent, ni remettre en question la structure de l’Union européenne, ni les mesures néolibérales visant à supprimer tous les obstacles à l’augmentation du profit.

Un prétexte pour maintenir l’UE néo-libérale

L’élimination du risque de change par l’instauration de l’euro prive les États de leur politique monétaire. Il faut bien mesurer l’importance de cette privation en lien avec le système concurrentiel mis en place au sein de l’UE. La politique monétaire est un instrument non négligeable pour la compétitivité des États et permet l’ajustement des déséquilibres macroéconomiques entre des économies hétéroclites. Mais en l’absence de la convergence des niveaux de développement économique des pays de la zone euro, la privation de l’instrument du taux de change en cas de crises ou de déséquilibres ne touchant que certains pays de la zone, « les ajustements entre économies nationales (…) devront s’effectuer via d’autres variables, telles que la dévaluation interne et la mobilité des travailleurs [28]. » C’est exactement ce qu’est en train de subir le peuple hellène à travers les plans d’austérité. Le refus d’instaurer des mécanismes de transfert des excédents commerciaux capables d’équilibrer les économies au sein de l’UE et l’absence d’un gouvernement européen capable d’assurer cette convergence sont les véritables causes de la situation de la Grèce, mais aussi de l’Espagne, du Portugal et…

Un prétexte pour une « révolution silencieuse »

Le refus de reconsidérer la structure de l’UE procède sans doute de cette « révolution silencieuse [29] » qui marche à pas feutrés sur les États membres. Les nouvelles mesures de gouvernance prises par l’UE sont, en effet, en train de « révolutionner » fondamentalement le modèle social européen. Le pacte pour l’euro vise ainsi à « accroître la flexibilité du travail, à empêcher les hausses de salaire et à diminuer les dépenses liées à la protection sociale [30] ». Cette « révolution » se fait sous le couvert de la dette publique. Les plans d’austérité, par lesquels s’appliquent les mesures néo-libérales réduisant à peau de chagrin les mécanismes de solidarité sociale, ne permettent apparemment pas de diminuer l’endettement public, que du contraire. En ce sens, la dette devient un prétexte pour cette « révolution silencieuse ». D’ailleurs, le gouvernement Tsipras ne remet plus en question le payement de la dette. Ce qui est négocié, ce sont bien les conditionnalités des prêts parce que l’enjeu est bien là et non dans la dette. En effet, « la charge de la dette ne représente que 2,6 % du PIB, bien moins que pour le Portugal (5%), l’Italie (4,7%) ou l’Irlande (4,1 %). Elle se situe au niveau de la France (2,2% du PIB) et de l’Allemagne (1,9%)… [31] »

 Conclusion

« Jamais, depuis les scolastiques qui méprisaient les faits empiriques de la science, on n’a vu les idées préconçues à l’état pur déployées en un ordre de bataille aussi terrible [32]. » Le modèle « austéritaire » de gestion de crise européenne et la non-remise en cause de sa structure sont en train de détruire encore un peu plus le modèle social dont pouvait presque se vanter l’UE. Comme un écho aux affirmations de Mario Draghi qui affirma que le « modèle social européen » était « révolu [33] », la crise européenne dont la Grèce n’est qu’un miroir grossissant, n’est pas qu’une crise des dettes publiques, mais bien une crise de ses mécanismes de solidarité sociale.


Pour citer cet article :

Wathelet, Violaine, « Le prétexte de la dette grecque », in Gresea, 2015, texte disponible à l’adresse :

Notes

[1Elle est passée de 107% de PIB en 2007 à 175,2% de PIB en 2015.

[2Le salaire minimum a été réduit de 22% pour tous les salariés et de 32% pour les jeunes de moins de 25 ans. « Le salaire mensuel brut d’une personne célibataire sans ancienneté, qui était de 751 euros, chutait alors du jour au lendemain à 586 euros et à 511 euros pour chacune des deux tranches d’âge respectivement. » KAPSALIS Apostolos et KOUZIS Yannis, « Le travail, la crise et les Mémorandums » in BURGI Noëlle, La grande Régression. La Grèce et l’avenir de l’Europe, Lormont, Le bord de l’eau, 2014, p.156.

[3Le taux de chômage a littéralement explosé : « passant de moins de 10% en 2007 à près de 28% en juillet 2013, dont 61,5%de jeunes ». BURGI Noëlle, op cit., p.16

[4Effondrement de plus de 30% selon Savage Reginald, « Dette publique : faut-il cesser de payer ? », in Démocratie, n°5, Mai 2015, p.4.

[5TOUSSAINT Eric, « Grèce : Tout un symbole de dette illégitime », extrait du CATDM, 16 janvier 2011, p.2. En ligne : http://cadtm.org/Grece-Tout-un-symbole-de-dette.

[6Ibid.

[7PERSPECTIVE MONDE, « Statistiques », in http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?codeTheme=7&codeStat=NE.E
XP.GNFS.ZS&codePays=GRC&codeTheme2=7&codeStat2=x&langue=fr.

[8Ibid.

[9Voir les chiffres donnés par le FMI et la banque mondiale
http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?codeTheme=7&codeStat=NE.E
XP.GNFS.ZS&codePays=GRC&codeTheme2=7&codeStat2=x&langue=fr

[10DEFRAIGNE Jean-Christophe et NOUVEAU Patricia, Introduction à l’Economie Européenne, Ouvertures Economiques, Bruxelles, De Boeck, 2013, p.534.

[11ARTUS Patrick, « Taux de change de l’euro et désindustrialisation », in Flash économie. Recherche économique, n°302, 22 avril 2011, p.28.

[12Il existe bien des mécanismes de transfert au sein de l’UE visant à corriger les déséquilibres régionaux : le Fonds européen de développement régional (FEDER), le Fond social européen (FSE) et le Fonds de cohésion. Mais quand on sait que le budget de l’UE représente seulement 1% de son PIB et que ces mécanismes ne représentent que 35% du budget communautaire, on peut se questionner sur la consistance de ces mécanismes de transfert.

[13DEFRAIGNE Jean-Christophe et NOUVEAU Patricia, op cit., p.532.

[14Selon la théorie de David Ricardo, dans un contexte commercial de libre-échange, si chaque pays se spécialise dans la production dans laquelle son niveau de productivité est le plus important ou le moins faible, comparativement à ses partenaires, il accroîtra sa richesse nationale. En ce sens, cette production est celle pour laquelle il possède un « avantage comparatif » (par comparaison à ses partenaires.)

[15La spécialisation interbranche est le fait de se spécialiser dans une branche et d’abandonner la production dans d’autres branches.

[16La spécialisation intrabranche est le fait de se spécialiser dans la production de produits au sein d’une même branche.

[17MANOPOULOS Jason, La dette odieuse. Les leçons de la crise grecque, Paris, Pearson, 2012 (les temps changent), p.35.

[18DEFRAIGNE Jean-Christophe et NOUVEAU Patricia, op cit., p. 578.

[19MANOLOPOULOS Jason, op cit., p19.

[20En fait, en termes réels, les taux étaient mêmes inférieurs à ceux de l’Allemagne, car outre-Rhin l’inflation était encore plus basse. Alors qu’ils s’élèvent encore à 10% en 1998, pour les taux à long terme (en général hypothécaires), ils passent en termes réels à 1,7% en 1999, 6% en 2000, 3,4% en 2001, 1,7% en 2002, 0,35% en 2003, 1,3% en 2004, 0,8% en 2005, 1,65 en 2006, 1,2% en 2007, 0,1% en 2008, 2,9% en 2009 pour flamber ensuite 8% en 2010 et 14,7% en 2011 (Source : Eurostat).

[21TOUSSAINT Eric, op cit.,p.4.

[22AGLIETTA Michel, Zone euro. Eclatement ou fédération, Paris, Editions Michalon, 2012.op cit., p.55.

[23ARTUS Patrick, op cit., p.94.

[24DEFRAIGNE Jean-Christophe et NOUVEAU Patricia, op cit., p.544.

[25Ce sauvetage, compte tenu l’importance de l’endettement privé en Grèce, ne fut pas des moindres. La dette grecque détenue par les banques grecques atteint « 55 milliards d’euros ». AGLIETTA Michel, op cit., p.56.

[26Ils ont atteint 35% en février 2012…

[27SAVAGE Reginald, op cit., p.4

[28DEGRYSE Christophe, « La nouvelle gouvernance économique européenne », in Courrier Hebdomadaire du CRISP, n°2148-2149, 2012, p.8

[29Manuel Barroso, l’ancien président de la Commission utilise l’expression « révolution silencieuse » en parlant des nouvelles mesures de gouvernance prises par l’UE

[30KHALFA Pierre, « Crise économique : une contre-révolution silencieuse à l’œuvre en Europe », in Libération, 7 juin 2011.

[31QUATREMER Jean, « Dette grecque, mode d’emploi », in Libération, 5 février 2015, disponible sur http://bruxelles.blogs.liberation.fr/2015/02/05/dette-grecque-mode-demploi/

[32POLANYI Karl, La Grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, Gallimard, Paris, 1983 (1944), p.276.

[33Wall Street Journal, « The euro crisis.Q&A:ECB President Mario Draghi”, 23 février 2012.