A l’heure du Coronavirus, la politique budgétaire est à un nouveau tournant. D’une part, elle est massivement sollicitée pour sortir de la crise et éviter des dégâts socioéconomiques irréparables. Le déficit et la dette publics vont spectaculairement augmenter, il est indispensable qu’ils le fassent. Les chefs d’Etat européens ne doivent pas commettre la même erreur qu’en 2010. Obsédés par la montée des déficits publics provoquée par la crise financière, ils avaient fait le choix de l’austérité et provoqué une seconde récession. D’autre part, une discussion de fond doit s’ouvrir sur le rôle de la politique budgétaire. La soumission permanente au strict équilibre des finances publiques montre toutes ces limites dans la désuétude de nos infrastructures, les failles de notre système de santé et de protection sociale, l’insuffisance de la réponse au réchauffement climatique. Il faut reconquérir la politique budgétaire en la libérant des verrous qui l’enserrent.

Dans cet article (une version longue est disponible), nous identifions trois verrous principaux de la politique budgétaire. Le premier, et le plus connu, est celui des règles budgétaires européennes, dont le Pacte de stabilité et de croissance (PSC) constitue le socle légal. Le second est la théorie sur laquelle repose les règles et modèles budgétaires européens, celle dite du « Nouveau consensus macroéconomique » (NCM). Le troisième est constitué par les modèles économiques d’estimation du solde budgétaire structurel. Pour chaque verrou, des actions de court et moyen termes sont proposées pour reconquérir une plus grande autonomie budgétaire. Une reconquête de la politique budgétaire doit commencer dès maintenant sans attendre une révision des règles européennes.

Verrou 1 : les règles budgétaires européennes

Le premier et principal obstacle à une politique budgétaire est constitué par les règles budgétaires européennes. Celles-ci, apparues en 1992 avec le traité de Maastricht, continuent d’évoluer (tableau en annexe) [1]. Un changement essentiel a eu lieu en 2005 lorsque la trajectoire budgétaire, alors exprimée en termes nominaux [2], l’a été en termes structurels. Ce glissement en apparence anodin transforme profondément le sens des règles budgétaires, en renforçant le pouvoir des modèles économiques et en liant étroitement la soutenabilité budgétaire aux réformes structurelles du marché du travail. Cette orientation structurelle s’est encore renforcée avec les réformes post-2010. Les règles européennes sont devenues avec le temps de plus en plus intrusives pour les Etats et de plus en plus complexes, au point que même des instances officielles demandent aujourd’hui de les simplifier [3]. Cependant, le problème des règles actuelles ne réside pas seulement dans leur complexité et leur manque de transparence pour le citoyen et pour le politique. Ces règles sont impossibles à changer sans un consensus européen (unanimité au Conseil), ce qui signifie qu’elles sont insensibles aux changements des gouvernements et au cycle électoral [4]. Elles conduisent les Etats à endosser une approche néolibérale dans leurs politiques socioéconomiques :

- Elles aggravent les crises : les règles sont procycliques et sont particulièrement nuisibles en période de crise économique. Les procédures de déficit excessif de 2010 ont failli provoquer l’éclatement de la zone euro en 2013 [5].

- Elles réduisent l’investissement public : les règles actuelles ne prévoient pas un traitement différencié des investissements publics dans les trajectoires budgétaires (règle d’or). Elles imposent donc qu’une hausse des investissements se fasse sur le dos de la réduction d’autres dépenses, engendrant ainsi une réduction des investissements, ce dont la Belgique est un parfait exemple [6]. La Commission a introduit en 2015 une clause d’investissement, mais ses conditions d’utilisation sont si restrictives que pratiquement aucun État n’y a accès.

- Elles réduisent les recettes de l’Etat : les règles ne se contentent pas d’obliger les États à équilibrer leur budget, elles leur disent comment le faire, c’est-à-dire en baissant les dépenses plutôt qu’en relevant les recettes. En cause notamment, la clause dérogatoire pour « réformes structurelles » permettant d’obtenir de la flexibilité budgétaire en échange de réformes augmentant la croissance potentielle, telle qu’une réforme fiscale. La Belgique a été autorisée à utiliser cette clause au moment du tax shift, qui a provoqué un trou de plusieurs milliards dans le budget de l’Etat. En outre, alors qu’une règle de limitation des dépenses existe (expenditure benchmark) [7], il n’en existe pas pour imposer à un Etat de stabiliser ou d’augmenter ses recettes.

-  Elles minent l’État social : en réduisant les investissements et les recettes fiscales, les règles budgétaires affaiblissent la soutenabilité budgétaire à long terme. C’est l’Etat social qui est alors menacé, ce qui est peut-être leur véritable objectif [8]. La démocratie sociale est aussi touchée, puisque les règles réduisent drastiquement l’espace de négociation des interlocuteurs sociaux.

Action à court terme : Utilisation stratégique des clauses dérogatoires
-  Utilisation de la clause de réformes structurelles pour financer des plans d’investissements publics (élévation de la croissance potentielle) et pour refinancer les administrations fiscales et services de lutte contre la fraude ;
-  Utilisation stratégique des clauses disponibles (circonstances exceptionnelles, événements inhabituels, traitement des investissements au sein de l’EFSI…) ;
-  Création au sein des instances officielles d’un service stratégique des règles budgétaires, chargé d’explorer les possibilités de flexibilité budgétaire admises dans les règles actuelles.
-  En cas d’utilisation de la clause de « réformes structurelles » par rapport à une réforme fiscale, obligation pour le gouvernement de stabiliser ou d’accroître les recettes et de renforcer la redistributivité.
Action à moyen terme : Révision des règles européennes
-  Adoption au niveau européen d’une règle d’or d’investissement ;
-  Remplacement de l’expenditure benchmark par un revenue benchmark garantissant : la stabilité ou progression des recettes, et un accroissement de la redistributivité fiscale.

Verrou 2 : le « Nouveau consensus macroéconomique » (NCM)

La gouvernance économique européenne traduit politiquement le « Nouveau consensus macroéconomique » (tableau en annexe). Cette théorie, créée au même moment que les règles budgétaires (années 90), plonge en fait ses racines dans le monétarisme des années 60 [9]. Elle fournit aux gouvernements et aux banques centrales leurs outils de gestion macroéconomique. Le NCM repose sur plusieurs postulats théoriques :

- Autorégulation des marchés et trajectoire « naturelle » de l’économie : cette dernière est définie comme le niveau de production optimal d’une économie, défini comme niveau de production « non-accélérateur de l’inflation ». Lorsque l’économie est sur sa trajectoire naturelle ou d’équilibre, les paramètres économiques sont par définition à leur valeur structurelle. Le PIB observé égale le PIB potentiel, la croissance observée égale la croissance potentielle, le chômage observé égale le chômage naturel ou « NAIRU » [10], etc. Cette trajectoire naturelle/structurelle est inobservable. Elle est déterminée au moyen de calculs économétriques complexes sur base d’hypothèses discutables (voir ci-dessous). L’output gap (en français, l’écart de production) en constitue la notion centrale. Il désigne l’écart entre le PIB réel (qui est donc observable) et le PIB potentiel (inobservable) que le modèle est chargé d’estimer. L’output gap devient la principale balise de la politique monétaire et budgétaire. Lorsque l’output gap est négatif (positif), la politique macroéconomique doit stimuler (freiner) la demande. Dès que le potentiel de croissance est atteint, la politique macroéconomique se met en veilleuse.

- Politique budgétaire inutile, réformes structurelles obligatoires. Avec le NCM, la politique économique se divise en deux volets, un principal et un résiduel. Le volet principal vise à accroître la croissance potentielle ou « potentiel de croissance ». Le moyen préféré pour y parvenir est de réduire le chômage naturel, le NAIRU, en adoptant des réformes « structurelles » du marché du travail : réduction du coût du travail, flexibilité du droit du travail, limitation dans le temps des allocations de chômage, etc. Le volet résiduel est assumé par la politique macroéconomique. Celle-ci n’intervient que si la croissance observée ne coïncide pas avec la croissance potentielle, et donc que si le taux de chômage ne coïncide pas avec le NAIRU. Si la croissance est sous la croissance potentielle (chômage > NAIRU), la politique macroéconomique stimule la demande pour ramener ces variables à leurs valeurs naturelles [11]. Une fois ces objectifs atteints, la politique macroéconomique se met en veilleuse. Si le modèle économique estime le NAIRU à 18 % (cas de l’Espagne en 2015), celle-ci n’intervient pas tant que le chômage ne dépasse pas ce chiffre. En cas d’activation de la politique macroéconomique, le levier privilégié est la politique monétaire, via le taux d’intérêt, plutôt que la politique budgétaire. En effet, les banquiers centraux sont jugés plus fiables que les politiciens, parce que plus indépendants par rapport à l’électeur et plus soucieux de la stabilité des prix, clé de voûte du NCM. 

Le Nouveau consensus macroéconomique a subi un désaveu cinglant lors de la crise de 2008. Il s’est révélé inapte à décrire la réalité et a conduit à des recommandations politiques catastrophiques. Tout d’abord, il n’a pas pu prévenir la crise financière. Selon l’une de ses figures de proue, O. Blanchard, une des failles majeures du NCM était l’absence complète de modélisation des comportements des acteurs financiers [12]. Il a ensuite poussé les politiciens européens à adopter des politiques d’austérité qui ont aggravé la crise. Blanchard, alors chief economist du FMI, a reconnu en 2013 que les multiplicateurs budgétaires, un indicateur qui mesure l’impact de l’austérité sur la croissance, avaient été lourdement sous-évalués [13]. Aujourd’hui, plusieurs économistes proches du NCM soutiennent une politique budgétaire expansionniste, sans pour autant changer de modèle. Malgré ce désaveu, le NCM a survécu à la crise : « Le NCM a perdu toutes les batailles intellectuelles, mais il a quand même gagné la guerre » [14]

Actions à moyen terme :
-  Diversification de l’expertise économique : les départements d’économie à l’université rééquilibrent leur recrutement en faveur de professeurs et de chercheurs utilisant d’autres modèles que le NCM/output gap. Les courants hétérodoxes - économie postkeynésienne, économie écologique, etc. – acquièrent une représentation équitable dans les financements et dans les cours. L’État veille au respect de ce pluralisme.
-  Utilisation de nouveaux modèles macroéconomiques dans les instances officielles : Des expériences pilotes sont financées dans les instances officielles (BFP, BNB) en vue de tester des modèles alternatifs au modèle NCM.

Verrou 3 : Les modèles économiques utilisés par la Commission Européenne

La notion de solde budgétaire structurel est au cœur des règles budgétaires européennes. Le solde structurel vise à évaluer la responsabilité directe d’un gouvernement dans la situation budgétaire, en faisant abstraction de la conjoncture économique. Son inconvénient, c’est qu’à la différence du solde nominal [15], il est inobservable. Il requiert des techniques de calcul complexes. De manière schématique, on passe du solde nominal (la différence entre les recettes et les dépenses d’un État observée à une année t) au solde structurel de la manière suivante :

Solde budgétaire nominal – Composante conjoncturelle – Mesures ponctuelles = Solde budgétaire structurel

Les mesures ponctuelles (one-off) désignent des dépenses ou des recettes n’ayant pas un impact à long terme (structurel) sur le budget. La recapitalisation de Dexia par l’État belge a par exemple été acceptée par la Commission européenne comme une mesure one-off [16]. Le chiffrage des mesures ponctuelles ne nécessite pas de modèle économique. Par contre, l’estimation de la composante conjoncturelle en nécessite un permettant d’estimer l’output gap, c’est-à-dire l’écart entre le PIB observé et le PIB potentiel. Le PIB potentiel est lui-même un paramètre inobservable. On doit l’estimer à partir d’une fonction de production Cobb-Douglas [17]. À nouveau, cette fonction combine des valeurs observables avec des paramètres non observables : le NAIRU et la PTF. Le NAIRU représentant le chômage « naturel » tandis que la PTF mesurerait le progrès technique. Pour estimer ces paramètres inobservables, la Commission a recours à des outils statistiques et à des algorithmes qui permettent de dériver la valeur actuelle de ces paramètres à partir des valeurs passées observées de ces derniers en enlevant les effets conjoncturels.

L’estimation du solde budgétaire structurel dépend donc d’estimations en cascade de variables inobservables :

NAIRU (++) et PTF => Croissance potentielle (- -) => Output Gap (- -) => Solde budgétaire structurel (- -)

Il en résulte que le solde structurel doit être vu, non comme un chiffre objectif et indiscutable, mais comme le résultat d’un processus de « fabrication » au sein d’une boîte noire, celle du modèle d’output gap. Le chiffre qui sort du modèle est influencé par les hypothèses de départ, en particulier concernant le NAIRU. Partons de l’hypothèse d’un taux de chômage « naturel » élevé (signe ++ ci-dessus), quelle influence cela aura-t-il sur le chiffre du déficit structurel [18] ? Intuitivement, un NAIRU élevé nous donne une croissance potentielle et un output gap faibles (puisqu’au plus le NAIRU est grand, au plus le facteur travail de la fonction de production déterminant l’output gap est déjà utilisé au maximum de ses capacités). Même si la croissance observée est faible, le modèle estimera que la composante conjoncturelle du déficit sera elle aussi faible. Il en résulte que l’essentiel du déficit sera jugé structurel. Pour le réduire, trois options seront alors recommandées. Soit réduire les dépenses publiques, soit augmenter les recettes fiscales, soit flexibiliser le marché du travail. Toute politique de relance budgétaire sera proscrite.

Ce modèle est problématique pour plusieurs raisons. D’une part, il comporte une série d’hypothèses sur le fonctionnement de l’économie. Celles-ci reflètent une certaine vision politique de l’économie, du rôle de l’État, etc., celle du NCM et du paradigme néoclassique. Ainsi, la fonction de production Cobb-Douglas utilisée dans ces modèles, et particulièrement, les concepts de NAIRU et de PTF, reposent sur des hypothèses économiques qui ne sont pas vérifiées dans la réalité [19]. D’autre part, les techniques statistiques utilisées pour estimer la valeur des paramètres non observables sont critiquables. Plusieurs économistes [20] se sont rendu compte que les modèles de la Commission européenne avaient tendance à surestimer le NAIRU en temps de crise, ce qui engendre une diminution de l’output gap et donc une détérioration du solde structurel. La théorie prétend que la trajectoire naturelle de l’économie peut être estimée indépendamment de la croissance observée. Il n’en est rien. L’estimation de la croissance potentielle dépend de l’estimation du NAIRU qui, lui, est « contaminé » par les chiffres du chômage réel. Ainsi, en période de crise économique, où le chômage est élevé, le modèle va calculer un NAIRU élevé. En période de forte croissance, ce sera l’inverse. Le potentiel de croissance n’est donc pas un concept qui tient la route.

Ces problèmes énumérés ci-dessus vont se cumuler et aboutir à des erreurs d’estimation du solde budgétaire structurel. Heimberger et Kapeller ont comparé l’estimation du déficit structurel de la Commission européenne à leur propre estimation [21]. Ils ont utilisé le même modèle que celui de la Commission, mais en se montrant moins pessimiste sur l’un des paramètres de base, la croissance potentielle. Pour la Belgique, alors que la Commission estime qu’en 2014 le déficit structurel était de 2,5 % du PIB, les chercheurs obtiennent un excédent structurel de 1,8 % du PIB ; la différence entre les deux estimations est de 4,3 points de PIB, soit quelques 17 milliards € ! Pour d’autres pays, l’écart est plus spectaculaire encore, de 10 points de PIB par exemple pour l’Espagne ! Même en supposant que les chercheurs sont exagérément optimistes, ces différences posent un débat sur la fiabilité des chiffres et surtout ses conséquences politiques. On voit qu’un modèle prétendument technique peut avoir des conséquences politiques redoutables. Il peut aboutir à surestimer le déficit structurel, donc à imposer des efforts budgétaires, mais aussi des réformes néolibérales du marché du travail.

Ouvrir la boîte noire des modèles économiques est donc essentiel : parce qu’on se rend compte du pouvoir politique laissé aux experts grâce à la conception de ces modèles économiques qui guident la trajectoire budgétaire de tous les États de l’Union européenne. C’est un enjeu moins visible, en apparence technique, mais en réalité essentiel pour la démocratie. Certains ont déjà commencé en contestant les estimations des paramètres non observables. En 2016, les ministres des finances de 8 pays membres de l’UE (dont la Belgique ne faisait pas partie) adressent une lettre à la Commission contestant la fiabilité des estimations. Une campagne menée par des chercheurs de l’IIF [22] « Campaign against ouput gap nonsense » [23] continue à pointer des anomalies dans les estimations de la Commission.

A court terme : réestimation du solde budgétaire structurel par les instances officielles
-  Les instances officielles en Belgique réestiment le solde budgétaire structurel en se basant sur des hypothèses moins pessimistes que celles de la Commission. Les paramètres structurels injectés dans le modèle d’output gap, en particulier le NAIRU, sont vérifiés pour éliminer les biais pessimistes et éviter un déficit structurel artificiellement élevé.
-  Ces nouvelles estimations sont inscrites dans la trajectoire budgétaire et le gouvernement fédéral négocie avec la Commission de nouvelles marges budgétaires sur leur base.
-  Des expériences pilotes sont financées dans les instances officielles (BFP, BNB) en vue de tester des modèles alternatifs au modèle d’output gap. Le solde budgétaire structurel est évalué au moyen d’autres méthodes.
A court terme : débat démocratique sur les implications politiques des modèles techniques  : ces nouvelles estimations et nouveaux modèles sont débattus dans les commissions attitrées des parlements et les conseils économiques et sociaux, en vue d’ouvrir la boîte noire.
A moyen terme : Institutionnalisation de nouveaux modèles macroéconomiques  : lorsque les modèles testés par les instances officielles ont fait leur preuve, remplacement des modèles anciens (NCM/output gap) dans les institutions officielles belges.

Conclusion

Si la rigidité budgétaire du cadre européen nourrit de nombreuses critiques depuis longtemps [24], il est plus compliqué de formuler une stratégie cohérente pour la réduire. Les options politiques se rangent généralement dans trois scénarios, la soumission, la foi, l’aventure. La soumission consiste à continuer sur la voie actuelle, l’acceptation des règles. La foi consiste à espérer un miracle, sous la forme d’un accord unanime des chefs d’État pour changer les règles. L’aventure consiste à rejeter les règles et à assumer un conflit frontal avec les institutions européennes. Ces trois options conduisent toutes à la paralysie actuelle autour du débat budgétaire. Il faut donc sortir de l’inertie actuelle, en proposant des actions de reconquête de la politique budgétaire se produisant ici et maintenant. Les actions que nous proposons sont, pour la plupart, réalisables au niveau belge. Elles impliquent parfois un dialogue avec la Commission, mais sur des bases qui nous semblent réalistes dans le contexte politique actuel. Il n’y est pas question d’enfreindre les règles mais de négocier leur interprétation en vue d’accroître les marges budgétaires. Il s’agit aussi d’acquérir une expertise économique et juridique de pointe et de l’utiliser pour convaincre la Commission. Ces propositions n’excluent pas des objectifs plus ambitieux, tels qu’une refonte générale des règles budgétaires, la promotion d’euro-obligations et d’un budget européen, un soutien plus direct de la BCE à l’égard des politiques budgétaires. Ces objectifs de plus long terme sont importants, mais ne doivent pas empêcher d’agir dès maintenant, de là où nous sommes.

Annexe

1. L’évolution des règles budgétaires européennes

DateInstrument législatifRègles inroduitesFacteur déclencheur
1992 Traité de Maastricht Critères de convergence (déficit < 3 % PIB ; dette < 60 % PIB). Préparation de la monnaie unique
1997 Pacte de stabilité et de croissance (PSC) -indicateurs budgétaires nominaux : plafonnement du déficit à 3 % du PIB, de la dette à 60 % du PIB ;
- dispositif de surveillance et de sanction (volets préventif et correctif du PSC).
Gouvernement allemand
2001 Le Groupe de travail de l’output gap (OGWG) adopte le modèle actuel de calcul de l’output gap. Décision interne de l’ECOFIN
2005 Révision du PSC -solde budgétaire structurel comme référence de l’objectif budgétaire à moyen terme (MTO) ;
- le MTO doit se situer entre – 1 % du PIB et l’équilibre ou l’excédent budgétaire ;
- l’amélioration annuelle du solde structurel est par référence de 0,5 % du PIB ;
- lien entre réformes structurelles et flexibilité du MTO.
Non-respect par la France et l’Allemagne du PSC
2011 Six-pack -introduction d’une norme d’évolution des dépenses (expenditure benchmark) ;
- procédure de déviation significative et mécanisme de sanction dans le volet préventif du PSC ;
- rythme annuel de réduction de la dette (debt benchmark) ;
- Semestre européen ;
- clause de déviation temporaire en cas de :
- grave récession économique affectant la zone euro ;
- circonstance inhabituelle indépendante de la volonté d’un État membre [25].
Crise grecque et crise de la zone euro
2012 TSCG [26] -insertion du bras préventif du PSC dans le droit interne des États, via des dispositions contraignantes et permanentes, de préférence constitutionnelles ;
- le MTO doit se situer entre - 0,5 % PIB et l’équilibre ou l’excédent budgétaire pour les pays dont la dette est supérieure à 60 % du PIB ;
- mécanisme de correction automatique en cas de déviation budgétaire significative.
Crise grecque et crise de la zone euro
2013 Two-pack -possibilité pour la Commission de demander la révision des projets de plans budgétaires des États membres ;
- programmes de partenariat économique pour les pays visés par une procédure de déficit excessif ;
- procédure de surveillance renforcée pour les pays menacés par ou subissant des difficultés sérieuses.
Crise grecque et crise de la zone euro
2015 Communication de la commission -clause de réformes structurelles ;
- clause d’investissement.
Crise grecque et crise de la zone euro
2020 Consultation sur la révision du Six-pack et du Two-pack Simplifier les règles et les rendre plus efficaces

Source : European Fiscal Board (2019) ; P. Heimberger et al. (2019).

2. Comparaison du NCM et de la gouvernance économique européenne

3. Le modèle de l’output gap en équation


Source : Heimberger et Kappeler 2017

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Notes

[1La Commission a lancé une consultation publique en février 2020 pour réviser le Six-pack et le Two-pack.

[2Les célèbres règles de plafonnement du déficit nominal de l’État à 3 % du PIB et de la dette publique à 60 % du PIB Ces seuils ont été fixés de manière arbitraire, ils sortent du chapeau du ministre des finances français de l’époque Pierre Bérégovoy. A l’époque, les taux d’intérêt sur la dette étaient de l’ordre de 5 % ce qui a amené alors à déterminer le niveau du ratio dette/PIB à 60 % (0,03/0,05 = 60 %). Voir F. Lordon (2010). En 2010, Reinhart et Rogoff prétendirent qu’un endettement public de plus de 90 % du PIB annulait la croissance, mais leurs calculs se révélèrent faux.

[3European Fiscal Board (2019).

[4La volonté de créer des règles juridiques stables limitant l’autonomie économique de l’État constitue un trait essentiel du néolibéralisme dès son origine. Cf. Q. Slobodian (2018).

[5Ibidem.

[6Entre les années 1970 et aujourd’hui, le ratio investissement/PIB a baissé de plus de moitié (W. Melyn et al. (2016)).

[7Celle-ci prévoit que les dépenses publiques, nettes de nouvelles recettes fiscales, ne peuvent augmenter plus rapidement que la croissance potentielle.

[8Selon O. Costantini (2017), le but des règles budgétaires est « de réduire l’autonomie des gouvernements démocratiques nationaux et l’État-providence keynésien ».

[9C’est Milton Friedman qui a inventé une notion-clé du NCM, celle de « chômage naturel ».

[10En anglais : Non-Accelerating Inflation Rate of Unemployment ou « taux de chômage qui stabilise l’inflation ».

[11Si le taux de chômage est sous le NAIRU, la politique macroéconomique va au contraire freiner la demande et relever le chômage. Le NAIRU est donc aussi le chômage nécessaire pour stabiliser l’inflation.

[12G. Bertocco et A. Kalajzić (2020).

[13Cf. le débat sur les erreurs d’estimation des multiplicateurs budgétaires. O. Blanchard et D. Leigh (2013).

[14Cf. G. Bertocco et A. Kalajzić (2020).

[15Celui-ci se résume à un calcul « recettes moins dépenses ».

[16Programme de stabilité de la Belgique, 2013-2016.

[17Cette fonction, très souvent utilisée par les économistes, fait dépendre la production économique d’une combinaison de trois éléments : le facteur travail, le facteur capital et la productivité totale des facteurs (PTF : la part de la richesse produite qui n’est pas directement attribuable au facteur travail ou capital et qui serait attribuable au progrès technique). Pour les plus matheux, équation en annexe.

[18Dans ce modèle, un chômage naturel élevé s’explique principalement par les rigidités du marché du travail.

[19- pour utiliser la PTF, il faut que les hypothèses suivantes soient vérifiées : maximisation du profit, marchés en concurrence pure et parfaite, retours d’échelle constants . Or, dans la réalité, ces hypothèses ne se vérifient pratiquement jamais, ce qui rend la notion de PTF fragile.
Pour le NAIRU, on fait l’hypothèse que lorsque le chômage observé passe en-dessous du NAIRU, l’inflation s’accélère. Or, cette hypothèse a déjà été invalidée à de nombreuses reprises. Ainsi dans les années 1990 aux États-Unis, les modèles estimaient le NAIRU à 6 %. Il s’avère qu’en 1996, le taux de chômage américain est tombé sous la barre des 6 % (5,1 %) sans provoquer d’inflation. L’estimation du NAIRU était erronée, mais cela n’a malheureusement pas amené les économistes à rejeter leur théorie. Ils ont simplement révisé la valeur du NAIRU .

[20Dont P. Heimberger et J. Kapeller (2017).

[21P. Heimberger et J. Kapeller (2017).

[22L’International Institute of Finance, un institut de recherche lié aux grandes banques internationales.

[23Bruegel blog : the campaign against output gap nonsense : https://www.bruegel.org/2019/06/the-campaign-against-nonsense-output-gaps/.

[24Par exemple W. Godley (1992). {}

[25Ces deux clauses sont stipulées aux art. 5(1) et 9(1) du règlement 1175/2011. La première a été activée avec la crise du Coronavirus, la seconde l’avait été pour financer en Belgique les dépenses liées à la lutte contre le terrorisme.

[26« Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’Union économique et monétaire ». Il ne s’agit pas d’un instrument juridique européen, mais d’un traité de droit international classique signé entre 25 États membres de l’UE.