Un événement majeur est sur le point de se produire en Belgique, la ratification du Traité budgétaire européen (ou TSCG). Pour entrer en vigueur, le traité doit être ratifié dans les sept assemblées parlementaires que compte notre pays. Deux assemblées (le parlement flamand et le Sénat) l’ont déjà ratifié. La Chambre s’apprête à le faire. Et tout donne à penser que les quatre assemblées restantes s’orientent dans la même direction.

Le traité serait donc ratifié alors même qu’il pousse à la limite la logique d’austérité qui échoue partout en Europe. Comme le rappelait encore récemment l’économiste Paul De Grauwe, ces politiques échouent y compris dans leur objectif premier : au lieu de réduire la dette, elles l’accroissent. En 2012, tous les pays de la zone euro sans exception ont connu une augmentation de leur dette publique. La raison de cette augmentation est connue. L’austérité mine la croissance économique ; or, sans croissance, pas de remboursement de la dette possible. Cette leçon, même les experts très libéraux du FMI commencent à la comprendre.

Ce qui interpelle dans ce dossier, c’est aussi l’extrême pauvreté du débat. Le TSCG comporte des enjeux énormes. Rappelons-le, il implique potentiellement de modifier la Constitution pour y insérer une règle qui aboutit de fait à la disparition des politiques de relance. Un acte aussi lourd nécessite à l’évidence un débat approfondi. Mais ce n’est pas le cas. Le débat au Parlement se mène davantage au moyen d’arguments généraux que de données économiques précises et étayées.

Ainsi, premièrement, le traité fixe un objectif de déficit structurel de 0,5 % du PIB. Sur les trente dernières années, et alors que l’économie était dans une meilleure situation que la situation actuelle, ni la Belgique, ni les autres pays de la zone euro n’ont été en mesure d’atteindre durablement un tel objectif. Alors que la croissance économique est au point mort, par quel miracle le gouvernement pense-t-il atteindre un déficit aussi faible, et même – comme le prévoit le programme de stabilité de la Belgique – dégager un surplus structurel ?

Deuxièmement, à aucun moment il n’y a eu le souci d’examiner les exemples étrangers de « règle d’or » budgétaire. La règle d’or instaurée par le TSCG s’inspire du « frein à l’endettement » allemand créé en 2010. Or, une étude fouillée de l’Université de Berlin conclut que « le frein à l’endettement allemand peut difficilement servir d’exemple pour les autres pays ». Les chercheurs pointent trois défauts majeurs de ce mécanisme : sa très grande complexité, son opacité et son caractère pro-cyclique. Le frein à l’endettement fait surchauffer l’économie quand elle va bien, mais la fait plonger quand elle va mal. Tout le contraire d’une politique budgétaire intelligente.

Troisièmement, le traité va être ratifié, sans qu’aucune étude d’impact ne soit réalisée en Belgique. On ratifie le traité, mais on en verra les conséquences plus tard. Or, si elle ratifie le traité, la Belgique s’engagera dans une austérité permanente, qui pourrait engendrer des pertes de croissance et d’emplois très importantes. Selon une récente étude universitaire, l’application des nouvelles normes budgétaires européennes pourrait détruire au bas mot près de 3 millions d’emplois dans la zone euro d’ici à 2016.

Certains partis tentent de se rassurer en prétendant que le traité offre, malgré tout, des marges de manœuvres. L’idée serait de ratifier le traité et ensuite, lors de sa transposition, de regagner des marges de manœuvre. En effet, certaines dispositions du traité, telles que la création d’un « mécanisme de correction automatique » des déficits, ne seront précisés que lors de la transposition en droit interne. Certains observateurs y voient donc une opportunité de créer « du jeu » dans les règles inflexibles du traité : modification de la méthode de calcul de la règle d’or, élargissement de la clause de « circonstances exceptionnelles » qui permet en principe de déroger à la trajectoire budgétaire en cas de récession économique...

Ces propositions sont peu crédibles. La transposition du traité n’est pas laissée à la libre appréciation des Etats. Le mécanisme de correction automatique doit certes être transposé en droit interne, mais en conformité avec des « principes communs proposés par la Commission... y compris en cas de circonstances exceptionnelles ». Cette transposition doit en outre être validée par la Cour de justice européenne. Les partisans des « marges de manœuvre » sous-estiment par ailleurs les rapports de force actuels. Ceux-ci penchent de plus en plus en faveur de la Commission européenne et en défaveur des Etats. La Commission n’a cessé de renforcer depuis deux ans sa tutelle sur les budgets des Etats membres. Sa vision des règles budgétaires ne montre aucun signe d’assouplissement, comme le montre la récente mise en demeure de la Belgique. Qui peut donc croire un seul instant que la Belgique va pouvoir prendre la Commission à son propre jeu ?

Rien n’impose de ratifier le TSCG. Et rien n’impose en particulier de le ratifier à la va-vite alors que ce traité comporte d’énormes zones d’ombre. La Belgique a jusqu’à la fin de l’année pour transposer le traité. Cette période doit être mise à profit pour faire la complète lumière sur les dangers du TSCG.