Malgré les controverses relatives à l’exploitation du gaz de schiste, un Fonds de recherche européen propose aujourd’hui une aide de 113 millions € aux entreprises qui en développent l’exploitation. Un « coup de pouce » qui entre dans le cadre du programme Horizon 2020 destiné à encourager le développement d’énergies à faible émission de carbone.
Comment faire passer la pilule ? Rien de plus simple ! Désormais, le discours dominant se fonde sur l’idée que, non seulement l’exploitation du gaz de schiste est moins dommageable pour le climat que celle du charbon, mais cette source d’énergie s’inscrirait aussi dans la transition vers le « tout aux énergies renouvelables ». Exit les critiques relatives au caractère de court terme de ce type d’exploitation.

 Éléments de contexte

Globalement, l’Union européenne (UE) doit s’approvisionner en-dehors de ses frontières pour plus de 50% de ses besoins en énergie primaire [1]. Une dépendance qui continue à augmenter. En effet, selon les données d’Eurostat, l’approvisionnement hors-UE est passé de 45,2% en 1999 à 50,3% en 2004 et à 54,8% en 2008. La Commission européenne va plus loin et estime que la dépendance pétrolière pourrait atteindre 90% dès 2020 et celle gazière 70% en 2030.

Dans le même temps, les prix du gaz naturel sont trois à quatre fois plus élevés au sein de l’Union qu’aux États-Unis. La raison ? L’essor de la production américaine de gaz de schiste à grande échelle à partir des années 2000. Pour contenir l’envolée des prix européens en raison de cette exploitation massive « made in USA », on constate, dans les États membres de l’UE, un regain d’utilisation du charbon, meilleur marché, pour la production d’électricité et une diminution de l’attractivité économique des énergies renouvelables.

L’industrie chimique et pétrochimique européenne occupe désormais une position concurrentielle difficile, ce qui provoque des transferts de capacités de production vers les États-Unis.

Dès lors, on assiste à un lobby intensif de l’industrie européenne en faveur de l’exploration et de l’exploitation du gaz de schiste sur le territoire européen. Ce qui a tendance à être accueilli favorablement par les Gouvernements qui voient dans la production de gaz de schiste une manière de réduire, du moins provisoirement, la dépendance européenne par rapport au gaz russe.

 Position actuelle des États membres et de la Commission européenne

La composition du bouquet énergétique est du ressort des États membres, l’UE ne disposant pas des compétences pour autoriser ou interdire l’exploitation du gaz de schiste.

La Commission européenne s’est donc, jusqu’à présent, limitée à définir des balises propres à garantir la protection du climat, de l’environnement et de la santé humaine. Elle a adopté, le 22 janvier 2014, une Recommandation « relative à l’exploration et à la production d’hydrocarbures (tels que le gaz de schiste) par fracturation hydraulique à grands volumes dans l’UE » [2].

Cependant, d’une part, les Recommandations de la Commission ne sont pas contraignantes mais seulement indicatives et d’autre part, elle ne remet pas en cause la technique de la fracturation hydraulique, qui fait pourtant l’objet d’un moratoire en France, aux Pays-Bas et en Bulgarie.

D’autres États membres, en revanche, comme l’Allemagne, à l’horizon 2015, seraient prêts à lever l’interdiction de la technique de la fracturation hydraulique, permettant ainsi l’exploitation du gaz de schiste. Une campagne de forage a démarré au Royaume-Uni où le moratoire a été levé à la fin du mois de décembre 2013. La Pologne, la Roumanie, la Lituanie, la Hongrie, le Danemark et même l’Espagne (sans fracturation hydraulique) ont également donné leur feu vert pour des forages exploratoires.

 Géopolitique et compétitivité vs ambitions climatiques

Face à ce nouvel engouement pour le gaz de schiste, il apparaît que les facteurs géopolitiques et de compétitivité industrielle à court terme pèsent lourd sur les ambitions climatiques de l’UE, pourtant considérée jusqu’à présent comme la région du monde la plus volontariste en la matière.

En effet, en 2008, l’UE avait adopté le Paquet législatif « Climat-Energie » contenant trois objectifs à atteindre, en 2020, pour l’ensemble des États membres :

  • Faire passer à 20% la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique européen ;

  • Réduire de 20% les émissions de gaz à effet de serre par rapport à leur niveau de 1990 ;

  • Accroître de 20% l’efficacité énergétique.

Il s’agissait d’une proposition politique ambitieuse en vue d’une décarbonisation progressive de l’économie européenne et misant sur l’avantage compétitif de l’innovation technologique liées à ces contraintes environnementales.

Le 22 janvier dernier, le cadre proposé par la Commission européenne à l’horizon 2030 vise à :

  • Porter à 27% la part des énergies renouvelables dans le bouquet énergétique de l’UE ;

  • Réduire de 40% les émissions de gaz à effet de serre par rapport à leur niveau de 1990 ;

  • Poursuivre les efforts en matière d’amélioration de l’efficacité énergétique ;

  • Mener une réforme structurelle du marché européen du carbone avec, notamment, la création, en 2021, d’une réserve de stabilité pour assurer l’équilibre entre l’offre et la demande de quotas d’émissions.

Ce cadre constitue davantage un accord « économique » basé sur l’établissement d’un consensus entre différents intérêts. En effet, l’objectif de 40% de réduction des émissions sera automatiquement atteint si la part des énergies renouvelables est portée à 27%. Quant aux recommandations en matière d’efficacité énergétique (25% d’économies d’énergie supplémentaires), elles ne sont pas contraignantes et s’inscrivent simplement dans le prolongement de la tendance actuelle.

Par rapport au gaz de schiste, la Commission adopte plutôt une position favorable considérant qu’outre l’aspect de la sécurité énergétique, « les activités d’extraction… peuvent être synonymes d’avantages économiques directs ou indirects pour les États membres, les régions, les collectivités locales, les entreprises et les citoyens de l’UE, notamment sous la forme d’investissements régionaux dans les infrastructures, de possibilités d’emplois directes et indirectes et de recettes publiques (grâce aux impôts, taxes et redevances perçus) [3] ».

Dans le même ordre d’idées, elle estime que « dans certaines conditions, le gaz de schiste peut avoir des effets bénéfiques pour le climat s’il se substitue aux combustibles fossiles à plus forte intensité de carbone et qu’il ne remplace pas des sources d’énergie renouvelable. » Le bilan en termes d’émissions de gaz à effet de serre du gaz de schiste reste néanmoins supérieur à celui du gaz naturel conventionnel [4].

 L’expérience américaine en matière d’exploitation du gaz de schiste et les possibilités de sa transposition dans l’UE

Si les réserves de gaz de schiste dans l’UE semblent être considérables (16.000 milliards de m3 selon les estimations reprises par la Commission européenne), il s’agit encore de les estimer précisément ainsi que leurs parts techniquement mais aussi économiquement exploitable.

La carte ci-dessous montre que les principales réserves se situent dans trois zones : la première s’étend de l’est du Danemark et du sud de la Suède au nord et à l’est de la Pologne ; la deuxième du nord-ouest de l’Angleterre jusqu’ au sud-ouest de la Pologne en traversant les Pays-Bas et le nord-ouest de l’Allemagne ; et la troisième, du sud de l’Angleterre au nord de l’Allemagne et de la Suisse, en traversant le bassin parisien et les Pays-Bas.

Selon l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), seule l’exploitation de 20% des puits de gaz de schiste serait économiquement rentable. Par ailleurs, le rendement de ces puits décroche rapidement pour n’atteindre, en moyenne, que 60% à 90% au terme de la première année d’exploitation.

Principales ressources de gaz non-conventionnel en Europe [5]

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L’expérience des États-Unis montre que le « miracle du gaz de schiste » ne pourrait en fait n’être qu’un feu de paille. En effet, la production de gaz de schiste a plafonné en 2013 et son évolution est très variable selon les bassins. Par ailleurs, la nécessité de réaliser régulièrement de nouveaux forages plombe la rentabilité des investissements.

L’afflux de l’offre au cours des premières années d’exploitation a provoqué une baisse spectaculaire des prix du gaz naturel aux États-Unis à partir de 2009, passant de 7 à 8 dollars par millions de BTU (British Thermal Unit) à moins de 3 dollars en 2012.

Cependant, le maintien des niveaux de production nécessite des investissements considérables de la part des compagnies pétrolières. Les prix recommencent donc à augmenter et leur niveau actuel ne permet plus d’assurer la rentabilité de la production qu’à court terme et uniquement grâce à l’endettement des compagnies pétrolières. Les spécialistes craignent donc une explosion de la « bulle » du gaz de schiste qui occasionnerait une envolée des prix susceptible d’affecter douloureusement l’économie mondiale [6].

L’UE se trouve, par ailleurs, dans des conditions nettement moins favorables que les États-Unis en termes de capacité d’exploitation de ses réserves en gaz de schiste en raison de l’opposition de l’opinion publique , de la densité de population, de lois différentes en ce qui concerne la propriété du sous-sol et d’une législation environnementale plus contraignante.

Parmi les législations européennes dans le domaine de l’environnement susceptibles de contrarier l’exploitation du gaz de schiste figurent : la Directive -cadre sur l’eau, la Directive Eaux souterraines, la Directive sur le traitement des Déchets miniers, le Règlement REACH sur l’utilisation des produits chimiques, la Directive Habitats, les exigences en matière de réalisation d’études d’impact sur l’environnement, la Directive sur la Responsabilité environnementale.

Il faut savoir que la fracturation hydraulique a une incidence considérable sur la demande en eau, ce qui constitue un risque de pénurie notamment dans les régions où l’eau est moins abondante et nécessaire à d’autres usages comme l’industrie, l’agriculture ou l’alimentation en eau potable. Les écosystèmes et la biodiversité peuvent également être perturbés. Qui plus est, en cas de fuite due à un défaut de conception des installations, à des accidents ou encore à la suite de l’abandon de certains puits, les eaux souterraines qui représentent une importante source d’eau potable pour de nombreux États membres peuvent être contaminées par des produits chimiques utilisés au cours du processus de fracturation.

L’exploration, comme la production, de gaz de schiste peuvent donner lieu à des émissions de méthane nocives pour le climat mais aussi à des pollutions atmosphériques liées à l’augmentation des flux de transport et à l’utilisation de certains équipements sur les sites d’exploitation. Des secousses sismiques ont également été rapportées.

En ce qui concerne les sous-sols, aux États-Unis, le propriétaire du terrain est également propriétaire du sous-sol. L’ensemble des ressources qui s’y trouvent lui appartienne, incitant souvent le propriétaire à en accepter l’exploitation en échange de royalties. A contrario, en France et en Belgique notamment, les permis sont accordés par les pouvoirs publics qui indemnisent le propriétaire pour l’occupation du sol résultant de l’exploitation.

 Et la Wallonie dans tout ça ?

En ce qui concerne la Wallonie, la carte ci-dessus montre que les ressources dont elle pourrait disposer en matière de gaz non-conventionnel relèvent plutôt du gaz de houille (grisou) dont les contraintes d’exploitation seraient, par ailleurs, plus acceptables dans une région fortement urbanisée.

Selon l’Université de Mons, le potentiel d’exploitation s’élèverait à 150 Gm3 de méthane, chiffre à confirmer en fonction de l’accessibilité des nappes.

Enfin, la géothermie représente un potentiel énergétique du sous-sol à investiguer, sachant que le gaz de schiste, le gaz de houille et la géothermie ne sont pas exploitables de manière cumulative car ils concernent des couches différentes du sous-sol mais superposées. Un choix doit donc s’opérer, dans la mesure où le Gouvernement déciderait qu’il s’agit d’une option crédible.

  Conclusions et réflexions

Au vu de l’expérience des États-Unis, l’argument selon lequel la révolution du gaz de schiste prémunirait les USA et l’humanité toute entière contre le pic des énergies fossiles - niveau à partir duquel les contraintes géologiques rendront l’extraction du pétrole et du gaz conventionnels de moins en moins supportable du point de vue économique - relèverait de l’utopie.

L’exploitation du gaz de schiste représente plutôt un phénomène à court terme, polluant et coûteux qui ne fait que postposer les investissements dans des mesures plus structurelles pour répondre au triple défi du prix de l’énergie, de l’indépendance énergétique et de la lutte contre le changement climatique.

L’argument de la création d’emplois n’est pas non plus recevable dans la mesure où l’étude « Vers une Belgique 100% renouvelable en 2050 » réalisée par le consortium Bureau fédéral du Plan-VITO-ICEDD estime que son scénario permettrait la création de 7.000 à 10.000 emplois d’ici à 2030, moyennant une appréciation de 20% du prix de l’électricité (correspondant à 60 milliards d’Euros d’investissement).

Il s’agit donc raisonnablement de s’orienter vers une transition énergétique de ce type, basée sur les énergies renouvelables, tout en renforçant les mesures visant l’amélioration de l’efficacité énergétique au niveau du logement, du transport, du secteur tertiaire et de l’industrie afin de compenser l’augmentation des prix par la réduction de la consommation.

Quelle que soit l’option retenue, l’augmentation de la facture énergétique se produira immanquablement à moyen et long terme, y compris dans l’hypothèse du développement de l’exploitation du gaz de schiste dans l’UE. Il convient donc d’anticiper dès à présent la manière d’y faire face en prenant les mesures adéquates, afin de garantir un accès durable à l’énergie pour tous et le maintien du tissu industriel, tout en respectant l’environnement.