L’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (IWEPS) et la Direction de l’État environnemental du Service public de Wallonie ont publié récemment un rapport d’évaluation dressant le bilan des progrès de la Wallonie pour atteindre les Objectifs de développement durable (ODD). Un rapport réalisé avec le soutien d’un comité d’experts chargé de formuler des recommandations au Gouvernement wallon sur ce bilan.

Nous n’analyserons pas ici tous les éléments étudiés dans le rapport. Notre objectif est de nous pencher sur une sélection d’éléments qui nous sont apparus intéressants pour le monde du travail [1].

Après rappelés ce que sont les objectifs de développement durables (ODD) et la raison d’être de ce rapport de l’IWEPS, nous mettrons quelques indicateurs en évidence et rappellerons quelques-unes des recommandations des experts. Enfin, une tentative d’analyse critique du concept-même de « développement durable » sera proposée avec, en filigrane, cette question : quelles pourraient être les ambitions supplémentaires pour l’avenir de ce développement durable ?

Les objectifs de développement durable : qu’est-ce que c’est ?

En septembre 2015, à l’initiative des Nations-Unies, les Chefs d’État et de gouvernement – et donc aussi celui de Wallonie - ont adopté le Programme de développement durable à l’horizon 2030 ou Programme 2030, appelé aussi Transformer notre monde.

Ce programme contient 169 cibles à atteindre pour 2030. Elles ont été réparties en 17 thématiques ou Objectifs de Développement Durable (ODD). Ces thématiques sont multiples : santé, éducation, conservation des écosystèmes, travail décent, modes de production et de consommation durables, réduction des inégalités au sein et entre les pays…

L’ensemble fixe donc les priorités en matière de développement durable pour la prochaine décennie et ce, à l’échelle planétaire.

Les 17 ODD du Programme « Transformer le monde » [2] :

Où en est la Wallonie par rapport aux ODD ?

Que révèle le rapport ?

En avril 2017, un premier rapport avait été adopté par le Gouvernement wallon. Il rendait compte, après deux ans, des progrès réalisés par la Région dans la mise en œuvre du Programme 2030. Le 2ème rapport, paru en mars 2020, décrit le bilan des progrès de la Wallonie 4 ans après la mise en place du Programme.

Toutes les 169 cibles du Programme 2030 n’étant pas pertinentes pour la Wallonie, une sélection a été réalisée [3].

Pour chaque priorité, des indicateurs ont été sélectionnés pour suivre au mieux l’évolution vers les objectifs à atteindre. Parmi les critères de sélection des indicateurs, citons notamment :

  • Couvrir de manière équilibrée les dimensions sociale, économique, environnementale et institutionnelle du Développement Durable ;
  • Permettre les désagrégations par sexe, âge, classe de revenus… afin de « ne laisser personne de côté » ;
  • Garantir la comparaison aux niveaux national, européen, international.

Ces 80 indicateurs sont à l’œuvre pour le suivi du Programme 2030 en Wallonie. Ce cadre n’est pas figé : 10 nouveaux indicateurs ont d’ailleurs été ajoutés suite au premier rapport. En fonction de leur pertinence et de leur efficacité, des modifications pourraient donc être apportées (voir les recommandations du comité d’experts plus loin).

L’évaluation des indicateurs est réalisée en analysant la direction de leur évolution sur deux périodes : à long et court termes.

  • La période à long terme s’étend de 2000 à la dernière année où les données sont disponibles.
  • La période à court terme va de 2010 à la dernière année disponible des données.

Considérer ces deux périodes permet de nuancer les résultats en suivant les progrès sur une période longue (de 16 à 18 ans) et une autre plus courte (de 6 à 8 ans) en évitant, pour la période après 2010, l’impact de la crise de 2008-2009.

Les mêmes périodes sont considérées dans le rapport d’Eurostat (2019) ce qui permet des comparaisons au niveau européen.

Quatre résultats sont possibles pour refléter la tendance d’un indicateur :

On peut classer les 80 indicateurs en fonction de quatre composantes de développement durable :

1. Sociale : 36 indicateurs (45%)

2. Environnementale : 29 indicateurs (36,2%)

3. Économique : 11 indicateurs (13,8%)

4. Gouvernance : 4 indicateurs (5%)

Les deux tableaux ci-dessous expriment la synthèse des évolutions par composante de développement durable. Le premier tableau sur le long terme (2000 – 2018) et le second sur le court terme (2010 – 2018).

  • Avec 36 indicateurs, c’est la composante sociale qui domine au sein de l’exercice d’évaluation poursuivi par ce rapport. Or, près de la moitié des indicateurs de cette composante sociale ont des tendances non calculables (cf. 4ème ligne des tableaux) ce qui constitue un problème pour l’analyse (voir plus loin les recommandations du comité d’experts à ce sujet).
  • C’est la composante environnementale qui présente le plus d’indicateurs allant dans une direction favorable par rapport aux objectifs (13 à long terme et 9 à court terme).
  • La composante économique se caractérise par une évolution globalement stable ou indéterminée, surtout à court terme.
  • Enfin, en ce qui concerne la gouvernance, composante pour laquelle il n’y a que 4 indicateurs (5% du total), pour 3 d’entre eux, l’évolution n’est pas calculable. Le seul indicateur pour lequel l’évolution est significative s’éloigne de l’ODD17 : il s’agit de l’endettement public !

Ci-après, nous présentons l’évolution de quelques indicateurs pour le suivi de certains ODD. Le travail, au sein de la Cellule RISE [4], se focalise surtout sur les thématiques environnementales tout en cherchant à faire des liens avec les aspects sociaux. C’est sur cette base que nous avons choisi de présenter l’évolution de quelques-uns de 9 ODD qui intègrent des indicateurs de la composante environnementale et, lorsque c’est pertinent, évoquer ceux qui décrivent la composante sociale.

Remarque : Il existe rarement un objectif au niveau wallon (et d’autant moins d’objectifs chiffrés). De ce fait, on ne peut rien dire de la vitesse d’évolution d’un indicateur, ni si l’objectif pourra être atteint en 2030. C’est une des limites relevées par les experts dans leurs recommandations (voir plus loin).

Dès lors, une évolution favorable d’un indicateur ne signifie pas nécessairement que le niveau de celui-ci est satisfaisant (sa vitesse d’évolution, par exemple) mais juste qu’il évolue vers l’ODD mesuré.

Evolution des quelques objectifs de développement durable en Wallonie

Les évolutions décrites ci-dessous reflètent le contenu du rapport de l’IWEPS.

ODD 2 – Faim « zéro » : Éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir une agriculture durable

Même si la Wallonie est une Région que l’on peut qualifier de riche, la part de la population wallonne bénéficiaire des banques alimentaires est en augmentation sur le court terme : en 2017, 71.065 personnes (1,96%) bénéficiaient des banques alimentaires (1,46% en 2011). Un nombre non négligeable de ces bénéficiaires travaillent mais ont des revenus insuffisants. La plupart sont des familles monoparentales, majoritairement des mamans seules.

La part de la superficie agricole utile totale de la Wallonie occupée par l’agriculture biologique est l’un des indicateurs qui décrivent cet ODD. L’agriculture biologique progresse de manière significativement favorable entre 2003 (2,7%) et 2017 (10,61%) alors qu’elle n’était que de 0,1% en 1990. C’est beaucoup mieux que la Flandre (1,2% en 2017) et plus élevé que la moyenne européenne (UE 28 : 7,3% en 2017).

ODD 6 – Eau propre et assainissement : Garantir l’accès de tous à des services d’alimentation en eau et d’assainissement gérés de façon durable

Trois des quatre indicateurs (tous de la composante environnementale) qui décrivent cet ODD évoluent favorablement sur le long terme :

  • Le taux d’équipement en stations d’épuration de la Wallonie au 31 décembre 2018 est de 92% par rapport à l’objectif à atteindre. Les 8% qui restent à couvrir concernent l’épuration de petites agglomérations de moins de 2000 EH (équivalents-habitants).
  • Les concentrations de matières azotées dans les cours d’eau : 49 sites de contrôle pour lesquels les données sont disponibles entre 1998 et 2015 montrent une évolution favorable de cet indicateur. 97,5% de l’ensemble de ces sites présentaient en 2015 une eau qualifiée de moyenne à très bonne. Deux raisons principales semblent expliquer cette évolution positive : d’une part, la réduction des flux d’azote agricole (moins 37% entre les périodes 1991-1995 et 2011-2015) et, d’autre part l’augmentation du taux d’équipement en stations d’épuration. La diminution des rejets azotés d’origine industrielle joue également un rôle dans cette évolution (moins 25% entre 1998 et 2013).
  • Les prélèvements en eau (de surface et souterraines) en Wallonie ont diminué de 41% entre 2000 et 2016. La diminution touche principalement les eaux de surface en raison de facteurs divers allant d’une meilleure gestion de l’eau en industries et dans les centrales électriques mais aussi de fermetures d’entreprises ou de la baisse de production de ces centrales électriques. En ce qui concerne les prélèvements dans les nappes d’eau souterraine, ils sont stables. Notons que l’essentiel (81%) de ces prélèvements est destiné à la distribution publique d’eau potable en Wallonie mais que 38,2% de cette production est exportée vers les régions bruxelloise et flamande.

ODD 7 – Énergie propre et d’un coût abordable : Garantir l’accès de tous à des services énergétiques fiables, durables et modernes, à un coût abordable

Intensité énergétique et indépendance énergétique de la Wallonie et part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie progressent favorablement. C’est ce que révèle l’évolution des 2 indicateurs économiques et de celui de la composante environnementale à l’œuvre pour mesurer l’état d’avancement pour atteindre les cibles de cet ODD. Ce progrès est particulièrement significatif en ce qui concerne la part des énergies renouvelables dans la consommation finale brute d’énergie des Wallons : de 2,8% en 2000, elle atteint 12,5% en 2017.

Cette évolution contraste, de manière singulière, avec celle des 2 indicateurs de la composante sociale qui sont analysés parallèlement (« à un coût abordable ») : en effet, la part des ménages wallons en défaut de paiement d’électricité et la part du budget des ménages wallons consacré à l’énergie évoluent toutes deux de manière défavorable. La part des ménages en défaut de paiement d’électricité en Wallonie est passée de 3,3% en 2007 à 7,3% en 2017 ce qui témoigne d’une précarité croissante d’une partie de la population. La facture moyenne annuelle en électricité a augmenté de 66% entre 2006 et 2019 malgré la libéralisation du marché de l’énergie qui était sensée entraîner une baisse du prix de la facture !

ODD 9 – Industrie, innovation et infrastructure : Bâtir une infrastructure résiliente, promouvoir une industrialisation durable qui profite à tous et encourager l’innovation

Deux indicateurs mesurent l’évolution, entre 2000 et 2009, des modes de transport des marchandises, d’une part et des personnes, d’autre part [5]. L’évolution est défavorable pour les marchandises : la part du ferroviaire et du fluvial a diminué de 6,4% au profit de la route qui est donc prédominante. Pour les personnes, l’évolution est favorable même si le véhicule particulier reste prédominant. Le transport dit collectif (train, bus et autocars) est passé de 16.1% en 2000 à 19,4% en 2009.

L’indicateur émissions des gaz à effet de serre des industries évolue de manière favorable. Cet indicateur mesure les progrès de modernisation des industries pour les rendre plus durables (utilisation rationnelle des ressources, recours accru aux technologies et procédés industriels propres et respectueux de l’environnement). On observe une chute spectaculaire des émissions de GES des industries entre 1990 et 2017 : près de 60% ! Mais ces progrès sont dus aux fermetures d’industries, à l’utilisation accrue de gaz et de combustibles de substitution au pétrole et aussi aux accords de branche. Malgré cette baisse importante, ces émissions de l’industrie représentent encore 30% des émissions régionales.

ODD 11 – Villes et communautés durables : Faire en sorte que les villes et les établissements humains soient ouverts à tous, sûrs, résilients et durables

La part de la population wallonne vivant dans un logement dont la salubrité est mauvaise ou très mauvaise est l’un des indicateurs de cet ODD. Son évolution n’est pas calculable, les chiffres disponibles sont issus de 2 enquêtes de qualité du logement (2006-2007 et 2012-2013). Néanmoins, la salubrité du logement semble s’améliorer entre ces deux périodes : en 2006, 7,6% des logements étaient qualifiés d’insalubres alors qu’en 2012 ce pourcentage est de 4,7%.

La superficie résidentielle par habitant évolue de manière défavorable passant de 282m2 par habitant en 2005 à 299m2 en 2018.

Le taux d’artificialisation du territoire wallon en 2018 se situe entre 11 et 18% du territoire. En 33 ans, les terres artificialisées ont connu une croissance de 530km2 en Wallonie ce qui représente une artificialisation moyenne de 16km2 par an. Cette tendance est à la baisse dans les dernières années.

La part de la population domiciliée à proximité de transports en communs bien desservis est un indicateur qui ne peut pas être calculé. Un chiffre intéressant est néanmoins repris dans ce rapport : près de 60% des habitants de Wallonie sont domiciliés à proximité piétonne d’un arrêt de transports publics (train et bus) bien desservi !

Les émissions atmosphériques de particules fines sont en diminution de 48% entre 2000 et 2016. C’est donc une évolution favorable de cet indicateur sur le long terme. Entre 2010 et 2016, l’évolution est indéterminée : diminutions dans les secteurs de l’énergie et de l’industrie, normes EURO plus sévères pour les nouveaux véhicules mais les émissions du secteur résidentiel augmentent du fait d’une utilisation plus importante du bois de chauffage.

ODD 12 – Consommation et production responsables :

Établir des modes de consommation et de production durables

Sept indicateurs de la composante environnementale pour cet ODD.

Cinq d’entre eux montrent une évolution indéterminée sur le long terme :

  • Empreinte écologique et bio capacité
  • Consommation intérieure de matière
  • Quantité de déchets classés dangereux
  • Gestion de déchets dangereux
  • Quantité de déchets ménagers et assimilés collectés par catégorie de déchets

La quantité de déchets ménagers et assimilés par habitant par mode de collecte évolue de manière favorable sur le long terme. La quantité de déchets ménagers et assimilés en 2016 est de 543,3 kg en 2016. Le taux de collecte sélective des déchets a augmenté de 31% entre 2000 et 2015.

Quant à la part des déchets ménagers et assimilés qui font l’objet d’une réutilisation ou d’une valorisation, on observe là aussi une évolution favorable :

  • La quantité de ceux qui sont acheminés vers des centres de valorisation a augmenté de 22,7% entre 2008 et 2017 (valorisation énergétique : +56,2%).
  • Parallèlement, on observe une diminution de 57,8% des déchets qui sont incinérés et de 79,4% de ceux qui partent en CET sur la même période.

ODD 13 – Mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques : prendre d’urgence des mesures pour lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions

Deux indicateurs ici.
La part des nouvelles constructions dans les zones d’aléa d’inondations : cet indicateur évolue de manière défavorable.

  • Pour les zones d’aléa d’inondation élevé, on est passé de 6,53% de parcelles sur lesquelles s’est construit au moins un logement en 2000 à 10,4% en 2016.
  • Pour les zones d’aléa d’inondation moyen, le pourcentage passe de 7,83% à 12,48% pour la même période.
    Les émissions de gaz à effet de serre diminuent de 36,9% en Wallonie entre 1990 et 2017 ce qui permet à la région de respecter ses engagements de Kyoto. C’est sans surprise le secteur du transport qui contribue encore de manière croissante aux émissions de GES sur cette période. Le rapport spécifie que des efforts importants restent à fournir si la Wallonie veut atteindre ses objectifs de réduction de 80 à 95% en 2050.

ODD 14 – Eutrophisation des cours d’eau : Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable

Eutrophisation des cours d’eau est l’indicateur à l’œuvre pour cet ODD. En effet, les charges en phosphates et en nitrates des cours d’eau en Wallonie contribuent en partie à l’eutrophisation de la mer du Nord. L’évolution de cet indicateur est indéterminée à long et à court terme. Entre 1996 et 2015, le pourcentage de sites de contrôle indiquant une eau de qualité mauvaise à médiocre a diminué d’environ 1% par an. Sur la période 2013 – 2015, 16,3% des sites de contrôle affichent une qualité mauvaise à médiocre. C’est surtout le district hydrographique de l’Escaut et le sous bassin de la Meuse aval qui présentaient les teneurs les plus élevées en phosphates.

On explique l’amélioration de la qualité de l’eau par la réduction des apports de l’agriculture (engrais phosphatés), la réduction des charges polluantes de l’industrie et du résidentiel, l’amélioration des capacités de traitement des stations d’épuration mais aussi l’augmentation en 2012 – 2013 des débits des cours d’eau qui a eu un effet de dilution de la pollution.

ODD 15 – Vie terrestre : Préserver et restaurer les écosystèmes terrestres en veillant à les exploiter de façon durable, gérer durablement les forêts, lutter contre la désertification, enrayer et inverser le processus de dégradation des sols et mettre fin à l’appauvrissement de la biodiversité

Huit indicateurs environnementaux pour cet ODD dont six ne sont pas calculables.

La superficie des sites naturels protégés a évolué de manière favorable. Le réseau de ces sites a augmenté mais reste toutefois peu étendu en Wallonie. L’ensemble de ces sites protégés représente 20280 hectares soit 1,2% du territoire wallon. Les experts estiment que pour permettre à un territoire donné d’être protégé efficacement, il faut que 5 à 10% de celui-ci bénéficie d’un statut fort de protection.

L’autre indicateur qui évolue favorablement est la certification de gestion durable des forêts. Entre 2002, date de démarrage de la certification PEFC en Belgique, et 2017, la superficie des forêts certifiées a presque doublé et s’établit en 2017 à près de 300.000 hectares soit 53,9% de la superficie forestière totale de la Wallonie. 90,5% de ces superficies forestières certifiées appartiennent aux propriétaires publics.

Rappelons que, parmi les 17 ODD, nous avons choisi ceux qui présentaient de manière prédominante des indicateurs de la composante environnementale en faisant les liens, le cas échéant, avec la composante sociale de l’objectif.

Il est parfois « frustrant » de constater que, par exemple pour l’ODD 12 qui porte sur la production et la consommation responsables, rien ne peut être dit de 5 indicateurs sur 7. Leur évolution est jugée non calculable. Comment alors vérifier que cet objectif, en l’occurrence fondamental, est en bonne voie de réalisation ?

Nous l’avons déjà souligné plus haut : près de la moitié des indicateurs de la composante sociale analysés dans ce rapport se trouvent dans cette situation « frustrante ».

Nous allons voir au point suivant le point de vue du comité d’experts sur ce constat ainsi que les recommandations qu’ils font pour améliorer la situation.

Améliorer le suivi des objectifs de développement durable en Wallonie : recommandations

L’IWEPS et le SPW ont fait appel à un Comité d’experts scientifiques représentant une large diversité d’approches disciplinaires (économie, biologie, sociologie, géologie, santé publique, bio-ingénierie) et ce, pour les aider à améliorer l’exercice de rapportage sur les progrès de la Wallonie en termes d’ODD.

Tout d’abord, il est indispensable de préciser les ODD et leurs objectifs à l’échelle de la Wallonie : ancrer les 17 ODD dans un contexte plus spécifique à la Région et plus ciblé sur ses priorités. Ce qui garantirait un meilleur fonctionnement des indicateurs mieux arrimés à cette vision régionale.
Ensuite, il faut définir des cibles chiffrées : cela permettrait de vérifier la vitesse d’évolution des indicateurs et la garantie (ou non) d’atteindre la cible.
Il faut aussi :

  • développer les sources de données et de nouveaux indicateurs : parmi les chantiers potentiels (et souhaitables), accorder une attention plus importante à des indicateurs de perceptions des citoyen·ne·s ou d’actions entreprises par les différents acteurs de la société.
  • Approfondir les analyses liées aux indicateurs pour, par exemple, mieux mettre en évidence des inégalités socio-économiques, de genre, de nationalité.
  • Inscrire les indicateurs dans une approche systémique : les relier à la vision de la Wallonie et entre eux. Peut-être aussi sélectionner des indicateurs-phares pour traduire certaines priorités.

Dans sa Déclaration de politique régionale, le Gouvernement wallon souligne que « la transition s’inscrit dans la réalisation pour 2030 des 17 ODD adoptés par les Nations Unies en prenant systématiquement en compte le respect des limites de la Planète, la justice sociale et la prospérité économique et en associant l’ensemble des parties prenantes à l’élaboration d’une vision à trente ans (2050) qui se traduise dans des actions concrètes dès la présente législature ». Le Comité d’experts préconise donc d’articuler cette vision du Gouvernement wallon aux ODD et donc d’appréhender le suivi des ODD au regard de cette vision et au moyen d’indicateurs appropriés.

Il est donc recommandé de mettre en place un Comité d’experts chargé de définir ces indicateurs, d’identifier les domaines prioritaires, d’identifier des indicateurs pour lesquels des objectifs chiffrés existent…

Une autre recommandation est de mettre en œuvre un comité réunissant des acteurs qui disposent de connaissances de terrain sur les phénomènes analysés. Pour que les ODD fassent l’objet d’une véritable appropriation, il est nécessaire d’impliquer, aux côtés des pouvoirs publics, des acteurs de la société civile dans l’exercice de rapportage. Les syndicats pourraient utilement contribuer à ce type de comité. Les citoyen·ne·s aussi sont nombreux à observer leur environnement et seraient sans doute capables d’apporter les éléments nécessaires à mesurer l’évolution de certains indicateurs aujourd’hui non calculables (sur l’état de conservation de la nature par exemple – ODD 15)

Enfin, une recommandation concerne la nécessité de donner de la visibilité au suivi des progrès de la Wallonie par rapport aux ODD de façon à encourager le débat à ce propos et son appropriation par la population wallonne.

Et si tout cela n’était pas suffisant ? Peut-être faudrait-il faire autrement ?

L’expression « développement durable » (DD) est apparue, pour la première fois, en 1987 dans un rapport de l’ONU, le rapport Brundtland. Sa définition officielle est la suivante : le développement durable est « un développement qui répond aux besoins du présent, sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».

En soi, l’intention est louable et, à l’époque, cette définition en faisait un concept novateur.

Malheureusement, en 33 ans d’existence, le développement durable a pris quelques rides. Il faut bien admettre que le projet, porté dans sa définition, n’a pas su (ou pu) apporter de solutions concrètes à de nombreuses problématiques qu’elles soient environnementales (changement climatique, pertes de biodiversité, impacts sanitaires…), sociales (inégalités, précarités, discriminations…) ou même économiques (crise de 2008, endettements publics…).

Pire, le concept est largement battu en brèche par une grande partie du corps scientifique en raison de la faiblesse de son impact et même de l’utilisation qui en est faite par certains acteurs économiques (le fameux « capitalisme vert »).

Dès lors, on peut raisonnablement s’interroger : est-ce que le Programme 2030 et ses ODD sont-ils suffisants pour atteindre des objectifs qui, sans doute, les dépassent ?

Loin de nous l’idée de dénigrer le travail qui est réalisé ici. Le rapport de l’IWEPS et du SPW relève d’une grande qualité et les analyses y sont rigoureusement scientifiques. Mais les faiblesses qu’il révèle – par ailleurs sans opacité - sont peut-être liées aux contradictions intrinsèques portées par le concept de développement durable. De la difficulté à récolter des données dans certains domaines à celle d’identifier des indicateurs réellement efficaces, au manque d’implication des acteurs de terrain dans l’exercice d’analyse, tous ces obstacles sont urgents à franchir – pour aboutir vers des politiques ambitieuses, susceptibles de rencontrer les problématiques mentionnées plus haut.

Au moment de rédiger cette analyse, nous sommes confinés, nous devons faire face à une situation sanitaire qui bouleverse toutes nos activités habituelles. Cela pourrait nous étonner, voire nous sidérer… Malheureusement, nous savions que cela pouvait – allait – arriver. De nombreux scientifiques [6] nous disent depuis longtemps que nous transformons trop, que nous ne sommes plus à l’écoute de la nature, que de notre mépris pour la biodiversité naîtront des pandémies. Et ce qui étonne, voire sidère, c’est l’impréparation dont font preuve nos sociétés pour faire face à la pandémie et les niveaux étonnamment faibles de nos moyens de réaction.

En écho aux recommandations du Comité d’experts qui a contribué à l’analyse de ce rapport, il faudrait mieux hiérarchiser les objectifs pour faire émerger des priorités d’actions.

Le dernier indicateur analysé dans le rapport est celui qui évalue l’endettement public de la Wallonie. Son évolution est défavorable, sur le long et le court terme. Ce n’est pas un cas isolé parmi les Régions et les États du monde. Particulièrement depuis la crise financière de 2008, une nette tendance à l’endettement public est à l’œuvre. Dans ce cadre, de nouveaux indicateurs pourraient être utiles à observer :

  • Part des bénéfices des entreprises reversée dans les caisses de l’État ;
  • Part de la masse financière qui échappe à l’impôt (ou taux de privatisation de l’argent public) ;
  • Valeur ajoutée produite versus recettes fiscales ;
  • Niveau de l’évasion fiscale légal ;

Mais peut-être qu’on sort du cadre…

Pierre Larrouturou, économiste et homme politique français, explique très bien ce qu’il faudrait faire pour résoudre les problèmes qui nous sidèrent [7]. Rapporteur général pour le budget européen 2021, il nous promet qu’il fera tout pour faire changer la donne au niveau de l’Europe. Il a aussi été l’un des membres fondateurs du Collectif Roosevelt avec, entre autres, Stéphane Hessel et Michel Rocard, prônant des mesures radicales de régulation de la finance à l’instar de celles que le Président américain Roosevelt avait mises en place en 1933. Al’époque, 4 mois avaient suffi pour créer un impôt fédéral sur les bénéfices des entreprises américaines créant ensuite des centaines de milliers d’emplois.

Pour terminer, un peu de poésie : depuis trois semaines maintenant, le chant des oiseaux et les gazouillis des enfants du voisinage ont remplacé le bruit de l’autoroute E42 et celui des avions en provenance et à destination de Charleroi. Ce qui a rendu la rédaction de cette analyse bien agréable.

Tiens… il n’y a pas de « bruit » au sein des objectifs de développement durable [8]

 


Cet article a paru sur le site du Cepag, avril 2020, disponible à l’adresse : https://www.cepag.be/sites/default/files/publications/analyse_cepag_-_avril_2020_-_wallonie_odd_0.pdf