Je partage entièrement l’analyse et surtout la conclusion de R. Savage dans sa note intitulée Pensions : L’enjeu du vieillissement et de son financement.

La problématique du financement du vieillissement, et plus globalement de l’avenir de la sécurité sociale, ne peut se laisser enfermer dans l’évaluation de sa faisabilité économique.

Elle doit nécessairement s’envisager sous l’angle de la justice sociale - et donc d’une répartition équitable de la richesse -, et sous l’angle d’un choix de société - et donc du partage entre richesse socialisée et richesse privée.

Aborder le problème du financement sous l’angle d’une répartition équitable des richesses plutôt que dans la panique face au vieillissement de la population, change radicalement la perspective.

Il faut d’abord souligner que ce n’est pas l’augmentation des dépenses de santé ou de pensions qui est mise en cause mais uniquement celle de la part socialisée de ces dépenses, financée par des moyens collectifs solidarisés.

La croissance importante d’autres dépenses en lien avec le vieillissement, comme par exemple celles destinées aux soins du corps, aux assurances hospitalisations, à la constitution de pensions privées, n’inquiète personne, tout simplement parce que ces dépenses ne relèvent pas d’un financement collectif.

Les pouvoirs publics, dans la foulée de l’OCDE, ont développé une vision catastrophique de l’avenir, contribuant à répandre l’idée - y compris au sein de la gauche - que la solidarité serait désormais impayable.

Depuis les années ‘80, l’évolution des salaires réels n’a plus suivi celle de la productivité, entraînant une modification de la répartition des revenus en faveur des profits et un écart grandissant entre classes sociales.
La part de la rémunération des salariés dans le PIB après avoir crû fortement de 1970 à 1981, passant de 47% à 57%, a chuté pour atteindre 51% en 1989. Ensuite la part des salariés dans le revenu national a connu une stabilité qui s’explique par l’évolution des rémunérations individuelles et du nombre de salariés.

Mais par personne employée, la rémunération des salariés continue à diminuer relativement aux autres catégories de revenus. [1]

La mondialisation a accentué le décalage par la mise en concurrence des travailleurs. La productivité du travail n’a cessé de croître (+50% en 20 ans), la part des profits distribuée sous forme de dividendes a été multipliée par 3.

Les profits n’ont pas été réinvestis mais ont alimenté la bulle financière, avec les conséquences que nous connaissons.

En 2004, le CEV calculait que le coût du vieillissement représenterait, à l’horizon 2030, 3,4% du PIB, soit un montant proche du coût cumulé de la politique de réduction des cotisations patronales à la sécurité sociale (5 milliards d’euros en 2005) et de la réforme fiscale (1,6% du PIB).
Pour se préparer à affronter le coût « insoutenable » du vieillissement, le gouvernement proposait un pacte des générations qui, au final, a touché essentiellement la catégorie des prépensionnés. Il faut être naïf pour croire que l’effort supporté par 10% de la population âgée de 50 à 64 ans (quelque 110.000 prépensionnés) permet de garantir la protection sociale (le paiement de la pension pour l’essentiel) de quelque 6 millions de travailleurs ! On nous a clairement menti sur les objectifs réels du pacte proposé.

Comme le relève R. Savage, les dernières prévisions du Bureau du Plan évaluent le CBV à l’horizon 2050 à près de 8% du PIB. Le même Bureau du Plan évalue le taux de croissance moyenne annuelle sur la période à 1,75%.
Sur cette base, le PIB à l’horizon des problèmes de financement de la sécu annoncés aura… presque doublé !

N.B. : Dans sa critique du catastrophisme ambiant relatif à la viabilité du régime de retraite en France [2], Michel Husson a calculé que le besoin de financement supplémentaire à l’horizon 2020, moyennant le maintien de la réglementation en vigueur, s’avère inférieur à la marge d’erreur des projections économiques portant sur la même période.

On peut donc raisonnablement penser que financer l’augmentation des dépenses sociales liée au vieillissement ne devrait pas poser problème pour autant qu’on en fasse le choix politique. C’est là que le bât blesse.

La première option politique évoquée dans la note conduit à faire payer aux travailleurs, actifs et inactifs, à la fois la crise financière et le surcoût du vieillissement, soit : la charge des 25 milliards prêtés aux banques, la stagnation, voire la régression, des prestations sociales, la compression des services publics.

Ce scénario conduit à sauver l’équilibre budgétaire au prix d’une montée de la pauvreté. Quand on sait que la pauvreté touche actuellement plus de 14% de la population mais déjà plus de 20% des personnes âgées, la question devient tout simplement éthique.

Comment imaginer qu’une société démocratique puisse faire le choix d’abandonner ses « vieux » ?

La deuxième option conduit à organiser le partage de la misère entre travailleurs actifs et retraités. Contrairement à ce que certains veulent faire croire, postposer l’âge de la retraite ne réglerait pas le problème de l’avenir des pensions. L’augmentation de la durée de cotisation aurait pour seule conséquence une diminution du montant de la pension légale (plus personne n’aura une pension complète) moyennant un écart de plus en plus grand entre ceux qui devraient s’en contenter et ceux qui pourront bénéficier d’un deuxième pilier ou cotiser individuellement à un troisième pilier.

L’argument de l’augmentation de l’espérance de vie pour allonger la carrière ne pourrait éventuellement être pris en compte que moyennant la réduction de la durée et de l’intensité du travail, qui ne sont pas à l’ordre du jour.

La proposition complémentaire, consistant à développer les deuxième et troisième piliers comme compléments indispensables d’une pension légale insuffisante, néglige l’inégalité d’accès à ces compléments et montre qu’on n’a pas tiré les leçons de la crise. Comment faire confiance à la capitalisation après ce que nous venons de vivre ! Et pourtant, une proposition visant à généraliser le deuxième pilier, en le rendant obligatoire et élargi aux chômeurs et malades, fait son chemin. Quoiqu’on en dise, ce scénario revient à la création d’un premier pilier bis en capitalisation et donc à fragiliser la pension légale.

Seul un système basé sur un financement par répartition garantit un partage équitable du gâteau existant et ce quelle que soit l’importance de ce dernier.

La troisième option, qui n’est pas soutenue politiquement, est la seule voie solidaire.

La renégociation du partage capital/travail au profit des salaires (y compris cotisations) est la seule et unique voie pour garantir un financement équitable et soutenable des coûts du vieillissement. Pour y arriver, un renversement du rapport de force est indispensable.

Ce n’est pas gagné.

La dérégulation du marché du travail, le recul des protections sociales, la responsabilisation et le contrôle des victimes du système ont généré l’insécurité sociale et délié les solidarités.

Notes

[1Voir Dulbea, Baromêtre social novembre 2009

[2En France, de 1950 à nos jours, la part des retraites dans le PIB a augmenté de plus de 7 points sans provoquer de catastrophe. De 12,5% du PIB elle devrait monter jusqu’à 18,5%. On crie aux loups !