Le gouvernement belge a offert aux organisations internationales ce qu’elles attendaient de lui en matière de chômage. Les « marchés » sont contents. D’une part, transformation d’un régime d’allocations basses mais illimitées en un régime d’indemnités plus basses encore qui, progressivement, s’alignent sur le niveau de l’aide sociale (le revenu d’insertion). C’était l’objectif de l’accélération de la dégressivité. D’autre part, création d’un régime de « fin de droit » pour près de 60.000 chômeurs dès janvier 2015 et…
Les mesures gouvernementales vont en outre épurer le chômage en excluant les plus faibles, les moins formés, les moins « compétitifs » sur le marché de l’emploi. Le but est ici d’améliorer l’efficacité de la contrainte sur les salaires.
La réforme ne vise pas à régler le problème du manque d’emploi. Au contraire... Par ailleurs, elle n’aura qu’un impact cosmétique sur les économies à réaliser au nom de la résorption du déficit public.
Ces mesures accélèrent la patiente destruction des solidarités à la base du fonctionnement de la sécurité sociale : communautarisation/régionalisation des allocations familiales, d’une partie des soins de santé, réforme des fins de carrières, destruction des mécanismes d’assimilation des années non travaillées dans le calcul des pensions... Ce ne sont que quelques exemples du minutieux minage de la « Cathédrale du mouvement ouvrier » [1].
Dans une société qui se représente comme une démocratie de citoyens égaux [2], la production économique dans un « capitalisme de basse pression salariale [3] » pose un problème sérieux de simple compatibilité avec les « valeurs générales » structurant le champ politique. Le modèle « classique » de l’entreprise n’est pas construit sur un principe d’ « un homme, une voix » mais plus sûrement sur celui de la subordination où « qui paie décide » c’est-à-dire un schéma plus proche d’ « un euro, une voix »…
Ce type d’organisation de l’économie de marché au départ du modèle entrepreneurial quand il est appliqué au système politique s’exprime dans des exemples de régimes oligarchiques ou fascistes que l’Histoire n’a pas rendus populaires.
Le principe du « contrat de travail » a permis de résorber, pour partie, cette contradiction interne du couple « démocratie politique – économie de marché ». Contre rémunération, le travailleur négocie sa force de travail et/ou son temps mis à disposition d’un employeur dans le cadre d’une relation de subordination, finalement consentie. Le contrat individuel en fixe les règles qui ne peuvent déroger aux conventions négociées collectivement voire à la législation du travail promulguée par les détenteurs légitimes de la représentation démocratique.
Dès lors que l’accès au travail est lui-même régi par les normes d’un « marché de l’emploi », il faut évaluer la manière dont un chômage devenu « massif » pèse sur les conditions même de la négociation de ce contrat.
La crise de 2008 et le développement de réponses essentiellement « austéritaires » (compression des dépenses publiques, blocage des salaires, coupes sombres dans la sécurité sociale…) ont conduit, partout en Europe, à un approfondissement du chômage. « … Tandis que l’Amérique se remettait au moins partiellement de la crise financière, l’Europe a plongé plus profondément encore dans la dépression, la cadence de ce déclin s’intensifie même au cours de l’année 2012 » [4], souligne Paul Krugman. L’économiste américain [5] précise que l’erreur stratégique abondamment dénoncée a eu pour conséquence une accélération de la dégradation des conditions générales de travail… et de rémunération. Ce mouvement est entamé depuis plusieurs décennies déjà : il crée un contexte dans lequel l’existence d’un volume croissant de main-d’œuvre inoccupée mais indemnisée par la sécurité sociale finit par poser des problèmes de gestion du… « marché de l’emploi » plus aigus que ceux du financement même de la sécu.
Paradoxalement, l’emploi (plus que le travail) est devenu un élément d’intégration sociale grâce au revenu qu’il procure mais surtout par le statut qu’il confère alors que la culture dominante - celle des classes qui dominent - a forgé et entretient une représentation détestable du « producteur sans contrat » (n’est travailleur que qui en tire un revenu) à travers ses instruments idéologiques, jadis la religion, aujourd’hui les médias, l’école...
Or, sur un marché d’offres et de demandes, l’attrait du travail en tant que phénomène social structuré par un cadre de « temps contraint » s’amenuise dès lors que croît la pénibilité et fond la rémunération, d’une part, et que, d’autre part, s’amenuise l’écart avec le revenu de remplacement de ceux qui se retrouvent en… « temps libre ». Un marché surdéterminé par la rémunération actionnariale qui dicte l’organisation de la production dans les entreprises s’accommode mal de ce déséquilibre. Les pouvoirs publics sont donc amenés à intervenir pour restaurer de meilleures conditions d’une pression… sur les salaires qui permette de dégager les marges nécessaires à gaver les revenus du capital.
Deux voies sont possibles : réduire le « piège à l’emploi » (ou « au chômage ») en réduisant drastiquement la valeur de l’allocation de chômage ou rendre plus inconfortable le « temps libre » (celui du pensionné, du chômeur, du « travailleur inactif ») en le transformant peu ou prou en « temps contraint ». Pourquoi choisir ? La réforme du chômage décidée par le gouvernement laboure les deux terrains.
La dégressivité des allocations de chômage ramène - après quatre années au maximum - l’indemnisation à un niveau forfaitaire proche du revenu d’insertion. L’extension et l’accentuation du contrôle de la disponibilité « activent » un plus grand nombre de demandeurs d’emploi.
Le souci de contraindre toujours plus le « temps libre » des allocataires sociaux s’exprime en dehors de la réforme du chômage dans le discours sur le vieillissement de la population, par exemple. Le retardement de l’âge de départ à la pension est ainsi parfois justifié par l’allongement de l’espérance de vie. Il n’y a pourtant pas de relation étroite entre ces phénomènes dès lors que le financement des retraites reste organisé dans un système « par répartition » plutôt que « par capitalisation ». Cette question dépend de manière bien plus déterminante de la capacité de la société à produire de la richesse d’une part, et de la partager correctement, d’autre part, que de l’âge du capitaine ou... de la retraite. « Comment peut-il manquer aujourd’hui de l’argent pour maintenir et prolonger ces conquêtes sociales, alors que la production de richesses a considérablement augmenté depuis la Libération, période où l’Europe était ruinée ? Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l’ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l’actuelle dictature des marchés financiers qui menace la démocratie et la paix », soulignaient en mars 2004 neuf vétérans [6] des mouvements de Résistance et des forces combattantes de la France libre.
Aujourd’hui, cette volonté de conditionner des ressources à une disponibilité particulière concerne aussi des… actifs. Dans le cadre de l’harmonisation des statuts ouvriers et employés, par exemple, il est prévu, au-delà d’un temps de préavis déterminé, un « outplacement » obligatoire. Comment, par ailleurs, analyser autrement la compensation de la suppression du jour de carence pour les ouvriers qui a pris la forme d’un projet qui imposerait aux malades d’être disponibles 4 heures par jour pour la visite du médecin conseil ?
Attaquer les chômeurs, pas le chômage !
Alors qu’un discours culpabilisateur à l’égard des chômeurs (et autres producteurs sans contrat de travail) se déploie, s’enracine et se renforce jusque dans les rangs des personnes stigmatisées elles-mêmes, il n’est pas inutile, sans doute, de souligner pourquoi les mesures contenues dans l’accord de gouvernement du 1er décembre 2011 ne visent en aucune manière à trouver une solution au problème du chômage.
Les travaux de l’économiste français Michel Husson [7] ont révélé une corrélation forte entre un indice de financiarisation des entreprises non-financières [8] et le taux de chômage dans l’Union européenne. Laurent Cordonnier [9], économiste à l’Université de Lille, souligne avec enthousiasme l’importance de cette contribution à l’occasion d’une intervention au premier colloque de l’Association française d’économie politique [10].
Source : Financiarisation et chômage dans l’Union européenne 1961-2007
Le taux de financiarisation donne la mesure d’une ligne grossière des profits qui ne sont pas réinvestis. « C’est, en quelque sorte, explique Cordonnier, le traceur du régime d’accumulation financiarisée qui a voulu promouvoir le profit sans l’accumulation. Ce graphique montre une corrélation saisissante entre la financiarisation et le chômage. A ma connaissance, on n’a jamais pu observer un tango aussi serré, et peut-être aussi indécent, entre deux phénomènes économiques qu’on essaie de mettre en corrélation... Et pour en inférer une sérieuse causalité de l’un sur l’autre, de la financiarisation de l’économie au chômage, on a quand même derrière nous deux siècles d’une solide tradition qui explique que lorsque les revenus chôment entre les mains de leurs détenteurs, ils sont improductifs voire néfastes. Cette longue tradition va de Quesnay à Maltus, à Marx en passant par Keynes... ».
« Ce graphique de Michel Husson est sans doute une des choses les plus importantes à montrer en macro-économie, depuis les 25 dernières années », souligne encore Laurent Cordonnier.
Nous nous limiterons ici à cette contribution pour fonder une réponse définitive à la question posée plus haut. Il semble rigoureusement évident que les arrêtés [11] structurant la réforme du chômage ne règlent d’aucune manière le problème créé par les « ressources non investies (qui) ont été, dans un premier temps, consacrées au désendettement des entreprises, puis à une forte et régulière augmentation de la part des dividendes » [12]. Plus loin, nous tenterons de vérifier si, au contraire, la réforme ne risque pas, a contrario, d’accentuer cette financiarisation... et donc le chômage.
Jusqu’à preuve du contraire, ce n’est donc pas au chômage que s’attaque le gouvernement mais bien aux chômeurs !
Aucune économie en vue
Le fait-il au nom d’une impérieuse nécessité de contraindre les budgets de la sécurité sociale ? L’hypothèse est difficile à soutenir. Le budget total des allocations versées par l’Onem se monte à quelque 7 milliards € [13] alors que les réductions de cotisations sociales et les cadeaux fiscaux ont atteint en 2012 un niveau de... 10,8 milliard € [14] (pour 1,3 milliards seulement en 1996).
La FGTB wallonne a montré que l’économie brute de l’hécatombe sociale qui se profile pour 2015 peut se chiffrer à quelque 460 millions . Seuls les isolés et les chefs de ménage auront un droit quasi automatique au revenu d’intégration. L’économie nette doit dès lors être réduite à moins de 150 millions ; il faut encore en retrancher les recettes de TVA correspondant à une consommation totale des allocations (compte tenu de la faiblesse de ces revenus, il n’y a sans doute pas d’épargne…), soit une « belle » économie de… 125 millions. Qui ne tient compte ni des montants que les CPAS pourraient verser sous forme d’aide sociale (chèque mazout, colis alimentaires…) en compensation des pertes de revenus, ni des frais de personnel occasionnés par un évident accroissement du travail.
La casse sociale qu’organise l’exclusion des chômeurs inscrits sur la base de leurs études ne sera pas neutre sur le plan du genre. Peu d’informations sont malheureusement disponibles à ce sujet.
La FGTB de Verviers et Communauté germanophone, au départ de la base de données de son organisme de paiement, a pu montrer que sur 1.432 exclus en puissance, deux tiers sont des femmes.
Plus inquiétant encore : plus de 8 chefs de ménage sur 10 seraient mères d’une famille monoparentale. La pauvreté à venir, se conjuguera ainsi au féminin, d’autant qu’elles sont 61% des cohabitants, une catégorie qui risque de n’avoir pas droit au revenu d’insertion.
Discrets pouvoirs spéciaux
Dans le cadre d’une tentative d’approche de la question des rapports entre démocratie et « marché de l’emploi », il n’est pas anodin de souligner d’abord que la mise en œuvre des décisions formalisées dans l’accord de gouvernement s’est faite par arrêtés ministériels et royaux.
En réalité, toute la législation du chômage est construite en dehors du Parlement. La question de sa légitimité n’est donc pas secondaire.
Dans un article consacré aux « Aspects institutionnels de la réglementation du chômage » [15], Simon Palate, avocat au Barreau de Namur et assistant à la Faculté de droit de l’UCL, souligne : « La réglementation du chômage souffre d’un défaut de légitimité. C’est ce qui ressort de la crise de l’État social dans lequel elle s’est construite et de la transformation qu’il est amené, vraisemblablement, à poursuivre, dans une logique d’individualisation et de contractualisation qui semble être exacerbée par le débat relatif à la réforme de l’État. » Le juriste argumente, par ailleurs, sur la base d’une jurisprudence constante du Conseil d’État, qu’en cette matière, « l’abandon au pouvoir exécutif de l’ensemble des règles définissant les conditions dans lesquelles les allocations de chômage sont perçues, conservées, supprimées et récupérées s’inscrit dans une véritable dénaturation des règles régissant la délégation de pouvoir. »
Le chômeur ne semble donc pas être un sujet de droit « digne » d’être pris en considération par les représentants de la Nation. Il est l’objet de « pouvoirs spéciaux » permanents. La voie choisie pour légiférer permet ainsi d’éviter un débat public sur les conséquences des mesures décidées. Les questions posées par l’un ou l’autre parlementaire [16] ne permettent pas de forger une argumentation globale susceptible d’éclairer les motivations de la politique menée. Dans ces conditions, les déclarations aux médias constituent une maigre source qui ne peut être écartée.
En juin 2012, le Premier ministre répondait courroucé aux questions de journalistes d’un quotidien de référence [17] : « Je ne conteste pas que c’est difficile, mais globalement, on ne peut pas dire qu’on a touché à quelque catégorie sociale. Et puis... (Elio di Rupo élève la voix). Pour garder ce pays dans la solidarité, il faut bien écouter et tenir compte de la majorité au parlement, dans la population ! On mesure alors que les partis flamands et francophones du gouvernement ont fait des compromis raisonnables et soutenables. La critique unilatérale, comme si c’était un pays in abstracto, ne fait qu’accroître les difficultés entre le nord et le sud ! Il faut tenir compte du contexte national particulier ! Et j’affirme que l’effort produit par le gouvernement doit être soutenu ! Soutenu par tout qui veut garder l’unité du pays. C’est là que cela ne va pas. A force de critiquer unilatéralement, de dire que des mesures pourtant soutenables relèvent de l’inacceptable, on la met à mal. (...) Nous agissons pour tout le monde, les gens au chômage et ceux qui travaillent, les jeunes... Un gouvernement s’occupe de toute la société. Et on essaye de trouver une solution de cohésion sociale ; c’est notre responsabilité ! »
Au moment où il manifestait ainsi cette colère, notamment à l’égard de la FGTB wallonne, mesurait-il que 30 mois plus tard, 55.000 chômeurs dont 35.000 Wallons, seront sacrifiés sur l’autel de « l’unité du pays » ? Si oui, n’est-ce pas grave ? Si non, n’est-ce pas pire ?
Comment concilier la perspective d’une perte de pouvoir d’achat pour certains demandeurs d’emploi de 12 à 17% avec une approche de « cohésion sociale » ? Quelle autre catégorie sociale paye aussi lourdement la facture de la crise ?
Du traitement de choc et de sa stratégie
S’il est entendu que l’objectif de la manœuvre ne pouvait pas être la réduction du chômage et s’il est difficilement soutenable qu’une majorité du parlement ait souhaité la catastrophe qui se prépare et même qu’une majorité de la population puisse -comme le laisse pourtant entendre le Premier ministre- y aspirer et cela en pleine connaissance de cause, alors il faut chercher les motivations réelles au rayon des arguments plus difficilement défendables pour expliquer pourquoi le gouvernement a choisi de réformer le marché de l’emploi au départ du droit du (et… au) chômage.
Le traitement de choc [18] appliqué aux chômeurs a été précédé par un matraquage idéologique en profondeur de l’opinion où les effets de la crise financière ont été recyclés utilement. Les sociétés humaines n’acceptent pas la maltraitance de semblables sans être préparées par une patiente dégradation de l’image des futures victimes.
La propagande néolibérale a organisé une stigmatisation globale des chômeurs par la société toute entière. Elle a permis la définition de remèdes de cheval applicables à ces citoyens déclassés ; ces décisions modifient profondément le fonctionnement même du « marché de l’emploi ». C’est d’ailleurs un objectif poursuivi [19].
De quelles manières ?
Les conditions de travail et de rémunération sont soumises à une pression par l’activation de « l’armée de réserve des travailleurs », selon l’expression de Karl Marx qui en a conceptualisé l’influence. Cette théorie se trouve réactualisée dans un rapport de 2004 du Conseil supérieur de l’emploi. Il indiquait : « L’existence d’une main-d’œuvre compétente et en nombre suffisant est (…) nécessaire pour éviter qu’apparaissent des tensions salariales qui, en se répercutant sur le coût du travail, fragiliseraient la position compétitive des entreprises opérant en Belgique et provoqueraient des délocalisations. A cet égard, il importe d’ailleurs que la participation se traduise par un volume de main-d’œuvre effectivement disponible plus important » [20].
Les « monétaristes » de l’école de Chicago avaient également formalisé la « nécessité » du chômage pour faire pression sur les salaires, pour contenir les prix et éviter... l’inflation. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) calcule ainsi, dans une certaine discrétion, le taux de chômage nécessaire en dessous duquel tout accroissement de l’emploi supérieur à celui de la population active induirait une accélération de l’inflation [21]. Nous sommes ici dans des sphères feutrées, très éloignées des discours culpabilisateurs sur les chômeurs comme des stéréotypes qui y sont liés mais où l’utilité marginale décroissante du chômage est... conceptualisée ?
Soulignons toute l’importance de disposer d’une réserve de main-d’œuvre, certes « quantitativement » suffisante, mais également « qualitativement » compétente. Les études de la Fédération des CPAS de l’Union des villes et des communes de Wallonie soulignent combien les populations versées dans l’aide sociale par les exclusions de l’Onem -consécutives au contrôle de la disponibilité des chômeurs- sont les plus éloignées de l’emploi. Ces politiques d’activation ont donc, à l’évidence, un « effet d’épuration » de la main-d’œuvre disponible dans le chômage même.
La réforme s’inspire de la même philosophie ; elle va donc orienter vers les Centres publics d’aide sociale les moins « adaptés » (qui seront présentés comme les moins « disponibles ») en reliftant, au passage, les statistiques. Cette stratégie va également désencombrer les couloirs de l’insertion socioprofessionnelle. La compétition sur ce marché pourra alors s’exprimer sans concurrence faussée et avec plus de transparence. Les travailleurs sans emploi auront ainsi été traités comme de vulgaires marchandises sur un marché libéralisé des biens.
En Espagne, le gouvernement parle de « dévaluation interne » [22] pour qualifier ce processus qu’il justifie par le besoin de compétitivité : « Auparavant, à chaque fois qu’il y avait un déséquilibre, il était toujours réglé en dévaluant la peseta, raconte Ignacio de la Torre, du cabinet de conseil Arcano. Maintenant, comme on ne peut plus dévaluer la devise, la seule manière de rééquilibrer l’économie est de dévaluer les salaires ».
De ce point de vue, la réforme du chômage s’inscrirait chez nous comme adjuvant au « gel des salaires » décidé lui aussi par arrêté royal pour se prémunir des mêmes maux rongeant la compétitivité non pas seulement de nos entreprises mais de notre économie, comme si l’État était devenu une SA.
Cette stratégie qui tire une harmonisation sociale vers le plus bas niveau imaginable conduira, dans la plupart des entreprises, à augmenter les marges disponibles pour les revenus de capitaux. En effet, les moyens économisés par le blocage des rémunérations du travail ne seront pas réinvestis dans un contexte déprimé par une consommation stagnante (causée par le blocage salarial et la baisse des revenus de remplacement). Les profits iront donc alimenter cette part non réinvestie que Michel Husson définissait précisément comme le taux de financiarisation... étroitement corrélé, au sein de l’Union européenne, au taux de chômage !
Fameux cercle vicieux qui réduit à un niveau de vulgate libérale la rhétorique de la stigmatisation sociale des chômeurs mais qui nous replonge dans des logiques de lutte de classes et qui nous promet un avenir potentiellement explosif.
L’indemnisation du chômage a été inventée par les travailleurs pour se protéger des risques liés à la perte d’un revenu consécutif à une perte d’emploi. Dans une approche de solidarité, cette assurance collective permettait aussi de limiter les effets d’un « dumping social » interne et permettait aux chômeurs de négocier les conditions d’un nouveau « contrat de travail » dans une autre relation que celle de l’indigent qui quémande une faveur à celui qui loue des forces de travail. La perspective dans laquelle s’inscrit la réforme du gouvernement est ainsi celle d’une déconstruction de ce rapport de forces qui était une avancée civilisatrice de la société parce qu’elle ouvrait la perspective d’une démocratie.
Dans la foulée des réductions de cotisations sociales octroyées aux entreprises avec une générosité qui ne connaît pas la crise au nom de la réduction d’un « handicap salarial », le traitement du chômage a bien pour objet de réduire les « coûts salariaux » sur le marché de l’emploi en contenant une évolution des salaires nuisible aux intérêts actionnariaux.
Or, selon une étude de l’Institut Émile Vandervelde [23], les niveaux des salaires ne deviennent véritablement une question centrale que pour les secteurs exportateurs. Pour les autres secteurs qui relèvent de la consommation intérieure, c’est préférentiellement le revenu disponible des ménages et la propension à consommer qui constituent les points d’attention premiers. Dans ce cadre, la progression des salaires constitue donc un élément positif de soutien. Or, la moitié de notre activité économique est liée à la consommation intérieure, qu’elle soit l’œuvre de particuliers, des pouvoirs publics, voire d’autres entreprises, et c’est sa faiblesse – et non les exportations – qui est responsable de la faible croissance actuelle » et ce, sans compter que les salaires ne sont qu’un des nombreux éléments constitutifs de la compétitivité des entreprises.
Rue de la loi, le PS semble sourd à ce qui se dit au Boulevard de l’Empereur, dans ses propres services d’études. Compte tenu des enjeux démocratiques, sociaux et économiques, ceci relève néanmoins de l’anecdote.