« Les Allemands, les Italiens et les Espagnols, ça va. Mais je ne peux pas voir les Bulgares et les Roumains. Ce sont tous des voleurs.

Pas étonnant que mon beau-frère ne trouve pas de travail de magasinier : les agences préfèrent embaucher des immigrés polonais.

Toutes nos entreprises sont aux mains des étrangers : l’électricité est gérée par les Allemands, l’eau par les Français. Moi, je nationaliserais tout ça. » (Des habitants de Beeston, près de Nottingham, au Royaume-Uni, le 24 juin 2016).

Le Brexit vient d’être voté, et voilà que l’on entend déjà dans les rues des propos nationalistes et xénophobes. Dans cet article, je m’efforce d’analyser les causes profondes qui ont conduit au Brexit, et réfléchis aux luttes qui s’annoncent. Je vais d’abord montrer que deux campagnes distinctes ont été menées contre l’austérité croissante et les dégâts provoqués par les restructurations capitalistes dues à la mondialisation : la campagne menée par la gauche progressiste à l’occasion de l’élection de Jeremy Corbyn à la tête du Parti travailliste au cours de l’été 2015, et la campagne pro-Brexit, principalement menée par la droite. Ce 23 juin 2016, cette deuxième campagne s’est soldée par une victoire significative, 51,9% des votants ayant décidé de quitter l’Union Européenne, 48,1% seulement s’étant prononcés pour un maintien au sein de l’UE.

 Les dégâts infligés par le capitalisme néo-libéral

La Grande-Bretagne souffre depuis l’arrivée au pouvoir des conservateurs en 2010. Les budgets d’austérité se sont depuis succédés les uns aux autres. Les prestations sociales ont été réduites, et ce sont au final les personnes les plus vulnérables de la société qui ont été le plus touchées. Dans le même temps, les actions des banques alimentaires se sont multipliées à travers le Royaume-Uni pour tenter d’endiguer cette vague toujours montante de pauvreté.

Alors que les banques et le capital financier se sont rapidement remis sur pied, engrangeant de nouveau des profits records, les citoyens ordinaires ont dû faire face comme ils le pouvaient à des réductions de leurs allocations, à des baisses de salaires et à des contrats de travail toujours plus précaires, tels que les contrats zéro heure, dont l’usage s’est généralisé.

La société britannique s’est progressivement scindée en deux, avec au sud-est de l’Angleterre, une population jouissant de revenus confortables et ayant accès à des services d’école et de santé privés, et dans le nord-est du pays, des perspectives amoindries en matière d’emploi pour les travailleurs, et un effritement des services de santé et d’éducation. Les frais universitaires ont quant à eux augmenté, atteignant 9000 £ par an, tandis que les College of further education [1] se sont vus de leur côté privés de subventions. Les personnes issues des couches les moins favorisées de la société se sont ainsi retrouvées dans une situation précaire, ne leur permettant guère d’envisager l’avenir avec sérénité.

On ne peut comprendre le vote en faveur du Brexit qu’en prenant en compte ce contexte de crise économique et sociale.

 Non à l’austérité : l’élection de Jeremy Corbyn à la tête du Parti travailliste.

Lorsque le Parti travailliste a perdu les élections législatives en 2015, de nombreux observateurs ont attribué cette défaite aux mesures politiques les plus progressistes prônées par Ed Miliband. Cela ne reflétait pas, toutefois, l’avis de la majorité des membres du Parti travailliste. Et alors que beaucoup n’y croyaient pas au départ, Jeremy Corbyn fut élu à la tête du Parti lors de l’été 2015, sur la base d’un programme résolument anti-austérité [2]. Le message anti-austérité d’Ed Miliband, pour autant qu’il y en ait eu un, n’avait pas été assez clair lors de la campagne des législatives.

L’impact de la campagne de Jeremy Corbyn a été immédiat. Des milliers de personnes ont adhéré au Parti travailliste, tandis que son nouveau chef définissait un cap clairement anti-austérité. De nombreuses personnes se sont investies activement en politique, redynamisant les sections locales du Parti travailliste [3]. Il y a, on le voit, des raisons de croire en la renaissance d’un mouvement politique de gauche progressiste au Royaume-Uni, même si la victoire du Brexit menace sérieusement ce renouveau.

 Le Brexit et la montée de la droite xénophobe

Tous les arguments en faveur du Brexit n’ont pas été inspirés par des sentiments nationalistes et xénophobes. Certains courants de gauche ont argumenté en faveur d’un repli de la démocratie à l’échelle nationale, afin de pouvoir développer au Royaume-Uni un modèle politique de gauche plus progressiste (voir par exemple http://www.tuaeu.co.uk/). Toutefois, les propos tenus en faveur du Brexit ont été, dans leur écrasante majorité, des discours anti-immigration, étayés par des sentiments racistes et xénophobes. On a pu entendre qu’il était temps de reprendre le contrôle de « nos frontières », pour endiguer le flot des migrants, qui prenaient notre travail et abusaient de notre « généreux » système d’aides sociales [4].

Comme le montrent les propos reproduits en introduction de cet article, le manque d’emploi au Royaume Uni est imputé aux migrants, alors qu’il devrait l’être au gouvernement, responsable d’avoir mené depuis des années une politique de désindustrialisation. Tandis que les mesures prises par le gouvernement, en accord avec les intérêts des grands groupes, n’ont cessé de faciliter le licenciement des travailleurs et, partant, le transfert de la production et du travail vers d’autres pays d’Europe et vers les pays de l’hémisphère sud, c’est l’UE que les votants ont tenu pour responsable de la désindustrialisation. Alors que le capital a exploité le travail des migrants, et l’a utilisé contre les travailleurs britanniques, c’est aux migrants que l’on reproche le manque d’emplois ou le fait que les emplois disponibles soient de piètre qualité, au lieu de s’en prendre aux employeurs. Quel que soit l’attrait qu’ait pu exercer le Brexit sur une partie de la gauche, la réalité aujourd’hui, c’est que nous devons nous rassembler pour faire face à l’offensive anti-immigration.

 Les principaux champs de bataille de la lutte qui s’annonce

La lutte contre les mesures racistes et anti-immigration doit figurer en tête des priorités, et il y a de bonnes raisons d’être optimistes sur ce plan. Sur le terrain, nombreux sont les Britanniques favorables à une aide aux migrants. Comme l’a montré le projet « Convoy to Calais » [5], les gens sont prêts à aider tout être humain en difficulté, quelle que soit sa nationalité, ou son origine ethnique [6], et le slogan « Bienvenue aux réfugiés » a le vent en poupe.

Parallèlement, il est grand temps de mettre fin à l’austérité. Nombreuses sont les personnes à avoir voté en faveur du Brexit en réponse à la précarisation de leur mode de vie : leurs inquiétudes doivent être prises en compte avec le plus grand sérieux. Le combat contre les discours racistes et anti-immigration doit être soutenu par des mesures visant à fournir aux gens des emplois corrects et des services publics dignes de ce nom.

La montée de la droite xénophobe ne concerne pas seulement le Royaume-Uni. C’est un phénomène que l’on observe partout en Europe. De manière évidente, la lutte contre le racisme et l’austérité doit prendre une dimension internationale, et s’étendre à toutes les forces de gauche en Europe. Il ne suffira pas de concentrer nos efforts au seul niveau britannique.

L’un de mes collègues comparait récemment la situation actuelle en Europe aux conflits des de la fin des années 1920 et des années 1930, époque qui vit le nationalisme prédominer en Europe, sur fond de crise économique généralisée. Quand on sait que ces années-là menèrent à la Seconde Guerre mondiale, on mesure à quel point l’enjeu de la lutte qui nous attend est grand.