La richesse des débats de la première rencontre entre chercheurs associés au réseau Econosphères ne permet pas une transcription à la fois complète et digeste de son contenu. Néanmoins, en guise d’introduction aux différents textes produits pour l’occasion, voici les principales lignes de force des discussions…
Poser le cadre du débat : le coût et la soutenabilité budgétaire du vieillissement
Le coût budgétaire du vieillissement (CBV) est un indicateur qui permet de mesurer l’évolution de la part des prestations sociales au sens large au sein du PIB. Il s’agit essentiellement des pensions, mais également, des soins de santé par exemple. Une part de ce coût n’est pas directement liée au vieillissement de la population. Néanmoins, cet indicateur montre, depuis 2001 [1], une tendance haussière du coût des prestations sociales dans le PIB, en ce compris les pensions.
Cette évolution pose mécaniquement une autre interrogation, celle de la soutenabilité budgétaire de la politique des retraites. Est-il possible de continuer à assumer cette politique économique sans réduire de manière drastique d’autres dépenses publiques comme l’enseignement ou le logement social par exemple ? Cette question montre, si besoin en était, que le financement du vieillissement n’est pas seulement une question économique, mais surtout, un choix politique qu’il faut prendre en connaissance de cause.
Un choix que la crise économique et le creusement du déficit public (près de 6% du PIB en ce mois de janvier 2010) rendent encore plus complexe. Pour Réginald Savage, s’il peut y avoir un débat sur la stratégie pour financer le vieillissement de la population belge (Voir la note introductive de Réginald Savage sur le sujet : http://www.econospheres.be/spip.php?article55), il ne peut y en avoir sur la nécessité de contenir le déficit public et de le ramener sous les 3% du PIB sous peine de revivre la spirale d’endettement des années 70 et son corollaire, une cure d’austérité budgétaire.
A côté de l’option orthodoxe du retour à l’équilibre des finances publiques dès 2015, une autre solution, plus douce, est également évoquée. Celle de tolérer un niveau acceptable de déficit (1 à 2%). Une deuxième option en trompe l’œil selon Réginald Savage car elle impliquerait tout d’abord un allongement de la durée des carrières. Les gens devront travailler plus longtemps pour des droits sociaux qui ne seront pas majorés. Ensuite, cette deuxième option est construite sur l’hypothèse que l’augmentation de l’offre de travail sera absorbée mécaniquement par le marché du travail… Derrière ce raisonnement économique fantaisiste se tient une volonté de déréguler et flexibiliser toujours plus le marché du travail.
Faut-il pour autant refuser de débattre du temps de travail ?
Gestion de la carrière et réduction collective du temps de travail
Selon Marie-Hélène Ska, secrétaire nationale de la CSC, le débat sur les pensions ne peut se faire dans le seul cadre économique et budgétaire. Il faut élargir l’approche et soulever la question de la gestion des carrières : « à l’heure actuelle, il est compliqué de trouver un emploi avant trente ans, on presse le citron jusqu’à 45 ans ». Résultat, à 55 ans, le travailleur veut en finir à n’importe quel prix". Des carrières courtes, mais soumises au diktat de la productivité.
Au contraire, il faudrait permettre des entrées et des sorties de la carrière. Permettre au travailleur de souffler.
Anne Tricot, conseillère de la FGTB Wallonne, partage en partie cet avis. Cependant, selon elle, si le vieillissement impose l’ouverture d’une réflexion plus large sur la gestion des carrières, pourquoi ne pas reposer la question d’une réduction collective du temps de travail (Voir la note de Anne Tricot sur le thème du financement du vieillissement : http://www.econospheres.be/spip.php?article56). Une solution plus équitable et moins coûteuse.
Un, deux, trois piliers…
En Belgique, le système de paiement des pensions repose sur trois piliers : la pension légale (I), les pensions complémentaires et autres assurances groupe gérées par l’entreprise (II) et, enfin, un système individualisé d’épargne pension ou d’assurance-vie.
Pour Nicolas Bardos, professeur émérite de l’UCL, les deuxième et troisième piliers sont deux systèmes de retraite totalement inégalitaires, car les assurances groupe ne concernent, en Belgique, que quelques secteurs d’activité comme celui de la construction et le troisième pilier ne bénéficie qu’à 10 à 12% des ménages. Les autres étant exclus de ce système d’épargne. Le débat économique devrait, selon lui, s’arrêter là !
Anne Tricot signalera également l’importance du coût des politiques incitatives en faveur de ces deux piliers. On peut s’en faire une idée à partir du coût de l’ensemble des déductions fiscales (assurance vie, prêt hypothécaire, épargne pension) qui est évalué à quelque 750 millions d’euros.
Marie-Hélène Ska défend également le premier pilier de pension légale et son aspect solidaire. Toutefois, au vu de l’évolution des carrières et dans un objectif de cohésion sociale, il faut qu’à la dimension solidaire (minima de pension) s’ajoute une dimension assurantielle pour éviter qu’une personne ayant travaillé toute sa vie se retrouve avec le même niveau de pension que quelqu’un ayant beaucoup de pauses dans sa carrière.
Rendre confiance en un système de répartition solidaire
Plus qu’un problème économique, le 1er pilier de pension souffre de la perte progressive de confiance des citoyens envers un système de répartition. Selon Marie-Hélène Ska, cela est dû à une mauvaise utilisation de cet outil et plus encore, à l’incapacité du monde politique belge de se projeter à moyen ou long terme. Patrick Feltesse, FTU-MOC, et Michel Godard, rédacteur en chef des Cahiers Marxistes, partagent cette analyse. Pour ce dernier, la crise actuelle est dans ce cadre une chance à saisir pour démontrer aux travailleurs et même à leurs représentants, les avantages du premier pilier de pension.
Le discours sur les pensions n’est, bien entendu, pas neutre politiquement.
Evitons le catastrophisme !
Nicolas Bardos rappellera ainsi que le discours catastrophe sur le vieillissement de la population date des années 70 et qu’il se trouvera à la base de la création des second et troisième piliers de pension. Selon Anne Tricot, en 2004, le coût du vieillissement à l’horizon 2030 était intenable sauf… en prenant en compte le coût de la réforme fiscale.
Marie-Hélène Ska abondera dans le même sens. Elle propose pour clarifier le débat d’ajouter une case « assurance pension » à la déclaration fiscale. Puis, d’ajouter au montant ainsi obtenu, les 6 milliards de diminutions de cotisations sociales consenties chaque année.
Et, enfin, de reparler de la soutenabilité du financement de la sécurité sociale et des pensions « dans des termes tout différents ».
Pour Felipe Van Kersbilck, secrétaire général de la CNE, il convient également de relativiser ce discours en posant la question du transfert de la valeur entre générations. En effet, épargner pendant toute sa carrière revient à prendre option sur une part des richesses futures qui, peut-être, n’existeront plus en suffisance au moment d’en jouir…
Et si on taxait le capital ?
Une augmentation de 6 à 8% du Coût Budgétaire du Vieillissement pourrait se financer en partie par une augmentation progressive des cotisations patronales. En effet, selon Réginald Savage, en observant l’évolution des dividendes distribués par les entreprises depuis 25 ans et celle du PIB sur la même période, on se trouve face à une augmentation de 3 à 4% des revenus du capital dans le PIB, cela équivaut à plus ou moins la moitié du Coût Budgétaire du Vieillissement.
Bien entendu, taxer le capital ne sera pas suffisant et ne se fera pas de soi. Il s’agit à court terme de construire un rapport de force politique et social qui permette de toucher à la part du capital dans le PIB et non à celle des salaires !