Bien que le gouvernement fédéral soit en affaires courantes, le débat relatif au financement des pensions continue à faire couler beaucoup d’encre et sera au centre des discussions dès la formation du prochain gouvernement, quelle que soit sa composition.
Un thème qui s’étend comme une lame de fond à l’ensemble de l’Europe, dans un contexte de trouble profond et à coups de menace de plans d’austérité, la Belgique n’échappant pas aux discours alarmistes des milieux soi-disant bien informés.
Discussions autour de l’âge de la pension ou de l’allongement de la carrière, pacte anti générations bis remettant en cause les acquis des travailleurs, autant de mesures envisagées pour garantir parait-il l’avenir de nos pensions.
En passant évidemment par la remise en cause du système actuel de pensions par répartition (dit 1er pilier), basé sur la solidarité, pour basculer vers des formules privées de pensions par capitalisation (2ème et 3ème piliers), reposant quant à elles sur l’individualisme et la magie des marchés financiers…
Dans la course à la réduction des déficits publics, largement accentués par le sauvetage des banques et du monde financier, le système légal de pensions par répartition est décrié de toutes parts, pointé du doigt notamment par le monde politique comme une source d’incertitude et de misère des travailleurs.
A moins que les enjeux ne se situent ailleurs et que les pensions légales ne représentant qu’une proie toute désignée dans un contexte libéral cherchant à détricoter la sécurité sociale pour mieux alimenter les circuits spéculatifs.
Il est en tous les cas utile de revenir sur quelques éléments de ce dossier afin d’examiner à qui profite réellement cette campagne de dénigrement du système solidaire de pensions par répartition, constater les conséquences des pensions par capitalisations sur les travailleurs et déterminer le système qui défende réellement les intérêts des travailleurs en matière de pensions.
Pensions publiques/pensions privées : les vases communiquant
Pensions par répartition
Le système public (légal) de pensions organisé en Belgique pour les travailleurs salariés est un système de pensions dit par répartition, encore appelé 1er pilier, basé sur un principe de solidarité entre générations visant à financer les pensions actuelles par les travailleurs d’aujourd’hui.
Les politiques publiques en faveur de ce type de pensions solidaires connaissent globalement en Europe depuis les années 2000 une tendance à la baisse, appelée semble-t-il à se généraliser partout en Europe dans les années à venir, comme l’illustre le tableau ci-dessous. A la base de la manœuvre un courant libéral extrêmement bien coordonné favorisant la privatisation des systèmes de sécurité sociale.
- Dépenses pour les retraites publiques pour les plus de 65 ans (en % du PIB par tête d’habitant)
- Source : chiffres OCDE in Les effets de la crise financière sur les fonds de retraites privées. Un danger systémique – Richard Detje
Pensions par capitalisation
Les pensions privées par capitalisation, plus connues sous les appellations de 2ème et 3ème piliers, fonctionnent sur le principe de la constitution par l’assuré d’un capital propre grâce à ses cotisations personnelles. C’est un peu comme un compte sur lequel le travailleur épargne en fonction de ses moyens et dont il pourra profiter à l’âge
de la retraite en fonction des montants qu’il aura réussi à épargner et des intérêts que lui auront rapporté cette épargne. Il n’y a donc pas de mécanisme de solidarité.
La tendance pour ce type de pensions est clairement orientée à la hausse partout en Europe :
- Evolution des Avoirs des pensions privées dans l’UE (fonds de pension et compagnies d’assurances)
- Source : OCDE
On assiste bel et bien à un véritable effet de vase communiquant des pensions publiques solidaires vers les pensions privées par capitalisation, qui tend à renforcer un capitalisme dirigé par les marchés financiers, imposant des taux de rendements en déconnection avec la croissance de l’économie réelle, à la base de la crise que nous connaissons.
Crise financière de 2008 : impact sur les fonds de pension
Lorsque les marchés financiers s’effondrent suite à la crise des subprimes, les fonds de pension sont largement impactés.
Dans son rapport intermédiaire pour la conférence nationale des pensions, le gouvernement fédéral ne nie pas que le système de pensions par capitalisation se soit bien cassé la figure suite à la crise.
On vous avait promis des belles pensions complémentaires, malheureusement elles se sont envolées en fumée et il va falloir repasser à la caisse...
Cette tendance est généralisée en Europe, comme le montre le graphique suivant :
En octobre 2008, le total des actifs des organismes de retraites privés dégringole à 90% du PIB de l’OCDE, contre 111% en janvier 2008, soit une perte de valeur de 21% en Europe occidentale.
La situation en Europe centrale est identique, avec des pertes de valeur de 22% en Bulgarie, de 19% en Lituanie ou de 18% en Hongrie.
Situation en Belgique :
En 2009, sur le plan intersectoriel, 107 Fonds de pensions sur les 250 Fonds actifs en Belgique sont déclarés en difficulté (déficit par rapport à leurs engagements à court et/ou long termes).
Le taux de couverture global des fonds de pensions belges perd près de 40% entre 2006 et 2008 [1].
La CBFA, organe de contrôle des fonds de pension, impose alors des plans de redressement pouvant restreindre les droits des affiliés.
Sur le plan sectoriel, la situation du Fonds de pension métal illustre bien les incertitudes et la précarité du système pour les travailleurs :
Exemple du Fonds de pension métal :
En décembre 2008, le taux de couverture du Fonds de pension sectoriel, créé 8 ans plus tôt, chute à 82%, soit un montant de 100 millions€ appartenant aux travailleurs qui s’envole en fumée (sur un portefeuille total de 400 millions€).
La CBFA tente dès lors d’imposer une remise en cause des droits des affiliés.
Alors que le fonds de pension devait en effet assurer un rendement garanti de 3,25% à l’ensemble des travailleurs affiliés au Fonds, la CBFA, afin d’assurer un taux de couverture suffisant, veut supprimer ce taux garanti pour les actifs sortant durant les 5 premières années et pour tous les affiliés dormants, c’est-à-dire les ouvriers qui ont travaillé plus de 12 mois dans le secteur Métal mais qui en sont aujourd’hui sortis.
Au 31 décembre 2008, on recensait 61.000 affiliés dormants qui perdraient donc leur droit en fonction des exigences de la CBFA. Le nombre de travailleurs sanctionnés appartenant à la première catégorie doit encore être évalué.
Le système par capitalisation nuit donc gravement aux intérêts des travailleurs. L’exemple du métal est frappant et se chiffre directement !
Plans de pensions privés d’entreprises : impact de la crise
Organisés au niveau sectoriel, les plans de pensions privés peuvent également l’être directement au niveau des entreprises. De nombreuses grandes entreprises se sont engouffrées depuis longtemps dans la brèche.
Mais quel a été l’impact de la crise sur les travailleurs de ces entreprises ?
Si on s’intéresse au cas des USA, on constate qu’en 2008, les 100 plus grands plans d’entreprises privés pour les retraites perdent 300 milliards de dollars par rapport à leur valeur initiale. Entre octobre 2007 et février 2009, cela représente une perte de valeurs de -35% [2] !
L’impact de cette sous-capitalisation pour les travailleurs de ces entreprises est terrible. En 2010, afin de réamorcer la pompe, les travailleurs des entreprises concernées devront doubler leurs contributions aux plans de retraite, soit 110 milliards de dollars à trouver dans la poche des travailleurs.
Diminution de salaires et coupes drastiques au niveau des emplois en perspectives…
A noter que pour sauver ces systèmes de pensions privées, l’administration américaine a mis en place un programme spécial, intitulé le programme TARP : 22 milliards de dollars consacrés au sauvetage de compagnies d’assurances privées afin de leur permettre de respecter leurs obligations en matière de retraite suite à la crise.
Après le sauvetage des banques en Europe, devrons-nous bientôt à notre tour, à l’instar des USA, sauver les fonds de pensions et les compagnies d’assurances privées pour financer nos pensions ?
Impact de la crise sur les plans de pensions privés d’entreprise en Europe : cas de l’Allemagne
Les plans de pensions privés US ne sont pas les seuls impactés par la crise. La logique s’étend à tout le système, y compris en Europe :
- • Allemagne : retraites d’entreprises sous capitalisées (obligations et actifs) (en milliards d’euros)
- Source : Les effets de la crise financière sur les fonds de retraites privées. Un danger systémique – Richard Detje
La crise financière a également un impact très lourd sur les plans de retraites d’entreprise en Allemagne ; si on observe le Plan de Volkswagen, on constate que suite à la crise, les actifs financiers du Fonds ne permettent plus de couvrir qu’environ 15% des engagements de pension envers les travailleurs.
L’impact pour les travailleurs allemands se traduira plus que probablement en mesures drastiques à leur égard : gel de l’index et des salaires afin de renflouer les plans de pensions d’entreprise.
Impact en Belgique ?
Comme nous l’avons vu à travers l’exemple du Fonds de pension Métal, les travailleurs belges sont directement impactés par la crise financière. Une analyse des plans de pension privés constitués dans certaines entreprises belges pourrait éventuellement conforter cette analyse.
Mais au-delà des conséquences directes, les travailleurs belges seront à n’en pas douter sanctionnés lors des prochaines négociations salariales en fonction de la loi de 1996 relative à la compétitivité ; cette loi qui impose la fixation de marges salariales en fonction de l’évolution des salaires en Allemagne, France et Hollande nous mènera vraisemblablement vers un blocage probable des salaires en Belgique compte tenu notamment des mesures de rigueur imposés aux travailleurs allemands suite à l’effondrement de leurs pensions privées.
Une double sanction imposée aux travailleurs par la capitalisation !
Pensions par capitalisation : une solution pour les travailleurs ?
La crise mondiale actuelle et l’effondrement des marchés financiers mettent clairement en lumière les aberrations d’un système qui alimente la spéculation capitaliste sur le dos des travailleurs.
Mais il n’a pourtant pas fallu attendre la crise actuelle pour voir les failles du système.
Rappelons que le système de pensions par répartition a été instauré en Belgique en 1968… après que les pensions par capitalisation se soient cassé la figure !
Les systèmes de pension par capitalisation fonctionnent comme nous l’avons dit précédemment sur le principe de la constitution par l’assuré d’un capital propre grâce à ses cotisations personnelles : la politique du chacun pour soi prévaut.
Gare à celui qui tombe malade, qui est victime d’un accident ou qui perd son emploi.
Et pour les rescapés, gare aux ravages des spéculateurs qui brulent leur épargne puis appellent la collectivité à la rescousse…
Mais au-delà des chiffres, illustrons encore la façon dont la capitalisation, dans ses principes mêmes, nuit aux travailleurs, et ce à travers 4 volets :
Profits contre salaires
Le système par capitalisation fait miroiter des taux d’intérêts supérieurs au taux de croissance de la richesse créée (PIB). Si on considère la rémunération du capital et la rémunération du travail comme deux composantes de la richesse créée, il est clair que l’accroissement proportionnellement plus élevé du capital entraîne un accroissement inférieur de la rémunération du travail.
En d’autres termes, le fait que les fonds de pension proposent des taux d’intérêts élevés (les fameux taux de return à 2 chiffres imposés par les fonds de pension) sous entend une pression sur les salaires.
Dans le bulletin d’information de septembre de la banque d’investissement et de financement française Natixis, il est clairement stipulé que « Si l’exigence de rentabilité du capital reste la même dans les pays de l’OCDE que celle qu’elle était avant la crise, le freinage durable de la croissance imposera aux entreprises de comprimer fortement les coûts salariaux » « La situation sociale (risque de) devenir très tendue aux Etats-Unis, en Europe et au japon » ;
La logique par capitalisation s’inscrit donc clairement à l’encontre des intérêts des travailleurs !
Création d’emplois contre diminution de frais généraux
Pour perdurer et fonctionner de manière optimale, le système légal par répartition, alimenté majoritairement par les cotisations sociales des travailleurs, sous-tend la création d’emplois et l’amélioration des salaires bruts.
La logique développée pour la promotion des systèmes par capitalisation vise quant à elle exclusivement la réduction des frais généraux des entreprises, passant par la diminution voire la suppression des cotisations sociales liées au financement du système par répartition.
Par ailleurs, la logique par capitalisation vise notamment à l’achat d’actions qui peut mener à des politiques de destruction d’emplois imposée dans une logique de réduction de coûts. Afin de voir augmenter le cours de l’action qui devra financer sa pension, un travailleur pourra donc être amené à demander indirectement le licenciement ou le gel des salaires d’autres travailleurs.
Le cas de la Grèce nous démontre par ailleurs que la logique s’étend également aux obligations d’Etat et aux titres de la dette publique, que l’on pensait jusque là plus surs. Pour rappel, la dette publique grecque est détenue à concurrence de 22% par des fonds mutualisés et 15% par des fonds de pension…
La logique par capitalisation s’inscrit donc à nouveau à l’encontre des intérêts des travailleurs !
Réponse au défi du vieillissement
Le système légal par répartition permettra de répondre à terme au défi du vieillissement si le choix politique est opéré de le financer suffisamment (cfr proposition chapitre IX.1).
Pas de place aux aléas du marché et à la folie spéculatrice. Simplement un choix politique permettant d’assurer le paiement et la maîtrise de pensions décentes pour l’ensemble des travailleurs afin de répondre au défi du vieillissement.
Le système par capitalisation, contrairement aux arguments avancés par ses défenseurs, est loin d’assurer une réponse au défi du vieillissement.
Ce système par capitalisation est en effet basé en partie sur l’offre et la demande d’actions qui assurent le financement des pensions. Une revente massive d’actions lors du départ simultané en pension de blocs de travailleurs entraine une augmentation de l’offre par rapport à la demande de ces actions, et donc une diminution de la valeur de ces actions. Le système se casse la figure !
Pension décente contre miroir aux alouettes
Le système légal par répartition peut permettre de fixer, si on le décide politiquement et si on en assure le financement, un montant minimal assurant une pension décente et suffisante pour les travailleurs.
Décider d’un refinancement du système légal par répartition et d’un déplafonnement des montants pour le calcul des pensions est un choix politique crédible et basé sur la solidarité !
Le système par capitalisation n’offre quant à lui que des promesses de pensions aléatoires. Comme nous l’avons dit, puisqu’il est basé en partie sur l’offre et la demande d’actions, une augmentation de l’offre liée à une augmentation du nombre de non actifs tend à réduire le montant promis de la pension. De plus, le système spéculatif lié à l’achat/vente des actions devient totalement précaire et désastreux dans le cas de crises financières, comme nous le constatons aujourd’hui.
L’exemple du Fonds de pension métal CP111 illustre bel et bien toute la précarité du système et les risques encourus par les travailleurs recourant à ces pensions par capitalisation.
Pensions par capitalisation : à qui profite le système ?
Les véritables enjeux du dossier sur les pensions pour les défenseurs de la capitalisation ne doivent vraisemblablement pas être recherchés dans la satisfaction du bien-être de millions de pensionnés à venir, mais bien dans la possibilité de capter des montants colossaux actuellement exclus des marchés financiers.
Pour rappel, le système de pensions par répartition est un système où les montants prélevés ne sont pas placés sur les marchés financiers mais transitent directement vers les pensionnés via l’ONSS.
Un manque à gagner terrible pour les compagnies d’assurance et les fonds de pension qui tentent à tout prix de s’accaparer ces parts de marché avoisinant les 14 milliards € en termes de budgets de sécurité sociale affectés aux pensions.
Les tentatives incessantes du monde libéral de privatiser la sécurité sociale par tous les moyens font partie intégrante de cette logique ; ce sont en effet cette fois pour l’ensemble des branches de la sécurité sociale pas moins de 66 milliards à vampiriser.
Le système solidaire de pensions par répartition : un choix politique pour garantir l’avenir de nos pensions
Rappelons que le système de pensions par répartition est basé sur un principe de solidarité entre générations visant à financer les pensions actuelles par les travailleurs d’aujourd’hui.
Actuellement, en moyenne, 4 actifs financent les allocations de 2 pensionnés. Dans une trentaine d’années, à conditions inchangées et selon les prévisions du Comité de vieillissement et autre Bureau du Plan, cette proportion devrait évoluer vers un rapport de 4 pour 3 : 4 actifs pour financer les allocations de 3 pensionnés.
C’est sur base de ce ratio que la classe politique, quasi unanimement mais largement influencée par le courant libéral, condamne aujourd’hui le système public de pensions par répartition pour privilégier des formules par capitalisation, aux conséquences pourtant ravageuses comme nous l’avons vu précédemment.
Et c’est donc à coup de scénario catastrophe et de stratégies axées sur la peur que les défenseurs de la capitalisation dénigrent la pension légale par répartition.
« Il n’y aura plus d’argent pour les pensions de demain » ; « Il faut relever l’âge de la pension, travailler plus » ; et faire confiance aux marchés…
Autant de clichés et de slogans dénués de sens si l’acteur public reprend les rennes en main plutôt que de se laisser dicter sa loi par les marchés financiers.
Parce que les pensions par répartition s’inscrivent clairement comme le seul placement sur pour l’avenir des travailleurs !
Contrairement aux systèmes par capitalisation, soumis comme nous l’avons vu aux incertitudes des marchés financiers et nuisant littéralement aux intérêts des travailleurs, le système actuel de pensions par répartition est le seul système capable de répondre aux défis du vieillissement et de défendre de manière solidaire les intérêts des travailleurs.
Mais la condition indispensable pour cela passe par un choix politique clair réaffirmant l’exclusivité du système public par répartition en matière de pensions.
Et ce choix passe inévitablement par l’adoption de mesures visant à renforcer le financement des pensions par répartition au sein de la sécurité sociale.
Renforcer le financement des pensions par répartition :
Quelle sont les pistes envisageables ?
Les systèmes de pension par capitalisation bénéficient d’avantages fiscaux ou parafiscaux considérables, qui les rendent évidemment fort attractifs auprès des employeurs, mais qui lèsent fortement la sécurité sociale et privent donc les pensions publiques par répartition d’autant de moyens.
Selon Peter Druyts, chercheur à l’université d’Anvers, (…) le manque à gagner pour la sécurité sociale en raison des avantages fiscaux octroyés au second pilier s’élevait en 2006 à 1,9 milliards d’euros, car ce ne sont pas moins de 5 milliards d’euros qui alimentent les pensions complémentaires et qui sont globalement bien moins imposés que du salaire normal [3].
Selon les estimations, les avantages globaux relatifs au 3ème pilier représentent à eux seuls 750 millions€.
Des montants colossaux qui peuvent venir renforcer le système de pensions par répartition.
Il convient donc de transférer les avantages fiscaux octroyés sur les pensions par capitalisation vers le financement des pensions par répartition (vases communiquant) ;
L’objectif n’est pas de supprimer les pensions par capitalisations 2ème et 3ème piliers mais bien de transférer les avantages fiscaux ou parafiscaux de ces systèmes vers le système de pensions par répartition.
Les montants actuellement cotisés restent propriété des travailleurs et la possibilité de continuer à alimenter ces fonds reste ouverte, mais sans incitant fiscal.
Notons à l’égard de cette proposition que le rapport intermédiaire du gouvernement fédéral concernant la conférence nationale des pensions cite que l’OCDE reconnaît lui-même « douter de l’opportunité de maintenir des incitants fiscaux, coûteux, en matière de pensions complémentaires » [4], soulignant l’effet d’aubaine de ces incitants.
Il convient encore de noter à ce titre que le Congrès de l’Interrégionale Wallonne de la FGTB s’est prononcé ce 12 mai en faveur de cette mesure : « la suppression des avantages fiscaux des 2ème et 3ème piliers par capitalisation doit être programmée, contribuant ainsi à un message politique et budgétaire en faveur de la norme de croissance du 1er pilier par répartition ».
La création d’une cotisation spéciale 1%/1%/1%
Sur base du rapport bisannuel de la CBFA sur les pensions complémentaires, il apparaît que le taux moyen de cotisation dans les fonds de pension sectoriels s’élevait à 1,14% en 2008.
Afin de renforcer le système de pensions par répartition, il serait envisageable de proposer une cotisation spéciale constituée d’un apport de 1% en provenance des travailleurs (transfert des cotisations affectées actuellement aux mécanismes sectoriels par capitalisation), 1% alimenté par les employeurs et 1% par l’Etat.
Cette cotisation rapporterait 2,7 milliards sur base actuelle.
Une taxation du capital (transactions financières) et une lutte accrue contre la fraude fiscale
L’Accord interprofessionnel 2009-2010 prévoyait la mise en place d’un financement alternatif touchant les revenus du capital et devant rapporter 185 millions € en 2010. Un premier pas vers une taxation enfin équitable du capital.
Gageons que ces engagements soient respectés et que d’autres étapes allant dans ce sens soient entamées à court terme.
Par ailleurs, le rapport du Dulbea sur la fraude fiscale en Belgique, commandé par la FGTB et paru en mai 2010, fait apparaître une perte en recettes fiscales d’un montant allant de 16 à 20 milliards € (pour une fraude estimée à 45 milliards€).
Une manne financière considérable qu’il convient de récupérer pour renforcer en partie le système de pension par répartition.
De manière plus générale mais afin de consolider la base de financement de la sécurité sociale alimentée par les cotisations sociales, il est par ailleurs indispensable de recréer les conditions nécessaires au développement des éléments suivants :
Le développement de politiques de création d’emplois passant par la réduction du temps de travail sans perte de salaire avec embauches compensatoires
L’encouragement systématique des négociations d’augmentations salariales brutes
Une cessation des politiques de réduction de cotisations sociales et de cadeaux fiscaux non liés à la création d’emplois
Renforcer les pensions par répartition : pour quels objectifs ?
Le refinancement des pensions par répartition sur base des pistes évoquées ci-avant permettra de s’attaquer aux faiblesses actuelles du système (qui s’expliquent par son sous-financement) et répondre aux défis du vieillissement.
Nous l’avons vu, des montants considérables actuellement immunisés peuvent, sur base d’un choix politique, venir renforcer le système de pensions par répartition.
Sans même intégrer la récupération de la fraude fiscale, estimée entre 16 à 20 milliards rappelons-le, ce sont près de 5.5 milliards€ qu’il est possible de récupérer selon les pistes proposées ci-avant.
Concrètement, quels sont les objectifs à atteindre ?
Relèvement des pensions
La pension moyenne dans le régime des salariés ne représente actuellement que 51% [5] du dernier salaire touché par le travailleur avant qu’il ne soit pensionné. Un montant insuffisant dans bon nombre de cas pour assurer une vie décente.
Les pensions moyennes dans le régime salarié se montent selon le rapport de la conférence nationale des pensions à 1.148 € pour un homme et 858€ pour une femme.
L’accroissement du ratio de remplacement de 60 à 75% pour l’ensemble des bénéficiaires [6] tel que le préconise la FGTB doit contribuer à accroître globalement cette allocation moyenne.
Au-delà de cet accroissement via l’augmentation du ratio de remplacement, l’objectif avoué serait d’atteindre un montant de 1.300 à 1.400€ minimum par pensionné, avec liaison au coût réel de la vie.
A titre d’exemple et sur base d’un calcul basé sur des données actuelles, soit une population de 1.600.000 de pensionnés du régime salariés, une augmentation forfaitaire de 300€ par pensionné représenterait un coût global de 4.8 milliards sur base annuelle.
A mettre en vis-à-vis de notre proposition de refinancement permettant de débloquer 5.5 milliards€.
Élargissement des critères pour le calcul de la pension
La pension actuelle est calculée en 45èmes, en fonction de la carrière professionnelle du travailleur. Pour avoir une pension complète, un travailleur doit avoir travaillé 45 ans. Avec toutes les discriminations envers ceux ou celles qui ont travaillé à temps partiels ou ont été empêchés, pour une raison ou une autre, de travailler durant plusieurs années.
Des assimilations existent, mais elles restent encore trop restrictives et doivent être élargies pour assurer une pension minimale incompressible assurant aux bénéficiaires une pension décente en liaison avec le coût réel de la vie.
L’objectif demeure une pension minimale pour tous de 1.300 à 1.400€.
Déplafonnement pour le prélèvement des cotisations
Les cotisations sociales permettant notamment de financer les pensions sont prélevées sur les rémunérations brutes des travailleurs, quels que soient leurs revenus. Mais la pension que touche le travailleur est actuellement plafonnée à un montant de rémunération de 46.895,18€ bruts ; les travailleurs qui dépassent ce plafond ne touchent donc pas une pension en lien direct avec les cotisations prélevées sur leurs rémunérations réelles.
Un système de solidarité qui permet de reverser dans le pot commun pour ceux qui touchent le moins. Mais un calcul qui pourrait probablement être amélioré pour mieux tenir compte de la réalité.
Il convient dans ce cadre d’examiner les possibilités de relèvement de ces plafonds afin d’éviter un décalage trop important entre les prélèvements effectués sur les rémunérations des travailleurs au cours de leur carrière et la pension à laquelle ils auront droit.
Conclusions
La crise actuelle démontre clairement la faillite des systèmes basés sur la capitalisation et les risques qu’ils font encourir aux travailleurs.
La dépendance vis-à-vis des marchés financiers et la spéculation qui s’organise sur le dos des travailleurs à partir de ces mécanismes de capitalisation sont totalement incompatibles avec la définition d’un socle social solidaire capable de garantir l’avenir de pensions justes et décentes pour l’ensemble des travailleurs.
Le système solidaire de pensions par répartition s’impose dès lors comme l’unique placement garanti pour l’avenir des pensions.
Les campagnes de dénigrement orchestrées à son encontre ne se justifient pas, mais s’expliquent par l’appétit de capitalistes désireux de s’accaparer des parts de marché jusqu’ici immunisées des marchés financiers.
Le débat sur les pensions est un véritable choix de société qui engagera les générations futures ; le choix de la solidarité contre l’égoïsme, de la justice sociale contre l’accentuation des différences.
L’avenir de nos pensions dépend d’un choix politique clair vis-à-vis du renforcement d’un système de pensions par répartition vers lequel tous les moyens publics doivent se concentrer.
Des possibilités financières existent pour y parvenir : la captation des avantages actuellement octroyés aux pensions par capitalisation et la mise en place de cotisations neutres pour les travailleurs en font partie.
Faire ce choix, c’est garantir des pensions plus élevées pour chaque travailleur, sans risques ni dépendance vis-à-vis des marchés financiers.
Faire ce choix c’est redonner à l’acteur public son véritable rôle de redistributeur des richesses.
Il n’y a pas de place pour les incertitudes des marchés financiers dans l’avenir de nos pensions. Nous devons nous opposer à ce que des logiques capitalistes d’exploitation des travailleurs ne viennent remettre en cause nos acquis et mettre en péril nos pensions.
Mettons les moyens pour en assurer le financement. Faisons pression sur le gouvernement pour que les intérêts des travailleurs priment sur les intérêts financiers.
Parce que les pensions par répartition représentent l’unique placement garanti pour nos pensions de demain !