La politique salariale du gouvernement Michel nage en eaux troubles. Si les déclarations et justifications relatives au saut d’index sont par contre, elles, fort limpides, il n’en est rien pour tout ce qui gravite autour. Tentatives d’éclaircissement…

Le moins que l’on puisse dire c’est que les déclarations et justifications relatives à la politique salariale du gouvernement Michel n’ont pas été constantes ni très limpides, à l’exception de celles relatives au saut d’index.

Pour le reste, l’Accord de gouvernement était pourtant clair : « Les pièges à l’inactivité et à la promotion doivent absolument être éliminés de l’impôt des personnes physiques, et le pouvoir d’achat doit être soutenu, entre autres en augmentant les frais professionnels forfaitaires. » (pp.81-82)

La polémique née suite à l’annonce d’un saut d’index en 2015 a fait que le gouvernement Michel a très vite présenté le relèvement des frais professionnels forfaitaires plutôt comme une compensation du saut d’index. C’est ainsi que dans sa déclaration à l’occasion de la rentrée parlementaire (14 octobre 2014) le Premier Ministre dit ceci : « Par ailleurs, dès 2015 nous augmenterons les frais forfaitaires déductibles pour soutenir le pouvoir d’achat des actifs à concurrence de 250 euros en moyenne par an et par contribuable. »

Dans la foulée une nouvelle polémique naît sur la programmation de cette mesure. Tout de suite ou étalement sur 2 ans ? Les passes d’armes entre l’opposition d’une part et le Premier Ministre et le Ministre des finances d’autre part confirment que ces 250 € seront octroyés en deux phases, la moitié en 2015 et l’autre moitié en 2016. Le Ministre des finances Johan Van Overtveldt le présente ainsi à la RTBF : « L’année 2015 est une année de transition, où on ne fait que la moitié, parce que la réduction du déficit budgétaire est aussi un objectif très, très important pour ce gouvernement. Donc on ne pouvait pas immédiatement faire ce qu’on voudrait faire en termes de réduction des taxes. » D’où une baisse plafonnée alors à seulement 125 euros en moyenne en 2015, soit environ 10 euros par mois.

Une présentation (officielle) des principales mesures de la loi-programme dit ceci sur les frais professionnels forfaitaires [1] :
« Les charges sur le travail sont trop élevées en Belgique.

On a veillé à une augmentation des frais professionnels forfaitaires.

L’adaptation des barèmes des frais professionnels forfaitaires sera immédiatement répercutée dans le précompte professionnel.

Le montant du forfait des frais professionnels déductibles sera augmenté en 2015 et en 2016 de sorte qu’à partir de 2016, en moyenne, les contribuables voient leur salaire net augmenté de 276 euros par an.

Les salariés auront automatiquement droit au forfait légal pour leurs frais (entre autres de déplacements) effectués dans le cadre de leurs activités professionnelles. Le forfait, aussi appelé le « forfait légal », couvre tous les frais professionnels, donc également ceux pour l’usage professionnel de la voiture. Mais aussi notamment l’abonnement de transports en commun pour les déplacements vers le lieu de travail, l’aménagement d’espace dans l’habitation qu’ils utilisent pour leurs professions, ou l’achat de matériel et de littérature qu’ils financent eux-mêmes.

En 2016, sur un salaire moyen de 3.100€ bruts (1.900€ nets), l’augmentation des frais forfaitaires va générer un gain d’environ 338€ au lieu d’environ 400€ en cas d’application du mécanisme d’indexation. Les salaires actuels restent acquis, ne sont pas diminués mais vont augmenter, en 2016, de 28€ nets par mois.

Le coût total pour l’État fédéral est de 900 millions en 2016 (450 millions dès 2015). »

On le voit, revient très clairement la justification d’une mesure compensatoire au saut d’index.

Quelques jours plus tard, rebondissement encore, le gouvernement lui-même introduit un amendement (04.12.2014) à son texte initial (28.11.2014) pour les paramètres du calcul des frais professionnels forfaitaires. (Voir tableau en fin de note)

Enfin, début février, nouvelle surprise du chef : le gouvernement Michel annonce vouloir consacrer 127 millions aux bas salaires. Cette enveloppe de 127 millions était initialement destinée à augmenter de 1% les minima sociaux pour compenser (en partie) le saut d’index. Mais,

  • cette enveloppe s’est révélée insuffisante pour augmenter de 1% tous les minima sociaux

  • de toute manière l’indexation n’aurait pas (eu) lieu en 2015 rendant inutile une compensation pour le saut d’index

  • enfin, a estimé le gouvernement, la liaison au bien-être de certaines allocations sociales et du revenu d’intégration, décidée par le Groupe des 10, allait augmenter les situations de piège à l’emploi en réduisant l’écart entre les salaires nets et les allocations sociales.

Dans ce contexte, cette note a un double objectif :

  • estimer quel pourrait être l’impact sur les salaires nets de l’utilisation des 127 millions

  • calculer l’effet du relèvement des frais professionnels forfaitaires et de la mobilisation de l’enveloppe de 127 millions par niveau de salaire ; il est à cet égard affligeant de constater que les travailleurs à temps partiel sont très largement ignorés dans les débats et dans les exemples chiffrés donnés par les uns et les autres.

Pour rencontrer ce double objectif j’ai

  • fixé ainsi (voir tableau ci-après) les niveaux de salaires bruts étudiés (en pourcentage du salaire minimum) ; les pourcentages inférieurs à 100% sont des temps partiels ;

  • calculé l’impact sur le salaire mensuel net – via l’adaptation du barème du précompte professionnel – du relèvement des frais professionnels forfaitaires

  • considéré deux situations contrastées, à savoir d’une part un(e) contribuable seul(e) avec 2 enfants à charge et d’autre part un(e) contribuable marié(e), sans enfant à charge, l’autre membre du ménage ayant des revenus suffisants pour ne pas être à charge ;

  • supposé que l’enveloppe des 127 millions serait consacrée à augmenter à due concurrence la Réduction du précompte professionnel sur les rémunérations des travailleurs à bas revenus qui ont droit au bonus à l’emploi ; cette réduction est en fait un crédit d’impôt c’est-à-dire qu’il est « remboursé » au contribuable.

Notes méthodologiques :

  • Les travailleurs à bas revenus ont droit à une réduction des cotisations sociales personnelles qui s’appelle bonus à l’emploi. Le crédit d’impôt représente un pourcentage de ce bonus ; ce pourcentage est actuellement de 14,40%. (voir l’Annexe libre pour le détail des calculs) J’ai supposé pour les calculs que les 127 millions supplémentaires permettaient de faire passer le crédit d’impôt de 14,40% à 19,95% du bonus emploi.

  • L’évolution du barème du précompte immobilier entre 2014 et 2015 intègre en fait deux mesures : 1° le relèvement des frais professionnels forfaitaires et 2° une augmentation de 22 cents de la Réduction du précompte professionnel sur les rémunérations des travailleurs à bas ou moyens revenus qui ont droit à la quotité du revenu exemptée d’impôt majorée. J’ai considéré que cette seconde modification était suffisamment marginale pour intégrer les deux effets dans les calculs.

Les résultats de ces calculs sont donnés dans les deux tableaux suivants (voir haut de la page suivante).

Notes méthodologiques :

  • Voici comment lire ces résultats. Prenons à titre d’exemple un(e) contribuable seul(e) avec 2 enfants à charge gagnant le salaire minimum garanti de 1.559,38 € bruts par mois. En décembre 2014 son salaire net était de 1.428,81 € par mois. Le nouveau barème du précompte professionnel à partir du 1er janvier 2015 lui permet de gagner 11,25 € nets en plus par mois, soit une augmentation de 0,79% du salaire net. Si le gouvernement mettait en œuvre une augmentation du crédit d’impôt pour bas revenus à concurrence d’une enveloppe de 127 millions par an, l’augmentation du net, toujours par rapport à décembre 2014, serait de 20,79 €, soit 1,45% d’augmentation du salaire net. L’augmentation de 20,79 €/mois est l’apport cumulé du relèvement des frais professionnels forfaitaires et de l’augmentation du crédit d’impôt pour bas revenus.

  • La date d’entrée en vigueur et les modalités d’une (éventuelle) augmentation du crédit d’impôt pour bas salaires ne sont pas connues à ce jour. Les résultats présentés ici dépendent des hypothèses retenues, dont celle qui suppose que les 127 millions sont le coût en année pleine d’une telle mesure.

  • L’impact sur les bas salaires n’est pas immédiat ; il se fait alors sentir lors de l’enrôlement.

Impacts sur les salaires nets du relèvement des frais professionnels forfaitaires et d’une (éventuelle) augmentation du crédit d’impôt pour bas salaires

Cinq commentaires :

1. En 2015, le relèvement des frais professionnels forfaitaires n’a pas d’impact ou n’a qu’un impact (très) faible pour les personnes travaillant à temps réduit au salaire minimum garanti, à l’exception d’un(e) contribuable marié(e) travaillant au moins à 4/5 temps. Or ce sont des catégories de travailleurs soumis à un grand risque de perdre de l’argent en acceptant un travail.

2. L’impact sur le salaire net, pour ces mêmes travailleurs, est plus marqué en cas d’augmentation – complémentaire – du crédit d’impôt pour bas revenus, mais il faut pour beaucoup de ces travailleurs attendre l’enrôlement pour profiter de ce crédit ! Aucun impact donc à attendre, dans ce cas, en matière de piège à l’emploi.

3. En tout état de cause aucun impact à attendre non plus pour les travailleurs seuls avec enfant(s) à charge qui complètent leur revenu salarial par un revenu d’intégration partiel ; toute augmentation du salaire entraîne une diminution de ce revenu d’intégration à due concurrence.

4. Globalement les impacts de ces deux mesures sur le salaire nets sont dégressifs (= ils baissent en pourcentage au fur et mesure qu’augmente le salaire brut) au-delà du salaire minimum (pour un temps plein), ce qui en fait une mesure plutôt redistributive.

5. S’il y avait eu une indexation des salaires en 2015, il est clair que les impacts additionnés de ces deux mesures n’auraient pas, sur le long terme, entièrement compensé le saut d’index. En outre, le relèvement des frais professionnels n’a pas été initialement présenté comme une mesure compensatoire au saut d’index et l’augmentation du crédit d’impôt pour les bas revenus est – semble-t-il – présentée comme une mesure de « rééquilibrage » par rapport à la liaison au bien-être de certaines allocations sociales. Quel fouillis dans les motivations et explications !

... et une recommandation : Il est urgent de proposer une politique des revenus (salaires et allocations sociales) cohérente, tenant compte, notamment, des travailleurs de plus en plus nombreux qui travaillent à temps partiel pour de faibles salaires et d’une approche actualisée et concrète des pièges à l’emploi. On en est loin, ce gouvernement naviguant à vue avec des justifications essentiellement idéologiques, ne découlant pas d’une connaissance approfondie du réel.

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