L’arrogance de certaines entreprises transnationales ne connaît pas de limites. Le dernier exemple nous parvient de la République démocratique du Congo (RDC). L’entreprise transnationale américaine Freeport McMoran vend ’sa mine’ située à proximité des villages de Tenke et Fungurume à une entreprise chinoise, sans même en informer le gouvernement de Kinshasa. China Molybdenum, le repreneur, a pour sa part eu la courtoisie de rencontrer les responsables congolais.


Ce marchandage concerne la mine à ciel ouvert de Tenke-Fungurume, la plus riche du bassin minier du Katanga dans le Sud-Est du Congo. Freeport McMoran en est l’opérateur. C’est donc cette transnationale américaine qui creuse, pour le compte d’un consortium tripartite, Tenke Fungurume Mining (TFM). Freeport possède 56 % de TFM, l’Etat congolais à peine 20 %(à travers l’entreprise étatique Gécamines) et 24 % pour Lundin (Canada), une autre entreprise étrangère privée.
Freeport va donc se retirer et vendre sa part pour 2,65 milliards de dollars. L’entreprise a rendu la nouvelle publique le 9 mai [1]. Elle dit qu’elle a trouvé un accord définitif avec China Molybdenum (CMOC). Toujours selon Freeport, la ’transaction’ s’effectuera avant la fin de l’année, à condition que les actionnaires de CMOC et que les instances de régulation approuvent le projet. Lundin pourrait encore exercer un droit d’achat pendant 90 jours. Mais Freeport ne semble pas craindre son partenaire privé.

 Comme si l’Etat n’existait pas

Et le partenaire public ? Freeport ne dit nulle part qu’il a consulté l’Etat congolais. L’Etat est pourtant le propriétaire du sous-sol congolais et a donné le site de Tenke-Fungurume en concession à TFM. De plus, Freeport McMoran est tenue de respecter une convention signée en 2005 avec le Congo [2]. Cette Convention stipule dans l’article 37 (Cession et Substitution) que ’TFM ne pourra céder tout ou partie des droits et obligations résultant de la présente Convention sans autorisation préalable de l’Etat’ [3]. Des propos, on ne peut plus clairs !

Freeport s’en fiche et se comporte au Congo comme en territoire occupé. Cette entreprise transnationale est l’héritière de la réserve de cuivre et de cobalt extrêmement riche de Tenke et Fungurume. Dans les années 1970, un projet américano-japonais pour développer ces gisements n’avait pas abouti. Depuis ce moment, comme nous l’avons démontré ailleurs [4], les autorités américaines via leur ambassade à Kinshasa ont soigneusement contrôlé les gisements miniers afin de les « réserver » à un exploitant américain. Celui-ci est apparu en 1996. A l’époque, il s’agissait de l’entreprise Phelps-Dodge. Elle a été absorbée par Freeport McMoran en 2007, avec ses activités, dont le droit d’exploiter une mine à Tenke et Fungurume.

Freeport a développé la mine à ciel ouvert, et y a construit une usine pour transformer les minerais de cuivre en cathodes. Les premières années TFM jouissait d’exemptions fiscales. Et depuis 2009, d’énormes quantités de cuivre et de cobalt ont été produites et exportées. En 2015,la mine de Tenke et Fungurume a produit 204.000 tonnes de cuivre [5], ce qui a généré 1,4 milliard de dollars de revenus pour le consortium [6]. Les revenus que Freeport a tirés de l’exploitation du gisement congolais sont inchiffrables. Freeport a en effet créé des filiales off-shore pour contourner le système fiscal congolais. TF Holdings par exemple est la filiale via laquelle Freeport participe au consortium TFM. Le siège social de cette filiale est installé aux Bermudes, un ’paradis fiscal’. Ce montage permet aux bénéfices réalisés à partir des richesses congolaises d’échapper à l’impôt national.

 La lutte pour le contrôle des ressources naturelles

Freeport McMoran est un des plus grands producteurs d’or et de cuivre. Mais pendant le boom minier des années 2000, quand les prix des matières premières étaient hauts, l’entreprise s’est lancée dans la production de pétrole et de gaz. Ce faisant, elle a accumulé un endettement important. Freeport dit maintenant vendre sa part dans TFM pour réduire sa dette. L’entreprise ne dit rien par contre des dividendes qui continuent à être versés chaque trimestre aux actionnaires de l’entreprise !

Freeport semble donc se replier sur son métier traditionnel, l’extraction minière, entre autres en Indonésie où il exploite la mine de Grasberg, sur l’île papoue. Grasberg serait la plus grande réserve d’or connue dans le monde et la deuxième de cuivre [7]. Freeport se bat actuellement pour ne pas la perdre. La licence pour Grasberg prendra fin en 2021. Pour Freeport, il est un fait accompli que le contrat avec le gouvernement indonésien sera prolongé de deux décennies.

Mais au sein du gouvernement les avis sont mitigés. Certains voudraient que l’État soit plus ferme vis-à-vis des entreprises transnationales. Il y a deux ans, l’Indonésie a imposé l’obligation de créer des industries liées à l’extraction de matières premières, pour réduire les exportations de minerais bruts et favoriser le développement industriel national. Freeport s’en est partiellement soustrait en concluant un accord spécifique avec le gouvernement. Aujourd’hui, le gouvernement et la transnationale ne s’entendent pas sur la part du secteur public dans Grasberg. L’État n’en possède même pas 10 pour cent. La réputation de Freeport joue en sa défaveur. Elle est mauvaise en Indonésie, entre autres à cause d’incidents environnementaux causés par l’entreprise américaine.

Il peut arriver que le secteur public et le secteur privé se disputent les biens communs dont les ressources naturelles font partie. Les autorités publiques sont supposées veiller sur les richesses naturelles. Ce sont elles qui devraient décider de l’utilisation des ressources naturelles. Mais les gouvernements qui mettent ces principes en pratique, et qui osent toucher aux intérêts privés, sont le plus souvent qualifiés de nationalistes. A contrario, les gouvernements qui laissent faire sont applaudis par les transnationales et leurs théoriciens.

Le cas du Chili, le premier pays parmi les producteurs de cuivre, est révélateur. Ce pays a inventé le concept de la ’pleine concession’ en 1981, en pleine dictature militaire. ’La pleine concession’ est toujours en vigueur. Ce concept signifie que l’État transfère des pans entiers du territoire à des entreprises privées qui en font ce qu’elles veulent : elles peuvent les exploiter, les vendre, les hypothéquer. Ce transfert a en théorie une durée déterminée. Mais il peut devenir définitif parce que le détenteur d’une pleine concession peut même la laisser à ses héritiers. Ils peuvent ensuite réclamer des compensations si l’État reprend la concession avant qu’elle ne touche à sa fin.

Ce régime ultra-libéral a appauvri le Chili et enrichi certaines entreprises transnationales. Le cas d’ Exxon [8] est symptomatique. Cette entreprise américaine a acheté une mine de cuivre au Chili pour 80 millions de dollars en 1978, mais l’a revendue en 2002 pour 1,3 milliard de dollars, soit seize fois le prix d’achat, sans que le Chili n’en tire aucun revenu [9].

 La législation congolaise bafouée

Freeport McMoran est présent au Chili (où il exploite la mine de cuivre de El Abra) et connaît le concept de la pleine concession. Il l’applique maintenant en toute liberté en RDC sans qu’il ne soit inscrit dans la législation congolaise. Cela a évidemment irrité les autorités et partenaires congolais. Dans un communiqué du 10 mai 2016, l’entreprise étatique Gécamines écrit avoir ’appris par les médias la cession par Freeport-McMoran de la totalité de sa participation dans TF Holdings, opérant ainsi unilatéralement son retrait du projet Tenke Fungurume Mining (TFM), ainsi que le transfert de la majorité et du contrôle de TFM à une entité tierce. La Gécamines décide de faire examiner les termes annoncés de l’opération et fera valoir ses droits [10].

Des fonctionnaires de la Primature congolaise et du ministère des Mines, contactés par l’agence de presse Reuters, disent également qu’ils n’ont pas été prévenus par Freeport au sujet de la vente [11]. Le ministre des Mines, Martin Kabwelulu déclare pour sa part que “Freeport a vendu une propriété congolaise de grande valeur à l’étranger [12].

La déclaration du ministre Kabwelulu est publiée par l’agence américaine Bloomberg quatre jours après le communiqué initial de Freeport McMoran. Dans sa première dépêche sur l’affaire, Bloomberg ne mentionne tout simplement pas les autorités congolaises, comme si elles n’existaient pas [13]. La même approche est adoptée par James Wilson, journaliste au Financial Times [14]. Il ne questionne pas la démarche de Freeport, il préfère déconstruire le dossier-Grasberg.

Cette candeur de la presse internationale est sans doute aussi dérangeante que l’arrogance de Freeport McMoran.

Le repreneur de Tenke et Fungurume, China Molybdenum a envoyé des représentants à Kinshasa pour rencontrer les autorités congolaises. CMOC les aurait rassurés sur le maintien de l’emploi et sa viabilité financière [15].

 


Pour citer cet article :

Raf Custers, « Les minerais congolais n’appartiennent ni aux Américains ni aux Chinois », Gresea, juin 2016, texte disponible à l’adresse : http://www.gresea.be/spip.php?article1513


Notes

[1Freeport-McMoRan Announces Agreements to Sell its Interests in TF Holdings Limited for $2.65 Billion in Cash and Up to $120 Million in Contingent Consideration ; and to Enter Exclusive Negotiations for the Sale of its Interests in Freeport Cobalt and Kisanfu Exploration Project for $150 Million. Press release, Freeport McMoran, Phoenix, le 9 mai 2016.

[2Convention d’actionnaires amendée et reformulée, entre La Générale des Carrières et des Mines, Lundin Holdings Ltd. et Tenke Fungurume Mining sarl, 28 septembre 2005.

[3Voir aussi : Mukuli, Georges, SARW s’inquiète sur le manque de transparence dans la vente des actions de Freeport (TFM) à la société Chinoise China Molybdenum, Southern Africa Resource Watch, 13 mai 2016.

[4Voir le chapitre ’Des contrats corrects’, dans : Custers, Raf, Chasseurs de matières premières, Ed. Gresea/Investig’Action/Couleurs livres, Bruxelles, 2013, p.141-166.
’467 million pounds of copper and 35 million pounds of cobalt’ selon le communique de Freeport McMoran du 9 mai 2016.

[5’467 million pounds of copper and 35 million pounds of cobalt’ selon le communique de Freeport McMoran du 9 mai 2016.

[6Wilson, James, Freeport sells key copper mine for $2.7bn to China Molybdenum, Financial Times, 9 mai 2016

[7Holmes, Frank, The world’s top 10 gold producing mines, US Global Investors, publié le 2 juin 2016 par Mineweb.com

[8Vous trouverez d’autres informations sur Exxon sur notre site Mirador à l’adresse : http://www.mirador-multinationales.be/secteurs/energie/article/exxon

[9Pour une reconstruction de ce scandale, voir : Custers, Raf, De uitverkoop van Zuid-Amerika, (à paraître en juin 2016 aux Editions EPO), p.126.

[10Congo State miner says not informed of Freeport’s copper mine sale, Reuters, 10 mai 2016.

[11Congo State miner says not informed of Freeport’s copper mine sale, Reuters, 10 mai 2016.

[12Wilson, Thomas M., Congo Government Will Investigate, Tax Freeport Mine Sale, Bloomberg, 13 mai 2016.

[13Biesheuvel, Thomas et Bochove, Danielle, Freeport Selling DRC Mine to China Moly for $2.65 Billion, Bloomberg, 9 mai 2016.

[14Wilson, James, Group considers sale of African mine to CMOC, Financial Times, 10 mai 2016, p.15.

[15China Molybdenum works to reassure the government, Africa Mining Intelligence, n° 369, 31 mai 2016.