Cette analyse tente de faire le point sur l’état de notre sécurité sociale à travers ses forces et ses faiblesses. Elle montre qu’elle a de solides atouts parmi lesquels ses acteurs, car ils ont suffisamment de poids et de capacité à s’entendre. Ainsi ont-ils pu développer un système qui a élargi la population couverte, arrive à limiter fortement les inégalités et dont la crise actuelle a montré son rôle stabilisateur. Pour autant, la protection qu’offre la sécurité sociale s’est érodée et se situe généralement en dessous de celle des pays voisins.

Ceci, tout comme le relativement faible taux d’emploi, témoigne aussi des failles et des progrès qui restent à mener dans d’autres politiques dont dépend l’efficacité de la sécurité sociale, comme la fiscalité, le développement économique et les politiques d’emploi.

 Introduction

S’interroger sur les forces et faiblesses de la sécurité sociale peut nous amener à mettre en évidence des indicateurs sociaux construits par des institutions publiques nationales ou européennes, à les comparer avec des résultats de politiques menées dans d’autres pays, à les interpréter et à en faire la critique. De plus en plus, la littérature sur la sécurité sociale a recours aux politiques comparées afin d’examiner ce qui est commun entre toutes les expériences mais aussi ce qui est spécifique. L’enjeu est de pouvoir identifier les raisons pour lesquelles tel ou tel pays peut se prévaloir de démontrer l’efficacité d’une politique ou au contraire d’indiquer que le chemin pris a conduit à une impasse avec la difficulté d’imputer une responsabilité de succès ou d’échec à une politique particulière. Mais on pourrait aussi s’interroger sur les forces et faiblesses de la sécurité sociale en ne se limitant pas à braquer les projecteurs sur les résultats mais aussi sur les ressources du système.

Celles-ci sont importantes et sont liées à son histoire, à ses acteurs, à ses valeurs et à sa légitimité

 Indicateurs socio-historiques et politiques de la force de la sécurité sociale

Une fonction de régulation

On pourrait adopter une approche fonctionnelle en disant que si la sécurité sociale a traversé deux siècles, c’est qu’elle a rempli une fonction importante dans le développement de la société . François Ewald a bien montré que la sécurité sociale a été créée pour répondre à l’impasse d’une rationalité juridique et politique basée sur la responsabilité individuelle alors qu’on avait affaire à des aléas de l’existence liés étroitement à l’industrialisation de la société. Avec les lois sur les accidents de travail, une philosophie du risque a vu le jour et des assurances sociales fondées sur la solidarité ont été instituées.

Ainsi, la sécurité sociale a été une réponse structurelle à la question sociale générée par l’industrialisation. A partir des années 50 et jusque dans les années 1980, la sécurité sociale a rempli une autre fonction lorsqu’elle a constitué une dimension essentielle des politiques macro-économiques keynésiennes. La sécurité sociale devint au fur et à mesure de son développement un grand vivier d’emplois qualifiés non seulement dans le secteur de l’administration de l’assurance mais aussi dans le secteur de la santé. En outre elle opère une importante redistribution des revenus en protégeant les revenus modestes ce qui soutient la demande intérieure de biens de consommation et nourrit le circuit économique.

Aujourd’hui, même, on a pu redécouvrir qu’elle a pu jouer un rôle économique et social important dans la présente crise du capitalisme comme « stabilisateur automatique », atténuant l’impact de la crise sur l’emploi et la demande intérieure qui alimente l’activité économique . Récemment, l’OIT notait à ce propos lors du sommet du G20 à Pittsburgh que « les effets sur l’emploi des régimes de sécurité sociale grâce à la stabilisation de la demande étaient probablement tout aussi importants que les effets des plans de relance qui ont fait l’objet de tellement de débats. Une des forces de la sécurité sociale est donc d’avoir joué un rôle de régulation important dans des époques différentes, démontrant une grande capacité d’adaptation à des contextes différents. »

La force, ce sont les acteurs

Pour autant, l’expression de « stabilisateur automatique » est inappropriée si elle conduit à mettre les acteurs au second plan. Les stabilisateurs ne sont pas si automatiques que cela ils sont le produit d’actions et de décisions collectives. Les acteurs constituent d’ailleurs une des forces de notre sécurité sociale. Tout d’abord, ce sont eux et particulièrement le mouvement ouvrier qui ont été à la base des réformes qui ont construit progressivement une protection sociale contre les risques sociaux et une redistribution des revenus. Pour mener à bien le développement des assurances sociales, le mouvement ouvrier s’est allié non seulement à des partis politiques proches mais aussi à d’autres groupes sociaux comme les classes moyennes et le monde agricole. Avec le patronat le plus ouvert, il a construit parallèlement un système de relations collectives et, dans les États sociaux bismarckien, il a pu faire de la concertation sociale le mode de gouvernement de la sécurité sociale. Esping Anderson montre bien que c’est par les alliances de classes que la sécurité sociale a pu se développer, notamment entre le mouvement ouvrier et le monde paysan dans les pays scandinaves.

En Belgique, la sécurité sociale fut aussi construite par des compromis négociés et des accords conclus entre le mouvement ouvrier et d’autres acteurs comme le patronat réformiste, les partis politiques essentiellement socialistes et sociaux-chrétiens, des hauts fonctionnaires dont le rôle important est insuffisamment connu et le syndicalisme médical à partir des années 60.

Grâce à ce rapport de force, à ces alliances, et à ces capacités de conclure des accords, le mouvement ouvrier a obtenu une « démarchandisation » de la sécurité d’existence c’est-à-dire une sécurité d’existence garantie même en cas de non-participation au marché du travail du fait du chômage, de l’invalidité ou de l’âge par exemple.

Les valeurs jouent un rôle important

Si les systèmes de sécurité sociale ont pu se développer en Europe, c’est aussi parce que les valeurs qui les sous-tendent sont fortement ancrées dans les idéaux démocratiques qui figurent dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Ses valeurs donnent une assise légitime à la sécurité sociale. En premier lieu, la valeur de solidarité dont on distingue classiquement la dimension horizontale entre ceux qui subissent les aléas de la vie à un moment donné et les autres, et la dimension verticale, c’est-à-dire la solidarité entre niveaux de revenus donne un sens à la responsabilité collective.

Affirmer l’importance des valeurs ne signifie pas occulter les tensions qui se manifestent dans la façon dont elles sont mises à l’épreuve des changements économiques, sociaux et culturels contemporains. Par exemple entre la justice distributive (à chacun selon ses besoins indépendamment de ses contributions) et la justice commutative (si chacun contribue selon ses moyens, chacun perçoit aussi en fonction de ses contributions), ou autrement dit, entre la notion de solidarité et celle d’assurance.

La dignité est aussi inscrite dans la sécurité sociale. Elle postule que l’homme n’est pas une marchandise comme avait affirmé l’OIT après la guerre 40-45 dans la déclaration de Philadelphie. C’est au nom de la dignité que la sécurité d’existence a été démarchandisée. Mais cette valeur est aussi discutée par ceux qui affirment que c’est au nom de la dignité qu’il faut affirmer le droit à l’intégration et à la pleine participation aux activités productives.

L’égalité est aussi une des plus importantes valeurs de la sécurité sociale et elle aussi est sous tension entre ses différentes conceptions allant de l’égalité des chances à l’égalité des situations en passant par l’égalité des capacités ou des « capabilités » qui invitent à situer l’exigence d‘égalité sur des parcours de vie.

La forte légitimité de la sécurité sociale

La confiance d’une population vis-à-vis du système de solidarité qui la concerne assoit sa légitimité et représente elle aussi une force dès lors qu’elle permet de garantir les ressources du système, de stabiliser celui-ci dans un « chemin de dépendance » qui le met à l’abri de velléités de le renverser comme cela a été tenté lors des offensives néolibérales des années 80-90 dans la plupart des pays de l’OCDE.

Les derniers « Indicateurs de protection sociale en Belgique » publiés en décembre 2009 , montrent que 86% des personnes avaient en 2006 une perception positive de la sécurité sociale contre 75% pour la moyenne de l’UE. Cette légitimité contribue à ce que les ressources ou recettes de la sécurité sociale par rapport au PIB, sont en Belgique légèrement au-delà de la moyenne des 27 pays européens.

En résumé, la sécurité sociale a assuré et assure une fonction de régulation importante qui en constitue une force. Cette fonction est le résultat de rapports de forces entre des acteurs, rapports de force qui se sont inscrits dans un processus historique de construction et d’approfondissement de la démocratie sociale et économique. Le tout étant soutenu par une solide légitimité. D’autres atouts sont à souligner comme une plus grande sécurité des systèmes de répartition face au vieillissement, le peu de frais de gestion et l’importance des économies externes. Nous ne faisons que les évoquer ici.

 Indicateurs socio-économiques des forces et faiblesses

Le degré de couverture

Les forces et faiblesses de la sécurité sociale doivent avant tout se référer à ses missions très concrètes : assurer un revenu de remplacement en cas de survenance de certains risques sociaux du travail salarié, couvrir le coût des soins de santé pour qu’ils puissent être de qualité et accessibles à tous, couvrir une partie des coûts de l’enfant à travers la solidarité des familles sans enfants et de celles dont les enfants ne sont plus à leur charge, et permettre de prendre sa retraite avec une pension liée à la carrière.

Une sécurité sociale efficace est d’abord celle qui offre une couverture sociale suffisamment élevée (ce qui par ailleurs contribue à lui donner la légitimité nécessaire à son financement suivant l’évolution des besoins et les variations économiques). Le niveau de couverture dépend notamment de la solidarité verticale entre niveaux de revenus à travers les modes de financement mais aussi par la garantie de minima de revenus de remplacement et la limitation à des maxima. Enfin, il dépend des mécanismes d’indexation et des revalorisations visant à ajuster partiellement ou totalement les revenus de remplacement à l’évolution des salaires. En Belgique, si l’indexation correspond relativement bien à l’évolution des prix hors énergie, les adaptations au « bien-être » furent longtemps interrompues et souvent partielles, ce qui explique en grande partie la faiblesse des taux de remplacement.

A cet égard, les données globales peuvent montrer le niveau général de protection sociale tandis que des indicateurs propres à chaque branche reflètent plus précisément les situations vécues par les assurés.

Globalement, si l’on choisi comme indicateur la part des recettes de la protection sociale (aide sociale et retraites de la fonction publique comprises) dans le PIB, l’importance de celle-ci (27,8% en 2007) est comparable à la moyenne européenne des 15 (27,8%), soit hors Europe centrale, et un peu supérieure à celle des 27 actuels pays membres (27,1%). La part de ses dépenses dans le PIB est à la moyenne des 27 (26,8% en 2007 contre 26,2% pour l’UE27 et 26,9% pour l’UE15) mais elle est sensiblement inférieure (environ 2% de PIB) à celle des pays voisins (France 30,5%, Pays-Bas 28,4%, Allemagne 27,7%).

La couverture des soins de santé est relativement bonne (19% de dépenses personnelles en 2007, soit 586 euros par an et par personne) mais moins élevée que celle de pays comme les Pays-Bas, la France et l’Allemagne . Quant à la part de la population couverte par l’assurance soins de santé elle atteint 98,7% en 2007.

Les taux de remplacement en assurance-chômage sont relativement faibles mais compensés par la non limitation temporelle du droit aux allocations de chômage. Les dépenses de chômage en % du PIB sont dès lors relativement élevées en Belgique (3,3% du PIB en 2007 contre 1,3% pour UE15).

La Belgique offre aux salariés du privé des taux de pension de sécurité sociale relativement maigres (pension après impôts par rapport au salaire net moyen de la carrière), avec 64 % pour un salaire moyen (contre 70% pour l’ensemble des pays de l’OCDE, 61% pour l’Allemagne, 66% pour la France et 103% pour les Pays-Bas) et 52% pour un salaire à 1,5 fois le salaire moyen, ce qui représente une déclivité bien plus forte avec le salaire que dans certains pays voisins (Allemagne : 60%, France : 60%, Pays-Bas : 99%) à cause du mode de plafonnement actuel.

Les dépenses d’allocations familiales par rapport au PIB sont moins élevées comparativement à la France et surtout à l’Allemagne mais largement supérieures à celles des Pays-Bas . Mais il faudrait dans la comparaison prendre en compte les subsides à l’accueil de l’enfance hors sécurité sociale.

En résumé, la couverture sociale de la sécurité sociale belge est proche de la moyenne européenne sauf en matière de pensions, mais elle est généralement inférieure à celle des pays voisins dont le niveau de richesse et le type de sécurité sociale sont relativement semblables.

Les forces et faiblesses peuvent aussi se mesurer à certains résultats auxquels la sécurité sociale contribue comme limiter le taux de risque de pauvreté , réduire les inégalités de revenus ou améliorer le taux d’emploi. Le taux de risque de pauvreté parmi les pensionnés était en 2008 de 18%, ce qui est proche de la moyenne européenne (17%) mais bien supérieur au taux des pays voisins (10% en France par exemple). Par contre, le taux de risque de pauvreté parmi les personnes au chômage était en Belgique sous la moyenne européenne et inférieur au taux des pays voisins, probablement du fait qu’une plus faible part d’entre elles émargent à l’aide sociale, en raison de l’absence de limitation automatique de la durée d’indemnisation.

Toutefois, on ne peut se réjouir de ces positions relatives car beaucoup d’allocataires en Belgique se trouvent dans des situations précaires du fait que nombre d’allocations forfaitaires et minima de sécurité sociale et d’aide sociale sont encore (au 1er mai 2011) sensiblement ou largement en dessous du seuil de risque de pauvreté , à l’exception des pensions minimales et de la GRAPA pour isolé. et malgré les relèvements des minima opérés ces dernières années.

Le diagnostic d’André Sapir et de Bea Cantillon

Parmi les indicateurs socio-économiques, il est particulièrement intéressant d’examiner deux tableaux « phares » datant de 2005 que leurs auteurs respectifs ont présenté devant plusieurs acteurs à différentes occasions et qui ont provoqué des débats.

Le premier tableau établi par André Sapir (ULB) croisait le taux d’emploi et le taux de pauvreté . Il s’agit d’indicateurs de résultats souvent mis en évidence bien qu’ils ne peuvent résumer les performances du système de sécurité sociale et qu’ils dépendent aussi d’autres politiques comme les politiques de développement économique, d’emploi, de fiscalité, d’enseignement, de formation continuée, etc. Il apparaissait que les pays du modèle nordique conjuguaient des taux d’emploi élevés et des taux de pauvreté faibles. Les pays du modèle continental montraient des taux de pauvreté de faible niveau mais de faibles taux d’emploi également. La Belgique y affichait les moins bonnes performances de ce groupe de pays, se conjuguant par ailleurs avec un taux de chômage relativement important. Le taux de pauvreté belge se situait au niveau de la moyenne européenne mais il était le plus élevé des pays riches non méditerranéens et non anglo-saxons. En ce qui concerne l’effet de la sécurité sociale à cet égard, la réduction du taux de pauvreté due aux transferts sociaux est toutefois nettement plus forte pour la Belgique que pour la moyenne européenne hors Europe centrale (UE15).

Les pays anglo-saxons connaissent des taux d’emploi élevés mais une précarité de l’emploi qui occasionne un taux de pauvreté élevé. Les pays méditerranéens se caractérisent par des taux d’emploi faibles (à l’exception du Portugal jusqu’au début des années 2000 du fait de sa faible productivité et de sa croissance soutenue) et des taux de pauvreté élevés.

Le tableau composé par Bea Cantillon (Université d’Anvers) croisait le PIB par habitant avec l’inégalité des revenus mesurée par l’écart entre les 20% de la population aux revenus les plus élevés et les 20% aux revenus les plus bas. Il montrait que relativement aux autres pays de l’Union européenne, la Belgique connaît un niveau de vie élevé et relativement moins d’inégalités de revenus, se situant dans un ensemble composé de la France et des Pays-Bas, non loin de l’Allemagne, de l’Autriche ou de la Finlande.

Les tendances se confirment

Une mise à jour ces tableaux à l’aide des données de 2009 d’EUROSTAT qui sont les dernières données disponibles montrent, sous la réserve que la période de 4 ans est trop courte que pour représenter une tendance structurelle, que les positions « relatives » de 2009 par rapport à la moyenne européenne confirment celles de 2005. La Belgique reste dans les pays les plus riches en termes de PIB par habitant (graphique 1) et maintient sa place dans le groupe des pays les plus égalitaires ou les moins inégalitaires. La position relative belge en matière d’inégalité de revenu s’est améliorée parce que l’inégalité telle que mesurée a diminué en Belgique entre 2005 et 2009 alors que la moyenne européenne est restée quasi inchangée. L’augmentation des inégalités dans des pays comme la France, l’Allemagne, la Suède et le Danemark, est en effet compensée par la réduction de l’inégalité de revenu dans d’autres pays (Belgique, Royaume-Uni, Irlande, Italie, Portugal, les pays d’Europe centrale sauf la Roumanie et la Bulgarie). La Belgique a ainsi glissé dans le groupe des pays nordiques, le plus égalitaire. La Belgique fait un peu mieux que la moyenne en matière de taux de risque de pauvreté (graphique 2) même si comme le soulignait Bea Cantillon, elle a du mal de tenir son rang à cet égard par rapport à certains pays relativement riches de l’Union comme la France ou les Pays-Bas. Le taux de risque de pauvreté allemand dépasse désormais le taux belge.

Enfin, la situation défavorable de la Belgique en matière de taux d’emploi se confirme malgré l’impact plus modéré de la crise sur l’emploi. Si le taux d’emploi belge a bien augmenté, le taux d’emploi « relativement » à la moyenne européenne a quelque peu diminué (tout comme celui de la France) parce que le taux d’emploi moyen en Europe a augmenté davantage, et singulièrement les taux d’emploi allemands et néérlandais. Le taux d’emploi relatif a cependant davantage baissé dans les pays anglo-saxons, méridionaux et nordiques sauf en Norvège.

Grahique 1 : Inégalité et niveau de PIB en 2009 (et Belgique 2005)
par rapport à la moyenne européenne (27) (source : Eurostat)

Graphique 2 : Taux d’emploi et taux de pauvreté en 2009 (et Belgique 2005)
par rapport à la moyenne européenne (27) (source : Eurostat)

Compléments nécessaires au débat

L’évaluation des forces et faiblesses de la sécurité sociale belge devrait aussi comporter des analyses intergénérationnelles et de genre, une comparaison interrégionale et prendre en compte d’autres politiques qui déterminent ses résultats. Notamment, l’évaluation de la sécurité sociale belge par rapport à la question de l’emploi ne devrait pas se départir d’une évaluation des politiques d’emploi, d’enseignement et d’intégration.

Un taux d’emploi faible est arithmétiquement la résultante d’un sous-emploi de la population en âge de travailler, en l’occurrence en Belgique celui de la population des jeunes de moins de 25 ans et des travailleurs âgés, le taux d’emploi des âges intermédiaires y étant supérieur à la moyenne européenne. Cette différence résulte en partie de comportements de retrait volontaire du marché du travail avec indemnisation de l’ONEM, mais surtout de comportements d’éviction, notamment par la prépension, et de discrimination de la part des employeurs, dans un contexte de chômage resté important, qui touchent davantage les moins qualifiés et les personnes issues de l’immigration, particulièrement en Belgique. Le taux d’emploi de ceux qui n’ont pas dépassé le secondaire inférieur se situe sous la moyenne européenne lors Europe centrale (UE-15, 2008) alors que ce n’est pas le cas pour ceux qui ont un diplôme de l’enseignement supérieur. La différence de taux d’emploi et surtout de taux de chômage entre les nationaux et les personnes de nationalité non européenne est importante à tous les niveaux de diplôme tandis que la situation des naturalisés est beaucoup plus proche de celle des autochtones .

Une analyse de genre manque certainement à notre examen. Elle indiquerait la position généralement défavorable des femmes en matière d’inégalités, de pauvreté et d’emploi, qu’il serait intéressant de comparer avec celle observée dans les autres pays européens. Par exemple, en ce qui concerne l’emploi, le taux d’emploi des femmes est inférieur à celui des hommes mais il s’améliore (56,2% en 2008 contre 51,5 % en 2000 pour les femmes ; respectivement 69,5% contre 68,6% pour les hommes). Les différences de genre se marquent moins dans l’emploi temporaire qui ne représentait que 3,5% de l’emploi total en 2009 (58% de femmes) que dans le temps partiel qui s’est encore étendu ces dernières années. Celui-ci concerne 25% des emplois salariés mais la majorité des (près de 54% en 2009) contre à peine 9% des hommes, et pour des motifs grandement liés aux charges familiales du fait d’une répartition toujours très inégale des tâches dans les ménages mais probablement aussi d’un manque de conditions offertes par la sécurité sociale pour changer cette situation.

Une analyse interrégionale indiquerait la position défavorable des régions wallonne et bruxelloise en matière d’emploi et de pauvreté. Le taux d’emploi en Flandre de 65,5% en 2009 est proche de la moyenne des 15 qui est de 65,9%, tandis que ce taux est de 56,5% en Wallonie et de 55,2 à Bruxelles. En 2009, le taux de risque de pauvreté en Flandre (10,1%) était proche de celui des Pays-Bas (11,1%) tandis que le taux en Wallonie (18,4%) et à Bruxelles (entre 25 et 30%) était plus élevé que la moyenne européenne (16,3%) et que ceux de l’Allemagne (15,5) et de la France (12,9%) (encore vaudrait-il mieux comparer les régions belges à d’autres régions semblables plutôt qu’à des pays).

A cet égard aussi, l’influence de la sécurité sociale doit cependant être relativisée par rapport à celui d’autres politiques et déterminants. Il est certainement abusif d’en conclure que la sécurité sociale est inadaptée aux différences régionales et surtout que la défédéraliser est la seule voie pour réduire ces écarts régionaux.

 conclusions

La sécurité sociale belge tient sa force de ses acteurs, des rapports qu’ils entretiennent entre eux et des accords successifs qui ont permis de construire et de faire évoluer le système. Elle la tient aussi des valeurs qui lui donnent de la légitimité mais aussi de l’efficacité. Comme la solidarité qui permet de réunir les contributions nécessaires à une bonne couverture sociale. Sa légitimité parmi la population et les acteurs tient à cette efficacité, à sa fonction de régulation et à sa relative stabilité en dépit des vagues économiques et idéologiques. Le degré de couverture montre toutefois un profil
déclinant par rapport à l’évolution du niveau de vie et comparativement non à la moyenne européenne mais à la protection dans les pays voisins. D’aucuns mettent en cause l’extension des bénéficiaires et des prestations, bien que le coût global rapporté au PIB soit inférieur à celui de nos voisins, en fustigeant les maigres performances relatives en termes de taux de pauvreté et surtout de taux d’emploi. Mais c’est oublier que bien d’autres déterminants et politiques interviennent dans ces résultats. Si les diverses améliorations sociales apportées à la sécurité sociale depuis 15 ans ont élargi le nombre de bénéficiaires du système et limité les inégalités davantage que dans bien d’autres pays, leur imputer la faiblesse des taux de remplacement est simplement une interprétation.

Le faible taux d’emploi belge est lié à la forte productivité belge à défaut d’une structure économique à plus haute valeur ajoutée, et pas uniquement aux mesures favorisant le retrait (temporaire ou définitif, partiel ou complet) du marché du travail qui ont d’ailleurs été limitées au profit de mesures incitatives d’activation. Le sous-emploi ne peut être attribué au manque relatif d’incitations, au caractère indéterminé de l’indemnisation des chômeurs et au niveau (pourtant relativement faible) des allocations. Il y a lieu de mettre aussi en débat les politiques de développement économique et les actions des entreprises et des secteurs (en matière de formation, d’innovation, d’exploration de marchés extérieurs, etc.). Le manque de progressivité de l’ensemble du système fiscal et parafiscal par rapport aux revenus effectifs constitue par ailleurs une contrainte dépassable à l’amélioration de la couverture des assurances sociales.

Enfin, le niveau des indicateurs de performances doit aussi permettre d’interroger d’autres politiques qui peuvent réduire les inégalités, promouvoir l’égalité et lutter contre les discriminations, même si la Belgique figure parmi les pays les moins inégalitaires d’Europe.

Les forces et faiblesses de la sécurité sociale sont évidemment plus larges que ce qu’indiquent les indicateurs évoqués. Car il importe par exemple aussi que celle-ci intègre des réponses appropriées et suffisantes à l’évolution de la nature et de la diversité des besoins de la population et de tout un chacun.

P.-S.

Source originale : cet article est paru dans le hors-série de la revue « Politique » n° HS17, octobre 2011, consacré aux interventions de la 89e Semaine Sociale du Mouvement Ouvrier Chrétien sur le thème : « Le bel avenir de la Sécurité Sociale »