Dans une carte blanche, Jean-Bernard Robillard interpelle le Premier ministre au sujet de l’interprétation qu’il donne à une référence présente dans ses dernières interventions.
Monsieur le Premier Ministre,
Ces derniers temps, vous vous faites beaucoup l’écho de la solidarité nationale dans vos discours. Comme si elle était l’une des solutions principales à la crise que nous traversons !
Les restaurants, les bars, les commerces, les lieux culturels ne sont pas responsables de la crise sanitaire que traverse le pays. Ni les jeunes, ni les précaires… Et pourtant, ce sont eux qui en payent les plus lourdes conséquences économiques.
Si nous sommes dans cette situation, c’est parce que le système de santé publique et les hôpitaux ne sont pas capables d’absorber le flux de malades atteint du Coronavirus.
Rappelons que vous fîtes vous-même partie de gouvernements dont le résultat fut la mise à bas et le démantèlement du système de solidarité nationale qu’est la sécurité sociale.
Devons-nous rappeler que vous êtes à l’origine d’une des lois les plus controversées (Loi dite De Croo) qui a permis à des entreprises comme Deliveroo, Uber-Eats (et bientôt Colruyt ?) de se dédouaner totalement de leur responsabilité d’employeur envers plusieurs milliers de coursiers depuis 2016 et donc de ne payer aucune charge patronale, ni cotisation sociale, pourtant, ô combien, nécessaires pour la solidarité nationale dont vous vous faites le chantre maintenant ?
Devons-nous rappeler que ce régime défiscalisé exclut ses utilisateurs de la sécurité sociale s’ils n’ont pas de statut à côté (salarié ou indépendant) ?
A l’heure où la création d’un troisième statut est très fortement poussée par Uber – et discutée au sein des institutions européennes tout comme au niveau national – pour les travailleurs de plateforme, comme s’ils n’étaient pas des travailleurs comme les autres, la solidarité ne semble pas de mise.
Quel serait l’intérêt d’un troisième statut, qui cumule les désavantages de la subordination du salarié et de la fragilité statutaire de l’indépendant, si ce n’est celui d’aller dans le sens de ces plateformes numériques ?
Quel serait l’intérêt d’un tel statut, sans aucun doute dévastateur pour le droit du travail et la solidarité nationale, si ce n’est de faire le jeu de ces entreprises refusant de se plier aux réglementations actuelles pour imposer les leurs, au mépris de toutes les avancées sociales pour lesquelles se sont battus nos parents, grands et arrières grands-parents pour que nous puissions vivre dans un monde plus juste et solidaire ?
Pour finir, vous parlez de solidarité nationale et dans le même temps vous demandez aux plus précaires d’entre nous d’assumer vos responsabilités dans cette crise et ce, quasiment sans aucune contrepartie.
Tous ces contrats intérimaires et CDD prévus ou non renouvelés auxquels l’Onem refuse l’accession au chômage Covid même s’ils apportent les preuves qu’un contrat était bien en prévision.
Tous ces acteurs du secteur culturel se trouvant exclus du chômage Covid sous prétexte que leurs preuves ne seraient pas assez pertinentes ou ne datent pas de 2019.
Toutes ces personnes qui répondent légitimement aux critères pour le toucher et qu’on préfère exclure pour éviter d’éventuelles fraudes.
Toutes ces personnes qui mériteraient finalement légitimement de le toucher mais à qui on le refuse car ils ne répondent pas à des critères qui n’ont rien à voir avec la réalité du terrain.
Sont-ils les responsables de cette crise ?
Doivent-ils en assumer les conséquences ?
N’est-ce pas plutôt envers eux que la solidarité nationale devrait s’appliquer ?
Ces acteurs qui, sans aucune aide et sans autre choix, pourraient bientôt devenir les nouveaux travailleurs dits « atypiques », autrement dit une main-d’œuvre corvéable à merci de ce système de plateforme numérique, niant les droits essentiels des travailleurs et faisant fi de toute solidarité nationale.
Monsieur le Premier Ministre, est-ce cela que vous appelez la solidarité nationale ?
Est-ce l’avenir post-pandémie que vous nous proposez ?
Ou auriez-vous enfin appris de vos erreurs ?
Cet article a paru dans Le Soir le 20 novembre 2020.