A l’heure où la pression est continue sur les Etats pour qu’ils mènent des politiques d’austérité devant leur permettre de retrouver l’équilibre de leurs finances publiques, la gauche se doit d’être offensive. La justice fiscale est plus nécessaire que jamais. Et en cette matière, les enjeux liés à la fiscalité environnementale sont majeurs. Car la crise dans laquelle nous sommes plongés n’est pas uniquement une crise des finances publiques, mais celle d’un modèle de développement économique qui génère des inégalités grandissantes. Et qui opère un gaspillage inconséquent de ressources. La fiscalité verte pourrait apporter des éléments de solutions et est un des outils potentiels permettant de concrétiser une transition vers un autre modèle de développement. Mais pour la gauche, la croissance de taxes environnementales ne peut s’opérer que si elles remplissent différentes conditions au plan social.
Plus que jamais, l’actualité est sous le sceau de l’austérité dans les différents pays de l’Union européenne. Sous les pressions de la Commission, les plans de réductions des déficits budgétaires se succèdent. L’obligation adressée aux États est de tendre au plus vite vers l’équilibre budgétaire. Pour réaliser cet exercice, il y a deux grandes options possibles. Majoritairement, les forces politiques de droite privilégient les coupes dans les dépenses publiques. A gauche, la préférence est de jouer sur l’augmentation des recettes à travers principalement les impôts.
Dans le contexte de la nécessité absolue de limiter l’augmentation du réchauffement de l’atmosphère terrestre, la fiscalité verte est régulièrement à l’agenda, avec des mesures phares telles que la mise en place d’une taxe CO2 par exemple. Mais concrètement, les évolutions et les décisions concrètes sont rares comme nous le verrons un peu plus loin.
Les contours de la fiscalité environnementale
Les taxes vertes sont définies comme les prélèvements qui s’appuient sur des facteurs qui ont un impact spécifique sur l’environnement. Elles sont classées en trois catégories :
- Les taxes sur l’énergie, dont les carburants (accises,…)
- Les taxes sur les transports, hors carburant (taxes de mise en circulation,…)
- Les taxes sur la pollution et les ressources
A ce stade, il est utile de rappeler les trois finalités principales que les économistes attribuent à la fiscalité. La première est la redistribution. Il s’agit de faire en sorte que grâce à l’impôt, les écarts de revenus soient réduits. En d’autres mots, que les riches le soient un peu moins, et inversement pour les pauvres. La deuxième fonction essentielle de la fiscalité est le financement des services et infrastructures collectives. Pensons aux écoles, aux structures de santé, aux infrastructures de transport pour prendre quelques exemples. Enfin, la troisième finalité de la fiscalité est la fonction incitative, en encourageant certains comportements, telles que la pratique d’une activité physique par exemple, et en décourageant d’autres, telles que la consommation d’alcool.
On le voit rapidement, la fiscalité environnementale a des liens potentiels étroits avec chacun de ces trois objectifs. Mais qu’en est-il de son ampleur et de son évolution ?
Une importance souvent surestimée
Par rapport à d’autres régions du monde, la taille des prélèvements fiscaux au sein de l’Union européenne est élevée. Mais parmi ces prélèvements, la part des taxes environnementales reste relativement faible. Elles représentent ainsi en moyenne 2,4 % du PIB dans l’Union européenne. Par rapport à la richesse produite, elles ont même baissé durant la dernière décennie de 0,3 % [1]. C’est sans doute contre-intuitif et inversement proportionnel à la quantité de débats et de propositions relatives aux taxes environnementales. Avec la funeste mise à l’honneur de l’austérité, le mouvement de baisse relative des prélèvements environnementaux s’est arrêté depuis 2008 et il a cru légèrement depuis.
Tableau 1 : taxes environnementales dans l’Union européenne, en % du PIB
2011 | Évolution 2000-2011 | |
Belgique | 2,1 | -0,2 |
Danemark | 4,1 | -0,7 |
Allemagne | 2,3 | -0,1 |
France | 1,8 | -0,3 |
Pays-Bas | 3,9 | 0,0 |
Moyenne UE 27 | 2,4 | -0,3 |
Les taxes environnementales représentent 2,1 % du produit intérieur brut en Belgique. Nous sommes sous la moyenne européenne qui s’établit à 2,4 %. On peut donc dire que la Belgique est un pays où la fiscalité est élevée mais pas en matière d’environnement. Les taxes vertes ont même relativement baissé en Belgique durant la dernière décade. Les chiffres pour la Belgique sont relativement proches de ceux de son principal voisin, l’Allemagne. Par contre, les pays du Nord se singularisent. C’est particulièrement le cas pour les Pays-Bas, et plus encore pour le Danemark qui est le pays européen dans lequel la fiscalité environnementale est la plus développée, même si elle a sensiblement baissé durant ces dernières années. Les pays dans lesquels la fiscalité environnementale est la plus faible sont principalement l’Espagne, la France et la Roumanie.
Le tableau deux présente le poids des différentes taxes environnementales en Belgique, ainsi que leur évolution relative.
Tableau 2 : part des taxes environnementales en Belgique, en % du PIB
2000 | 2005 | 2011 | classement [2] | |
Total taxes environnementales | 2,3 | 2,3 | 2,1 | 22 |
1°Energie | 1,4 | 1,5 | 1,3 | 26 |
Dont taxes sur les carburants | 1,4 | 1,3 | 1,1 | 25 |
2°Transport | 0,6 | 0,7 | 0,6 | 11 |
3°Pollution/ressources | 0,19 | 0,21 | 0,14 | 8 |
Source : Eurostat
Les chiffres montrent bien que la taxation de la consommation d’énergie est relativement basse dans notre pays. A ce niveau, la Belgique est en bas de classement. Les taxes sont particulièrement faibles pour les consommations d’énergie réalisées par les entreprises et par les ménages pour produire de la chaleur ou pour faire fonctionner des appareils électriques.
Il peut être intéressant de noter également que des pays dans lesquels la fiscalité verte est plus élevée, comme le Danemark ou l’Irlande, se caractérisent aussi par une part plus importante de prélèvements dans la rubrique ‘transport’ (hors carburants).
Fiscalité verte et enjeux politiques
Différents enjeux sont liés à la fiscalité environnementale. Le premier concerne son caractère additionnel, ou au contraire substitutionnel. Pour la Commission européenne, dont l’idéologie est nettement libérale, la priorité doit être d’augmenter les prélèvements verts pour permettre de baisser de manière parallèle les impôts reposant sur le travail. Il est vrai que dans certains pays européens, et certainement en Belgique, celui-ci est fortement mis à contribution. Pour autant, d’autres options politiques existent. La baisse des prélèvements sur le travail pourrait ainsi être compensée financièrement par une augmentation des contributions sur le capital, très faiblement taxé aujourd’hui. Pensons par exemple à la mise en place d’un impôt sur les grandes fortunes, dont la CSC et dont d’autres associations ont montré qu’il permettrait de percevoir des montants conséquents pour autant qu’existe la volonté politique de mettre en place une fiscalité plus juste.
L’augmentation des taxes environnementales pourrait, elle, permettre de mieux financer des biens et services collectifs permettant d’augmenter le bien-être et contribuant à réduire les émissions de gaz à effets de serre. Pensons à un meilleur financement, dont on sait qu’il est largement insuffisant à l’heure actuelle, des transports collectifs tels que le rail, la Stib ou les TEC. Ou bien encore à des investissements économiseurs d’énergie dans le secteur du logement, social et privé.
Un deuxième enjeu est l’impact d’une augmentation des taxes environnementales sur les activités économiques. Sur certaines dimensions de la fiscalité verte, l’État fédéral et les Régions en Belgique n’ont pas intérêt à agir seuls. Par exemple, décider de soumettre les secteurs économiques à une taxe carbone n’est envisageable qu’à un échelon plus large, celui de l’Union européenne. Ceci bien entendu afin de ne pas pénaliser les entreprises localisées sur le territoire national.
Avec une taxe carbone à large spectre, donc concernant aussi les secteurs économiques, l’idée est aussi de ne pas mettre de côté l’équité et de ne pas faire peser les prélèvements verts uniquement sur les ménages. En France, et sous la présidence de Nicolas Sarkozy, le projet de l’introduction d’une taxe carbone a finalement été mis au frigo suite aux critiques de la Cour constitutionnelle qui considérait que le projet politique tel que proposé par le gouvernement français, en prévoyant des exceptions multiples pour différents secteurs économiques, était inacceptable comme tel car porteur d’inégalités substantielles.
La mise en place d’une taxe carbone à large spectre, donc touchant également les entreprises, impliquerait une remise en cause du libre-échange à l’état pur tel que le promeut largement aujourd’hui l’Union européenne et d’autres acteurs économiques dominants. Il s’agirait de pouvoir imposer aux frontières du continent une taxe équivalente sur les importations, de manière à ne pas fausser la concurrence entre entreprises produisant ou pas sur le sol européen.
A cet égard, la perspective de la mise en place d’un grand marché transatlantique tel que voulu par la Commission européenne pose de graves questions. Aux États-Unis, la priorité en matière énergétique à l’heure actuelle est claire. A peu de choses près, il s’agit de permettre aux entreprises américaines de pouvoir bénéficier de l’accès à l’énergie au prix le plus bas possible de manière à privilégier leur compétitivité. C’est dans cette perspective que peut par exemple s’analyser l’exploitation grandissante du gaz de schiste présent dans le sous-sol américain. Pour Washington, la limitation de la consommation énergétique de manière à freiner l’augmentation des températures à l’échelle du globe est, dans les faits, une préoccupation largement secondaire.
Or, en même temps que de diminuer les tarifs douaniers, déjà très bas, entre l’Europe et les États-Unis, l’objectif d’un accord transatlantique est de réduire les dispositions de natures non tarifaires telles que les règlements par exemple. Une taxe CO2 aux frontières de l’Union européenne ne cadre pas du tout avec la perspective et la philosophie d’un grand marché transatlantique. Dans les rangs progressistes, les doutes sont profonds quant à l’intérêt politique d’un tel accord. Au contraire, et bien au-delà de la sphère culturelle largement médiatisée, la construction d’un grand marché américano-européen est très dangereuse pour la capacité de l’Union européenne et de ses États membres de définir leurs priorités au plan social ou encore de la santé publique. Bien au-delà de l’angle d’approche économique tel que privilégié par la Commission, c’est avant tout de démocratie qu’il s’agit.
L’indispensable dimension sociale de la fiscalité environnementale
En matière de fiscalité environnementale, il s’agit aussi de se montrer particulièrement vigilant. Nous avons déjà évoqué plus haut la nécessité de veiller à ce que les entreprises apportent elles aussi leur contribution aux efforts à réaliser. Il n’y aurait pas de sens et d’intérêt, à ce que les ménages soient incités, via la fiscalité verte, à limiter la consommation de ressources et d’énergie, et à ce que dans le même temps, les entreprises agissent peu ou prou dans le sens contraire.
La perspective d’accroitre les prélèvements de nature environnementale doit être couplée avec des dispositions de nature sociale. Différentes études sur le profil de la consommation des ménages le montrent. Pour ce qui concerne l’énergie, plus le revenu est élevé, plus on en consomme. Mais en même temps, la part des dépenses énergétiques est proportionnellement plus importante pour les ménages modestes. Pour la gauche, les taxes environnementales ne peuvent être régressives, c’est-à-dire peser plus que proportionnellement sur les ménages avec des revenus plus faibles.
Ce n’est pas pour autant qu’il faut renoncer à la perspective d’augmenter les taxes reposant sur l’environnement. L’option est à privilégier n’est pas non plus d’exonérer les ménages modestes des prélèvements de cette nature. Avec ce schéma, on atténuerait pour ces publics les encouragements à l’économie de ressources, ce qui serait un mauvais service à leur rendre vu notamment les perspectives attendues d’augmentation des prix de l’énergie. Plutôt que l’exonération pure et simple, il est préférable de prévoir des mécanismes de compensation ciblés, au bénéfice des ménages modestes. Pensons par exemple à des soutiens tels que l’octroi de chèques-énergie. La tarification progressive de l’électricité telle que décidée par le gouvernement wallon va également dans la bonne direction.
Sur le plan des incitants fiscaux, les travaux du conseil supérieur des finances montrent que les dispositifs sont nombreux et qu’à l’heure actuelle, ils profitent majoritairement aux catégories supérieures de revenus. Ces différents types de dépenses fiscales sont parfois discutables et posent question socialement. Elles méritent d’être analysées afin de pouvoir être corrigées de manière à être plus justes.
Pour conclure
La nécessité d’orienter notre modèle de développement vers davantage de justice sociale tout en lui assurant une plus grande soutenabilité oblige à envisager l’augmentation des prélèvements sur des activités ayant un impact sur l’environnement. Le débat n’est pas neuf. Pourtant, les évolutions sont timides. Sur la dernière décennie, la fiscalité environnementale a même baissé proportionnellement à la richesse produite sur le territoire européen.
L’augmentation des taxes vertes présente le double intérêt potentiel d’allouer des ressources supplémentaires vers des services et biens publics permettant d’améliorer le bien-être, tout en réduisant la pollution et en économisant des ressources, notamment énergétiques. Mais chaque mesure de ce type doit être évaluée. Et des compensations doivent être prévues pour que les taxes environnementales s’intègrent pleinement dans le cadre d’une indispensable justice fiscale et sociale.