Les effets positifs, largement reconnus, des centres de compétence sont un exemple parmi d’autres de l’importance que revêt la politique de la formation pour lutter contre le chômage, contribuer au développement économique et améliorer les conditions de travail. En la matière, tant le secteur public que les entreprises privées ont un intérêt majeur – à court, moyen et long terme – à améliorer la politique de formation. A cet égard, le non-respect par les entreprises de la norme de 1,9% de la masse salariale consacrée à la formation des travailleurs est regrettable. La question de la politique de formation rejoint de nombreuses préoccupations comme l’insertion sur le marché de l’emploi (en lien avec la politique de l’enseignement en ce qui concerne les plus jeunes), la formation continue des travailleurs, la question des métiers en pénurie et des métiers d’avenir, la formation en alternance des jeunes,...
I. LES CONSTATS
1.1. Vaut mieux Lasne que Farciennes… : L’enseignement inégalitaire
Dès 2008, le constat fait par la FGTB wallonne concernant l’enseignement était dramatique :
Le bulletin de santé de l’enseignement en Wallonie et à Bruxelles n’est pas bon. L’école, loin de réduire les inégalités, creuse le fossé entre les enfants issus de classes sociales différentes.
Certains établissements concentrent les difficultés : populations fragiles, pénuries d’enseignants, « relégations » en cascade. D’autres prennent, par contre, les allures aseptisées de ghettos dorés.
La vie dans les établissements scolaires est dure. Le goût amer de l’échec se répand. Pour les publics les plus faibles, la vocation émancipatrice de l’éducation cède le pas à une activité de plus en plus « occupationnelle ». Parfois dans l’attente de l’âge de la fin de l’obligation scolaire, vécu comme… « libérateur » ! Ce qui révèle, pour eux, la faillite d’une conception progressiste de l’instruction. [1]
A-t-on pu constater de notables transformations positives depuis ce constat alarmant ?
Pas vraiment :
« Le système scolaire en Fédération Wallonie-Bruxelles fonctionne comme une gare de triage où les trajectoires (dont l’abandon) sont dictées par l’origine socio-économique des élèves. Les inégalités sociales sont maintenues et l’orientation scolaire est le fruit d’un « renoncement » (du général vers le qualifiant puis vers l’alternance) plus qu’un choix. La non-gratuité effective de la scolarité (frais directs et indirects), dès le Fondamental, est une difficulté importante pour les familles défavorisées (dont des travailleurs aux conditions salariales précaires). Le système sert la dualisation des qualifications à travers des trajectoires et des programmes taillés de sorte que tous n’acquièrent pas le même niveau de savoirs et de compétences à un âge déterminé. » [2]
1. 2. Chacun son truc : L’alternance en ordre dispersé
La problématique de l’enseignement / formation en alternance et de sa revalorisation est au centre des préoccupations des interlocuteurs sociaux depuis de nombreuses années.
Cet intérêt conjoint a été exprimé notamment dans la Déclaration commune du Gouvernement et des partenaires sociaux wallons du 16 septembre 2004 qui met en évidence « la nécessité d’œuvrer à l’harmonisation des statuts et formules de formation en alternance dans un partenariat « win-win » pour les entreprises, les stagiaires et les écoles ou centres de formation ».
Dans ce cadre, le point fondamental de discussion est, aux yeux des interlocuteurs sociaux, l’élaboration d’un statut unique attractif pour l’apprenant.
Constats de 2004 :
L’alternance, particulièrement dans le cadre de la formation initiale, est confrontée à plusieurs problèmes.
Toute proposition concernant l’alternance doit tenir compte de ce contexte particulier. Très succinctement :
- Définitions et pratiques multiples et à géométrie variable de la formation en alternance. A cet égard, les interlocuteurs sociaux se sont entendus au sein du Conseil consultatif de la formation en alternance (CCFA) pour définir l’alternance en distinguant deux champs : celui de l’enseignement et celui de la formation, les finalités de l’un et de l’autre étant différentes.
- Multiplication des statuts avec pour effets, traitement inégalitaire des jeunes engagés dans ce type d’apprentissage : couverture sociale inégale, rémunération inégale… ; choix de l’employeur motivé non par le projet de formation mais par le moindre coût de la main-d’œuvre ; complexité administrative.
- Concurrence institutionnelle entre les différents opérateurs de formation en alternance, principalement l’enseignement (Cefa) et le réseau des classes moyennes (IFAPME), concurrence entre les réseaux d’enseignement de la Communauté française, concurrence entre l’enseignement de plein exercice et l’alternance. Ajoutons que Cefa et centres IFAPME ne sont pas soumis aux mêmes obligations légales et connaissent des différences organisationnelles.
- Problème de reconnaissance de la formation en alternance avec pour effet une visibilité ambiguë et limitée ainsi qu’une méconnaissance de la portée des attestations délivrées (les jeunes ne sont pas toujours correctement informés de la valeur de leur « papier »).
- Insuffisance des contrats en entreprise. La formation des jeunes est alors incomplète car non confrontée à l’entreprise.
- Orientation par effet de relégation. Ce problème situé en amont et propre à la manière dont l’orientation est conçue au sein de l’enseignement de la Communauté française grandit et s’aggrave au fil du temps. La majorité des jeunes orientés vers l’alternance (dévalorisée) le sont par choix négatif, c’est-à-dire à défaut de ne « pouvoir » suivre la voie royale menant à l’université [3]. Le travail d’accompagnement des jeunes s’en trouve alourdi : les repères sociaux propres à la norme sont à reconstruire, d’autant plus qu’il y a lieu de conclure un contrat avec une entreprise.
La question de la valorisation de l’alternance pose donc celle de l’orientation des jeunes par effet de relégation. Les raisons de cette situation ne sont pas uniquement un problème d’image de l’apprentissage manuel. Elles sont beaucoup plus profondes, et inscrites, notamment, dans les représentations sociales des enseignants : technique et professionnel perçus comme moins valorisant (élèves et professeurs de ces filières compris…) ; mais aussi sociales : représentations sociales des ouvriers et des employés, conception de la « voie royale » comme intellectuelle et menant à l’université… [4]
1.3. Pénuries, vous avez dit pénuries… : Le traitement des métiers dits en tension
Cette notion de « métiers en pénurie » revient périodiquement dans le discours des représentants des employeurs, comme un épouvantail que l’on brandit sur base d’un calcul qui ne fonctionne pas, même aux yeux de ceux qui le font : d’un côté tant de DE qui cherchent un emploi ; de l’autre tant d’employeurs qui en offrent, les deux ne se rencontrant pas : scandale… cela frappe les esprits, particulièrement quand la conclusion est qu’il faut bien évidemment « activer » le marché de l’emploi pour que cela fonctionne enfin…
Déclaration de Peter Timmermans, Administrateur – Directeur de la FEB, dans un éditorial d’INFORFEB : « Chômage, de l’inertie à l’activation », septembre 2006 :
« Notre système de chômage est l’un des plus onéreux et des plus passifs d’Europe… Nous devons donc avoir le courage de revoir fondamentalement notre système, sans nous contenter de demi-solutions. Des mesures visant à identifier l’emploi et la formation s’imposent. Mais les pénuries récurrentes sur le marché de l’emploi (les professions critiques) indiquent que la motivation de certains demandeurs d’emploi laisse à désirer. »
Citation de Georges Liénard, Professeur de sociologie UCL, in Crise sociale et responsabilisation des groupes précaires : Analyse sociologique.
« Nous démontrerons qu’en dépit du fait qu’une pénurie de travailleurs adaptés est proclamée par divers acteurs (économiques, politiques et scientifiques), cette pénurie est en réalité surfaite et analysée de façon biaisée ; en outre, elle est utilisée pour un positionnement idéologique plutôt que pour le traitement d’un fait lié à des causes multiples. » [5]
UTILISATION IDÉOLOGIQUE DE LA PROBLÉMATIQUE DES PÉNURIES
Une des utilisations exagérées du concept de pénurie est de supposer que si tous ces emplois étaient pourvus, on résoudrait grandement le problème du chômage.
Une deuxième est de considérer que la raison unique est qu’il manque de travailleurs qualifiés et motivés.
Cette utilisation biaisée, outre le fait qu’elle met l’accent sur la responsabilité qui incombe aux demandeurs d’emploi, permet l’impasse sur les actions ciblées sur les conditions statutaires, les conditions de travail, de revenus et de gestion des secteurs concernés par les emplois difficiles à pourvoir, en vue de les améliorer et ainsi, de rendre les emplois plus attractifs.
PREMIÈRE AFFIRMATION :
« Si tous les emplois étaient pourvus, on réglerait le problème du chômage »
En Belgique, l’estimation de la globalité des postes vacants, selon l’auteur [6] : de 200.000 à 500.000/an, tous mouvements confondus (destruction et licenciement, création, départs à la retraite, départs volontaires,…)
Sur base de l’hypothèse haute de 500.000 mouvements/an, le marché du travail de Wallonie et de Bruxelles offrirait 189.506 postes vacants (38% des 500.000 mouvements répartis entre les régions sur la base du pourcentage de la population occupée salariée au 30 juin 2002 (IWEPS, 2004). On peut estimer que la répartition entre les régions de la population active salariée constitue une référence pour répartir les mouvements d’emploi.
- Hypothèse (délai court) Estimations ORBEM et FOREM
En 2003, le nombre d’emplois non pourvus (fonctions critiques) est estimé à 31,2% pour Bruxelles (après 27 jours) et à 23,7% pour la Wallonie (après 34 jours).
- Hypothèse (délai long)
Pour ORBEM, 61,3% des emplois difficiles à pourvoir ont pu être satisfaits après un délai de 1,7 mois au lieu de 27 jours.
Pour sa part, le FOREM indique que 23,7% d’emplois n’ont pu être pourvus après 34 jours mais « cela ne signifie pas qu’en fin de compte les places n’ont pas été satisfaites » (Forem Conseil, 2004) moyennant un délai qui dépasse les 34 jours pris comme critère de référence. Ainsi le nombre d’emplois difficiles à pourvoir diminue assez nettement si on étend de 27 à 50 jours la période de référence.
Sur base de ces éléments, le pourcentage d’emplois concernant les fonctions critiques devient pour Bruxelles : 21,7 % et pour la Wallonie 17,7% (même logique que les considérations ORBEM pour la Wallonie : 61,3% ont pu être satisfaits dans un délai plus long que 24 jours).
Si l’on reprend le chiffre de 189.509 postes vacants/an pour Wallonie et Bruxelles (estimation haute) :
- Hypothèse délai court : 47.855 emplois sont difficiles à pourvoir
- Hypothèse délai long : 35.111 emplois resteraient difficiles à pourvoir.
Par rapport à l’ensemble des DEI :
Année 2005 : Chiffres : 489.461 personnes sans emploi sur Wallonie- Bruxelles.
Par conséquent, selon l’hypothèse délai court, si tous les emplois étaient pourvus, 90% des DEI ne seraient pas concernés et selon le délai long, 93% resteraient sans emploi.
Ainsi, selon l’hypothèse que tous les emplois difficiles à pourvoir (48.000) soient pourvus dans un délai court (27 ou 34 jours), cela réglerait le problème du chômage à concurrence de 10%.
Considérer par conséquent que le problème des pénuries est primordial pour résoudre le problème du chômage est abusif.
DEUXIÈME AFFIRMATION :
« Les pénuries sont dues au manque de travailleurs qualifiés et motivés »
« Il n’y a pénurie de travailleurs adaptés que dans le cas précis où, sur un marché donné (délimité géographiquement et pour une qualification donnée), au salaire en vigueur, il y a trop peu de candidats par rapport à la demande de travail des entreprises. Dans les autres cas, on parle de difficultés de recrutement. » [7]
Quant à la « pénurie qualitative », pour B.Van Haeperen, elle ne se définit que « s’il y a une frontière difficilement franchissable entre la qualification demandée et d’autres qualifications, en d’autres termes que s’il n’y a pas de substituabilité entre qualifications différentes. Cela ne concerne donc que les personnes qui n’ont pas les bons diplômes et les bonnes compétences particulières [8]. Il ne s’agit donc pas de comportement ni de motivation.
« Des stages permettant d’accumuler de l’expérience, une formation continue rémunérée et une action concertée sur les conditions de travail – horaires, ergonomie du poste, etc., sur les conditions statutaires et la sécurité d’emploi dans les secteurs concernés sont des adjuvants indispensables pour agir sur les emplois difficiles à pourvoir. » [9]
Ainsi, plutôt que de parler de manque de motivation, « on pourrait envisager de travailler sur la pénibilité des conditions de travail, le stress, les horaires difficiles, les salaires relativement bas dans certains secteurs, les difficultés de transport liées au manque de transports adéquats. » [10]
Par ailleurs, sur base d’une analyse fouillée effectuée par le service de l’AMEF [11] au Forem, il apparaît que les chiffres ressortissant du domaine de l’inadéquation de l’offre et de la demande sont en réalité tout à fait surdimensionnés dans les déclarations des employeurs.
Ainsi, alors que leurs déclarations recensent parfois plus de 50.000 postes non pourvus durablement, une étude de l’AMEF [12]
"Centrés sur les difficultés de recrutement en Wallonie, les résultats de cette étude ne doivent toutefois pas masquer le fait qu’avant tout, plus de 88 % des offres gérées par le Forem sont satisfaites en 2011. Focalisé sur les difficultés, il ne faut pas perdre de vue, à la lecture de ces pages, que la question de la « criticité » concerne des métiers dont le total des opportunités d’emploi représente moins d’un poste géré par le Forem sur trois.
En outre, parmi ces offres difficiles à pourvoir, 8 000 postes n’ont réellement pas trouvé de candidats. Les pénuries de main-d’œuvre restent donc relativement marginales en regard des quelque 456 000 personnes inscrites au moins un jour en 2011 comme demandeur d’emploi [13]. Ce constat est partagé par d’autres acteurs, comme le professeur Alaluf de l’ULB, qui mentionne dans un article de presse16 que les fonctions critiques ne représentent que « quelques milliers d’offres non satisfaites contre plusieurs dizaines de milliers de demandeurs d’emploi ».
1.4. Combien de kilos ? Un morceau en plus ? : La politique actuelle de formation continue des travailleurs : Dispositif wallon des incitants financiers
RAPPEL DE L’EXISTANT EN RW
Référence des textes légaux : Décret du 10 avril 2003 relatif aux incitants financiers à la formation des travailleurs occupés par les entreprises. Arrêté du Gouvernement wallon du 1er avril 2004 portant exécution du décret du 10 avril 2003 [14]. |
Rappel des caractéristiques du dispositif :
Les incitants financiers à la formation des travailleurs occupés dans les entreprises sont composés de deux volets :
Un volet Chèque-Formation qui vise à promouvoir la formation pour les indépendants et les TPE–PME, selon la définition européenne : moins de 250 travailleurs.
Les chèques, d’une valeur faciale de 30 €, payés 15 €, sont limités d’après la taille de l’entreprise. Ils sont destinés à payer les heures de formation suivies avec des opérateurs agréés, par un travailleur – salarié ou indépendant à titre principal – y compris le travailleur intérimaire et le conjoint aidant du travailleur indépendant.
Les formations doivent répondre à quatre critères, pour être recevables : être qualifiantes, correspondre aux besoins du marché du travail, être transversales et procurer des compétences transférables dans d’autres contextes de travail.
Un volet Crédit-Adaptation qui vise l’ensemble des entreprises, sur base d’une intervention forfaitaire des pouvoirs publics dans le coût de l’heure de formation, avec ventilation selon la taille de l’entreprise : l’intervention horaire/travailleur est de 9 € pour les PME ; 6 € pour les autres, avec majoration de 1 € l’heure pour les entreprises situées dans une région pouvant bénéficier d’aides régionales, selon les critères de la réglementation européenne. Il s’agit de formations spécifiques, visant surtout l’adaptation au poste actuel ou prochain du travailleur pouvant couvrir la polyvalence, l’adaptation aux mutations technologiques, l’utilisation de nouveaux outils, nouvelles méthodes de travail, implémentation du système qualité, management de l’environnement,…
Cette formation doit concerner au moins 3 travailleurs et comporter maximum 150 heures en moyenne par travailleur, sur une durée de minimum 1 an et maximum 2 ans, avec une subvention maximum par entreprise de 80.000 €, pour une période de 2 ans.
A ce volet s’ajoute, à partir de 2007, celui du Tutorat, qui prévoit une subsidiation de 10 €/h, (majorée de 1 €/h pour les travailleurs ne possédant pas le CESS) avec un maximum de 300 h/travailleur. Il s’agit d’une formation applicable au poste de travail actuel ou prochain du nouvel arrivant (- de 12 mois dans l’entreprise), sous la houlette d’un travailleur de l’entreprise âgé de plus de 45 ans et ayant des compétences en matière de tutorat.
Implications en termes budgétaires
BUDGET 2012
Chèques-Formation : 8.719.000 €.
Crédit-Adaptation : 5.050.000 € avec un objectif de formation de 15.000 travailleurs, dont 100 dossiers tutorat.
CONSTATS CONCERNANT LA GESTION DES DISPOSITIFS
Gestion du dispositif sous l’angle des considérations budgétaires
On peut à juste titre s’étonner de l’évolution budgétaire des deux volets du dispositif : en effet, si on compare avec les chiffres de 2006 (premiers chiffres complets dont on dispose pour ce type de dispositif), on peut voir que si le volet Chèques-Formation est assez constant :
BUDGET 2006
Chèques-Formation : 8.994.400 €.
Crédit-Adaptation : 7.000.000 €.
Celui du Crédit-Adaptation est en forte baisse.
Ne pensons pas toutefois que ce relevé est le signe d’une politique concertée. En effet, le Chèque-Formation dépasse largement les crédits budgétaires qui lui sont alloués, particulièrement pour le Chèque-Langues et pour le chèque Eco-climat, notamment dans le cadre du Plan Marshall, ce qui a suscité en 2011 la suspension de la délivrance de ce type de chèques.
D’autre part, le service Crédit-Adaptation étant en sous-capacité RH au Forem, les dossiers n’ont pu être traités en nombre, ce qui a suscité un transfert de budget non consommé de 1.000.000 € entre les deux volets du dispositif, vers le Chèques-Formation !
Ceci, ainsi que d’autres éléments que nous développerons plus loin, nous montre que la politique de formation continue est gérée au niveau des résultats, essentiellement quantitatifs (Il faut montrer que cela marche… mais pas au point de dépasser le budget initial) mais qu’une politique globale efficace reste encore à mettre en place.
Un exemple concret de « siphonnage » : le volet Tutorat
La FGTB wallonne soutient bien évidemment le principe du tutorat : d’une part, ce dispositif aide l’insertion des nouveaux arrivants et d’autre part, allège la fin de carrière des travailleurs plus âgés.
Cependant, la discussion des partenaires sociaux, au sujet des modalités pratiques de ce volet et in fine les décisions du pouvoir politique, montrent bien le positionnement des uns et des autres autour de la problématique de la formation continue des travailleurs.
En effet, les modifications demandées – et obtenues malgré l’opposition des organisations syndicales – par le banc patronal ont largement édulcoré la portée de ce dispositif.
Le raisonnement tenu est désormais bien connu : Pour que cela fonctionne, il faut promouvoir un dispositif léger, facile à utiliser, sans « tracasserie et paperasse inutiles »…
Quelques exemples de l’évolution
- L’avenant au contrat des deux travailleurs, prévu dans la version initiale du texte légal a été transformé en convention tripartite avec le Forem ; le brevet de tuteur que l’on demandait s’est transformé en « démontrer sa capacité d’assurer la fonction », notamment en fournissant la preuve d’une expérience de 1 an minimum dans la fonction ; à défaut « le Forem proposera des mesures de remédiation via le module de formation au tutorat ». Module dont on n’a par la suite plus entendu parler.
Dans les faits, lors de la présentation de ce type de dossier au bureau exécutif du Forem, la formule consacrée est : « le tuteur est occupé dans l’entreprise depuis X années, est âgé de plus de 45 ans et totalise plus de 12 mois d’expérience comme formateur. » Du pur déclaratif, donc, systématiquement conforme au texte décrétal.
- Les employeurs ont demandé – et obtenu, contre l’avis des organisations syndicales – que le gérant d’une SPRL puisse être considéré comme tuteur. C’est ainsi que, tout dernièrement, la FGTB wallonne a remis un avis négatif sur un tutorat de 300 h (le maximum) dans un magasin de vêtements effectué par la gérante qui « totalisait plus de 12 mois d’expérience comme formatrice au cours de sa carrière », afin de mettre au courant la vendeuse diplômée styliste pour « maîtriser les techniques d’essayage, de couture, du travail des différentes matières, du montage des vêtements et des retouches. »
Quand ce n’est pas un couple de gérants qui, chacun de leur côté, prennent « en charge » le tutorat de deux travailleurs… récoltant ainsi pas moins de 6.000 € de subsides.
- La version initiale du texte décrétal prévoyait la contractualisation sous forme d’avenant au contrat du tuteur. Cette version, soutenue par les organisations syndicales, a été modifiée à la demande du banc patronal et convertie en convention signée avec l’employeur stipulant le temps consacré au transfert des compétences vis-à-vis des apprenants.
Il suffit de lier les points 2 et 3 pour comprendre que l’on signe dans pas mal de cas une convention avec soi-même…
Les plans de formation « cheval de bois »
Certains plans présentés au bureau exécutif du Forem illustrent l’adage populaire : « Si vous expliquez cela à un cheval de bois, il se met à ruer. »
Car enfin, comment considérer comme réalistes, lorsque l’on connaît la vie en entreprise, des plans de formation consacrant 800 heures de formation pour une seule personne sur une durée d’un an et demi ? Des plans de tutorat de 192 heures pour un chauffeur de camion-poubelle ? Des constellations d’entreprises dotées d’une même direction, qui, combinant les volets Crédit-Adaptation et Tutorat, ont ainsi récolté, depuis 2006, la somme non négligeable de 362.165 €, autrement dit, pour rappel : 14.486.600 BEF ? Et ce, dans un domaine non réputé pour les conditions de travail positives…
L’écart entre l’engagement et la subsidiation
Pour rappel, les employeurs se sont engagés, dès 1999, dans le cadre de l’AIP, à consacrer 1,9% de la masse salariale à la formation continue des travailleurs. Objectif non atteint et en régression depuis plusieurs années.
D’autre part, si la formation continue dans ce cadre avoisine tout au plus une moyenne de 30 h/an/travailleur/-euse, on constate une moyenne de 62 h/an dans le cadre du Crédit-Adaptation.
ETUDE FLAMANDE SUR LE « OPLEIDINGSCHEQUE »
Dans son évaluation de la politique de l’emploi 2003-2005 de septembre 2005, le SFP Emploi fait mention d’une étude, commandée par le Parlement flamand et réalisée par le Professeur Luc Sels, de la KUL, qui souligne le fait suivant
« L’effet d’aubaine est important, il est estimé à 86% (c’est-à-dire que la dépense de formation aurait été prise en charge par l’entreprise indépendamment du soutien public dans 86% des cas) et est plus important dans le secteur des grandes entreprises. Dans les petites entreprises, il est limité à 50%. (p. 52) ».
Il semblerait par ailleurs que, si l’étude n’a pas été largement diffusée, elle ait eu cependant un impact sur les modifications apportées au dispositif flamand. En effet, l’impact de l’étude de la KUL a fait revoir le dispositif flamand qui, bien que financé par moitié par le travailleur et les pouvoirs publics, se déroulant en dehors des heures de travail, a vu son articulation avec le projet professionnel très renforcé tout dernièrement.
Étant donné qu’avant ces modifications, les dispositifs des deux régions présentaient de nombreuses similitudes, on peut supposer que la présence du même phénomène concerne le dispositif mis en place en Région wallonne. Les pouvoirs publics wallons avaient donc à leur disposition, dès 2005, des études chiffrées dont ils n’ont pas tiré les leçons, malgré les analyses des organisations syndicales et les interpellations parlementaires.
EXTRAIT DU RAPPORT DU CONSEIL CENTRAL DE L’ECONOMIE DU 08.11.06
Chapitre 5 Education et formation continue
5.2.2 Le financement
« L’investissement public en matière de formation a connu une augmentation de 8,9% de 2001 à 2003. Par contre l’investissement privé en faveur de la formation formelle, qui avait connu une augmentation de 1997 (1,13% de la masse salariale) à 2000 (1,34% de la masse salariale) est retombé à 1,09% de la masse salariale en 2004 et à 1,02% en 2005 selon les données provisoires basées sur l’échantillon de la BNB qui seront soumises à révision. (p. 136) »
Si l’on croise cet item avec le taux de participation, la diminution de l’effort financier des entreprises dans le domaine formel n’a pas eu d’impact négatif sur le taux de participation.
Cela peut s’expliquer par deux facteurs :
1. les entreprises recourent davantage aux subsides publics ;
2. les formations sont de plus courte durée.
Et le rapport de se poser la question :
« Cette tendance à la diminution du nombre d’heures de formation par participant est-elle réellement génératrice d’une démocratisation efficace de l’accès à la formation ou masque-t-elle une baisse des ressources du secteur privé consacrées à la formation. Le partage des ressources, afin de faire bénéficier un maximum de personnes des formations, ne devrait pas déboucher sur une dynamique de former, pour former, un maximum de personnes durant un minimum d’heures. »
Conclusion
La problématique de la formation continue des travailleurs semble ainsi, depuis de nombreuses années, souffrir d’une schizophrénie : d’une part, on ne cesse d’insister, de manière parfois incantatoire, sur la nécessité de former les travailleurs, afin qu’ils puissent actualiser leurs compétences et se maintenir à l’emploi ; d’autre part, on ne peut que constater la légèreté de la gestion des dispositifs publics qui ont pour objectif son soutien, au-delà de l’atteinte d’objectifs quantitatifs.
1.5. Cachez cette absente que je ne saurais voir… : L’évaluation
Toute politique implémentée doit, si elle se veut efficace et surtout efficiente, déclarer en amont clairement les objectifs qu’elle désire atteindre et en aval, en effectuer une évaluation portant précisément sur l’atteinte ou non et/ou dans quelle proportion desdits objectifs.
De nombreuses études menées par des scientifiques délimitent les critères « objectifs » nécessaires à une évaluation correcte.
On peut citer à titre d’exemple, les travaux de Bruno Vanderlinden et Muriel Dejemeppe, dont un récent porte sur les bonnes pratiques à mettre en place dans le cadre des aides à l’insertion, à la faveur, notamment, de la 6e réforme institutionnelle de l’État. [15]
Ces deux chercheurs constatent d’emblée :
>
« En matière de politiques d’emploi, et de mesures d’allègement du coût du travail en particulier, il est encore rare de trouver en Belgique des mesures qui aient fait l’objet d’une évaluation qui permette réellement de se prononcer sur l’efficacité du dispositif. Il est en effet encore fréquent que des indicateurs tels que le nombre de personnes ou le nombre d’emplois bénéficiant d’une aide publique soient utilisés comme indicateurs de succès de la politique. »
Ainsi, ils prennent comme exemple le dispositif Win-Win et l’évaluation qui en est faite par un communiqué de presse en provenance du Ministère de l’Emploi :
« Cette mesure [Win-Win] a permis à 52.910 demandeurs d’emploi de moins de 25 ans qui courraient le risque, sans cette mesure forte, de devenir une « génération perdue », de sortir du chômage et de conclure un contrat de travail dans le cadre de Win-Win. » [16]
Savoir que 52.910 jeunes ont pu bénéficier d’un subventionnement dans le cadre de Win-Win ne nous dit malheureusement rien des résultats de ce plan d’embauche, c’est-à-dire de la mesure de ses « effets », tant au niveau des jeunes qui en ont bénéficié que des non-bénéficiaires. Il ne dit rien sur le nombre de jeunes ayant retrouvé un emploi grâce à Win-Win (c’est-à-dire qui n’auraient pas trouvé d’emploi en l’absence de Win-Win) ou sur les nouveaux emplois que cette politique a permis de créer. Comme le soulignent Cahuc et Zylberberg (2004, p.179), « cette façon de présenter le bilan d’une mesure de politique d’emploi en affichant simplement le nombre de bénéficiaires devrait être bannie, car elle fait croire que l’efficacité de la mesure se confond précisément avec le nombre de gens qui en bénéficient. » [17]
Au plan wallon, on pourrait tirer les mêmes conclusions de l’évaluation concernant un dispositif tel que le PFI (Plan Formation Insertion) [18] : si les résultats d’insertion sont positifs et durables, il n’est pas prouvé que, selon les caractéristiques propres au dispositif – notamment la possibilité pour l’employeur de choisir lui-même les bénéficiaires ainsi que la grande proportion de qualifiés parmi ceux-ci – que ces bons résultats soient imputables au dispositif lui-même.
Cette constatation peut se faire de manière générale, pour l’ensemble des dispositifs d’aides publiques dans les domaines de l’emploi et de la formation, où les indicateurs les plus fréquents sont avant tout quantitatifs.
Ainsi, il peut arriver qu’un dispositif soit soutenu, notamment en termes d’objectifs quantitatifs à atteindre annuellement, quitte à se rendre compte, une fois ces objectifs atteints et parfois largement dépassés, que les budgets ne sont pas à la mesure du « succès » rencontré par le dispositif. Suivent alors transferts de budgets, quand c’est possible et/ou moratoire.
Tout ceci s’éloigne d’une politique globale, articulée aux besoins décelés, avec des objectifs clairs, précis, mesurables tant quantitativement que qualitativement.
II. LES PROPOSITIONS
2.1. L’Enseignement
Depuis les années ’80, la FGTB wallonne s’est positionnée pour un fédéralisme de coopération basé sur trois (ou quatre) Régions. Un principe systématiquement répété à l’occasion de chaque Congrès.
Dans la foulée, la FGTB wallonne s’est prononcée pour « le transfert négocié, mais sans exclusive a priori, des compétences et moyens de la Communauté vers les Régions. Ce processus de transfert ne pourra cependant s’effectuer sans veiller à maintenir, face aux structures nationales, l’indispensable solidarité entre les Wallons et les Bruxellois francophones de la Communauté française » [19].
En 1995, la FGTB wallonne considère que « l’enseignement officiel doit être organisé et géré par les pouvoirs publics, la Région wallonne constituant l’épine dorsale et le maître d’œuvre du système » [20].
Lors de son dernier Congrès d’orientation [21], en 2010, intitulé « Les solidarités, moteur de développement », la FGTB wallonne rappelle qu’en matière d’enseignement, la régionalisation pourrait permettre :
- une cohérence précieuse entre le niveau de pouvoir qui définit les orientations économiques de la Région et celui qui organise l’enseignement ;
- une politique différenciée et adaptée aux réalités socio-économiques wallonnes (et bruxelloises) ;
- des moyens supplémentaires pour relever le défi d’un enseignement plus égalitaire, étant donné que la Communauté française est désargentée.
Une nouvelle fois, la FGTB wallonne préconise, conjointement à la régionalisation de l’enseignement, le maintien de solidarités entre Bruxelles et la Wallonie, par le biais d’une coupole birégionale.
LES PRIORITÉS DE LA FGTB WALLONNE POUR L’ENSEIGNEMENT
La FGTB wallonne, dans sa position pour la régionalisation de l’enseignement prise en 2008 [22], réalise le « bulletin de santé » de l’enseignement en Wallonie et à Bruxelles. Le diagnostic en est inquiétant. En effet, « l’école, loin de réduire les inégalités, creuse le fossé entre les enfants issus de classes sociales différentes ». Un état de santé qui n’a guère évolué depuis…
Des objectifs sociétaux
Lors de son dernier Congrès, et déjà dans son Mémorandum en vue des élections de 2009, la FGTB wallonne a défini les différents objectifs qui doivent, selon elle, être à la base de l’enseignement en Wallonie. fin] |
La FGTB wallonne considère l’école comme la première pierre à l’édifice d’une société plus juste et aspire à un enseignement émancipateur qui donne la capacité à tous de comprendre le monde, les facteurs d’inégalités et leurs effets sociaux, économiques, climatiques… Ce type d’enseignement est indispensable à l’exercice de la démocratie. La performance dans l’enseignement étant la réussite pour tous les élèves à un niveau d’exigence élevé.
La stratégie européenne et ses objectifs définis en 2000, à Lisbonne, poussent les États membres à orienter l’enseignement vers un calibrage de la main-d’œuvre pour les entreprises. Cette instrumentalisation de l’enseignement au service de l’industrie se fait au détriment de la construction d’un bagage de connaissances générales pour tous, fondateur d’émancipation individuelle et collective.
Le système scolaire en Fédération Wallonie-Bruxelles [23] fonctionne comme une gare de triage où les trajectoires (dont l’abandon) sont dictées par l’origine socio-économique des élèves. Les inégalités sociales sont maintenues et l’orientation scolaire est le fruit d’un « renoncement » (du général vers le qualifiant puis vers l’alternance) plus qu’un choix. La non-gratuité effective de la scolarité (frais directs et indirects), dès le Fondamental, est une difficulté importante pour les familles défavorisées (dont des travailleurs aux conditions salariales précaires). Le système sert la dualisation des qualifications à travers des trajectoires et des programmes taillés de sorte que tous n’acquièrent pas le même niveau de savoirs et de compétences à un âge déterminé.
Dès lors, pour la FGTB wallonne :
- L’enseignement doit être conçu pour comprendre le monde. Les enjeux socio-économiques et environnementaux sont décisifs pour le devenir de l’humanité. Le sens de l’apprentissage, le vocabulaire et les pratiques d’enseignement ne peuvent être abandonnés à une pensée unique fondée sur l’hégémonie de la valeur marchande. L’histoire sociale, et surtout celle du monde du travail, de la sécurité sociale, des services publics…, doit être enseignée. Il est, en effet, indispensable de développer l’esprit critique, la pratique du libre examen, la citoyenneté et la solidarité des élèves.
- L’enseignement doit être affranchi de toute organisation en marché comme de toute soumission au marché. L’émancipation comme le développement personnel et professionnel doivent primer sur une quelconque valeur marchande et/ou « utilitariste ».
- La formation, initiale et continue, des enseignants doit être réformée et revalorisée. Il est urgent de passer à 5 ans d’études (niveau Master) et d’accompagner les jeunes diplômés.
- L’enseignement de la réussite doit avoir un niveau d’exigence élevé. Il faut donc repenser les fondations du système scolaire et son organisation pour amener l’ensemble des jeunes à obtenir au minimum le CESS à l’issue d’un cursus (enfin) pluridisciplinaire, notamment en se recentrant sur la maîtrise des savoirs de base ; en développant la remédiation immédiate durant tout le cursus scolaire ; en réalisant la gratuité effective de l’enseignement…
- Un tronc commun pluridisciplinaire doit être défini et ce jusqu’à la 4ème secondaire. Ce « socle » scolaire et social contribuant à mieux former les élèves quelle que soit la filière choisie par la suite.
- L’enseignement qualifiant doit être revalorisé.
- Un réseau unique, public et pluraliste doit être créé, fondement de la lutte contre les inégalités.
- L’enseignement supérieur doit être de qualité et accessible à tous.
Des objectifs socio-économiques
Pour définir les objectifs socio-économiques de l’enseignement en Wallonie, nous nous baserons sur la note « Ancrer la politique de l’enseignement dans la politique socio-économique. Régionalisation de l’enseignement obligatoire et supérieur » [24]. Une note qui tient, évidemment, compte des objectifs sociétaux développés ci-dessus et dont le but est de souligner l’inadéquation entre l’enseignement et la situation économique que nous connaissons. |
Dans une situation économique de crise durable et dans un système économique basé sur la compétitivité, la capacité à former une main-d’œuvre qualifiée demeure un enjeu primordial, notamment pour que les politiques économiques régionales soient porteuses d’emplois de qualité. On voit ici le rôle fondamental de l’enseignement et du système scolaire, non seulement en termes d’émancipation sociale mais aussi de mise en phase des qualifications avec les besoins de main-d’œuvre pour redéployer l’économie wallonne.
Dans l’économie qui nous gouverne, la qualité de la main-d’œuvre wallonne constitue donc une force socio-économique attractive de la Région, même si le système scolaire est reconnu comme inégalitaire et inefficace. La qualité de la main-d’œuvre représente aussi un des fondements de l’innovation, élément central dans les économies en reconversion.
Pourtant, la Wallonie connaît un recul inquiétant dans ce domaine. Le Bureau fédéral du Plan le souligne : « un des atouts majeurs de la Région, la qualité de sa main-d’œuvre, est en train de se perdre car les autres pays et régions européens enregistrent des progrès importants. »
De plus, alors que l’enjeu de la mise en phase de l’enseignement avec les besoins socio-économiques est fondamental en termes de redéploiement économique, il est frappant de constater des lacunes importantes en termes de contenu, d’offre de formation, de collaboration institutionnelle, d’implication des acteurs concernés…
A ce tableau peu prometteur s’ajoute l’existence et la persistance de problèmes non résolus, voire leur aggravation comme le taux d’échec élevé en mathématiques, le large manque de maîtrise du français et la conscience insuffisante des enjeux sociétaux, environnementaux et économiques.
2.2. L’alternance
Deux grandes « réformes » sont en cours concernant le statut de la formation en alternance de niveau enseignement secondaire :
- au niveau fédéral (c’est-à-dire couverture sécurité sociale et aspects droit du travail), une Commission mixte CCE-CNT est chargée d’établir un « socle fédéral simple, juridiquement sûr et transparent pour l’ensemble de systèmes » alternance.
Ce socle sera applicable à tous les statuts régionaux/communautaires existants ou à créer, dans le champ défini.
- au niveau régional et communautaire (c’est-à-dire formation et enseignement), l’accord de coopération francophone « alternance » prévoit notamment la création d’un statut commun qui remplacera les actuels CISP (utilisée par les CEFA) et le contrat d’apprentissage IFAPME/SFPME (mais pas les CAI).
Cette partie du statut devrait donc régler ce que le socle fédéral ne règle pas (voire n’a pas à régler).
Depuis l’accord de coopération-cadre relatif à la formation en alternance conclu en octobre 2008 entre la Communauté française, la Région wallonne et le Commission communautaire française, il reste trois chantiers fondamentaux à concrétiser :
- la création de l’OFFA (Office francophone de la Formation en Alternance) ;
- l’implémentation d’un statut unique pour l’apprenant ;
- la certification à l’IFAPME en RW et au SFPME à Bruxelles.
Le 3e point est en bonne voie de réalisation ; les deux autres doivent encore avancer.
Étant donné l’avancement des travaux du SFMQ [25] et de l’objectif de cohérence qui est recherché pour harmoniser et capitaliser les compétences acquises des apprenants, il est impératif que ces divers dossiers puissent être finalisés.
Par ailleurs, d’autres formes d’alternance sont à présent dans les cartons de certains Ministres, dont celle qui aurait comme public-cible les DE de 18 jusque 30 ans…
Il faudra impérativement, par rapport à ces initiatives, ne pas recréer des dispositifs qui s’avéreraient partie prenante d’une complexité que l’on cherche par ailleurs à éradiquer, parce que contre-productive.
2.3. Les métiers dits en tension
COMMENT TRAVAILLER LA PROBLÉMATIQUE SANS TOMBER DANS LES CLICHÉS ?
Il est important, au-delà des clichés, de se pencher sur une étude rigoureuse des causes.
La méthodologie proposée par B. Van Haeperen met au centre de l’étude, l’appariement entre des offres d’emploi hétérogènes et des demandeurs d’emploi aux qualifications/compétences variées, et permet d’aborder le caractère multifactuel des difficultés d’appariement, d’en brosser un tableau nuancé et par conséquent de proposer des pistes de solution plus appropriées.
Parler des difficultés de recrutement, c’est renvoyer au processus d’appariement sur le marché du travail, processus au cours duquel les demandeurs d’emploi en recherche de postes de travail rencontrent des employeurs en recherche de candidats pour pourvoir leurs postes vacants.
L’analyse fouillée des métiers en tension dont a été chargé le Forem depuis 2006, au travers d’un dispositif d’analyse baptisé Job Focus, a permis de mettre au jour l’aspect multifactoriel de cette problématique, éminemment plus complexe que certains discours simplistes donnaient à penser.
Ainsi se dégagent deux types de tensions : celles dues essentiellement à la pénibilité des conditions de travail et celles dues à d’autres facteurs tels que le manque d’informations correctes sur l’évolution desdits métiers (par exemple avec l’introduction des nouvelles technologies de l’information, les progrès de l’automation…), le déficit de filières, la nécessité d’articuler les formations à l’évolution récente, etc.
Pour ce second type de tensions, la FGTB wallonne soutient les plans de remédiation proposés par les organismes publics de formation, en soulignant la nécessaire collaboration avec les secteurs concernés.
Par contre, en ce qui concerne les métiers réputés en tension directement liés aux conditions pénibles de travail, la FGTB wallonne estime qu’il n’est pas dans les missions du service public d’insister pour que les demandeurs d’emploi y accèdent, particulièrement lorsqu’il s’agit d’y intéresser les DE féminins.
En effet, la FGTB wallonne n’a jamais considéré comme un progrès social le fait d’inciter les femmes à accéder aux métiers qui ne rencontrent pas les suffrages des DE masculins, pour cause de pénibilité !
2.4. Formation continue des travailleurs
DES PISTES POUR UNE REELLE POLITIQUE
Le transfert des compétences, singulièrement dans le cadre de la politique de la formation continue des travailleurs, celles du Fonds de l’expérience professionnelle et du Congé Education-payé doit être l’occasion d’implémenter une utilisation globale et efficace, centrée sur le qualitatif, de l’ensemble des moyens consacrés à cette problématique.
L’articulation nécessaire entre les dispositifs fédéral et régional
Dans la perspective d’accroître l’efficacité de l’organisation de la formation continue des travailleurs, et de poser les jalons d’une politique globale de cette formation, il est plus que temps de construire l’articulation des efforts de formation continue issus des accords de l’AIP depuis 1999 et les dispositifs régionaux.
Le dispositif des Incitants financiers de la RW se voulait, comme sa dénomination le souligne, incitatif et donc non contraignant, avec un système de contrôle minimaliste. Si l’objectif de la Tutelle était louable : servir en quelque sorte de courroie d’entraînement, force est de constater que cela ne fonctionne pas.
Le premier principe serait de considérer que, pour avoir accès aux dispositifs wallons, l’entreprise devrait faire la preuve qu’elle a une politique réelle de formation continue et qu’elle atteint les 1,9% de la masse salariale.
En effet, les représentants des travailleurs au sein des conseils conjoints CCE/CNT ont insisté sur le fait que même ayant atteint l’objectif des 1,9% – que les employeurs veulent constituer en limite non dépassable – les entreprises devaient continuer à augmenter leurs efforts.
Cette articulation exigée, vérifiable dans le bilan social, aurait le mérite d’attirer également l’attention sur le soin à apporter à la rédaction du volet Formation de ce même bilan social. Les vérifications que nous avons pu faire au sujet des subsides reçus dans le cadre du Crédit-Adaptation ne sont pas probantes : les subsides reçus ne figurent en tout cas pas, dans la majorité des bilans, dans le cadre réservé à cet effet.
Cette légèreté dans la rédaction constitue un argument de plus pour les représentants des employeurs qui répètent à l’envi que les entreprises forment mais qu’elles ne remplissent pas toujours le bilan social correctement, parce qu’elles consacrent tout leur temps à la production, ou qu’elles n’ont pas les moyens administratifs pour remplir complètement ces documents…
L’implication renforcée de la représentation syndicale
Le dispositif actuel, pour le volet Crédit-Adaptation, prévoit :
Art. 19.
« La formation visée à l’article 17, §1er, peut être dispensée par un opérateur externe ou par l’entreprise elle-même. Dans l’un et l’autre cas, elle est conditionnée à l’existence d’un plan de formation.
Le plan de formation contient des dispositions spécifiques visant les travailleurs issus de groupes à risques tels que figurant dans la Convention collective de travail de la commission paritaire ou sous-commission paritaire dont relève l’entreprise. Le plan de formation est soumis pour avis :
1° soit au Conseil d’entreprise, si l’entreprise occupe plus de cent travailleurs ;
2° soit au Comité de prévention et protection du travail, si l’entreprise occupe plus de cinquante travailleurs ;
3° soit aux organisations représentatives des travailleurs, si l’entreprise occupe moins de cinquante travailleurs.
A défaut d’existence des organes visés à l’alinéa 2 ou à défaut d’un avis positif remis par eux sur le plan de formation, l’avis du Comité subrégional de l’emploi et de la formation est sollicité. »
Le rôle de la représentation syndicale doit impérativement être renforcé. Le fait d’un simple avis à donner n’est pas suffisant comme implication, ce qui a comme conséquence fâcheuse que, dans les dossiers à problème, il est très fréquent de se rendre compte que l’information auprès des représentants syndicaux a été tronquée, avec comme arguments : c’est de l’argent pour l’entreprise ; si on ne le prend pas, d’autres l’auront ; c’est parce qu’on a acheté de nouvelles machines…
Le deuxième principe doit donc être un plan de formation soumis pour accord à la représentation syndicale.
Quant aux entreprises qui ne disposent pas de représentation syndicale, le rôle du CSEF doit lui aussi être renforcé et passé d’un avis à un accord. Parallèlement, le rôle du représentant sectoriel régional doit être également pris en considération, de manière à obtenir, comme certains responsables le réalisent déjà dans ces occasions, une vision de la politique de formation menée par l’entreprise et en proposer, si nécessaire, l’amélioration.
Pour construire quel plan de formation ?
On ne relèvera pas le défi de la formation continue des travailleurs en procédant au coup par coup comme on le fait maintenant, en mêlant achat de nouvel équipement – dont l’écolage se fait très souvent par des représentants du fournisseur, réalité qu’on a tendance à estomper…– et formation effective des travailleurs sur ces machines nouvelles, en acceptant que l’on gonfle démesurément le nombre d’heures répertoriées dans les plans. A ce sujet et pour mémoire, on sait que la moyenne des heures de formation dans le cadre du financement par les employeurs est de 30 heures/travailleur/an ; la moyenne dans le cadre des incitants financiers est de 62 heures…
Il arrive de trouver dans ces plans des programmes de formation qui frôlent le millier d’heures pour un an, sur une période de 12 à 18 mois. Quand on sait qu’un master universitaire comprend 240 h/an…
Le droit individuel à la formation continue doit s’appuyer sur un droit collectif, au travers de la négociation de plans globaux, incluant toutes les catégories de travailleurs, et envisageant le moyen et le long terme. Point 5 des priorités syndicales en vue de la construction d’un discours commun des interlocuteurs sociaux dans le domaine de la formation continue des travailleurs, 6 mars 2006 |
Le troisième principe doit donc être la négociation au sein de l’entreprise avec représentation syndicale d’un plan global de formation continue pluriannuel (avec vision de 3 à 5 ans), révisable annuellement, en lien avec les CCT existant dans les différents secteurs.
La première partie de l’art. 19 du dispositif wallon doit être activée : le plan global de formation doit donc comprendre des dispositions spécifiques pour les travailleurs plus fragilisés, en articulation avec les travaux des Commissions paritaires correspondantes.
Avec quel type de reconnaissance ?
Afin de donner la possibilité à tout travailleur avec ou sans emploi de reprendre un parcours de formation de niveau secondaire ou de niveau supérieur, les compétences acquises sans qu’un diplôme ne les reconnaisse doivent notamment pouvoir être valorisées. Point 10 des priorités syndicales en vue de la construction d’un discours commun des interlocuteurs sociaux dans le domaine de la formation continue des travailleurs, 6 mars 2006 |
Le dispositif de validation de validation des compétences a été instauré en RW et a largement évolué. Il faut maintenant que les compétences acquises, y compris en formation continue, reconnues officiellement par ce dispositif et constituant le portefeuille de compétences du travailleur, puissent être également prises en considération au niveau des conditions de travail et du salaire.
Afin de correspondre au mieux à la réalité du travail, la description des métiers visés par la formation professionnelle doit être établie par les interlocuteurs sociaux. Point 11 des priorités syndicales en vue de la construction d’un discours commun des interlocuteurs sociaux dans le domaine de la formation continue des travailleurs, 6 mars 2006 |
Le quatrième principe doit être l’articulation de la formation continue avec le dispositif de validation des compétences et le Service francophone des Métiers et des Qualifications (SFMQ).
La mise sur pied du Service francophone des Métiers et Qualifications (SFMQ) où siègent les interlocuteurs sociaux et qui détermine les compétences à acquérir tant par des profils métiers que des profils de formation est l’organisme qui est en capacité d’apporter une réponse à notre demande.
L’implication des secteurs professionnels dans ces différentes instances est un gage d’adéquation entre les formations et les compétences à acquérir pour la pratique professionnelle.
Par ce biais, et de manière équitable, les compétences acquises en formation continue, notamment subsidiée, participeraient non seulement au maintien de l’emploi, mais également à une reconnaissance officielle, dans le cadre élargi de la gestion des carrières.
2.5. L’évaluation
Principe à soutenir : Une évaluation cohérente, adéquate aux objectifs à atteindre, tant quantitatifs que qualitatifs, qui mesure les éléments pertinents
Comme nous l’avons dit précédemment, l’évaluation des résultats se fait trop souvent sur base d’indicateurs quantitatifs.
Or, si ces derniers ne sont pas à dédaigner en tant que révélateur du succès d’un dispositif, ils ne sauraient être les seuls garants d’une politique efficace implémentée par les pouvoirs publics.
Trop souvent aussi, c’est l’organisme chargé de l’implémentation du dispositif qui en assure également l’évaluation. A une époque où la contradiction juge et partie est mise en exergue, cela laisse rêveur…
Laissons plutôt la possibilité aux organismes publics chargés de l’évaluation d’exercer leurs missions, dans un objectif de critique constructive afin de permettre aux pouvoirs publics concernés de réorienter les volets problématiques, s’il échet.
On peut également s’appuyer sur les nombreux travaux des professionnels scientifiques de l’évaluation, dont le dernier opus cité précédemment constitue un exemple – et non le seul.