Oui, l’austérité est nécessaire. Mais pourquoi ? Qui la décide ? Et de quelle nécessité s’agit-il ?

 Pour qui est-elle nécessaire ?

L’austérité est le principe fondateur des politiques menées en Europe. Les gouvernements rivalisent dans la compétition à la diminution des dépenses publiques. Les fédérations patronales n’ont de cesse de rappeler la nécessité de sortir les comptes publics du rouge en diminuant les dépenses des entités publiques. Les économistes les plus fréquemment interviewés préviennent des risques encourus si les comptes publics ne sont pas remis sur le droit chemin… S’ensuit alors de longues litanies sur les efforts douloureux mais nécessaires, équitables (puisque nécessairement inégalitaires) qui devront être fournis.

Cet intégrisme budgétaire est distillé aux travers de statistiques qui énoncent le montant des déficits et les économies à effectuer, etc. ainsi qu’au travers des appels incantatoires à la raison économique réputée unique. Derrière cette litanie qui prêche aux classes dominées l’absolue nécessité du sacrifice et de l’effort pour des lendemains qui déchantent se cachent des arbitrages politiques. Décider pour un État de privilégier le remboursement de sa dette et de ses intérêts par l’austérité, c’est-à-dire en diminuant ses dépenses dans les protections sociales (santé, pensions, chômage, etc.) et dans les services publics (enseignements, transports, aide sociale, etc.) résulte non d’une nécessité économique mais d’un impératif politique.

La dette publique est aujourd’hui un instrument politique dont une part importante résulte de la fiscalité très favorable dont bénéficient depuis plusieurs décennies déjà les couches sociales les plus fortunées. Elle leur permet de faire d’une pierre … trois coups : premièrement, elles contribuent moins aux frais généraux de la société (équipements collectifs, protections sociales, …) et, deuxièmement, elles peuvent en faisant crédit aux États (par l’intermédiaire notamment des institutions bancaires et des marchés financiers) obtenir sous la forme de remboursements d’intérêts un nouveau transfert de richesses en leur faveur (une part des contributions fiscales en grande partie issue des salaires est affectée aux remboursements de la dette et de ses intérêts. Troisièmement, en désinvestissant dans les équipements collectifs et les protections sociales, des sources de profitabilité sont ouvertes par exemple pour les assurances soins de santé privées, les fonds de pension, des moyens de transport privatisés, …

Ce qui laisse entrevoir que l’histoire de l’austérité, qu’on nous dit indispensable avec une belle endurance depuis maintenant une trentaine d’années au moins, est celle la mise en dépendance de la société aux appétits aveugles de la finance capitaliste. Assurer son financement par l’emprunt sur les marchés financiers, c’est aussi donner à ses principaux protagonistes, le pouvoir de négocier avantageusement les conditions de l’octroi de prêts. C’est pourquoi l’austérité passe notamment par la modération salariale, par une réduction du coût du travail. Ces expressions sont invoquées pour semble-t-il désigner le mal qui empêche nos sociétés de pouvoir enfin entrer dans le 21ième siècle et se libérer des pesanteurs qui l’accablent. En réalité, il s’agit essentiellement de garantir et de rétablir la rentabilité du capital. Elle passe aujourd’hui par des politiques qui dans les faits permettent un véritable hold-up du capital sur les éléments socialisés du salaire. Lorsque que le gouvernement fédéral annonce une réduction du « taux de cotisation patronale » de 32, 25% à 25% (ce qui engendrerait une diminution de recettes de minimum 1 milliard d’euros), il permet le recyclage de cette richesse des salaires vers les dividendes. Vendue comme incitation à la création d’emplois, ces mesures ne le permettent pas. Car, ce ne sont pas les entreprises qui créent l’emploi (encore faut-il savoir quel type d’emploi et pour quels types d’activité), c’est une demande qui est censée impulser une activité qui peut ensuite se traduire en emplois et en production. Or, l’austérité déprime la demande et diminue les capacités d’intervention des pouvoirs publics alors que celles-ci seraient déterminantes pour faire face aux questions sociales (santé, vieillissement, …) et environnementales (réchauffement climatique, pollutions de l’atmosphère, …).

Au contraire, pour les évangélistes de l’austérité, « le financement de la Sécu renchérit le coût du travail (via les cotisations sociales), détruit de l’emploi et crée du chômage ». Il ne reste plus qu’à vivre petitement dans l’ombre de l’ogre capital, car il serait irrationnel de chercher le salut en dehors de lui.

Particularité qui ne manque pas de sel, l’austérité de plus en plus discréditée en ce compris par les institutions mêmes qui l’ont initiées (comme le FMI), est l’exemple même d’une politique qui a contribué aux chocs économiques et sociaux de 2008 et qui est aujourd’hui présentée pour nous éloigner de la perspective d’une nouvelle crise.

 Qui définit la nécessité ?

L’austérité est aujourd’hui l’un des traits communs des politiques mises en œuvre par les différents gouvernements en Europe. Le Traité européen (le TSCG) dont les Etats membres de l’union européenne sont signataires, parle, dans un style poétique qui lui donne si fière allure, « du fait de la nécessité de maintenir des finances publiques saines et soutenables. »

Alors, si un traité européen nous dit que la nécessité est un fait … Reste à savoir par qui a-t’il été établi ? On peut dès lors se demander ce que cela donnerait si d’autres faits étaient érigés en nécessité. Cela donnerait à peu près ceci « Tenant compte de la nécessité de rétablir la justice sociale et l’institution démocratique de notre société, il a été décidé de :

  • Construire des collectifs d’audit citoyens sur la dette et de déterminer souverainement la partie à annuler sans conditions ni indemnité afin que les moyens initialement affecté au remboursement de la dette et des intérêts soient affectés aux salaires, à leurs socialisations (pensions, santé, chômage, etc.) et à des investissements dans des équipements collectifs. Cette mesure pourrait également être appliquée à travers un prélèvement fiscal exceptionnel sur les couches sociales favorisées par des années de grève du prélèvement ;

  • Réduire collectivement le temps de travail sans perte de salaire avec embauche compensatoire afin de lutter contre le chômage.

  • … »

On pourrait poursuivre sur la socialisation du système de crédit, sur la délibération à construire pour définir sur base de critères sociaux et environnementaux les emplois utiles à créer.

Reprenons la question. Oui, l’austérité et les politiques d’austérité sont indispensables pour permettre l’approfondissement des inégalités socioéconomiques. Elle colle à la peau du capitalisme non indépassable mais seulement irresponsable et aveugle aux effets sociaux et environnementaux que génèrent sa course effrénée aux rétablissements de sa rentabilité.

Car si l’austérité plonge les sociétés sur une trajectoire suicidaire sur les plans sociaux et écologiques, elle n’en garde pas moins sa cohérence et sa nécessité du seul point de vue défini comme priorité des priorités et/ou comme nécessité absolue : rétablir la rentabilité du capital.

L’austérité est vitale pour les uns mais conduit à étrangler les populations en les mettant davantage encore sous l’emprise du dieu capital et de son fidèle clergé, intégriste du libre-échange, définissant la droiture morale des classes populaires dans leur capacité à se soumettre à des conditions de travail de plus en plus précarisées et à une vie où l’on doit se contenter de peu.

L’idée centrale d’une alternative est de combiner une stratégie de défense des conquêtes sociales et une perspective offensive de contrôle démocratique sur ce que l’on fait avec les richesses produites (dividendes ou créations d’activités utiles) et sur l’utilisation des impôts (subventionner le capital ou financer des services publics).

Cette alternative nécessite la construction d’autres rapports de force qui paraissent inaccessibles aujourd’hui. Il ne faut certainement pas sous estimer la difficulté de la tâche mais il serait suicidaire de supposer d’emblée son impossibilité.