« Salaire horaire de € 40 ». « Ecart salarial de 16% ». En matière de salaires, les chiffres du banc patronal, repris par le gouvernement fédéral, peuvent donner le tournis. Mais qu’en est-il réellement ? Quel est le salaire total d’un ouvrier [1] ? Est-il possible qu’un salaire brut horaire de € 15 aboutisse à une dépense de € 40 pour les entreprises ? En d’autres termes, quel est l’ampleur des cotisations à la sécurité sociale et aux éventuels fonds sectoriels ? Inversement, quel est l’impact des réductions de cotisations patronales et des subsides salariaux octroyés aux employeurs ?

Complémentairement à l’analyse macroéconomique du Conseil central de l’économique dont les principaux résultats ont été récemment publiés [2], nous nous sommes penchés sur les salaires totaux des ouvriers et nous les avons comparés avec les chiffres diffusés par les fédérations patronales.

Nous avons ainsi repris les salaires des ouvriers actifs dans plus de 30 secteurs à travers notre pays et, outre le salaire brut, nous avons tenu compte de la durée du temps de travail, des éventuelles primes, des cotisations à la sécurité sociale et aux fonds sectoriels, ainsi que des réductions de cotisations patronales et des subsides salariaux octroyés aux entreprises. Par conséquent, nos recherches permettent de connaître le salaire total horaire d’un travailleur d’un secteur donné ou d’une entreprise donnée, en tenant compte de l’ensemble des paramètres liés à la rémunération. A ce propos, nous reprenons ci-dessous quelques cas concrets liés à trois secteurs différents.

Pour la commission paritaire 100 [3], nous avons recherché le salaire total de trois salaires bruts différents pour un travailleur en temps plein prestant 38 heures par semaine en régime de jour.

Salaire total horaire Aides/Salaire brut
€ 9 € 13,84 16,10%
€ 12 € 19,41 8,80%
€ 18 € 29,63 6,20%

Principaux constats :

  • Pour un salaire horaire brut de € 9 (proche du salaire minimum interprofessionnel [4]), le salaire total horaire atteint € 13,84 et les aides aux entreprises (composées des réductions de cotisations patronales à la sécurité sociale et des subsides salariaux) représentent 16,10% du salaire brut.

  • Dans les trois exemples développés ci-dessus, plus le salaire brut augmente, plus la part des aides aux entreprises sur le salaire brut diminue.

  • Pour un salaire horaire brut de € 18, soit un salaire élevé pour ce secteur, le salaire total horaire atteint € 29,63.

Pour la commission paritaire de l’industrie verrière, à partir d’un salaire brut horaire de € 18, nous recherchons le salaire total d’un travailleur prestant 38 heures par semaine en régime de jour. Nous réalisons la même simulation dans le cadre d’un régime de travail en équipes. Nous tenons aussi compte d’une prime de fin d’année et d’une prime d’ancienneté de € 500 chacune ainsi que de primes d’équipes pour la deuxième simulation (€ 0,70/heure pour le matin et l’après-midi, et € 2/heure pour la nuit).

Salaire total horaire Aides/Salaire brut
€ 18 € 30,80 6,10%
€ 18 et travail en équipes € 29,88 19,00%

Principaux constats :

  • Alors qu’au regard des salaires prévus par cette commission paritaire, nous avons repris un salaire brut élevé [5], le salaire total horaire avoisine € 30.

  • Nonobstant l’octroi de primes d’équipes, le salaire total d’un travailleur occupé en équipes est inférieur à celui d’un travailleur occupé en journée. En effet, les subsides salariaux octroyés aux entreprises pour le travail en équipes et de nuit est supérieur dans ce cas aux primes d’équipes octroyés au travailleur.

  • La part des aides aux entreprises sur le salaire brut avoisine les 20% lorsque le travailleur est occupé en équipes. Par conséquent, un cinquième de sa rémunération est couverte par les aides aux entreprises. En d’autres termes, une journée de la semaine sur cinq est payée par la collectivité.

Nous développons aussi différents cas pour la commission paritaire de la chimie. Pour ce secteur, outre le salaire brut, nous tenons compte des éléments suivants conformément aux accords entre interlocuteurs sociaux pour ce secteur [6] : l’octroi d’une prime de fin d’année (équivalent à 173,33 heures du salaire brut horaire), le remboursement des frais de déplacements, l’existence d’un deuxième pilier de pension et l’octroi de primes d’équipes.

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Principaux constats :

  • Nos trois simulations aboutissent à un salaire total horaire avoisinant les € 24.

  • Lorsque le travailleur est occupé en équipes, son salaire total est inférieur à celui d’un travailleur occupé en journée. De nouveau, les subsides salariaux sur le travail en équipes et de nuit rendent meilleur marché ces régimes de travail malgré les conséquences négatives sur la santé des travailleurs.

  • De même que pour la précédente simulation dans le secteur du verre, la part des aides aux entreprises sur le salaire brut avoisine les 20% lorsque le travailleur est occupé en équipes. Une journée de la semaine sur cinq est donc payée par la collectivité.

En complément de ces résultats, signalons aussi que notre étude ne tient pas compte des éléments ci-dessous qui réduisent ou réduiront encore les salaires totaux :

  • L’emploi de travailleurs appartenant à des groupes-cibles fournit des aides supplémentaires aux entreprises.

  • Les subsides salariaux sur le travail en équipe et les réductions structurelles de cotisations à la sécurité sociale seront augmentés dès janvier 2015. Ces augmentations, accompagnées d’un saut d’index et d’un gel des salaires, signifient que les salaires totaux des travailleurs du secteur privé diminueront.

A la lecture de ces résultats, nous constatons que les salaires totaux des ouvriers n’atteignent pas le salaire horaire de € 40 avancé par le banc patronal. Nous constatons aussi que les aides aux entreprises sont significatives et favorisent financièrement les entreprises qui recourent au travail en équipes et de nuit et ce, nonobstant les conséquences négatives sur la santé des travailleurs.

En matière de chiffres, quels sont les calculs opérés par les fédérations patronales ? Tiennent-elles compte de l’ensemble des réductions de cotisations à la sécurité sociale et des subsides salariaux ? De même, quelle est la part des salaires des dirigeants dans leurs calculs ? Or, il est important de souligner que les intentions du gouvernement en matière de gel des salaires affecteront uniquement les salaires négociés collectivement, ce qui ne concernera pas les salaires des dirigeants d’entreprises. A ce propos, il pourrait être intéressant de réaliser des recherches sur l’évolution des salaires des dirigeants et sur leurs bonus. L’éventuel dérapage salarial de notre pays s’y cache peut-être.