Le Parlement européen émet des recommandations pour « anticiper » les restructurations d’entreprises.
Comme beaucoup d’autres pays européens, la Belgique vit au rythme des restructurations d’entreprises, avec des effets dramatiques pour les travailleurs et les territoires menacés de désertification économique. Le Parlement européen s’est récemment saisi du sujet. Il avance une série de propositions en vue « d’anticiper et de gérer les restructurations ».
Le nombre de restructurations d’entreprises explose en Europe. Sur la seule semaine du 14 au 23 janvier 2013, 10 restructurations majeures ont été enregistrées en Europe, débouchant sur 13.000 destructions d’emplois annoncées. Et c’était avant qu’Arcelor Mittal annonce sa décision de supprimer 1300 emplois à Liège… Dans le même temps, le Parlement européen sort un ensemble de recommandations sur la gestion des restructurations et demande à la Commission d’en faire un acte législatif. Le but n’est pas de s’opposer frontalement aux restructurations d’entreprises. Les parlementaires notent que le nombre de restructurations ne cesse d’augmenter et que cette tendance va continuer. Il ne s’agit pas non plus d’entrer dans le débat sur la politique industrielle ou encore les renationalisations d’entreprises. Il s’agit plus modestement de voir quelles méthodes peuvent être développées pour que les travailleurs n’encaissent pas de plein fouet les restructurations. Selon les parlementaires, les incidences des restructurations sont atténuées lorsque les entreprises développent en permanence les qualifications et l’ « employabilité » de leurs travailleurs. Lorsque la restructuration survient, les travailleurs ont alors plus de chances de retrouver un emploi. Le maître-mot de la proposition du Parlement est dès lors l’anticipation. Les entreprises, en coopération avec les travailleurs et les pouvoirs publics, sont invitées à mettre en œuvre une « gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ». Quels sont les nouveaux métiers qui émergent ? Quelles formations mettre en place pour permettre aux travailleurs qui perdent leur emploi d’entrer dans ces nouveaux métiers ? Les parlementaires estiment par ailleurs qu’un dialogue social, « basé sur la confiance mutuelle… constitue le meilleur moyen de trouver des solutions consensuelles et des approches communes ». Ce dialogue est nécessaire en amont, pour permettre aux travailleurs d’entrer dans une démarche de formation tout au long de la vie ; et au moment des restructurations, afin de trouver des alternatives aux suppressions d’emplois : réduction du temps de travail, renégociation des conditions de travail, reclassements internes ou externes…
Dans le bon sens, mais pas assez loin
L’idée de mieux anticiper les restructurations grâce à un meilleur dialogue social au sein des entreprises est défendue depuis longtemps par le mouvement syndical [1]. Mais celui-ci souligne aussi les difficultés qui empêchent la concrétisation d’un tel objectif. Un obstacle majeur est celui de la « financiarisation » croissante des entreprises. Si les restructurations se multiplient, c’est qu’elles sont devenues un instrument « banal » pour accroître le cours en Bourse de l’entreprise et les revenus des actionnaires. Jamais la voix des actionnaires n’a autant pesé qu’aujourd’hui dans les choix stratégiques des entreprises. Ils réclament toujours plus de profits, à très court terme. Et les dirigeants d’entreprises sont d’autant plus enclins à les satisfaire que leur rémunération est aujourd’hui largement constituée d’actions de l’entreprise. Les travailleurs sont alors souvent réduits à une simple variable d’ajustement : licenciements boursiers, pression sur les salaires, substitution d’emplois temporaires aux emplois stables… Les parlementaires européens semblent d’ailleurs en être conscients [2]. Dans ces conditions, l’idée exprimée par le Parlement européen de « mettre les ressources humaines au cœur du développement stratégique des entreprises » paraît très théorique. Sans un rééquilibrage des rapports de forces en faveur des travailleurs au sein des entreprises, un tel objectif semble inatteignable. Pour brider le pouvoir des actionnaires, différentes pistes existent, telle que la limitation des rémunérations en actions des dirigeants d’entreprise ou l’interdiction des licenciements boursiers. Plus fondamentalement, il faut réinventer la négociation collective, en renforçant le pouvoir d’intervention des travailleurs dans les choix stratégiques des entreprises. Contrairement aux actionnaires, les travailleurs ont intérêt au développement à long terme de leur entreprise. Il faut donc renforcer les moyens légaux pour qu’ils puissent le faire. Les recommandations du Parlement européen vont dans le bon sens. Elles ne pourront cependant se concrétiser sans remettre le travailleur au centre du système. La démocratie économique est à réinventer.