La taxe CO2 est une arnaque anti-sociale. D’abord parce que le taux de la taxe est indépendant du niveau de revenu, ce qui est injuste par principe. Ensuite parce que la taxe fait abstraction du fait que les couches privilégiées ont accès beaucoup plus facilement que les autres aux technologies bas carbone – à la fois sur le plan financier et sur le plan de l’information nécessaire. Les classes populaires ne s’y trompent d’ailleurs pas. En France, le caractère antisocial de la taxe CO2 était à la base du grand mouvement des Gilets jaunes. Sarkozy avait déjà dû abandonner un projet de taxe quelques années auparavant. En Belgique, les écotaxes introduites lors de la participation gouvernementale des Verts, en 1993, ont été haïes au point que le gouvernement Di Rupo a dû se résigner à les supprimer dix-neuf ans plus tard.
Malgré tout, la taxe CO2 gagne du terrain. Lors de la COP 21 à Paris, la plupart des multinationales (y compris les compagnies pétrolières) et des groupes ou institutions capitalistes ont plaidé pour un prix du carbone, au nom du climat. La Colombie britannique, la Norvège et la Suède appliquent une taxe CO2 depuis plusieurs années ; le Luxembourg s’y met l’an prochain, de même que l’Allemagne et les Pays-Bas. La Commission européenne veut accélérer le mouvement. Le sauvetage du climat dépend-il du prix du carbone, par exemple d’une taxe sur le CO2 ? C’est ce qu’on veut nous faire croire, mais ce n’est pas vrai : arnaque anti-sociale, la taxe CO2 est aussi une arnaque climatique.
Pour avoir une chance sur deux de rester sous 1,5°C de réchauffement, les émissions de CO2 doivent diminuer de 55% avant 2030 au niveau mondial, et de 65% au moins dans les pays développés, selon le GIEC [1]. Pour y arriver en augmentant le prix du carbone, il faudrait que ce prix grimpe très vite jusqu’à plusieurs centaines de dollars la tonne dans certains secteurs comme le transport aérien. C’est évidemment incompatible avec la rentabilité du capital – non seulement dans le secteur fossile, mais par répercussion dans toute l’économie capitaliste, puisqu’elle dépend des fossiles à 80%. La Norvège, souvent citée en exemple, a instauré une taxe de 40 euros la tonne : ça donne une idée… Tous les discours en faveur de la taxe CO2 présentent la même contradiction : d’une part on nous dit que le prix du CO2 doit absolument monter pour sauver le climat, d’autre part les prix pratiqués ou envisagés ne permettent absolument pas d’y arriver. La question se pose donc : à quoi sert la taxe CO2, de quel projet est-elle l’instrument ?
Dans le cadre européen
Pour y voir clair, prenons le cas de l’Union européenne. Au cours des années précédentes, elle a établi des quotas d’émissions, distribué ces quotas gratuitement et en excès aux entreprises des grands secteurs industriels, permis à celles-ci de vendre les excédents sur le marché du carbone, et créé un système qui leur permet d’externaliser leurs réductions d’émissions en les remplaçant par de soi-disant « investissement propres » dans les pays du Sud. C’est ce qu’on appelle le Système européen d’échange de droits (ETS, selon l’acronyme anglais). En résumé, il garantit aux grandes entreprises des moyens indolores de réduire leurs émissions (et surtout de faire comme si elles les réduisaient). Toute cette politique climatique pleine de tours de passe-passe est subordonnée aux impératifs de la croissance sur le marché des « technologies vertes », qui sont celles du futur.
Sur ce marché, la concurrence fait rage avec la Chine et les USA. En même temps, l’opinion publique veut qu’on sauve le climat. L’UE augmente donc ses ambitions climatiques : 55% de réduction des émissions de CO2 d’ici 2030, neutralité carbone en 2050. Le but est de « tirer » l’innovation tout en maintenant un certain consentement populaire. Notez que l’objectif 2030 est insuffisant par rapport aux 65% nécessaires. De plus, attention : il s’agit de réduire les émissions « nettes ». Qu’est-ce que ça signifie ? Qu’une partie des émissions peut être compensée en plantant des arbres et en stockant le CO2 sous terre [2]. Ce sont de fausses solutions car 1°) les arbres n’absorbent le CO2 que temporairement, 2°) il n’y a aucune garantie que le CO2 ne s’échappera pas des réservoirs géologiques où on l’aura stocké [3]. Pourquoi ces fausses solutions sont-elles choisies ? Parce qu’elles permettent d’éviter la seule vraie solution possible, qui consisterait à prendre des mesures structurelles pour produire moins, transporter moins et partager plus, c’est-à-dire des mesures contraires à la logique capitaliste. Or, toute la politique de l’Union est basée sur cette logique.
Et la taxe CO2 là-dedans ? On y vient… Le problème est que la politique des quotas et les fausses solutions ne permettent pas d’arriver aux 55% de réduction « nette ». Comme il n’est pas question d’imposer des mesures contraignantes aux grands secteurs industriels, les gouvernements se tournent vers le reste de la société. C’est là que la taxe CO2 intervient : elle frappera les secteurs hors ETS, à savoir la construction, les transports, l’agriculture et les déchets. Les entreprises de ces secteurs paieront la taxe et en transfèreront la plus grande partie sur les ménages. En fin de compte, le but est de contraindre les gens individuellement à « changer leurs comportements », ce qui implique aussi de contrôler ceux-ci et de punir les récalcitrant.e.s.
Dans cette approche néolibérale, on ne tient pas compte (ou alors, on fait semblant) du fait que certaines personnes ont les moyens d’investir dans les technologies « bas carbone », et d’autres pas. Les premières seront récompensées pour leur « bon comportement », les secondes passeront à la caisse. C’est d’autant plus injuste qu’une étude d’Oxfam vient de révéler que les plus pauvres sont les seuls à réduire leurs émissions : les plus riches ne cessent de les accroître [4]. Bref, la fonction de la taxe n’est pas de sauver le climat mais de chercher à sauver le productivisme des entreprises et le consumérisme des riches en atténuant quelque peu la catastrophe climatique causée par ce productivisme et ce consumérisme, sur le dos des travailleurs/euses [5].
Ne dites surtout pas « taxe »…
Le programme du nouveau gouvernement belge s’inscrit dans ce cadre. On y lit que la Vivaldi prévoit d’instaurer « un instrument fiscal » pour « décourager le plus possible l’usage des combustibles fossiles » par le biais de « signaux prix ». A la Chambre, la ministre Ecolo de l’environnement, Zakia Khattabi, a dit qu’elle allait « prendre l’initiative au sein du gouvernement de faire des propositions concrètes pour introduire sans tarder une telle tarification » [6]. Cette déclaration a provoqué un incroyable tohu-bohu. La N-VA a tiré à balles de guerre, le PTB a dénoncé une « écotaxe antisociale » contre « les plus pauvres », et les partenaires des Verts au sein de la majorité se sont rués devant les caméras de télévision pour se démarquer de Khattabi : il n’est pas question d’installer une taxe, ont-ils dit, le programme de la Vivaldi ne le prévoit pas.
Pris à la lettre, c’est vrai : la bible vivaldienne évite soigneusement le mot « taxe » (qui est tabou) et le mot « écotaxe » (qui l’est encore plus !). Pourtant, il n’y a pas à tortiller : « un instrument fiscal pour décourager certains usages par le biais de signaux prix », c’est la définition d’une « (éco)taxe » ! Alors, pourquoi cette agitation ? La réponse est simple : tous les partenaires au gouvernement sont pour la mesure, mais tous ont peur d’être taxés (c’est le cas de le dire) d’intentions « anti-sociales ». Le Soir cite un expert qui a le mérite de la franchise : « Il faut éviter d’utiliser le mot taxe, conseille-t-il. Le débat doit être amené et emballé, avec les bons mots » [7]. Le débat doit être « emballé », en effet, et le monde du travail roulé dans la farine !
En fait, les partis de la Vivaldi sont d’accord sur trois choses : 1°) il faut une taxe, 2°) il faut donner l’impression que cette taxe n’est pas une taxe, mais un « instrument » indispensable pour sauver le climat ; 3°) il ne faut rien dire de cet « instrument » avant que l’amère pilule soit bien emballée. Emballée dans quoi ? Dans « la justice sociale », pardi ! Le problème, c’est que « la justice sociale » – la vraie – est inconciliable avec le néolibéralisme. Et le problème dans le problème, c’est que le MR, le PS, les démocrates-chrétiens et Ecolo doivent assumer le néolibéralisme devant des électorats différents. C’est pourquoi le programme de la Vivaldi fait de l’équilibrisme : « l’instrument fiscal » sera « neutre du point de vue budgétaire », ses revenus « seront restitués à la population et aux entreprises », on veillera à « préserver la position concurrentielle des entreprises et le pouvoir d’achat des ménages » et, le cas échéant,« une correction sera apportée sur le plan social et territorial ». C’est le compromis à la belge.
Le tort de Zakia Khattabi n’est pas d’être sortie du programme de la Vivaldi. Son tort est d’avoir profilé son parti en présentant « l‘instrument fiscal » dans un emballage trop vert. Dans sa note de politique, en effet, la ministre écrit ceci : « Une réforme fiscale résolument orientée vers la transition verte et la réalisation de nos objectifs climatiques est importante. D’importantes démarches préparatoires visant à instaurer un prix carbone ont déjà été accomplies au cours de la précédente législature. Je prendrai l’initiative au sein du gouvernement de faire des propositions concrètes pour introduire sans tarder une telle tarification dans les secteurs hors ETS et l’accompagner des mesures nécessaires pour garantir son caractère socialement juste » [8].
Les réactions indignées des autres ténors de la majorité face à cette déclaration relèvent du positionnement politicien le plus plat. En cette matière – ça devient une habitude – le premier prix va au président du MR. « Il n’y aura pas de taxe carbone », a-t-il dit d’un ton de premier consul. Ah bon ? « Il faut une taxe CO2 », déclarait au même moment son camarade Pierre Wunsch (apparenté MR). Et le directeur de la Banque nationale d’ajouter : « Les écologistes ont eu le courage de le dire, aujourd’hui ils osent moins en parler. Mais la plupart des économistes sont d’accord. Sans taxe CO2, on ne va pas y arriver » (à la neutralité carbone, DT) [9]. Allo, GLouB, allo ?
Changer les comportements individuels, pas le système
Il faut prendre la mesure de la précision apportée par Mme Khattabi : « l’instrument fiscal » sera introduit « dans les secteurs hors ETS ». Les projets énergétiques de la Vivaldi éclairent la portée à la fois anti-sociale et anti-climatique de cet engagement. En effet, on sait que le gouvernement veut sortir du nucléaire comme prévu en 2025. Fort bien, sauf qu’il remplacera Doel et Tihange par des centrales au gaz tournant seulement quand les renouvelables ne produiront pas assez. Pour garantir l’approvisionnement, la coalition offre un incitant de 600 à 800 millions par an aux électriciens, afin qu’ils investissent dans ces centrales intermittentes. Or, 1°) ces centrales font partie des secteurs ETS, elles ne paieront donc pas la taxe CO2 ; 2°) elles augmenteront les émissions de CO2 ; 3°) Engie-Electrabel, qui met les bouchées doubles pour s’accaparer la plus grande partie de ce marché, ne paie pas un cent d’impôt depuis 2017 [10]. L’arnaque sociale et climatique est ici complète… et la sortie du nucléaire un piètre prix de consolation pour l’électorat vert.
Avec « l’instrument fiscal », le slogan « change the system not the Climate » devient « changer les comportements individuels, pas le système ». L’arnaque est grosse, très grosse… Comment le gouvernement l’emballera-t-il ? Comment évitera-t-il une révolte style « Gilets jaunes » de celles et ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir des comportements écologiquement corrects ? Le programme vivaldien évoque un « instrument fiscal neutre du point de vue budgétaire », dont les revenus « seront restitués à la population et aux entreprises ». Du bluff ? Pas sûr, il y a des précédents.
En Colombie britannique, par exemple. En 2008, le parti libéral au pouvoir dans cette partie du Canada a instauré une taxe de 10 dollars canadiens par tonne de CO2. Elle a été portée à 30 dollars en 2012, puis gelée à ce niveau. Les rentrées étaient redistribuées aux familles les plus modestes et (à plus de 50% !) aux entreprises, sous forme d’abattements fiscaux. Il faut souligner que la Colombie britannique n’avait pas de système d’échange de droits, du genre ETS. Ses émissions auraient diminué de 5 à 15% sur la période (un résultat comparable à celui de l’ETS en Europe) [11].
Il ne serait pas étonnant que la Vivaldi s’inspire de cet exemple libéral-social-vert pour sa taxe (pardon : son « instrument fiscal ») hors-ETS. Cela collerait assez bien à son projet politique qu’on peut résumer en une formule : beaucoup de néolibéralisme, un peu de charité, un peu d’écologie, beaucoup de poudre aux yeux. Le système imaginé par le gouvernement bruxellois pour moduler le prix du carbone en fonction de la cylindrée des véhicules, notamment, est une tentative d’emballage du même genre. Nous y reviendrons. Pour notre part, nous appelons à la résistance : non à la taxe CO2 ! Non au capitalisme vert ! Oui à une politique écosocialiste, vraiment sociale et vraiment écologique !
Taxe CO2 : à contretemps du marché ?
On a montré dans les paragraphes précédents que la taxe CO2 n’est ni sociale ni écologique. C’est un instrument de marché conforme aux lois du marché : profit capitaliste, inégalité sociale et accumulation du capital (antagonique aux limites de la planète). Une taxe peut servir à corriger le marché, mais corriger le marché ne permettra pas d’arrêter la catastrophe climatique car celle-ci est précisément le produit de celui-là [12] .
Ce deuxième article s’intéresse au paradoxe suivant : comment se fait-il que les néolibéraux font le forcing pour la taxe CO2 au moment précis où le marché bascule en faveur des énergies renouvelables et en défaveur des énergies fossiles ? Autrement dit, dans le cas belge : le gouvernement Vivaldi n’est-il pas à contretemps en voulant introduire un « instrument fiscal » pour « décourager le plus possible l’usage des combustibles fossiles » par le biais de « signaux prix » ? [13]
À chacun sa spécialité, mais…
Commençons par une mise au point, afin d’éviter tout malentendu : à la Gauche anticapitaliste, nous nous opposons à l’économie de marché en général et à la taxe carbone en particulier. Nous nous en tenons au bon sens d’Einstein qui déclarait « on ne peut pas solutionner un problème par le mode de pensée qui a causé le problème ». Nous contestons qu’il serait possible d’employer des mécanismes de marché pour arrêter la catastrophe climatique créée par le marché. Par conséquent, loin de nous l’idée d’invoquer les lois du marché pour donner des leçons aux partisans de l’écologie de marché. A chacun sa spécialité !… Mais nous nous permettrons de faire remarquer aux néolibéraux plus ou moins verts que leur fixation sur l’idée du « prix du carbone » comme moyen indispensable au sauvetage du climat a perdu une bonne part de sa crédibilité du fait de l’évolution… du marché.
Pour rappel, tous les plaidoyers en faveur de la taxe CO2 sont basés sur le même raisonnement : 1°) Les renouvelables sont plus chères que les fossiles ; 2°) Pour éviter la catastrophe, il faut donc renchérir le prix des fossiles ; 3°) Grâce à ce renchérissement, les renouvelables attireront les capitaux, et la main invisible du marché organisera la « transition énergétique ». Le problème du changement climatique sera résolu en douceur, hop ! « Sans idéologie », comme dirait JM. Nollet [14].
Les fossiles sont au bout du rouleau…
Or, le 1°) n’est plus exact : les fossiles ne sont plus meilleur marché. Dans le secteur de la production d’électricité, les sources renouvelables sont plus compétitives. Le graphique que nous reproduisons ci-dessous parle de lui-même : en 2019, un MWh coûtait 68 $ quand il était produit par les panneaux photovoltaïques et 53 $ quand il était produit par les éoliennes onshore. Les prix sont nettement plus élevés pour les centrales au charbon (109 $) et pour les centrales nucléaires (96 $). Les turbines gaz vapeur sont les seules sources fossiles encore compétitives (56 $/MWh), mais cela ne durera pas [15].
Cela ne durera pas parce que les prix de l’électricité renouvelable – surtout du solaire PV et des éoliennes onshore – diminuent à vive allure. Le soleil et le vent sont gratuits. Du coup, le prix des renouvelables est déterminé surtout par le coût de la technologie, qui progresse à pas de géant. Dans le cas des fossiles, au contraire, non seulement la source d’énergie a un coût, mais en plus il n’y a plus beaucoup d’avancées techniques possibles. L’efficience énergétique des centrales au charbon, au gaz ou au fuel est quasiment à son maximum. En fait, ces technologies sont au bout du rouleau. C’est pourquoi la compétitivité du charbon et du gaz comme sources d’énergie plafonne. Elle continuera de plafonner, et celle des renouvelables continuera de diminuer.
… et le nucléaire est une voie sans issue
Le cas du nucléaire est encore plus intéressant que celui des fossiles. En effet, en consultant le graphique, on voit au premier coup d’œil que le coût de l’électricité produite par les centrales nucléaires ne plafonne pas, il augmente fortement : 155 $/MWh, contre 96 $ dix années plus tôt ! Les causes sont multiples : des régulations plus contraignantes, pour limiter les risques ; mais aussi le fait que la technologie est lourde, concentrée, et que la construction des centrales prend des années. Il n’y a pas dans ce secteur – heureusement ! – une production de masse exponentielle. Or, production de masse et progrès technique s’alimentent mutuellement. C’est la grande différence entre le nucléaire et les renouvelables, le solaire photovoltaïque (PV) en particulier.
L’évolution des prix a évidemment des implications sur le futur des systèmes énergétiques. La très influente et très capitaliste Agence Internationale de l’Énergie (AIE) mise depuis plus de quinze ans sur un mix énergétique « bas carbone » associant le nucléaire, les renouvelables et les fossiles (dont les émissions seraient soi-disant « compensées » ou stockées dans le sous-sol). Ce scénario est basé sur le dogme productiviste : pas question de passer à un système 100 % renouvelables, car cela imposerait de réduire la production et la consommation de courant. Pas question non plus d’aller vers un mix composé uniquement des renouvelables et des fossiles, car cela ferait exploser le climat. Conclusion : pour continuer le productivisme, il faut sauver le deus ex machina nucléaire, source d’énergie « bas carbone » [16]. Du coup, certains néolibéraux partisans du scénario de l’AIE donnent à la taxe carbone une nouvelle mission : protéger le nucléaire… contre « la main invisible » du marché. Max Roser, économiste et directeur de recherche à l’Université d’Oxford le dit explicitement : « rendre les réacteurs nucléaires compétitifs avec les combustibles fossiles est un nouvel argument en faveur d’une taxe carbone ».
Un paradoxe du capitalisme vert à la vivaldi…
Dans ce contexte de plus grande compétitivité des renouvelables, on peut se demander à quoi rime la volonté vivaldienne d’imposer une taxe CO2. En effet raisonnons : vu l’évolution des prix du courant produit par les renouvelables, par le gaz et par le nucléaire, respectivement, si la taxe frappait les émissions des centrales au gaz appelées à remplacer les réacteurs, elle pourrait rendre compétitive… l’importation en Belgique d’électricité nucléaire produite en France ou en Grande-Bretagne. Le nucléaire sorti par la porte revenant par la fenêtre, ce serait un comble. La contradiction serait plutôt embarrassante pour les Verts !
Mais ça n’arrivera pas. Il n’y a pas de contradiction, seulement un paradoxe. Il s’explique aisément. En effet, c’est uniquement dans le secteur de la production électrique que les renouvelables ont franchi le cap de la compétitivité par rapport aux fossiles et au nucléaire. Or, l’électricité couvre au niveau mondial moins de 20 % de la consommation finale d’énergie. Dans les autres parties du système énergétique, le charbon, le pétrole et le gaz restent moins chers que les renouvelables. Cela changera, bien sûr, parce que l’électrification des activités est appelée à progresser (on le voit dans le secteur des transports, avec la ruée des constructeurs sur la voiture électrique). Mais la « transition » se fera au rythme imposé par les multinationales, et à l’aide des technologies qu’elles choisiront, en fonction de leurs profits. Trop lentement, beaucoup trop lentement pour sauver le climat.
En attendant, pas de souci pour les fossiles : la taxe CO2 ne frappera pas les émissions des grands secteurs industriels, qui incluent les centrales électriques. Mme Khattabi a été très claire sur ce point, au Parlement : « l’instrument fiscal » s’appliquera uniquement dans les secteurs qui sont hors du Système européen d’échange de quotas d’émission (ETS). Donc, dans cet ETS, les grandes entreprises multinationales continueront à bénéficier des tours de passe-passe qui leur permettent de contourner leurs responsabilités climatiques. En même temps, dans le reste de l’économie (agriculture, construction, mobilité, déchets), les entreprises paieront la taxe, qu’elles reporteront largement sur les consommateurs/trices finaux/ales. En particulier ceux des classes populaires, qui n’ont pas les moyens d’investir dans les technologies propres et d’être remerciés pour ça.
… et une contradiction
Il y a cependant une vraie contradiction dans le projet énergétique de la Vivaldi. Comme on l’a vu, le nucléaire est une voie sans issue. A première vue, ce constat valide la volonté du gouvernement de respecter la loi de sortie votée en 2003. Mais cette première vue est trompeuse. D’abord parce que les réacteurs de Doel 4 et de Tihange 3 seront remplacés par des centrales au gaz qui émettront du CO2 et permettront à Engie-Electrabel de continuer à pomper l’argent de la collectivité [17]. Mais aussi parce que la compétitivité des centrales au gaz sera rapidement dépassée par celle des renouvelables (au rythme actuel, ça ne prendra pas dix ans). Que faire alors ? Appliquée sans « idéologie », la loi du marché voudrait que ces outils soient fermés. Le souci est que les électriciens qui les posséderont ne seront pas d’accord. Ils voudront soit que la collectivité continue à les subsidier, soit qu’elle leur offre une jolie indemnité.
En d’autres termes, on pourrait connaître dans quelques années une situation où les centrales au gaz contrôlées par le privé handicaperaient le développement des renouvelables (un peu comme le nucléaire le fait depuis des années). Pour éviter ce piège, il faudrait sortir des lois du marché, faire de l’énergie un bien commun. Ou au moins décider que les centrales au gaz (si elles s’avéraient vraiment nécessaires à la sécurité d’approvisionnement pendant quelques années) seront publiques [18]. Mais de cela il n’est évidemment pas question dans le cadre de la Vivaldi : ce serait « faire de l’idéologie », ce serait contraire à la logique du capitalisme vert qui – vous savez quoi ? – est une idéologie au service de l’intérêt de classe des dominant.e.s.
Cet article a paru sur le site Gauche anticapitaliste, en deux parties : « Taxe CO2 : une arnaque difficile à emballer ! » et « Taxe CO2 : à contretemps du marché ? » en décembre 2020.