La fiscalité s’est imposée comme sujet majeur des élections du 25 mai, chaque parti y allant de sa réforme. Devant la technicité du sujet et les messages qui se répondent dans la campagne, l’électeur aura bien du mal à en percevoir les enjeux. La relance par la fiscalité est-elle la bonne formule ? Le contexte de crise peut-il influencer le coût de la réforme ? Ne faut-il pas plutôt augmenter les recettes fiscales pour répondre aux défis ? C’est sous forme de questions-réponses que ces interrogations sont ici traitées de manière critique, en éclairant les notions utilisées. On parle en effet de réduire la « pression fiscale », de rendre la fiscalité plus lisible, de restaurer la globalisation et la progressivité pour une fiscalité plus juste,…Il ne s’agit pas d’une analyse comparative des réformes des différents partis, mais plutôt d’un regard critique de différentes propositions fiscales majeures mises sur la table et de voir comment elles répondent aux conceptions progressistes en la matière et notamment à celles défendues par le MOC.
Réduire la fiscalité pour relancer l’économie ?
En cette année d’élections multiples, les principaux partis francophones ont indéniablement décidé de placer la fiscalité au centre de la campagne. Chacun d’entre eux a décrit la réforme qu’il entend mettre en œuvre si les électeurs lui accordent leur confiance. Dans ce cadre, le MR souhaite instaurer des réductions d’impôts notamment afin de relancer l’économie. Cette politique est-elle crédible sur le plan économique ?
Certes, la baisse de l’impôt des personnes physiques (IPP) peut relancer la consommation, ce qui aura des effets positifs sur les recettes de TVA et d’accises. Mais toute la question est de savoir dans quelle mesure le surcroît de revenu sera affecté à la consommation intérieure plutôt qu’à l’épargne et aux produits importés ? Les ménages ne vont-ils pas préférer épargner par peur de l’avenir et, en particulier, par crainte d’un dérapage des finances publiques qui, à terme, obligerait à augmenter les impôts ? [1] C’est une inconnue à laquelle personne ne peut répondre avec exactitude. Dès lors, les effets d’une telle politique sont potentiellement dangereux pour la santé des finances publiques.
La baisse de l’impôt des sociétés (ISOC), quant à elle, permet aux entreprises de produire plus sans y perdre (relèvement du seuil de rentabilité) ou de baisser leur prix pour vendre davantage, ou d’augmenter les investissements si l’avenir leur paraît prometteur…ou encore de grossir les dividendes versés aux actionnaires, ce qui ne crée quasi pas d’emplois. Suivant le mix de ces effets au plan macroéconomique, la création d’activités et d’emplois qui s’en suit réduit les dépenses de chômage et accroît les recettes fiscales (impôt sur le revenu, taxes sur la consommation, ISOC).
Cela dit, la réduction d’impôt n’est pas l’unique moyen pour relancer l’économie. Il convient donc de se demander s’il n’y a pas mieux à faire en comparant le rapport entre les impacts et le coût budgétaire des différentes mesures envisageables, notamment en se concentrant sur y compris par les dépenses publiques et les prestations sociales, comme nous le verrons plus loin.
Le MR table sur un effet-retour de sa réforme d’au moins 30%. Mais d’autres partis ne veulent pas en tenir compte. Qu’en penser ?
L’effet-retour est une notion budgétaire : c’est l’augmentation des recettes publiques liée au regain d’activité économique engendré par la baisse des impôts (pour une illustration voir note [2]). Il dépend de l’effet-relance sur l’activité et l’emploi. Or, dans un contexte de crise, il ne faudrait pas surestimer son ampleur, car cela pourrait avoir des conséquences budgétaires désastreuses pour plusieurs années. En effet, une réduction d’impôts insuffisamment compensée par d’autres recettes a forcément un effet limité sur l’activité économique dans la mesure où il faut alors réduire l’emploi public. Notons d’ailleurs que le MR annonce vouloir financer sa réforme par le gel des dépenses publiques, ce qui signifie concrètement soit leur réduction hors indexation.
Relancer l’économie par la baisse des impôts en escomptant un effet-retour revient à vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, soit avant d’avoir observé l’effet sur la croissance et l’emploi. C’est pareil quand on propose de réduire la fiscalité sur le travail avant d’avoir engrangé les résultats d’une taxation plus juste sur les revenus des patrimoines mobiliers et immobiliers
Or, même si globalement, la situation économique de l’Union européenne s’améliore, la reprise à moyen terme pourrait être assez lente. Cet environnement conditionne l’effet multiplicateur de la baisse des impôts sur l’emploi privé. L’effet multiplicateur dépendra beaucoup de nos exportations et donc de l’état des économies de nos partenaires commerciaux, lesquelles tournent au ralenti (c’est notamment le cas de la France dont les perspectives budgétaires présagent davantage de restrictions). C’est pourquoi les autres partis font preuve de prudence sur le terrain de l’ampleur de l’effet-retour. Et ceux qui ont opté pour une réforme budgétairement neutre se souviennent peut-être du faible effet-retour de la réforme de 2001 et du fait que des réformes antérieures de l’IPP ont dû être compensées par des hausses de TVA et ont contribué à l’endettement public croissant dans les années 90. Le taux d’intérêt moyen sur la dette (de près de 4% à l’heure actuelle) est nettement supérieur au taux de croissance du PIB qui détermine celui des recettes fiscales. Une hausse du taux d’endettement pourrait dès lors relancer l’effet boule de neige de la hausse des charges d’intérêts de la dette, au détriment des autres dépenses publiques. Dans ce cas, il faudrait, chaque année, réduire les dépenses publiques ou augmenter les impôts pour compenser la hausse des charges de la dette.
Au sujet des estimations du coût net :
La KUL a initialement estimé le coût net des mesures du MR à l’IPP à quelque 16 milliards d’euros contre 5 milliards pour le MR [3]. Pour les mesures à l’ISOC, elle l’évalue à près de 5 milliards d’euros contre 1,5 milliards selon le MR. Soit un total de près de 20 milliards d’euros selon la KUL et de 6,5 milliards pour le MR.
Si les 100.000 emplois attendus par le MR étaient attribuables à l’ensemble de ces mesures, le coût net par emploi créé serait donc de 65.000 euros selon le MR ce qui est déjà onéreux et de 200.000 selon la KUL.
Mais le simulateur de la KUL n’intègre pas toutes les données et certains éléments comme la rationalisation des niches fiscales pourraient avoir été méconnus au moment de réaliser ces estimations.
C’est évidemment complexe. Notamment parce qu’il faut non seulement estimer ce qui réduit le coût par rapport au coût brut (l’effet-retour) mais aussi ce qui l’augmente, comme les comportements des entreprises à l’égard des mesures concernant les niches fiscales [4]. Par exemple, le MR compte réduire l’ISOC de 33,9% à 23% et à 20% pour les PME, mais veut rendre les intérêts notionnels [5] plus accessibles à ces dernières, qui selon le MR pourraient dès lors ne payer que 15% d’impôts et créer beaucoup d’emplois. Mais leur usage de la mesure peut aussi en augmenter le coût au-delà de ce qu’il évalue [6]. Or il est à craindre que la mesure ne soit pas ajustée puisqu’elle a à peine été revue après 2007 malgré l’explosion de ses coûts.
NB : Les estimations parues plus récemment dans la presse suite aux changements annoncés par le MR ne permettent pas de donner des données complètes.
Ou augmenter le rendement de l’impôt pour répondre aux défis actuels et à venir ?
Plutôt que les réduire, faudrait-il augmenter les recettes fiscales afin de financer la relance ?
Comme on le verra plus loin, il n’est pas question d’augmenter d’entrée de jeu le poids de l’impôt du contribuable moyen, mais plutôt de renforcer le rendement de l’impôt (ce qui n’empêche pas de réduire les dépenses inutiles afin de les recycler dans des dépenses utiles). Augmenter les recettes fiscales pourrait d’abord servir à une relance modérée passant par des dépenses publiques supplémentaires. Le contexte économique actuel rendrait en effet très coûteuse une relance massive visant un impact rapide sur l’économie. Mieux vaudrait privilégier un coup de pouce à une relance fondée sur la réponse à des besoins sociaux criants et ensuite accompagner une accélération progressive de l’économie sur plusieurs années. Ce coup de pouce passerait principalement par une hausse des minima sociaux et la création d’emplois subsidiés pour personnes peu qualifiées. Les emplois ainsi créés seraient des emplois utiles (avec, si possible, un processus bien organisé de formation continue), car les bénéficiaires s’empresseraient de satisfaire leurs besoins de consommation plutôt que d’épargner. En même temps, on réduirait la pauvreté et la précarité ainsi que l’exclusion de longue durée de nombreuses personnes qui recherchent désespérément un emploi.
Une telle relance par des dépenses publiques judicieusement choisies s’avère bien plus efficiente, plus économe des deniers publics, plus productrice de bien-être et socialement plus juste et plus sélective, que les baisses d’impôts aujourd’hui énoncées. Il faudrait également privilégier une relance durable qui consisterait à accorder une part significative des moyens à une démarche d’investissement de façon à en retirer des fruits à terme. Ainsi, le préfinancement des travaux d’isolation dans les quartiers populaires permettrait de créer des activités intensives en emplois, de réduire les émissions de CO2 et de réaliser des économies sur les dépenses énergétiques pour des habitants qui en ont particulièrement besoin. Et la rénovation énergétique des bâtiments publics permettrait de réaliser des économies pour les pouvoirs publics (sans perte de bien-être).
Mais ces politiques ne pourront être menées qu’à condition de renverser complètement la vision dominante de la fiscalité. Aujourd’hui, cette dernière est trop souvent présentée comme un prélèvement sur le pouvoir d’achat des ménages. Or, ceux-ci ont de plus en plus de besoins qui dépendent d’investissements publics ou qui nécessitent une intervention publique pour être accessibles. Pensons aux pensions et allocations insuffisantes, aux soins de santé et à la prévention, aux services d’aide familiale ou de garde d’enfants tarifés suivant le revenu, à l’arriéré judiciaire à combler, aux investissements dans la mobilité, à l’accessibilité financière des logements, etc. Une hausse des contributions et des cotisations des travailleurs permettrait dès lors de financer une « consommation » qui se déplacerait vers la sécurité sociale et vers les services et investissements collectifs. L’augmentation du revenu des ménages [7] liée à la croissance serait répartie en donnant une plus grande part aux biens et services collectifs et une part moindre qu’actuellement à la hausse du pouvoir d’achat de biens et services marchands. Celle-ci sert souvent, au-delà de la satisfaction des besoins des personnes à faible revenu, à céder aux envies de superflus créés par la publicité de l’économie marchande [8], d’autant plus si le revenu est élevé. Dès lors, face à ce glissement des besoins de la sphère marchande vers celle du financement collectif, figer la fiscalité pendant 10 ans, comme l’annoncent certains politiques, n’est vraiment pas une bonne idée.
Mais est-il pensable d’augmenter les recettes fiscales alors qu’on ne cesse de répéter que la « pression fiscale » en Belgique est parmi les plus élevées de l’Union européenne ?
Il faut d’abord définir ce que signifie cette fameuse « pression fiscale ». Celle-ci est souvent présentée comme la somme des recettes fiscales rapportée au PIB. On y ajoute parfois les cotisations sociales. C’est un terme manifestement péjoratif pour parler de l’importance quantitative de l’impôt. On pourrait aussi parler de la pression au travail, de la pression automobile, de la pression des loyers sur notre pouvoir d’achat. Or, seule la pression fiscale semble avoir droit de cité.
Pour répondre à la question, il est possible d’augmenter les recettes fiscales sans augmenter les taux ni ajouter de nouveaux impôts. Il suffit d’élargir l’assiette des revenus taxés. Par exemple, en réduisant la fraude et l’évasion fiscales ou en limitant les possibilités de cumul des déductions fiscales. Or, la lutte contre la fraude n’accroît pas la pression fiscale sur tout un chacun, mais sur les fraudeurs en particulier. Une autre manière est de rapprocher la taxation effective des hauts revenus de leur capacité contributive en plafonnant les déductions fiscales, en harmonisant vers le haut la taxation des patrimoines et en instaurant une taxe sur les grandes fortunes.
Améliorer le rendement de l’impôt peut-il contribuer à assumer l’impact du vieillissement démographique à partir de 2015 ?
Outre la dette publique actuelle, l’Etat a un autre engagement : celui de payer les pensions et les soins de santé d’une population vieillissante. La réalisation de ces défis passe par le désendettement de l’Etat. C’est pourquoi il est important de réduire le déficit public, puis de parvenir, à la fin de chaque année, à dégager un surplus croissant, ce qui permettra de réduire le taux d’endettement (en pourcentage du PIB) et de payer moins de charges d’intérêt. La Belgique a témoigné de sa capacité à réduire son taux d’endettement plusieurs années durant avant la crise. Renouer avec cette réduction progressive et rester sur cette trajectoire constitueraient un bon signal aux marchés financiers. Et, ce faisant, les emprunts d’Etat qui remplaceront ceux qui viennent à échéance se feront à des taux d’intérêt encore plus bas.
Progressivement, par la réduction des charges d’intérêt, des marges budgétaires pourront être dégagées pour faire face à l’augmentation des dépenses de protection sociale liée à l’arrivée à la retraite des baby-boomers des années 50 et 60.
Serait-il possible de réduire l’endettement public en évitant l’austérité ?
Renouer avec le désendettement de l’Etat ne veut pas dire plus d’austérité, si on entend par austérité des restrictions dans les dépenses et la réduction des emplois publics ou subsidiés. Le gouvernement actuel a affirmé avoir choisi de faire des économies moitié en dépenses et moitié en recettes. On peut très bien le faire davantage par les recettes. Mais cela ne doit pas empêcher de supprimer les gaspillages ni de renforcer l’amélioration des résultats des politiques et des structures publiques ainsi que leur efficience (rapport efficacité/coût).
La question de l’austérité mérite quelques mots d’explication. La réduction des dépenses publiques et toute mesure à l’encontre du pouvoir d’achat (y compris l’instauration de nouvelles taxes ou l’augmentation des impôts pour le plus grand nombre) déprime la demande intérieure. Et l’austérité menée dans un pays déprime aussi l’activité dans les autres pays via le commerce extérieur. Ainsi, l’Union européenne est un grand marché intérieur qui est aujourd’hui bien davantage confronté à une crise de la demande intérieure qu’à une crise de compétitivité par rapport au reste du monde. C’est pourquoi ce qu’on appelle la rigueur budgétaire n’est pas le remède à respecter absolument. Il faut au contraire un peu plus de souplesse qui consisterait à ralentir quelque peu le rythme du retour à l’équilibre budgétaire comme le préconise aujourd’hui le FMI lui-même, dès lors que l’économie croît encore trop lentement. Mais dans ce cas, il est impératif d’être plus rigoureux lorsque la croissance sera plus forte, en freinant les dépenses sans réduire les impôts, ce que les gouvernements n’ont pas eu tendance à faire dans le passé (comme par exemple au début des années 2000 marquées par une hausse des dépenses publiques, l’adoption de la réforme fiscale Reynders et la multiplication des réductions et autres déductions fiscales). Ainsi, l’Etat peut jouer un rôle de régulation « contracyclique » de l’activité économique, même si nous ne sommes pas dans un ralentissement conjoncturel (de courte durée) mais dans une lente remontée d’après crise financière.
Est-ce pensable d’augmenter aussi les recettes de l’impôt des sociétés actuellement ?
Ce doit être le cas pour les sociétés qui paient très peu d’impôt en ayant recours à toutes les ficelles de l’ingénierie fiscale. Mais pour les autres entreprises, ce n’est pas indiqué d’augmenter leurs imposition effective, compte tenu de la concurrence fiscale européenne et d’une sortie de crise assez lente (d’autant qu’un pays comme la France va bientôt mettre en œuvre des mesures en faveur des entreprises pour restaurer leur compétitivité). Mais cela ne veut pas dire que les contributions des sociétés doivent pour autant être diminuées, car cela ne servirait pas à améliorer les facteurs essentiels de notre compétitivité à moyen terme que sont l’enseignement, la formation et les capacités d’innovation.
Face à la concurrence fiscale, il vaut dès lors mieux aligner le taux facial belge sur la moyenne européenne à condition de le compenser par une restructuration des déductions fiscales, exonérations et réductions d’impôts, incluant une diminution drastique des avantages fiscaux non conditionnés à l’emploi, à l’innovation ou à des investissements. Les PME qui sont globalement davantage créatrices d’emplois, mais qui ont moins accès à l’ingénierie fiscale en sortiraient gagnantes.
Reglobaliser les revenus des patrimoines avec ceux du travail ?
Le MOC revendique la globalisation des revenus abandonnée en 1982 et la restauration de la progressivité. Pourquoi la globalisation est-elle un objectif à poursuivre pour une fiscalité juste ?
La globalisation des revenus revient à additionner l’ensemble des revenus, qu’il s’agisse de salaires, de revenus de placements, de revenus immobiliers,…pour être soumis au même barème de taxation. Ce système n’est plus appliqué aujourd’hui en Belgique : les revenus mobiliers sont taxés à un taux fixe (de 25% tout au plus) indépendamment du niveau de revenu ; taux qui est inférieur à la taxation moyenne des revenus du travail. Globaliser permettrait donc à la fois de réduire la taxation du travail et d’augmenter le rendement de l’IPP.
Certains objectent que les dividendes sont déjà taxés une première fois à travers l’impôt sur le bénéfice des sociétés et qu’il faudrait le déduire. Mais on pourrait alors aussi objecter que les travailleurs ont déjà payé des cotisations sociales, y compris les cotisations dites patronales qui font partie du salaire [9].
La reglobalisation stricto sensu peut être un objectif à atteindre par étapes de façon à tenir compte de la concurrence fiscale. Augmenter drastiquement la taxation des revenus des patrimoines via la globalisation renforcera les stratégies pour éluder l’impôt au risque d’obtenir un rendement inférieur au rendement actuel. D’autant que nous ne disposons pas encore en Belgique d’un cadastre des patrimoines et que les mesures prises contre l’évasion fiscale sont comparables à une tranche de gruyère : il y a beaucoup de gros trous [10]. C’est pourquoi certains défendent de s’inspirer du système « dual d’imposition » pratiqué dans les pays nordiques.
Le système dual d’imposition (dual income tax, en anglais) consiste à appliquer une taxation progressive pour les revenus du travail et un système à taux uniforme pour les revenus du patrimoine. Pour ces derniers, les premiers euros seraient exonérés jusqu’à un certain plafond (comme c’est actuellement le cas pour les comptes d’épargne) de façon à avoir une progressivité, mais sans rendre plus attractive l’évasion fiscale pour les revenus élevés puisque le taux n’augmente pas avec le revenu.
Bref, une révolution fiscale de gauche ne se fera pas à la vitesse d’un « électrochoc » ?
Une fiscalité juste ne pourra être poursuivie que par étapes. Certaines ont déjà été franchies, comme la hausse et l’harmonisation à 25% des taux sur les revenus mobiliers, « à l’exception » notamment des revenus des comptes d’épargne et des bons d’Etat « Leterme » [11] » qui sont taxés à 15%. Pour ces revenus, le chemin de la globalisation passe par différentes mesures : un plafonnement des déductions et autres réductions fiscales, une harmonisation complète ou une plus forte convergence des taux et l’extension à tous les placements de l’exonération des rendements (intérêts ou dividendes) jusqu’à un plafond (comme c’est le cas pour les comptes d’épargne à concurrence de 1880 euros d’intérêts), une hausse progressive du niveau de taxation, et une transparence de ces revenus (qui passe par la constitution d’un cadastre, notamment). Sans oublier une taxe sur les plus-values ; ECOLO proposant qu’elle puisse décourager les placements spéculatifs [12].
En matière de taxation des revenus des patrimoines, pourquoi la fiscalité immobilière semble-t-elle être un sujet politiquement délicat ?
Les revenus immobiliers notamment locatifs sont encore moins taxés que les revenus mobiliers et sur base d’un revenu cadastral indexé mais non réévalué depuis 1975 (il est majoré de 40% pour les propriétaires bailleurs). Même si l’on tient compte des droits d’enregistrements au moment de l’acquisition. Les propriétaires occupants bénéficient aussi d’une généreuse déduction fiscale pour emprunt hypothécaire. Mettre tout cela en question est politiquement délicat pour plusieurs raisons.
L’incitation fiscale à l’acquisition de son logement crée une inégalité fiscale vis-à-vis de ceux qui ne sont pas en mesure d’acheter [13]. C’est politiquement gênant et donc rarement dénoncé. Une majorité d’électeurs sont propriétaires occupants et craignent d’être touchés par une réforme. Ce pourquoi les partis insistent sur le fait qu’ils veulent toucher les « multipropriétaires » qui ont plus qu’un ou deux logements mis en location. Ce qui peut tout de même rapporter gros. On parle de 4 à 5% en tenant compte des frais de réparation. Même s’il s’agit de compléter une petite pension, l’équité fiscale voudrait que ce soit taxé comme les revenus financiers. Or, un placement mobilier sans risques aujourd’hui fait perdre de l’argent, si le taux d’intérêt est inférieur à l’inflation, ou en fait gagner très peu [14].
Par ailleurs, une révision du revenu cadastral est aussi une question inévitable, notamment en raison de la division des maisons urbaines louées en tranches, et même pour les habitations occupées par leur propriétaire, puisque les propriétaires de longue date paient beaucoup moins d’impôt que les acquéreurs plus récents, souvent jeunes. Il faut évidemment tenir compte des coûts de réparation des logements anciens qui pourraient dès lors être déduits de la base taxable. La révision du cadastre ne pourrait qu’être progressive et en exonérant les revenus trop modestes, qui sont nombreux parmi les pensionnés.
On peut envisager d’augmenter la taxation et le revenu cadastral uniquement pour les propriétaires bailleurs multipropriétaires ou de taxer plutôt les revenus locatifs ce qui permettrait d’inciter à l’entretien via une déduction des frais sur factures. Pour éviter une hausse consécutive des loyers, il faut en même temps instaurer une régulation des loyers [15]. Mais on craint alors que les investissements immobiliers soient ralentis ce qui réduirait l’offre de logements locatifs, à moins que les pouvoirs publics se mettent à investir massivement.
Les propositions de réforme au regard de la progressivité
Comment définir la progressivité de l’impôt ? Pourquoi et comment la restaurer ?
Il ne suffit pas que les hauts revenus contribuent davantage pour parler de « progressivité ». Cette dernière n’existe en effet que lorsque que la part contribuée « en pourcentage du revenu » augmente au fur et à mesure que ce revenu s’élève.
Dans notre système fiscal, la progressivité est basée sur deux mécanismes : la variation des taux marginaux et les exonérations forfaitaires. Dans le premier cas, on distingue différentes tranches de revenu auxquelles s’applique un taux (dit marginal) d’imposition spécifique (25%, 30%, 40%, 45%, et 50%). En ce sens, l’IPP est progressif : dès lors que le taux marginal augmente suivant les tranches de revenu, le taux moyen d’imposition (c’est-à-dire le taux d’impôt payé sur la totalité du revenu) augmente aussi avec le revenu. Quant aux exonérations forfaitaires, chacune est un montant fixe de revenu qui est exonéré d’impôt. Il ne varie donc pas suivant le revenu. Il s’agit essentiellement du minimum de revenu non imposable ou quotité exemptée d’impôt, de la réduction forfaitaire pour enfant(s) à charge, du bonus emploi et du forfait de déplacement domicile-travail. Toutes ces exonérations conduisent à réduire l’impôt dû. Cette réduction d’impôt rend l’impôt progressif, car elle est d’autant plus importante, « en pourcentage du revenu », que le revenu est bas et donc d’autant moins que le revenu est élevé.
Par contre, deux éléments réduisent la progressivité de l’impôt. Il y a, d’une part, de multiples possibilités de déductions fiscales (pour l’achat d’un logement, pour les investissements en économie d’énergie, l’épargne-pension, etc.) qui sont davantage utilisées par les hauts revenus. D’autre part, la taxation des revenus financiers ne varie pas suivant le revenu et est inférieure à celle des revenus « imposés globalement » comme les salaires auxquels ils ne sont pas ajoutés [16]. Autrement dit, ils ne sont pas taxés à taux progressifs suivant le revenu global.
Les réformes actuellement proposées du système d’imposition à l’IPP modifient-elles la progressivité de l’impôt ?
Les idées de réforme des partis se distinguent notamment par la manière de relever la quotité exemptée d’impôt, les modifications du nombre de tranches, le taux d’imposition et le seuil de revenus de chacune de ces tranches.
Augmenter simplement le seuil de la tranche non imposable (quotité exemptée [17]) diminuerait le taux d’imposition moyen de tous ceux qui ont un revenu au-delà du seuil actuel. La progressivité de l’impôt [18] serait un peu accentuée puisque les hauts revenus en profiteraient aussi, mais moins que les revenus moyens « en pourcentage de leur revenu ». Mais ils en bénéficieraient davantage en euros, si la mesure était combinée à un déplacement de toutes les tranches du barème d’imposition vers le haut (par exemple, le seuil des revenus de la tranche taxée à 50% serait relevé dans la proposition du MR).
Réserver l’augmentation de la quotité exemptée de façon sélective aux seuls revenus en dessous d’un certain seuil coûterait évidemment moins cher ou permettrait d’augmenter davantage la quotité exemptée afin d’en faire bénéficier plus de monde en bas de l’échelle des revenus (la classe moyenne inférieure).
Enfin et surtout, un relèvement de la quotité exemptée n’aura pas d’effets sur les revenus imposables en dessous de la tranche exonérée actuelle. Parmi eux, on retrouve une grande partie des allocataires sociaux et des pensionnés ainsi que des travailleurs à temps partiel. Une mesure qui augmenterait leur pouvoir d’achat, comme une hausse des minima sociaux (à l’instar de ce que propose le PS), aurait une répercussion relative assurément plus forte sur la consommation. Malheureusement, le contexte politique actuel ne va pas dans ce sens et il y a fort à parier que le prochain gouvernement ne voudra pas améliorer le sort des chômeurs, abusivement soupçonnés de ne pas chercher du travail.
Le MR, par exemple, veut surtout abaisser le taux (moyen) d’imposition de la classe moyenne. Il propose de supprimer deux marches de l’escalier (les tranches d’imposition à 30% et à 45%) et de reculer les seuils des tranches restantes (25%, 40% et 50%), y compris la plus haute qui commencerait à 50.000 euros au lieu de 36.300. De ce fait, les hauts revenus y gagneraient davantage en euros que les revenus faibles ou moyens et bénéficieraient aussi de l’instauration d’une large « première tranche à 0% » jusqu’à 13.000 euros qui remplacerait la quotité exemptée. Par la suite, le MR a amorcé ce qui ressemble à un revirement partiel : cette première tranche ne bénéficierait plus qu’aux bas et moyens revenus (sous un certain seuil approximativement situé « entre 50.00 et 70.000 euros »), probablement en raison de son coût trop important. En effet, selon les calculs de la KUL, la réforme de l’IPP du MR (dans sa 1ère version) ferait gagner 11.558 euros par an aux 10% les plus riches et 125 euros aux 10% les plus pauvres… tout en appauvrissant l’Etat de 14,9 milliards d’euros. L’Open VLD fait encore mieux en ce qui concerne les tranches d’imposition en n’en conservant que deux : celles de 25% et de 45%.
Est-ce qu’on privilégie une fiscalité plus simple et plus lisible en réduisant le nombre de taux ?
La réduction du nombre de taux n’apporte plus de simplicité qu’en apparence seulement, car l’impact d’autres changements (comme le glissement des seuils des tranches) est difficile à se représenter. Par contre, dans leur livre Pour une révolution fiscale paru en 2011, Piketty, Landais et Saez, avaient lancé l’idée (reprise par le CDH) d’instaurer des « taux effectifs », croissant avec le revenu et appliqués sur la totalité du revenu et non plus par tranche (taux marginaux). Ce système a le mérite d’être bien plus lisible malgré une démultiplication du nombre de taux. Les auteurs donnent ainsi l’exemple suivant : l’impôt dû à 2.200 euros de revenu mensuel serait de 10 % de 2.200 euros (soit 220 euros). Pour un revenu de 10.000 euros, il serait de 25% de 10.000 (soit 2.500 euros). Par ailleurs, le taux augmenterait de plus en plus vite en fonction de l’élévation des revenus.
Les propositions réduisant le nombre de tranches ne s’approchent-elles pas de celle de la flat tax dont on affirme qu’elle aurait le mérite de la simplicité ?
La flat tax (ou impôt à taux unique) est une idée très libérale mise en œuvre dans certains pays. Chez nous, certains économistes prônent (pour tous les contribuables) une « taxe de 0% » sur une première tranche jusqu’à un certain seuil de revenu (qui serait plus élevé qu’aujourd’hui), ce qui renforcerait la progressivité. Au-delà, un taux unique situé entre 30 et 40% serait appliqué. Cette dernière mesure aurait par contre pour effet de diminuer la progressivité. Cela peut être compensé dans une certaine mesure, en réduisant les niches fiscales qui profitent davantage aux hauts revenus (ce que les libéraux ne défendent pas). Précisons pour terminer qu’y compris avec l’instauration éventuelle d’une flat tax, l’argument de la simplicité ne tient pas. En effet, la progressivité basée uniquement sur une première tranche non imposable n’est pas immédiatement compréhensible, contrairement à un système à taux progressifs qui énonce clairement qu’il fait contribuer davantage ceux qui disposent de plus hauts revenus.